Avant-propos
I- NOTRE ECONOMIE DANS SES PRINCIPAUX ASPECTS 9
1- LA STRUCTURE
GENERALE DE L'ECONOMIE ISLAMIQUE 11
Le
principe de la double propriété 12
Le
principe de la liberté économique dans un cadre limité
14
L'auto-limitation
15
La
limitation objective de la liberté 17
Le
principe de la justice sociale 20
Deux caractéristiques essentielles de la doctrine économique
islamique 22
2- L'ECONOMIE
ISLAMIQUE EST UNE PARTIE D'UN TOUT 25
Le
terrain (base) de la société islamique et de sa doctrine
sociale 27
Nature
des liens entre l'Economie islamique et tous les autres éléments
de l'Islam 29
Le
lien de l'Economie islamique avec la Croyance 29
L'attachement
de l'Economie islamique aux concepts islamiques de l'univers et de la vie
29
Le
lien de l'Economie islamique avec les sentiments et passions que l'Islam
diffuse 30
Le
lien entre la doctrine économique et la politique financière
de l'Etat 30
Le
lien entre l'Economie islamique et le régime politique 31
Le
lien entre l'abolition du capital usuraire et les autres statuts islamiques
relatifs à la spéculation,
à la solidarité générale et à équilibre
social 31
Le
lien entre certains statuts de la propriété privée
dans l'Economie islamique et les statuts du Jihâd 31
L'asservissement
des prisonniers de guerre en Islam 32
Le
lien entre l'Economie et la législation pénale en Islam 34
3- LE CADRE
GENERAL DE L'ECONOMIE ISLAMIQUE 35
Les
causes de la différence entre les intérêts naturels
et les intérêts sociaux 36
Les intérêts
naturels 37
Les intérêts
sociaux 38
Le
problème de la contradiction entre le motif personnel et l'intérêt
social 39
La
science peut-elle résoudre le problème ? 40
Le
matérialisme historique et le problème 42
La
Religion est l'unique solution à la contradiction 43
4- L'ECONOMIE ISLAMIQUE N'EST PAS UNE SCIENCE 48
5- LES RAPPORTS DE DISTRIBUTION SONT SEPARES DE LA FORME DE PRODUCTION 53
6-
LE PROBLEME ECONOMIQUE ET SES SOLUTIONS SELON L'OPTIQUE DE L'ISLAM
65
Quel
est le problème économique ? 65
L'appareil
de distribution 68
Le
rôle du travail dans la distribution 69
Le
rôle du besoin dans la distribution 73
Le
besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du communisme 74
Le
besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du socialisme marxiste
75
Le
besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du capitalisme 78
La propriété
privée 79
Autoriser
l'apparition de la propriété privée sur le plan économique
79
La
détermination du domaine de la propriété suivant les
exigences de la base de cette propriété 80
Les richesses
particulières 81
La
propriété est un accessoire de la distribution 83
Rappel
des caractéristiques de la distribution en Islam 84
7- LA CIRCULATION 84
L'échange,
et son évolution historique (du troc à la monnaie) 86
Conséquences
du passage du troc à la monnaie : thésaurisation et déséquilibre
88
L'usure
; le point de vue de l'Islam sur les problèmes liés à
l'échange 93
L'Islam
a interdit la thésaurisation des biens en imposant l'impôt
de la "Zakât" 94
L'Islam
a interdit catégoriquement et fermement l'usure 94
L'Islam
a accordé au Tuteur le droit d'exercer un contrôle total sur
le déroulement de la circulation 95
II- L'OPERATION DE LA DECOUVERTE DE LA DOCTRINE ECONOMIQUE 97
1- LA DOCTRINE ECONOMIQUE
ET L'ISLAM 99
Différence
entre doctrine économique et science économique 99
2- RELATION ENTRE LA DOCTRINE ET LA LOI 107
3- OPERATION DE DECOUVERTE ET OPERATION DE FORMATION 112
4- LE SYSTEME FISCAL COMME LE CODE CIVIL 116
6- L'OPERATION DE COMBINAISON ENTRE LES STATUTS 119
7- LES CONCEPTS QUI CONTRIBUENT A L'OPERATION 121
8- LA ZONE DE VIDE [JURIDIQUE] DANS LA LEGISLATION ECONOMIQUE 125
9- L'OPERATION
DE L'IJTIHAD ET LA SUBJECTIVITE 128
La justification
de la réalité 131
La
fusion du texte dans un cadre particulier 132
La
séparation de la preuve canonique (statut légal) de son contexte
136
L'adoption
d'une attitude précise et préalable vis-à-vis du texte
141
La
nécessité de la subjectivité parfois 143
L'effet trompeur de la réalité d'application 153
III- LA THEORIE DE LA DISTRIBUTION DE LA PRE-PRODUCTION 161
I- LES STATUTS 163
La
distribution de la richesse à deux niveaux 163
La
source originelle de la production 167
La
divergence des positions doctrinales vis-à-vis de la distribution
de la nature 168
Les
sources naturelles de la production 171
LA TERRE
172
La terre devenue
islamique par la conquête 172
La
terre déjà exploitable par suite du travail de l'homme lors
de la conquête 173
Les preuves
de la propriété publique et ses aspects 174
Discussion
des arguments en faveur de la propriété privée 179
La terre morte lors de la
conquête 191
Les
preuves de la propriété par l'Etat de la terre morte
191
Conséquence
de la différence entre les deux formes de propriété
194
Le rôle
de la mise en valeur des terres mortes 196
La terre
naturellement exploitable lors de la conquête 204
La
terre devenue islamique par l'Appel (la conversion de ses habitants) 206
La terre de réconciliation
209
D'autres terres d'Etat 210
La limitation du
pouvoir privé sur la terre 211
La vision
générale de l'Islam à propos de la terre 217
Les adversaires
de la propriété de la terre 222
L'élément
politique dans la propriété de la terre 226
La vision
de l'Islam en fonction de nouvelles données 229
1- La
terre conquise, exploitable lors de la conquête 230
2-
La terre dont les habitants se sont convertis volontairement à l'Islam
231
3-
La terre dont les habitants ont conclu un traité de réconciliation
stipulant qu'ils conserveront leurs terres 232
LES
MATIERES PREMIERES DANS LA TERRE 234
Les minerais apparents 235
Les minerais cachés 239
Les minerais
cachés proches de la surface de la terre 240
Les minerais cachés enfouis
241
Les minerais
sont-ils appropriés avec la terre ? 248
La féodalité
(al-Iqtâ') en Islam 250
La concession (iqtâ')
sur la terre Kharâjite 258
"al-hemâ" (la
terre de protection) en Islam 260
LES AUTRES RICHESSES NATURELLES 265
2- LA THEORIE 267
L'aspect
négatif de la théorie 268
La
superstructure de cet aspect 268
Conclusion
269
L'aspect
positif de la théorie 270
La
superstructure de cet aspect 271
Conclusion
271
L'évaluation
du travail dans la théorie 273
La
superstructure 273
Conclusion
277
L'action
économique, fondement des droits dans la théorie 277
L'acquisition
a un double caractère 278
La
théorie distingue les uns des autres les travaux à caractère
économique 281
Comment les droits personnels sont-ils fondés sur la base du travail
? 281
Le
fondement de l'appropriation dans les richesses mobilières 288
Le
rôle des travaux productifs dans la théorie 292
Le
rôle de la prise de possession des richesses mobilières
294
La
généralisation du principe théorique de la prise de
possession 297
Résumé
des résultats théoriques 298
Remarques
299
Etude
comparée de la théorie islamique 299
Le
phénomène de "Tasq" (impôt sur la mise en valeur d'une
terre morte) et son explication théorique 304
L'explication
morale de la propriété en Islam 306
La
limitation temporelle des droits privés 315
IV- LA THEORIE DE LA POST-PRODUCTION 321
1-
LE FONDEMENT THEORIQUE DE LA DISTRIBUTION SUR LES ELEMENTS DE LA PRODUCTION
323
La superstructure
323
De la théorie
330
Exemple
de la théorie dans l'Economie capitaliste 330
La
théorie islamique et sa comparaison avec le capitalisme 332
La
déduction de la théorie à partir de la superstructure
336
2-
LES ASPECTS DE LA DIFFERENCE ENTRE LA THEORIE ISLAMIQUE ET LE MARXISME
339
La superstructure
339
De la théorie 343
Le
phénomène de la constance de la propriété dans
la théorie 344
La
séparation, par la théorie, entre la propriété
et la valeur d'échange 348
La
déduction de la théorie à partir de la superstructure
349
3-
LA LOI GENERALE DE REMUNERATION DES SOURCES MATERIELLES DE LA PRODUCTION
353
La superstructure
353
De la théorie
372
La
coordination de la superstructure 373
Le
gain est fondé sur la base du travail effectué 377
L'aspect
positif de la base 377
L'aspect
négatif de la base 380
Le
rattachement de l'interdiction de l'usure à l'aspect négatif
385
Pourquoi
les moyens de production ne participent-ils pas au bénéfice
? 387
Remarques 392
Le
rôle du risque dans l'Economie islamique 392
Les
justifications capitalistes de l'intérêt et la critique de
ces justifications 396
La
limitation du contrôle du propriétaire sur l'utilisation
400
V- LA THEORIE DE LA PRODUCTION 405
1- LE LIEN DE LA DOCTRINE AVEC LA PRODUCTION 407
2- LE DEVELOPPEMENT
DE LA PRODUCTION 409
Les
moyens islamiques du développement de la production 412
Les
moyens de l'Islam sur le plan idéologique 412
Les
moyens de l'Islam sur le plan législatif 416
La
politique économique du développement de la production
429
3- POURQUOI PRODUIRE ? 430
La
conception de la richesse en Islam 433
Le
rattachement du développement de la production à la distribution
436
La
conception islamique du problème économique 437
Le
lien entre la production et la distribution 439
L'orientation
de la production en vue de garantir la justice de la distribution 441
Le
lien entre la production et la circulation 443
Le
concept islamique de la circulation 445
Les
textes doctrinaux du concept 448
L'orientation
législative reflétant le concept 449
4- POUR QUI PRODUIRE ? 453
La position capitaliste
453
Critique
de la position capitaliste 454
La position de
l'Islam 456
VI- LA RESPONSABILITE DE L'ETAT DANS L'ECONOMIE ISLAMIQUE 459
1- LA SECURITE SOCIALE 461
Le
premier fondement de la sécurité sociale 462
Le
second fondement de la sécurité sociale 465
2- L'EQUILIBRE SOCIAL 471
La
conception islamique de l'équilibre social 471
Les
moyens de préserver l'équilibre social 478
Le prélèvement
d'impôts fixes 478
Fonder des
secteurs publics 484
La
nature de la législation islamique 486
3- LE PRINCIPE
DE L'INTERVENTION DE L'ETAT 488
Pourquoi
a-t-on institué une "zone de vide" ? 489
La
"zone de vide" n'est pas une lacune 493
La preuve législative
493
Des exemples 494
1- La structure générale de l'Economie islamique.
2- L'Economie islamique est une partie d'un tout.
3- Le cadre général de l'Economie islamique.
4- L'Economie islamique n'est pas une science.
5- Les rapports de distribution sont séparés de la forme de production.
6- Le problème économique et sa solution dans l'optique islamique.
1- LA STRUCTURE GENERALE DE L'ECONOMIE ISLAMIQUE.
La structure générale de l'Economie islamique se compose de trois piliers qui en déterminent le contenu doctrinal et la font se distinguer de toutes les autres doctrines économiques dans leurs lignes générales. Ces piliers sont :
1- Le principe de la double propriété.
2- Le principe de la liberté économique dans un cadre limité.
3- Le principe de la justice sociale.
Nous allons expliquer et interpréter ces trois piliers principaux pour nous faire une idée générale de l'Economie islamique et pour pouvoir par conséquent traiter d'une façon plus exhaustive de ses détails et de ses traits caractéristiques doctrinaux.
Le principe de la double propriété.
L'Islam diffère substantiellement du capitalisme et du socialisme quant au type de propriété qu'il admet.
La société capitaliste croit, en effet, à la forme particulière et individuelle de la propriété - c'est-à-dire la propriété privée - comme règle générale. Elle reconnaît aux individus le droit à la propriété privée de toutes les sortes de richesses du pays selon leurs activités publiques, et n'y apporte de restrictions que lorsque la nécessité sociale l'impose, et que l'expérience établit un tel secteur public. Ainsi cette nécessité constitue un cas de dérogation au principe de la propriété privée et permet d'y faire exception pour un secteur donné ou une richesse donnée.
La société socialiste fait exactement le contraire. La propriété commune y est le principe général qui s'applique à toutes les sortes de richesses du pays, et la propriété privée de certaines richesses du pays n'y est qu'une anomalie et une exception, qu'on pourrait admettre parfois à la suite d'une nécessité sociale contraignante.
C'est à partir de ces deux théories opposées, du capitalisme et du socialisme, qu'on appelle "société capitaliste" toute société qui croit à la propriété privée comme principe unique, et à la nationalisation comme une exception et un palliatif à une nécessité sociale, et "société socialiste" toute société qui considère la propriété socialiste comme étant le principe, et qui ne reconnaît la propriété privée que dans des cas exceptionnels.
Quant à la société islamique, elle ne comporte la caractéristique essentielle d'aucune des deux sociétés précitées. Car la Doctrine islamique ne s'accorde ni avec le capitalisme dans son affirmation que la propriété privée est le principe, ni avec le socialisme lorsqu'il considère la propriété socialiste comme principe général. Elle admet en même temps les différentes formes de la propriété lorsqu'elle adopte le principe de la double propriété (propriété à formes diverses) au lieu de celui de la forme unique de la propriété que font leur le capitalisme et le socialisme. C'est un principe qui croit à la propriété privée, à la propriété publique et à la propriété de l'Etat. Il consacre à chacune de ces trois formes de propriété un champ particulier dans lequel elle oeuvre, et il ne considère aucune d'elles comme une anomalie, une exception ou un remède provisoire exigé par les circonstances.
Il est donc erroné d'appeler la société islamique, une société capitaliste, même lorsqu'elle autorise la propriété privée d'un certain nombre de capitaux et de moyens de production ; car la propriété privée n'y est pas la règle générale. De même il est erroné de l'appeler société socialiste même si elle (la société islamique) se sert du principe de la propriété publique et de la propriété de l'Etat, pour certaines richesses et certains capitaux, étant donné que la forme socialiste de la propriété n'y est pas la règle générale. Et enfin, il est aussi erroné de la considérer comme un mélange de celle-ci et de celle-là, car la diversité des formes principales de la propriété dans la société islamique ne signifie pas que l'Islam est un mélange des deux doctrines capitaliste et socialiste, ni qu'il a adopté un aspect de chacune d'elles. Il faut voir dans cette diversité des formes de la propriété qui le caractérise comme un plan doctrinal original fondé sur des règles de pensée précises, et comme un sujet inclus dans un cadre particulier de valeurs et de conceptions qui contredisent les bases, les règles, les valeurs et les conceptions sur lesquels ont été fondés le capitalisme libéral et le socialisme marxiste.
La preuve la plus évidente de la justesse de la position islamique vis-à-vis de la propriété (possession fondée sur le principe de la double propriété) nous est fournie par la réalité de l'expérience capitaliste et de l'expérience socialiste elles-mêmes, puisque chacune d'elles a été contrainte d'admettre la forme de propriété de l'autre, donc de reconnaître la nécessité d'une forme de propriété opposée à celle qui constitue la règle générale chez elle après que la réalité leur a prouvé l'erreur de l'idée de la forme unique de propriété.
Ainsi, la société capitaliste a commencé depuis longtemps à appliquer l'idée de la nationalisation et à exclure certains secteurs du cadre de la propriété privée. Ce mouvement de nationalisation constitue un aveu, de la part des sociétés capitalistes, de l'inadéquation du principe capitaliste de la propriété, et une tentative de pallier les complications et contradictions découlant de ce principe.
De même, la société socialiste, malgré son jeune âge, s'est trouvée, sur un autre plan, elle aussi contrainte de reconnaître la propriété privée, tantôt d'une manière légale, tantôt illégale. L'exemple de l'aveu légal est illustré par l'Article sept de la Constitution soviétique, qui stipule : «Chacune des familles de la ferme coopérative obtient, outre le revenu principal provenant de l'Economie commune de la ferme coopérative, un morceau de terrain qui lui est propre et rattaché au lieu de logement ; ce terrain lui permet donc d'avoir une maison d'habitation, une Economie supplémentaire, du bétail productif, des volailles et des instruments agricoles simples, à titre de propriété privée.» L'Article neuf aussi autorise les paysans et les artisans à posséder, individuellement, de petits projets économiques, et permet la constitution de ces petites propriétés à côté du système socialiste en vigueur.
Le principe de la liberté économique dans un cadre limité.
Le second pilier de l'Economie islamique est le fait d'accorder aux individus une liberté économique, dans les limites des valeurs morales et éthiques auxquelles croit l'Islam.
Dans ce pilier également, nous remarquons une différence saillante entre l'Economie islamique d'une part et les deux Economies capitaliste et socialiste de l'autre. Ainsi, alors que les individus jouissent de libertés illimitées dans l'Economie capitaliste, et que l'Economie socialiste confisque la liberté de tout le monde, l'Economie islamique adopte une attitude conforme à sa nature générale en autorisant les individus à exercer leurs libertés dans le cadre de valeurs et d'idéaux qui domptent et polissent la liberté, et en font un instrument de bien pour toute l'humanité.
La limitation islamique de la liberté sociale dans le domaine économique est de deux sortes:
1- L'auto-limitation qui émane des profondeurs de la personne et qui puise son crédit dans le contenu spirituel et intellectuel de la personnalité islamique.
2- La limitation objective qui exprime une force extérieure délimitant et réglant la conduite sociale.
Elle se forme dans le cadre de l'éducation spéciale que l'Islam dispense à l'individu dans une société où l'Islam régit tous les secteurs de la vie (de la société islamique). En effet, les cadres intellectuels et spirituels à l'intérieur desquels l'Islam forge la personnalité islamique, lorsqu'il offre l'occasion d'entrer dans la réalité de la vie et de faire l'histoire sur la base de cette réalité, ont une force morale énorme et exercent une grande influence sur l'auto-limitation ou la limitation naturelle de la liberté accordée aux individus de la société islamique et sur son orientation dans la discipline, et sans que les individus aient le sentiment que leurs libertés seraient tant soit peu confisquées, car la limitation étant le produit de leur réalité spirituelle et intellectuelle, les individus n'y voient pas une limitation de leurs libertés. C'est pourquoi l'auto-limitation n'est pas vraiment une limitation de la liberté, mais une opération de formation du contenu intérieur de l'homme libre, une formation morale et saine, dans laquelle la liberté accomplit son vrai message.
Cette auto-limitation a produit des résultats splendides et des effets grandioses dans la formation de la nature de la société islamique et son tempérament général. Bien que l'expérience islamique complète fût de courte durée, elle a porté ses fruits et fait exploser dans l'âme humaine ses possibilités idéales et sublimes tout en donnant à l'humanité un crédit spirituel riche en sentiments de justice, de bien, et de bienveillance. Et si cette expérience s'était prolongée dans la vie plus longtemps que la courte période historique qu'elle a vécue effectivement, elle aurait pu prouver la compétence de l'humanité pour être le représentant d'Allah sur la terre, forger un nouveau monde imprégné de sentiments de justice et de miséricorde, et extirper de l'âme humaine tous les éléments de mal et tous les mobiles d'injustice et de corruption qu'il est possible d'extirper.
En outre, il ne faut pas oublier que l'une des conséquences bénéfiques de l'auto-limitation est le fait que celle-ci demeure la seule garantie fondamentale des oeuvres bonnes dans la Communauté musulmane, depuis que l'Islam a cessé son expérience de la vie et perdu sa direction politique et son imamat social. Et bien que les Musulmans se soient écartés de l'esprit de cette expérience et de cette direction d'une distance temporelle de plusieurs siècles, et d'une distance spirituelle dont la mesure est le degré d'abaissement de leurs niveaux intellectuel et psychologique, et de leur accoutumance à d'autres modes de vie sociale et politique, l'auto-limitation dont le premier noyau fut posé par l'Islam lors de son expérience complète de la vie, a joué un rôle positif et efficace dans le maintien des oeuvres bonnes qui se traduit par le fait que des millions de Musulmans payent de leur plein gré, lequel est cristallisé dans le cadre de cette auto-limitation, la Zakât et d'autres obligations contractées envers Allah, et contribuent à la réalisation des conceptions islamiques de la justice sociale. A la lumière de ce fait, combien plus grands auraient été les résultats si ces Musulmans vivaient l'expérience islamique complète, et si leur société était l'incarnation complète de l'Islam, dans ses pensées, ses valeurs et sa politique, et l'expression pratique de ses conceptions et idéaux.
La limitation objective de la liberté :
Elle signifie ici la limitation imposée de l'extérieur, par la force de la Loi, à l'individu dans la société islamique. Cette limitation objective de la liberté en Islam est fondée sur le principe selon lequel il n'y a pas de liberté pour l'individu en ce qui concerne les activités qui s'opposent aux idéaux et aux objectifs à la nécessité desquels l'Islam croit, et qui sont explicitement soulignés dans la Charî'ah.
On a exécuté ce principe en Islam de la façon suivante :
La Charî'ah s'est chargée, dans ses sources générales, d'interdire explicitement une série d'activités économiques et sociales, telles que l'usure, le monopole, etc., susceptibles, selon l'optique islamique, d'entraver la réalisation de certains idéaux et valeurs adoptés par l'Islam.
La Charî'ah(1) a posé le principe de la supervision, par le Tuteur(2), de l'activité générale, et de l'intervention de l'Etat dans la limitation des libertés des individus dans les travaux qu'ils exercent, et ce, afin de protéger et de préserver les intérêts généraux. Il était nécessaire pour l'Islam de poser ce principe afin de garantir à la longue la réalisation de ses idéaux et de ses conceptions de la justice sociale. Car les exigences de la justice sociale à laquelle appelle l'Islam diffèrent selon les circonstances économiques de la société et les situations matérielles qu'elle traverse. Ainsi, une activité donnée pourrait être nuisible à la société et à son entité à un certain moment historique, et non pas à un autre. Aussi ne peut-on pas en expliciter les détails dans des formules constitutionnelles constantes. Le seul moyen possible est de permettre au Tuteur d'exercer sa fonction en sa qualité d'autorité chargée de surveiller, orienter et limiter les libertés afin que leur exercice légal soit conforme à l'idéal islamique de la société.
L'origine législative du principe de la supervision et de l'intervention est le noble Coran, et précisément dans ce Verset :
«Obéissez à Allah, obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent l'autorité.»(3)
Ce Texte indique clairement la nécessité d'obéir au Tuteur (celui qui détient l'autorité). Si les Musulmans divergent quant à la nomination et à la détermination des conditions et des qualités des Tuteurs, ils sont unanimement d'accord pour dire que ceux-ci sont les détenteurs de l'autorité légale dans la société islamique. L'autorité islamique suprême a donc droit à l'obéissance, et dispose du droit d'intervenir en vue de protéger la société et d'y réaliser l'équilibre islamique, à condition toutefois que cette intervention se situe dans le cadre de la Charî'ah sacrée. L'Etat, ou le Tuteur, n'a pas le droit, par exemple, de légaliser l'usure, d'autoriser la tromperie, de suspendre la loi sur l'héritage, ou d'abolir une propriété établie dans la société selon une base islamique. En Islam, le Tuteur est autorisé seulement à intervenir dans les conduites et les activités dans lesquelles la Charî'ah lui laisse la liberté d'action. Il peut ainsi les interdire ou les imposer conformément à l'idéal social islamique. La mise en valeur de la terre, l'extraction des minerais, le creusement de cours d'eau et d'autres activités et commerces similaires sont autorisés généralement par la Charî'ah, laquelle a fixé pour chacune des activités de ce genre des conséquences légales qui en découlent. Si le Tuteur estime qu'il faut entreprendre ou interdire l'une de ces activités, dans les limites de ses compétences, il peut le faire conformément au principe précité.
Le Saint Prophète (Ç) appliquait ce principe d'intervention lorsque le cas l'exigeait et que la situation nécessitait intervention et orientation. Parmi les exemples illustrant cette intervention, citons ce que le Hadith(4) lui attribue : le Saint Prophète (Ç) a déclaré aux gens de Médine, concernant l'eau d'arrosage des dattiers, que l'on n'interdise pas l'utilisation d'une chose, et aux gens de la "Bâdiyah", que l'on n'interdise pas le surplus d'une eau afin de ne pas interdire le surplus de l'herbe. Et il a dit : «Ni dommage ni endommagement.»(5)
Il est évident pour les faqîh(6) que le fait d'empêcher l'utilisation d'une chose, ou du surplus de l'eau, n'est pas prohibé d'une manière générale dans la sainte Charî'ah. A la lumière de quoi nous comprenons que l'interdiction faite par le Saint Prophète (Ç) aux gens de Médine de faire obstacle à une chose, ou d'empêcher le surplus de l'eau, n'a pas été prononcée en sa qualité de Messager chargé de communiquer les "statuts légaux"(7) généraux, mais en sa qualité de Tuteur, responsable de l'organisation de la vie économique de la société et de son orientation d'une façon qui ne s'oppose pas à l'intérêt général qu'il apprécie lui-même. C'est sans doute la raison pour laquelle le "récit"(8) a exprimé la prohibition du Saint Prophète (Ç) par le terme "décret" et non "interdiction", étant donné que le "décret" est une sorte de "jugement"(9).
Le principe de la justice sociale.
Le troisième pilier de l'Economie islamique est le principe de la justice sociale, que l'Islam a incarnée en pourvoyant le système de distribution de la richesse dans la société islamique, en éléments et garanties assurant à la distribution la possibilité de réaliser la justice sociale, et mettant ledit système en harmonie avec les valeurs sur lesquelles il est fondé. En effet, lorsque l'Islam a inclus la justice sociale dans les principes essentiels dont est constitué son principe économique, il n'a pas adopté la justice sociale dans sa conception générale abstraite, ni ne s'en est réclamé d'une façon susceptible d'accepter toutes sortes d'interprétations, ni ne l'a confiée aux sociétés humaines qui diffèrent dans leurs visions de la justice sociale selon la différence de leurs idées sur la civilisation et de leur conceptions de la vie...
L'Islam a déterminé et cristallisé ce principe dans un plan social spécifique, et a pu par la suite incarner ce plan dans une réalité sociale vivante dans les artères et veines de laquelle coule la conception islamique de la justice.
Il ne suffit pas de connaître de l'Islam son appel à la justice sociale, mais il faut connaître aussi ses conceptions détaillées de la justice et la signification islamique particulière de celle-ci.
L'image islamique de la justice sociale comporte deux principes généraux. Le premier est le principe de la solidarité générale ; l'autre est le principe de l'équilibre social. C'est par cette solidarité et cet équilibre, compris dans leur conception islamique, que se réalisent les valeurs de la justice sociale, et c'est par eux que s'incarne l'idéal islamique de la justice sociale, comme nous le verrons dans un chapitre prochain.
Les pas que l'Islam a franchis, dans son expérience historique rayonnante, pour instaurer la meilleure société humaine, ont montré clairement combien il prend soin de ce troisième pilier principal de son Economie. Ce soin s'est reflété clairement dans le premier discours prononcé par le Saint Prophète (Ç) lorsqu'il a entrepris la première action politique dans son nouvel Etat. En effet, selon les "récits", le Saint Prophète (Ç) a inauguré ses communiqués d'orientation par le discours suivant :
«O gens ! Oeuvrez en vue de votre Salut final. Par Allah ! Sachez qu'Allah peut faire mourir chacun de vous (à tout moment) en laissant ses moutons sans berger. Puis son Seigneur lui dira : «Mon Messager n'est-il pas venu pour te communiquer Mon Message ? Ne t'ai-Je pas accordé des biens et des faveurs ? Qu'as-tu donc fait pour ton Salut ?» L'homme regardera alors à gauche et à droite, et il ne verra rien. Puis il regardera devant lui, et il ne verra que l'Enfer. Donc, quiconque peut s'épargner l'Enfer, qu'il le fasse -même avec (en offrant) la moitié d'une datte. Et s'il ne le peut pas, qu'il le fasse avec un mot gentil, lequel peut récompenser une bonne action de dix à sept cents fois sa valeur. Que la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions d'Allah soient sur vous.»
Il a commencé son action politique par la fraternisation qu'il a établie entre les Muhajirîn (les Emigrés) et les Ançar (les Partisans), et l'application du principe de la solidarité entre eux, en vue de réaliser la justice sociale escomptée par l'Islam.
Tels sont donc les piliers principaux de l'Economie islamique :
1- Une propriété à formes multiples en fonction desquelles se détermine la distribution .
2- Une liberté limitée par les valeurs islamiques dans les domaines de la production, de l'échange et de la consommation.
3- Une justice sociale garantissant à la société son bonheur, et dont l'ossature est la solidarité et l'équilibre.
Deux caractéristiques essentielles de la Doctrine économique islamique.
La Doctrine économique islamique a deux qualités essentielles qui rayonnent de tous ses détails et lignes. Ce sont le réalisme et la morale. En effet, l'Economie islamique est à la fois réaliste et morale dans les buts qu'elle veut réaliser et dans la méthode qu'elle adopte.
C'est une Economie réaliste dans ses buts, car elle vise, dans ses règlements et lois, des buts qui concordent avec la réalité de l'humanité dans toute sa nature, ses penchants et ses caractéristiques générales, et s'efforce toujours de ne pas épuiser l'humanité dans ses calculs législatifs et de ne pas la faire voler vers des horizons fictifs lointains qui ne sont pas à sa portée. Elle fonde toujours son plan économique sur la vision réaliste de l'homme, et poursuit des buts réalistes qui se conforment à cette vision. Une Economie utopiste, l'Economie communiste par exemple, se plairait à se fixer un but irréaliste et à aspirer à la réalisation d'une humanité nouvelle, dépouillée de tous les penchants égoïstes, capable de distribuer entre ses membres le travail et les biens sans le recours à un appareil gouvernemental chargé de cette distribution, et dépourvue de toute sorte de discorde et de lutte. Mais cette vision ne concorde pas avec la nature de la Législation islamique et le réalisme qui caractérise ses buts et objectifs.
En outre, c'est une Economie réaliste dans sa méthode aussi. De même qu'elle vise des buts réalistes et réalisables, de même elle garantit la réalisation de ces buts d'une façon réaliste et matérielle, et ne se contente pas d'une garantie sous forme de conseils et d'orientations prodigués par des prédicateurs et des conseillers, car elle veut parvenir à la réalisation de ses buts, et ne se contente pas de les laisser à la merci du hasard et de la conjoncture. Ainsi, lorsqu'elle vise par l'exemple l'instauration de la solidarité générale dans la société, elle ne se contente pas, pour ce faire, de mesures d'orientation et de galvanisation de sentiments, mais recourt à une garantie législative qui rend la réalisation de cette solidarité irréversiblement nécessaire.
La deuxième qualité de l'Economie islamique, la qualité morale, signifie, en ce qui concerne le but, que l'Islam ne choisit pas les objectifs qu'il s'efforce d'atteindre dans la vie économique de la société, à partir des circonstances matérielles et des conditions naturelles indépendantes de l'homme lui-même, comme cela est le cas du marxisme dont les buts sont inspirés de la situation et des circonstances des forces productives. L'Islam regarde ces buts comme étant l'expression des valeurs pratiques dont la réalisation est moralement nécessaire. Lorsqu'il décide la garantie de la vie de l'ouvrier, par exemple, il ne pense pas que cette garantie sociale qu'il a fixée, découle des circonstances matérielles de la production, mais la considère en tant qu'une valeur pratique qu'il faut réaliser, comme nous allons l'étudier d'une façon détaillée dans des pages suivantes de ce chapitre.
La qualité morale, sur le plan de la méthode, signifie que l'Islam s'intéresse au facteur psychologique dans la méthode qu'il suit pour atteindre ses buts et objectifs. Dans la méthode qu'il propose à cet effet, il ne se contente pas de s'occuper de l'aspect objectif seulement, c'est-à-dire la réalisation de ces objectifs, mais prend un soin particulier à insérer le facteur psychologique et subjectif dans la méthode de réalisation de ces buts. On pourrait par exemple prendre de l'argent au riche pour satisfaire les besoins du pauvre, réalisant ainsi l'objectif que l'Economie islamique poursuit à travers le principe de la solidarité. Mais cela n'est pas tout dans le calcul de l'Islam. Il y a en Islam la méthode par laquelle on doit réaliser la solidarité générale. Car cette méthode pourrait signifier tout simplement l'utilisation de la force pour prélever un impôt sur les biens des riches pour satisfaire les besoins des pauvres. Mais bien que ceci suffise pour réaliser l'aspect objectif du problème, c'est-à-dire la satisfaction des besoins du pauvre, l'Islam ne l'admet pas, étant donné que la méthode de la réalisation de la solidarité est dépourvue d'une motivation morale et du facteur de bienfaisance dans l'âme du riche. C'est pourquoi l'Islam est intervenu pour faire des obligations fiscales, par lesquelles il vise l'instauration de la solidarité, des actes cultuels légaux (prescrits) qui doivent émaner d'une motivation intérieure éclairée poussant l'homme à participer, d'une façon consciente et volontaire, et dans l'espoir de se rapprocher d'Allah et de le contenter, à la réalisation des buts de l'Economie islamique.
Il n'est pas étonnant que l'Islam s'occupe tellement de ce facteur psychologique et qu'il prenne un soin particulier à la forger spirituellement et intellectuellement conformément à ses buts et conceptions ; car la nature des facteurs subjectifs qui se meuvent dans l'âme humaine a une grande influence sur la formation de la personnalité de l'homme et la détermination de son contenu spirituel. De même, le facteur objectif exerce une influence importante sur la vie sociale, ses problèmes et les solutions de ces problèmes. Il devient évident pour tout le monde aujourd'hui que le facteur psychologique joue un rôle principal dans le domaine économique : il influe sur l'avènement des crises périodiques dont souffre énormément l'Economie européenne, et affecte également la courbe de l'offre et de la demande, la productivité de l'ouvrier et d'autres éléments de l'Economie.
L'Islam ne se borne pas, dans sa Doctrine et ses Enseignements, à organiser la façade extérieure de la société, mais pénètre dans ses profondeurs spirituelles et intellectuelles pour créer une harmonie entre le contenu intérieur et le plan économique et social qu'il établit. Il ne se contente pas, dans sa méthode, de choisir n'importe quel moyen susceptible de réaliser ses buts, mais fusionne ce moyen dans le facteur psychologique et la motivation subjective qui concordent avec lesdits buts et leurs conceptions.
2- L'ECONOMIE ISLAMIQUE EST UNE PARTIE D'UN TOUT.
Telle que nous la concevons, l'Economie islamique ne peut être étudiée en articles séparés les uns des autres, par exemple étudier le jugement de l'Islam interdisant l'intérêt usuraire ou autorisant la propriété privée séparément de l'ensemble des parties d'un plan général. De même, il est inadmissible d'étudier l'ensemble de l'Economie islamique en tant qu'un sujet à part, une entité doctrinale indépendante des autres entités (sociales, politiques, etc.) de la Doctrine et indépendante de la nature des rapports établis entre ces entités. Il faut comprendre l'Economie islamique dans le cadre de la formule islamique générale, laquelle régit les divers aspects de la vie dans la société. Car, de même que nous percevons la chose sensible dans le cadre d'une formule générale composée d'un groupe de choses, et que notre vision d'une chose dans le cadre d'une formule générale est différente de notre vision de cette chose en dehors de ladite formule générale, ou dans le cadre d'une autre formule (au point qu'une ligne quelconque peut paraître plus courte qu'elle ne l'est dans la réalité lorsqu'elle est vue dans le cadre d'une combinaison donnée de lignes, et plus longue lorsqu'on change la combinaison de ces lignes), de même les formules générales des doctrines sociales jouent un rôle important dans l'appréciation de leurs plans économiques. Il est donc erroné de ne pas accorder à la formule islamique générale son importance, et de ne pas tenir compte de la nature des relations entre l'Economie et l'ensemble des parties de la doctrine, et de l'influence réciproque entre ces différentes parties dans son entité organique générale.
De même, il ne faut pas séparer la Doctrine islamique dans sa formule générale du terrain particulier qui lui est préparé et qui renferme tous les éléments de la survie et de la force de la doctrine. Car de même que nous percevons les formules sensibles dans des terrains différents, et que chaque forme s'accorde avec un terrain spécifique, ce terrain spécifique pouvant s'adapter à une autre, et cette forme particulière pouvant s'adapter à un tel terrain et ne pas s'adapter à tel autre, de même la formule générale de la doctrine, de toute doctrine, exige un terrain, un sol adapté à sa nature et lui fournissant la croyance, les conceptions et les sentiments qui lui conviennent. Donc, il est indispensable d'étudier la formule générale de la doctrine sur la base du terrain et du sol qui lui sont préparés, c'est-à-dire dans son cadre général, lorsque nous voulons en faire l'appréciation.
Il apparaît ainsi que l'Economie islamique est corrélative dans ses lignes et détails, qu'elle constitue à son tour une partie d'une formule générale de la vie, que cette formule a un terrain qui lui est propre, et que la société islamique intégrale voit le jour lorsqu'elle acquiert et la formule et le terrain, lorsqu'elle obtient et la plante et le sol. La méthode de recherche dans l'Economie islamique ne s'avère juste que lorsque celle-ci est étudiée en tant qu'un plan à parties corrélatives et en tant qu'une partie de la formule islamique générale de la vie, et que cette formule elle-même est à son tour fondée sur le terrain ou le sol que l'Islam a préparé pour une société islamique authentique.
Le terrain (base) de la société islamique et de sa doctrine sociale.
Le terrain, ou le sol, de la société islamique et de sa base doctrinale est composé des éléments suivants :
1- Le dogme(10): c'est la base centrale de la pensée en Islam, qui détermine la vision principale de l'homme, de l'univers en général.
2- Les conceptions qui reflètent le point de vue islamique sur l'interprétation des choses à la lumière de la vision générale que la doctrine cristallise.
3- Les sentiments et les sympathies que l'Islam entend propager et développer à côté desdites conceptions. Car la conception, en tant qu'une idée islamique d'une réalité donnée, fait exploser dans l'âme du Musulman un sentiment particulier envers la réalité en question et détermine sa tendance sentimentale envers elle (la réalité). Ainsi, les sentiments islamiques sont engendrés par les conceptions islamiques, lesquelles sont à leur tour formulées à la lumière de la Doctrine islamique fondamentale. Prenons-en un exemple dans la crainte révérencielle (Taqwâ). C'est au sein de la Doctrine de l'Unicité que naît la conception islamique de la crainte révérencielle, conception selon laquelle la crainte révérencielle est le critère de la dignité et de la distinction préférentielle entre les êtres humains. C'est de cette conception que naît un sentiment islamique envers la crainte révérencielle et les hommes pieux (ceux qui éprouvent la crainte révérencielle), un sentiment de révérence et de respect.
Ce sont ces trois éléments : la doctrine, les conceptions et les sentiments, qui s'associent pour former le terrain sain de la société.
Puis, après le terrain, vient le rôle de la formule islamique générale de la vie, en tant qu'un tout indivisible qui s'étend vers toutes les branches de la vie. C'est seulement lorsque la société islamique complète son terrain et sa formule générale que nous pouvons attendre de l'Economie islamique qu'elle accomplisse sa mission unique dans la vie économique, d'assurer à la société les facteurs du bonheur et du bien-être, et de nous permettre d'en cueillir les meilleurs fruits. Quant à attendre du grand message islamique qu'il réalise tous ses buts dans l'un des aspects de la vie, au cas où ce message viendrait à être appliqué dans cet aspect séparément de toutes les autres branches de la vie, ce serait une grossière erreur, car les corrélations qui existent entre les différents aspects du plan islamique grandiose de la société, rendent ce plan pareil à un plan dessiné par un architecte des plus habiles pour la construction d'un bâtiment merveilleux, plan qui ne peut refléter la beauté et la merveille voulues par l'architecte que s'il est appliqué entièrement. Et si nous suivions ledit plan pour construire une partie du bâtiment, nous ne pourrions nous attendre à ce que cette partie soit conforme à la volonté de l'architecte dans son élaboration du plan en tant que tout. Il en va de même pour le plan islamique. En effet, l'Islam a établi une voie qui lui est propre. Il en a fait l'instrument complet du bonheur de l'humanité, à condition que cette voie islamique grandiose soit suivie dans un milieu islamique conforme, dans son existence, ses pensées et toute son entité, à la règle de l'Islam, et qu'elle (cette voie) soit suivie entièrement, en tant qu'un tout complet dont les parties sont complémentaires et inséparables. Car isoler toute partie de la voie islamique de son milieu et des autres parties, équivaut à son isolement des conditions dans lesquelles elle peut réaliser son but idéal. Ce qui est dit ici ne constitue pas un reproche fait aux directives islamiques, ni une sous-estimation de leur compétence et de leur capacité à diriger la société. Il s'agit de noter seulement que ces directives ne portent leurs fruits que lorsque les conditions qu'elles exigent sont réunies.
Nature des liens entre l'Economie islamique et tous les autres éléments de l'Islam.
Nous ne pouvons pas mettre en évidence, dans cet exposé, tous les aspects de cette corrélation dans l'Economie islamique, ni les aspects de la corrélation et de l'interaction entre elle et toutes les caractéristiques et les autres éléments islamiques qui lui sont liés. Aussi nous bornerons-nous à en citer quelques exemples.
Le lien de l'Economie islamique avec la Croyance, laquelle est la source de l'approvisionnement spirituel de la Doctrine. En effet, la Croyance pousse le Musulman à s'adapter à la Doctrine, celle-ci étant l'émanation de celle-là, ce qui confère à la Doctrine un caractère de Foi et une valeur subjective -abstraction faite de la qualité des résultats objectifs qu'elle (la Doctrine) enregistre sur le plan pratique- et crée dans l'âme du Musulman un sentiment de sécurité intérieure au sein de la Doctrine -celle-ci étant considérée comme émanant de la Croyance à laquelle il adhère. Ainsi, la force de la garantie de l'exécution, le caractère de Foi et de spiritualité, la sécurité intérieure,.. toutes ces caractéristiques constituent des traits qui distinguent l'Economie islamique grâce à la Croyance fondamentale sur laquelle elle repose, et dans le cadre général duquel elle se forme. C'est pourquoi ces caractéristiques n'apparaissent pour le chercheur que s'il étudie l'Economie islamique à la lumière de la Foi et voit dans quelle mesure elle est en interaction avec celle-ci.
L'attachement de l'Economie islamique aux conceptions islamiques de l'univers et de la vie, et sa façon propre d'interpréter les choses, tels que la conception islamique de la propriété privée et du gain. En effet, l'Islam considère la propriété comme un droit de patronage impliquant une responsabilité, et non pas comme un pouvoir absolu. De même, il confère au gain une conception plus étendue et plus large que ne lui donne le calcul purement matériel, en faisant entrer dans le cadre du gain, dans cette acception islamique, beaucoup d'activités considérées comme une perte dans une optique non islamique.
Il est naturel que cette conception islamique de la propriété laisse une trace dans la façon de jouir du droit de la propriété privée et de sa limitation, conformément à son cadre islamique. De même, il est naturel que le domaine économique soit affecté lui aussi par la conception islamique du gain et par le degré que détermine la profondeur et la concentration de la conception ; et par conséquent, celle-ci influe sur le cours de l'Economie islamique pendant son application. L'Economie islamique doit donc être étudiée à travers ces données, et il n'est pas permis de l'isoler de l'influence de différentes conceptions à travers l'application.
Le lien de l'Economie islamique avec les sentiments et passions que l'Islam diffuse dans le milieu islamique et qui sont fondés sur ses conceptions particulières. Il s'agit des sentiments tels que la fraternité générale, qui fait jaillir dans le coeur de chaque Musulman une fontaine d'amour pour autrui, et de partage des malheurs et des joies d'autrui. Cette fontaine s'enrichit et jaillit au prorata du degré du sentiment passionnel de fraternité, de la fusion de l'entité spirituelle de l'homme avec les passions islamiques. Ces sentiments et passions jouent un rôle important dans l'adaptation de la vie économique, et soutiennent la Doctrine dans les buts qu'elle poursuit.
Le lien entre la Doctrine économique et la politique financière de l'Etat, au point que celui-ci permet de considérer sa politique financière comme une partie du programme de la Doctrine économique de l'Islam, la politique financière de l'Etat étant constituée de sorte à se rencontrer avec la politique économique générale et à oeuvrer en vue de réaliser les buts de l'Economie islamique. La politique financière en Islam ne se contente pas de couvrir les frais nécessaires de l'Etat, mais vise à contribuer au rétablissement de l'équilibre social et de la solidarité publique. C'est pourquoi il était nécessaire de considérer la politique financière comme une partie de la politique économique générale, et d'insérer les statuts relatifs à l'organisation financière de l'Etat dans la structure de la réglementation générale de la vie économique, comme nous allons le voir dans les chapitres prochains.
Le lien entre l'Economie islamique et le régime politique en Islam. Car la séparation entre les deux conduit à une erreur dans l'étude. En effet, l'autorité gouvernante a de larges pouvoirs économiques ainsi que de grandes propriétés dont elle dispose à sa guise et selon son appréciation. Ces pouvoirs et propriétés doivent être toujours étudiés en même temps que l'autorité en Islam, ainsi que les garanties que celui-ci exige quant à l'intégrité et à la droiture du détenteur de l'autorité, garanties qui doivent être traduites par son infaillibilité ou son attachement à la concertation et à la justice, et qui sont exigées par les différentes écoles juridiques islamiques. C'est à la lumière de ces garanties que nous pouvons étudier la place de l'Etat dans la Doctrine économique et croire à la juste nécessité de conférer à ce dernier les pouvoirs et les droits que lui prescrit l'Islam.
Le lien entre l'abolition du capital usuraire et les autres statuts islamiques relatifs à la spéculation, à la solidarité générale et à l'équilibre social. Si l'on étudie isolément la prohibition de l'intérêt usuraire, on trouvera qu'elle est de nature à poser de graves problèmes pour la vie économique. Mais si nous la considérons comme une partie d'une seule et même opération jumelée, nous remarquerons que l'Islam a trouvé auxdits problèmes des solutions claires et appropriées à la nature, aux buts et aux objectifs de la Législation islamique, et ce grâce à ses statuts relatifs à la spéculation, à l'équilibre, à la solidarité et à l'argent, comme nous le verrons plus loin.
Le lien entre certains statuts de la propriété privée dans l'Economie islamique et les statuts du Jihâd qui régissent les relations des Musulmans avec les non-musulmans pendant la guerre. En effet, l'Islam a permis au Tuteur d'asservir les prisonniers de guerre, considérés comme une partie du butin, et de les partager entre les combattants, au même titre que les autres parties du butin. Les ennemis de l'Islam, les croisés, ont l'habitude de présenter ce statut de la Législation islamique séparément de ses conditions et de ses circonstances pour faire croire que l'Islam constitue une de ces législations esclavagistes et d'asservissement que l'homme a connues depuis les époques les plus sombres de l'Histoire, et que seules les civilisations européennes modernes, qui auraient libéré l'humanité et l'auraient débarrassée de la boue et de l'humiliation, pourraient sauver l'homme de cette législation.
L'asservissement des prisonniers de guerre en Islam. Pour étudier objectivement l'Islam et son statut du butin, il faut savoir avant tout dans quelles conditions quelque chose peut être considéré comme butin selon l'optique de l'Islam. Et ensuite, comment, et dans quelles limites, l'Islam a permis au Tuteur d'asservir le prisonnier de guerre en le considérant comme une partie du butin. Et quel type de gouvernant est ce Tuteur à qui on a donné l'autorisation d'asservir le prisonnier de guerre à ce titre. Lorsque nous aurons compris toutes ces questions, nous pourrons juger correctement le statut du butin établi par l'Islam.
Ainsi, la condition fondamentale de la conception islamique du butin est que celui-ci soit obtenu dans une guerre légitime de Jihâd et dans une bataille menée conformément aux règles doctrinales. Si la guerre ne revêt pas le caractère de Jihâd, le bien saisi n'est pas considéré comme butin. Et ce caractère de Jihâd dépend de deux choses :
1) La guerre doit être autorisée par l'Autorité légale, pour diffuser le Message de l'Islam. Car ce n'est pas faire le Jihâd que de déclencher des guerres de pillage et de vol, comme c'était le cas dans les batailles de l'anté-Islam, ou des guerres visant à s'emparer des richesses et des marchés d'un pays, comme c'est le cas des guerres capitalistes.
2) Les missionnaires musulmans doivent annoncer publiquement leur Message islamique et expliquer ses aspects principaux appuyés d'arguments et de preuves. Une fois que l'Islam a exposé le bien-fondé de sa thèse et que les vis-à-vis, bien qu'ils n'aient plus d'arguments logiques et sains à opposer au Message, persistent à récuser la Lumière (de l'Islam), à ce moment-là seulement il ne reste à l'Appel islamique, en tant qu'appel idéologique universel soucieux de défendre les véritables intérêts de l'humanité, qu'à frayer son chemin par les forces matérielles, par le Jihâd armé. Et c'est dans de telles conditions seulement que les acquisitions de la guerre sont considérées comme butin dans l'optique de l'Islam.
Quant au statut de prisonnier de guerre en tant que butin, il a trois applications : le prisonnier de guerre peut être ou gracié, ou libéré après paiement d'une rançon, ou asservi. L'asservissement est donc l'un des trois traitements possibles que l'Autorité légale doit appliquer au prisonnier de guerre.
Et lorsqu'on sait à ce propos que l'Autorité légale est tenue d'appliquer le plus pertinent des trois traitements, et celui qui se conforme le mieux à l'intérêt général(11), comme l'ont souligné al-Fâdhel et al-Châhid al-Thâni, ainsi que d'autres faqîh de l'Islam, et que l'on ajoute à ce fait une autre vérité islamique, à savoir que porter l'Appel islamique aux pays impies ne revêt pas le caractère d'une autorisation générale, mais n'est autorisé que lorsqu'il y a un Dirigeant Infaillible qui se charge lui-même de la direction de l'invasion et conduit la marche des forces de l'Islam dans ses combats de Jihâd, lorsque nous tenons compte de l'ensemble de ces deux vérités, nous pouvons en conclure que l'Islam n'autorise l'asservissement du prisonnier de guerre que lorsque cette mesure s'avère plus appropriée que la grâce et la rançon à la fois, et que seule une Autorité légale infaillible (qui ne se trompe pas dans sa connaissance et sa distinction du "plus approprié") est autorisée à opter pour l'asservissement.
On ne peut rien reprocher à l'Islam concernant ce statut, car il s'agit d'un statut sur lequel ne divergent pas les diverses doctrines sociales, quelles que soient leurs conceptions de l'asservissement. En effet, l'asservissement pourrait s'avérer parfois plus pertinent que la grâce et la rançon à la fois, si l'ennemi lui-même recourt à l'asservissement des prisonniers de guerre qu'il capture. Dans un tel cas, il devient nécessaire d'user de rétorsion vis-à-vis de l'ennemi et de le traiter de la même façon. S'il y a des cas dans lesquels l'asservissement est préférable à la grâce et à la rançon, pourquoi l'Islam ne précise-t-il pas ces cas ? En fait, il s'est dispensé d'une telle précision en chargeant le gouvernant infaillible, exempt d'erreur et de caprice, qui conduit politiquement la bataille de Jihâd, de cette tâche. C'est donc ce gouvernant infaillible qui a la responsabilité de distinguer ces cas et d'agir selon son jugement personnel.
Si nous examinons l'application du statut islamique du prisonnier de guerre à travers la vie politique de l'Etat islamique, nous remarquerons que l'asservissement n'a été choisi que dans les cas où il était le plus approprié des trois traitements, l'ennemi avec lequel l'Etat islamique était en conflit armé ayant traité les prisonniers de guerre de cette façon.
Il n'y a donc pas lieu de critiquer la promulgation générale de l'autorisation de l'asservissement, ni d'y objecter, car l'Islam n'a autorisé à asservir les prisonniers de guerre que lorsque cela apparaît le plus conforme à l'intérêt général aux yeux du Gouvernant infaillible ; de même, il n'y a pas lieu de critiquer l'application de cette autorisation, qui n'est intervenue, chaque fois, que dans la mesure où l'asservissement s'avérait être le plus approprié des trois traitements.
Le lien entre l'Economie et la Législation pénale en Islam. En effet, la solidarité générale et la sécurité sociale dans l'Economie islamique éclairent la nature de la peine dont sont passibles certains crimes. Ainsi, la peine d'amputation de la main, réservée au voleur, paraîtrait relativement sévère dans un milieu capitaliste où un grand nombre de membres de la société sont laissés à la merci du sort et dans les difficultés de la lutte pour la survie. En revanche, dans un milieu islamique où existe un terrain propice pour l'Economie islamique et où la société vit dans le giron de l'Islam, ce n'est guère une sévérité que de traiter le voleur fermement, après que l'Economie islamique lui a trouvé tous les moyens de mener une vie généreuse, et effacé de sa vie tous les motifs pouvant l'acculer au vol.
3- LE CADRE GENERAL DE L'ECONOMIE ISLAMIQUE.
La Doctrine économique en Islam se distingue des autres doctrines économiques que nous avons étudiées par son cadre religieux général. En effet, la Religion est le cadre global de tous les systèmes de la vie en Islam. Lorsque l'Islam traite de chacune des branches de la vie, il la mélange à la Religion et la façonne dans le cadre du lien religieux de l'homme avec son Créateur et avec l'Au-delà.
C'est ce cadre qui rend le régime islamique capable de réussir et d'assurer la réalisation des intérêts sociaux généraux de l'homme ; car la réalisation de ces intérêts sociaux ne peut être garantie qu'à travers la Religion.
Pour éclairer ce point, nous devons étudier les intérêts de l'homme dans la vie et l'existence qu'il mène, et savoir dans quelle mesure ils peuvent être réalisés et garantis. Ceci nous conduira à la vérité que nous venons d'évoquer, à savoir que les intérêts sociaux de l'homme ne peuvent être réalisés et garantis qu'à travers un système qui jouit d'un vrai cadre religieux.
Les causes de la différence entre les intérêts naturels et les intérêts sociaux.
Lorsque nous étudions les intérêts de l'homme dans la vie, et l'existence qu'il mène, nous remarquons qu'ils sont susceptibles d'être répartis en deux catégories :
1) Les intérêts que la nature fournit à l'homme en sa qualité d'être spécial, tels que les plantes médicinales par exemple. Il est de l'intérêt de l'homme de se procurer ces médicaments de la nature ; et cet intérêt n'a pas de lien avec ses relations sociales avec les autres. L'homme, en tant qu'être exposé aux virus nuisibles, a besoin de ces médicaments, et ce, qu'il vive isolément ou dans le cadre d'une société soudée.
2) Les intérêts que le système social garantit pour l'homme en sa qualité d'être social lié par des relations avec ses semblables, tels que l'intérêt que l'homme tire du système social lorsqu'on lui permet d'échanger ses produits contre les produits des autres, ou lorsqu'on assure ses moyens d'existence dans le cas où il est infirme ou incapable de travailler.
Appelons la première catégorie : les intérêts naturels, et la seconde : les intérêts sociaux.
Pour que l'homme puisse assurer ses intérêts naturels et sociaux, il faut le doter de la faculté de connaître ces intérêts et les moyens de les trouver, ainsi que de la motivation qui le pousse à les rechercher. Ainsi, les médicaments préparés pour guérir la tuberculose, par exemple, peuvent être mis à la disposition de l'homme, lorsque celui-ci apprend que la tuberculose peut être guérie par un médicament, découvre le moyen de le fabriquer, et a la motivation qui le pousse à découvrir et à préparer ces médicaments. De même, en tant qu'intérêt social, la garantie des moyens d'existence dans le cas de l'incapacité au travail, dépend de la connaissance par l'homme de l'avantage de cette garantie, des modalités de sa réglementation et de la motivation qui pousse à promulguer cette législation et à l'exécuter.
Il y a donc deux conditions essentielles sans lesquelles le genre humain ne peut s'assurer une vie complète dans laquelle il trouverait ses intérêts naturels et sociaux, et ce sont :
1) L'homme doit connaître ces intérêts ;
2) Il doit avoir une motivation qui le pousse, après les avoir connus, à les réaliser.
Si nous observons les intérêts naturels de l'homme, tels que la préparation de médicaments contre la tuberculose, nous remarquerons que l'humanité a été munie de possibilités de se les procurer. L'humanité possède une faculté intellectuelle par laquelle elle peut percevoir les phénomènes de la nature et les intérêts qu'ils renferment. Cette faculté, bien qu'elle se développe lentement à travers l'Histoire, chemine sur une ligne complète à la lumière de l'expérience et de nouvelles expérimentations. Plus cette faculté se développe, plus l'homme devient capable de percevoir ses intérêts et de connaître les avantages qu'il peut obtenir de la nature.
Outre cette faculté intellectuelle, l'humanité est dotée d'une motivation personnelle qui assure son impulsion pour ses intérêts naturels. Les intérêts naturels de l'homme rencontrent l'impulsion personnelle de chaque individu. L'obtention des médicaments, par exemple, ne constitue pas un intérêt pour un individu à l'exclusion des autres, ni une utilité pour un groupe à l'exclusion des autres. La société humaine est toujours poussée à s'assurer les intérêts naturels par les motivations personnelles des individus, lesquelles motivations s'accordent toutes sur la nécessité de ces intérêts, en tant qu'utilité personnelle pour tous les individus.
Ainsi nous apprenons que l'homme est constitué, psychologiquement et intellectuellement, d'une façon particulière qui le rend capable de s'assurer les intérêts naturels et de compléter cet aspect de sa vie à travers son expérience de la vie et de la nature.
Quant aux intérêts sociaux, ils dépendent à leur tour, comme nous l'avons vu, de la perception par l'homme de l'organisation sociale qui lui convient, et de la motivation psychologique pour cette organisation et son exécution. Dans quelle mesure l'homme remplit-il ces deux conditions nécessaires pour assurer ses intérêts sociaux ? Est-il doté de la faculté intellectuelle de percevoir ses intérêts sociaux et de la motivation qui le pousse à les réaliser, comme c'est le cas pour ses intérêts naturels?
Examinons la première condition, et notons à cet égard qu'il est courant de dire que l'homme ne peut pas percevoir l'organisation sociale qui lui assurerait la satisfaction de tous ses intérêts sociaux et s'adapterait à sa nature et à sa constitution générale, car il est incapable de comprendre la situation sociale dans toutes ses caractéristiques, et la nature humaine dans tout son contenu.
Les adeptes de cette idée en concluent que le système social doit être élaboré pour l'humanité et que l'on ne peut pas laisser celle-ci élaborer elle-même ce système, son savoir étant limité, et ses capacités intellectuelles incapables de sonder tous les secrets de la question sociale. Et c'est sur cette conclusion qu'ils asseyent leur preuve de la nécessité de la Religion pour la vie de l'homme, et du besoin de l'humanité de Messagers et de Prophètes, puisque ceux-ci sont capables, par le truchement de la Révélation, de déterminer les vrais intérêts de l'homme dans sa vie sociale, et de les montrer aux gens.
Mais à notre avis, le problème apparaît plus clairement
lorsque nous traitons de la deuxième condition. Le point essentiel
n'est pas : comment l'homme perçoit-il les intérêts
sociaux(12)
? Mais : comment cet homme est-il poussé à les réaliser
et à organiser la société de manière à
les assurer ? Le fond du problème est que l'intérêt
social ne concorde pas, dans la plupart des cas, avec la motivation personnelle,
car il s'oppose aux intérêts particuliers des individus. En
effet, la motivation personnelle qui assurait l'impulsion de l'homme pour
les intérêts naturels de l'humanité n'a pas la même
attitude vis-à-vis de ses intérêts sociaux. Ainsi,
alors que la motivation personnelle amène l'homme à tenter
de trouver un remède servant l'intérêt de tous les
individus, cette même motivation personnelle contrecarre la réalisation
de beaucoup d'intérêts sociaux et empêche de trouver,
ou d'exécuter, l'organisation qui garantit ces intérêts.
Le problème de la contradiction entre le motif personnel et l'intérêt social.
A la lumière de ce qui précède, nous saisissons la différence fondamentale entre les intérêts naturels et les intérêts sociaux. Les motivations personnelles des individus ne se heurtent pas aux intérêts naturels de l'humanité ; mieux, elles poussent les individus à les trouver et à exploiter pour cela leurs facultés intellectuelles. De cette façon, le genre humain possède les possibilités qui lui garantissent ses intérêts naturels d'une façon progressive et conformément au degré de ces possibilités qui se développent à travers l'expérience. Pour ce qui concerne les intérêts sociaux, tout au contraire, les motivations personnelles qui découlent de l'amour de l'homme pour sa propre personne, et qui le poussent à préférer son intérêt à celui d'autrui, l'empêchent d'exploiter sincèrement sa conscience pratique pour assurer les intérêts sociaux, chercher l'organisation sociale qui garantit ces intérêts, et exécuter cette organisation.
Ainsi, il apparaît clairement que le problème social qui empêche l'humanité de se perfectionner socialement, est la contradiction existant entre les intérêts sociaux et les motivations personnelles. Et si l'humanité n'est pas dotée des possibilités de réconciliation entre les intérêts sociaux et les motivations fondamentales qui régissent les individus, la société humaine ne peut pas réaliser sa perfection sociale. Quelles sont donc ces possibilités ?
L'humanité a besoin d'une motivation qui s'accorde avec les intérêts sociaux, tout comme les intérêts naturels qui ont trouvé dans la motivation personnelle un allié.
La science peut-elle résoudre le problème ?
D'aucuns prétendent que la science, qui s'est développée considérablement, est à même de résoudre le problème social, car l'homme, cet être grandiose qui a pu effectuer des pas de géant dans les domaines de la vie et de la nature, pénétrer les plus profonds de leurs secrets, résoudre les plus merveilleuses de leurs énigmes, parvenant même à faire exploser l'atome et à libérer ses énergies énormes, à découvrir les astres et à y lancer ses fusées, à monter à bord d'avions supersoniques, à asservir les forces de la nature pour transmettre à travers des distances de centaines de milliers de kilomètres et sous forme de sons audibles et d'images visibles, ce qui se passe dans le monde, cet homme qui a pu réaliser toutes ces conquêtes scientifiques en une courte période historique, et vaincre dans tous ses combats contre la nature, est sûrement capable, grâce à son savoir et à sa clairvoyance, d'édifier la société heureuse et soudée, de fonder lui-même l'organisation sociale qui assure les intérêts sociaux de l'humanité. L'homme n'a donc plus besoin d'autre source -dont s'inspirer pour résoudre son problème social- que la science, qui l'a conduit d'une victoire à l'autre dans tous les domaines.
Ces prétentions reflètent, en fait, l'ignorance par ceux qui les émettent de la fonction de la science dans la vie humaine. En effet, la science, quoiqu'elle évolue et se développe, n'est autre chose qu'un instrument servant à découvrir les vérités objectives dans les divers domaines, et à interpréter impartialement la réalité de façon à la refléter avec le plus haut degré possible de précision et de profondeur. Ainsi, elle nous apprend, par exemple, dans le domaine social, que le capitalisme conduit à contrôler avec la rigueur d'une loi les salaires, et à les réduire à la portion congrue. Et dans le domaine de la nature, elle nous apprend que l'utilisation d'une matière chimique donnée conduit à ce qu'une maladie grave bouleverse la vie d'un homme. Lorsque la science met en évidence cette vérité-ci et cette vérité-là, elle a rempli sa fonction et enrichi l'humanité d'un nouveau savoir. Mais l'ombre de cette maladie grave ou de cette loi terrible qu'est la loi rigoureuse des salaires, ne se dissipe pas du simple fait que la science a découvert la relation entre la substance chimique et la maladie en question, ou entre le capitalisme et la loi rigoureuse. L'homme peut se débarrasser de cette maladie en évitant ce qui y conduit, et de cette loi rigoureuse des salaires en détruisant le cadre capitaliste de la société. Là, une question se pose : qui peut garantir que l'homme se débarrassera de cette maladie ? Et de ce cadre ? La réponse, en ce qui concerne la maladie, est très claire : la motivation personnelle de l'homme suffit, à elle seule, à éloigner celui-ci de la matière spéciale dont la science a découvert les effets dangereux, car cette matière est en opposition avec l'intérêt personnel de l'individu. Pour ce qui concerne la loi rigoureuse des salaires et la destruction du cadre capitaliste, la vérité scientifique qui a découvert le lien entre ledit cadre et ladite loi par exemple, ne constitue pas une force poussant à l'action et au changement de cadre. L'action a besoin d'une motivation, et les motivations personnelles des individus ne se rencontrent pas toujours : elles divergent selon la divergence des intérêts particuliers. Ainsi, il faut distinguer la découverte de la vérité scientifique, de l'action menée à la lumière de cette vérité en vue de rendre la société heureuse. La science découvre la vérité jusqu'à un certain point, mais ce n'est pas elle qui la développe.
Le matérialisme historique et le problème.
Se référant au matérialisme historique, le marxisme dit à ce propos : laissez de côté le problème lui-même, les lois de l'Histoire se chargeront de le résoudre un de ces jours. Le problème n'est-il pas que les motivations personnelles sont incapables d'assurer les intérêts et le bonheur de la société, étant donné qu'elles émanent des intérêts particuliers qui divergent le plus souvent d'avec les intérêts sociaux généraux ? Il ne s'agit donc pas d'un problème, mais de la vérité des sociétés depuis l'aube de l'Histoire, où toute chose se déroulait conformément à la motivation personnelle qui se reflétait dans la société sous forme de classe, provoquant la lutte entre les motivations personnelles des différentes classes, lutte dans laquelle le vainqueur était toujours et inévitablement la motivation personnelle de la classe qui contrôlait les moyens de production. Ainsi, la motivation personnelle est-elle inévitablement le souverain jusqu'à ce que les lois de l'Histoire fournissent la solution radicale du problème en édifiant la société sans classes dans laquelle les motivations personnelles disparaissent pour laisser la place à des motivations collectives, conformément à la propriété collective.
Mais comme nous l'avons vu ailleurs(13), de telles prédictions faites par le matérialisme historique ne reposent pas sur un fondement scientifique, et on ne peut donc en attendre une solution déterminante du problème.
La Religion est l'unique solution à la contradiction.
Le problème demeure donc tel quel : le problème d'une société régie par la motivation personnelle. Et tant que le dernier mot est à la motivation personnelle dictée à chaque individu par son intérêt particulier, c'est l'intérêt possédant la force d'exécution qui domine. Dans cette société où se bousculent les égoïsmes contradictoires, qui peut garantir à celle-ci (la société) que sa loi sera promulguée conformément aux intérêts sociaux de l'humanité, cette loi n'étant que l'expression de la force régnant sur la société ?
Nous ne pouvons pas attendre d'un appareil social tel que l'appareil gouvernemental, qu'il donne un coup de frein définitif aux motivations personnelles, un tel appareil étant l'émanation de la société elle-même. Le problème dans la société est donc le problème de la société tout entière, car c'est la motivation personnelle qui la régit.
De tout ce qui précède on peut conclure que la motivation personnelle est provocatrice du problème social, et que cette motivation est originelle chez l'homme, car elle émane de son amour de soi.
Est-il donc écrit pour l'humanité qu'elle doive vivre toujours ce problème social qui émane de ses motivations personnelles et de sa nature, et qu'elle subisse les conséquences malheureuses de cette nature ?
L'humanité fait-elle exception au système de l'univers où tout être est doté de possibilités de perfectionnement, et muni d'une nature susceptible de le conduire à sa propre perfection, comme l'ont montré les expériences scientifiques, en plus de la preuve philosophique ?
C'est là qu'intervient le rôle de la Religion, comme la seule solution du problème. En effet, la Religion est le seul cadre dans lequel la question sociale peut trouver la juste solution. Car la solution dépend de la réconciliation entre les motivations personnelles et les intérêts sociaux généraux ; et c'est cette réconciliation que la Religion est à même de fournir à l'humanité, car la Religion est l'énergie spirituelle capable de compenser chez l'homme les plaisirs éphémères auxquels il renonce dans sa vie terrestre dans l'espoir de gagner le bonheur durable, capable de le pousser à sacrifier son existence, ayant la foi que cette existence limitée qu'il sacrifie n'est que le prélude à une existence durable et éternelle, capable de susciter dans sa pensée une nouvelle vision de ses intérêts et une conception du gain et de la perte plus sublime que la vision commerciale et matérielle. Une conception du plaisir qui considère la perte au profit de la société comme la voie du gain, et la protection des intérêts d'autrui comme une façon de protéger les intérêts de l'individu dans une vie plus sublime et plus transcendante. De cette façon, les intérêts sociaux généraux sont liés aux motivations personnelles, parce qu'ils sont considérés comme des intérêts de l'individu dans le calcul religieux de celui-ci.
Dans le Coran on trouve partout des confirmations de ce sens. Elles visent toutes à forger justement cette vision nouvelle chez l'individu, aux dépens de ses intérêts et de ses gains. Le Coran dit en effet :
«Quiconque, homme ou femme, fait le bien en étant Croyant... Voilà ceux qui entreront au Paradis où ils recevront de tout à profusion.» (Sourate al-Mu'min, 40 : 40)
«Quiconque fait le bien le fait pour soi, et quiconque agit mal le fait à son propre détriment.» (Sourate Fuççilat, 41 : 46)
«Ce Jour-là, les gens surgiront par groupes pour que leurs actions soient connues. Celui qui aura fait le poids d'un atome de bien le verra, et celui qui aura fait le poids d'un atome de mal le verra.» (Sourate al-Zalzalah, 99 : 6-8)
«Ne crois surtout pas que ceux qui sont tués dans le Chemin d'Allah soient morts. Ils sont vivants, pourvus de biens auprès de leur Seigneur.» (Sourate Âl 'Imrân, 3 : 169)
«Il n'appartient pas aux habitants de Médine, ni à ceux des Bédouins qui sont autour d'eux, de rester en arrière du Prophète d'Allah, ni de préférer leur propre vie à la sienne. Ils n'éprouveront ainsi ni soif, ni fatigue, ni faim dans le Chemin d'Allah. Ils ne fouleront aucune terre en provoquant la colère des incrédules et n'obtiendront aucun avantage sur un ennemi sans qu'une bonne oeuvre ne soit inscrite en leur faveur. Allah ne laisse pas perdre la récompense de ceux qui font le bien. Ils ne feront aucune dépense, petite ou grande, ils ne franchiront aucune vallée sans que cela ne soit inscrit en leur faveur afin qu'Allah les récompense pour les meilleures de leurs actions.» (Sourate al-Tawbah, 9 : 120-121)
La Religion nous présente, à travers ces Textes coraniques, une image merveilleuse dans laquelle les motivations personnelles sont liées aux voies du bien dans la vie, et l'intérêt de l'individu est tellement transformé que celui-ci est convaincu que ses intérêts particuliers et les véritables intérêts généraux de l'humanité, définis par l'Islam, sont indissociables.
En mobilisant la motivation personnelle au service de l'intérêt général, la Religion s'avère être le tenant du rôle fondamental dans la solution du problème social.
Ceci nous permet de savoir que la Religion est un besoin naturel de l'humanité, car la nature, autant elle est le fondement des motivations personnelles dont découle le problème, autant elle doit être dotée de possibilités de solution au problème pour que l'homme ne fasse pas exception à tous les êtres dont la nature, à eux tous, est munie de possibilités qui conduisent tout être à sa perfection. Ces possibilités que possède la nature humaine pour la solution du problème, ne sont autres que la religiosité et la disposition naturelle à lier la vie à la Religion, et de la concevoir (la vie) dans son cadre général (de la Religion).
Donc, la nature humaine a deux côtés : d'un côté elle dicte à l'homme ses motivations personnelles, d'où découle le grand problème social dans la vie de l'homme (le problème de la contradiction entre ces motivations et les intérêts généraux de la société humaine) ; d'un autre côté, elle dote l'homme de la possibilité de résoudre le problème au moyen de son penchant naturel à la religiosité, et en laissant la Religion régir la vie de façon à réconcilier les intérêts généraux et les motivations personnelles... Et c'est de cette façon que la nature a accompli sa fonction de diriger l'homme vers sa perfection. Car si elle se contentait de provoquer le problème sans doter l'homme de la possibilité de le résoudre, celui-ci resterait prisonnier de ce problème, incapable de le résoudre, conduit par sa nature vers ses maux et ses complications (du problème). C'est ce que l'Islam a indiqué très clairement dans cette Parole d'Allah :
«Acquitte-toi des obligations de la Religion en vrai Croyant et selon la nature qu'Allah a donnée aux hommes, en les créant. Il n'y a pas de changement dans la Création d'Allah. Voici la Religion immuable ; mais la plupart des homes ne savent rien.» (Sourate al-Rûm, 30 : 30)
Ce noble Verset indique :
1- La Religion est une affaire de nature humaine selon laquelle tous les hommes sont créés, et la Création d'Allah est immuable.
2- Cette Religion selon laquelle l'humanité a été créée, n'est autre que la vraie Religion, c'est-à-dire la Religion monothéiste qui seule peut s'acquitter de la grande mission de la Religion, et unifier l'humanité selon un critère pratique et une organisation sociale dans laquelle les intérêts sociaux sont sauvegardés. En revanche, les religions polythéistes et de divinités diverses, selon l'expression du Coran, sont en réalité la conséquence du problème, et ne peuvent donc en être la solution, car :
«Ce ne sont vraiment que des noms que vous et vos pères leur avez attribués. Allah ne leur a accordé aucun pouvoir.» (Sourate al-Najm, 53 : 23)
Ce qui signifie qu'ils sont le produit des motivations personnelles qui ont dicté aux gens les religions polythéistes, selon les divers intérêts personnels, afin de faire dévier leur tendance naturelle à la vraie Religion de son cours normal, et de les empêcher de répondre pertinemment à leur tendance religieuse originelle.
3- La Religion vraie (hanîf) selon laquelle l'humanité a été créée se distingue par le fait qu'elle est une Religion tutrice(14) de la vie, «cette Religion tutrice»(15), capable de la contrôler et de la façonner dans son cadre général. Quant à la religion qui ne conduit pas la vie ni ne l'oriente, elle est incapable de répondre intégralement au besoin naturel, chez l'homme, de la Religion, et ne peut traiter le problème fondamental dans la vie de l'homme.
De ce qui précède, on peut déduire plusieurs conceptions islamiques de la Religion et de la vie. Le problème fondamental dans la vie de l'homme découle de la nature humaine, car il s'agit du problème des motivations personnelles dans leurs différences et leurs contradictions avec les intérêts généraux. En même temps, cette nature humaine fournit à l'humanité le traitement du problème. Ce traitement n'est autre que la "Religion vraie et tutrice"(16), car elle est la seule à être capable de réconcilier les motivations personnelles, et d'unifier leurs intérêts et leurs critères pratiques. Il faut donc que la vie ait une Religion vraie et tutrice. Il faut aussi que l'organisation sociale, dans toutes ses branches, soit placée dans le cadre de cette Religion humaine, et traite le problème fondamental dans la vie de l'homme.
A cette lumière, nous apprenons que l'Economie islamique, en sa qualité d'une partie d'une organisation sociale intégrale de la vie, doit être incluse dans le cadre général de cette organisation, en l'occurrence la Religion. La Religion est le cadre général de notre Economie doctrinale.
La fonction de la Religion, en tant que cadre de l'organisation sociale et économique en Islam, est de réconcilier ces motivations personnelles et les intérêts particuliers d'un côté, et les vrais intérêts généraux de la société humaine, telle qu'elle est vue par l'Islam, de l'autre.
4- L'ECONOMIE ISLAMIQUE N'EST PAS UNE SCIENCE.
Chacune des doctrines économiques que nous avons exposées(17) forme une partie d'une doctrine complète qui traite des différents aspects et branches de la vie. Ainsi, l'Economie islamique est une partie de la Doctrine islamique qui englobe tous les secteurs de la vie ; l'Economie capitaliste est une partie de la démocratie capitaliste qui inclut dans sa vision organisationnelle l'ensemble de la société ; et il en va de même pour l'Economie marxiste, qui constitue elle aussi une partie de la doctrine marxiste qui cristallise toute la vie sociale dans son cadre spécifique.
Ces doctrines diffèrent dans leurs germes idéologiques fondamentaux et dans leurs racines principales d'où elles tirent leur âme et leur identité, et diffèrent par conséquent dans les caractères spécifiques que chacune d'elles présente.
Ainsi, l'Economie marxiste a, selon le marxisme, un caractère scientifique, car elle constitue, selon ses adeptes, une conséquence inévitable des lois naturelles qui dominent l'Histoire et la mènent à leur guise. En revanche, les tenants de la doctrine capitaliste ne considèrent pas celle-ci, nous l'avons vu précédemment(18), comme un résultat nécessaire de la nature et des lois de l'Histoire, mais comme une forme sociale qui concorde avec les valeurs pratiques et les idéaux auxquels ils souscrivent.
Pour ce qui concerne la Doctrine islamique, elle ne s'attribue pas un caractère scientifique, comme le fait le marxisme, mais elle n'est pas, non plus, dépourvue d'un fondement doctrinal ni d'une vision englobant les principes de la vie et de l'univers, comme c'est le cas du capitalisme.
Lorsque nous disons de l'Economie islamique qu'elle n'est pas une science, nous entendons que l'Islam se charge de l'appel à l'organisation de la vie économique, tout comme il traite tous les aspects de la vie, et qu'elle n'est pas une science économique à la manière de la science de l'Economie politique. En d'autres termes, elle est une révolution visant à bouleverser la réalité corrompue et à la transformer en une réalité saine, et non pas une interprétation objective de la réalité. Ainsi, lorsqu'elle propose le principe de la double propriété, par exemple, elle ne prétend pas par là expliquer la réalité historique d'une phase déterminée de la vie de l'humanité, ni refléter les lois naturelles de l'Histoire, comme le fait le marxisme lorsqu'il présente le principe de la propriété collective comme un état inévitable -et la seule explication- d'une phase déterminée de l'Histoire.
Sur ce plan, l'Economie islamique ressemble à l'Economie capitaliste doctrinale, en ceci qu'elle se veut une opération de changement de la réalité, et non pas une opération d'explication de cette réalité. La mission doctrinale vis-à-vis de l'Economie islamique est de découvrir l'image intégrale de la vie économique qui soit conforme à la Législation islamique, et d'étudier les idées et les conceptions générales qui se dégagent de cette image, telle que l'idée de la séparation de la forme de la distribution et de la qualité de la production, ainsi que bien d'autres idées semblables. Quant à la mission scientifique vis-à-vis de l'Economie islamique, son rôle intervient ensuite, et consiste à mettre en évidence le cours réel de la vie et les lois de ce cours dans le cadre d'une société islamique qui applique entièrement la Doctrine islamique. Ainsi, le chercheur scientifique doit-il prendre l'Economie doctrinale en Islam comme une base fixe de la société. Puis il doit essayer de l'interpréter et d'en lier les événements les uns aux autres. En cela, l'Economie doctrinale islamique ressemble à l'Economie politique dans laquelle les économistes capitalistes, après avoir fini de poser leurs lignes doctrinales, se sont mis à interpréter la réalité dans le cadre de ces lignes, et à étudier la nature des lois qui régissent la société dans laquelle elles sont appliquées. C'est de cette étude qu'est née la science de l'Economie politique. Et c'est de cette manière que peut se constituer une science de l'Economie islamique, c'est-à-dire après qu'on l'aura étudiée d'une façon doctrinale complète à travers l'étude de la réalité dans ce cadre. La question qui se pose est de savoir quand et comment on peut constituer l'Economie islamique, à la manière dont les capitalistes ont fondé la science de l'Economie politique ou, en d'autres termes, la science économique qui interprète les événements de la société capitaliste.
La réponse à cette question est que l'explication scientifique de la vie économique repose sur l'une des deux choses suivantes :
1- Rassembler les événements à partir de l'expérience réelle de la vie, et les organiser d'une façon scientifique qui permette de découvrir les lois qui les régissent dans le domaine de cette vie et de ses conditions spécifiques.
2- Commencer la recherche scientifique à partir des axiomes que l'on suppose pour déduire à leur lumière la direction économique et le cours des événements.
L'explication scientifique faite sur la base du premier fondement dépend de l'incarnation de la doctrine dans une entité réelle et effective, car cela permettrait au chercheur d'enregistrer les événements de cette réalité et d'en déduire leurs phénomènes et lois généraux. C'est exactement le résultat obtenu par les économistes capitalistes lorsqu'ils ont vécu dans une société qui croit au capitalisme et qui l'applique, et qu'ils ont pu ainsi fonder leurs théories sur les expériences de la réalité sociale qu'ils avaient vécues. Mais de telles conditions ne s'offriront pas aux économistes islamiques tant que l'Economie islamique restera écartée de la scène de la vie, car ils n'ont pas aujourd'hui dans leur vie des expériences tirées de l'application de l'Economie islamique, pour qu'ils puissent percevoir, à leur lumière, la nature des lois qui régissent une vie sociale fondée sur l'Islam.
Quant à l'explication scientifique faite sur la base du second fondement, on peut l'utiliser pour éclairer certaines vérités qui caractérisent la vie économique dans la société islamique, et ce en commençant par des points doctrinaux précis dont on suit les conséquences dans le domaine de l'application supposée, et en terminant par la formulation des théories générales sur l'aspect économique de la société islamique, à la lumière de ces points doctrinaux.
Ainsi, le chercheur islamique peut, par exemple, dire que les intérêts commerciaux concordent, dans la société islamique, avec les intérêts des financiers et des banquiers, car la banque dans la société islamique repose sur la société en commandite et non sur l'usure. Elle fait du commerce avec l'argent de ses clients et partage avec eux les bénéfices réalisés, selon un pourcentage déterminé. Et, en fin de compte, sa situation financière dépendra du gain commercial qu'elle réalisera, et non pas des intérêts qu'elle prélèverait sur les dettes. Ce phénomène, le phénomène de concordance des intérêts des banques et des intérêts du commerce, est, de par sa nature, un phénomène objectif, que le chercheur déduit à partir d'un point, à savoir l'abolition du système usuraire des banques dans la société islamique.
En partant d'un tel point, le chercheur peut aussi constater un autre phénomène objectif, à savoir que la société islamique est débarrassée d'un facteur principal des crises qui secouent la vie économique dans la société capitaliste ; en effet, les cycles de la production et de la consommation dans une société fondée sur l'usure sont entravés par cette grande partie de la fortune populaire que les gens épargnent en vue d'en tirer un intérêt usuraire, et qui influe très négativement sur les cours de la production et de la consommation, et conduit à un marasme dans une grande partie de la production sociale des marchandises capitalistes et de consommation. Par contre, dans la société fondée sur l'Economie islamique, où l'intérêt usuraire est catégoriquement interdit, et la thésaurisation empêchée, soit par son interdiction, soit en la pénalisant par des impôts, tout le monde aura tendance à dépenser sa fortune.
Dans ce genre d'interprétation, nous supposons l'existence d'une réalité sociale et économique reposant sur des fondements donnés, et nous nous appliquons à interpréter cette réalité supposée et à en découvrir les caractéristiques générales à la lumière de ces fondements.
Mais ces interprétations ne nous fournissent pas avec précision la conception scientifique globale de la vie économique dans la société islamique, si les matériaux de l'étude scientifique ne sont pas tirés de l'expérience de la réalité sensible. Il arrive souvent qu'il y ait des différences entre la vie réelle d'un système et les interprétations qu'on fait de cette vie, fondées sur des suppositions. C'est ce qui est arrivé avec les économistes capitalistes qui, après avoir échafaudé beaucoup de leurs théories analytiques sur une base conjecturelle, sont parvenus à des résultats contredisant la réalité qu'ils vivaient, car plusieurs facteurs qui n'avaient pas été prévus dans le domaine de l'hypothèse ont été découverts dans celui de la vie réelle.
A cela, il faut ajouter que l'élément spirituel et intellectuel, ou en d'autres termes le tempérament psychologique général de la société islamique, exerce une grande influence sur le cours de la vie économique. Or, ce tempérament n'a pas un degré déterminé ni une formule précise que l'on puisse présupposer et sur la base desquels on échafauderait les différentes théories.
L'Economie islamique ne peut donc naître vraiment que si elle est incarnée, avec ses racines, ses aspects et ses détails, dans l'entité de la société, et que les événements et les expériences économiques qu'elle traverse sont étudiés régulièrement.
5- LES RAPPORTS DE DISTRIBUTION SONT SEPARES DE LA FORME DE PRODUCTION.
Les gens pratiquent dans leur vie sociale deux opérations différentes : l'une est l'opération de production, l'autre l'opération de distribution. D'une part, ils livrent un combat contre la nature pour la soumettre à leurs désirs, en s'armant des outils de production que leur expérience leur permet de se procurer ; et d'autre part, ils établissent entre eux des rapports précis qui déterminent les relations des individus les uns avec les autres dans les différentes affaires de la vie. Ce sont ces rapports que nous appelons le système social, dans lequel sont inclus les rapports de distribution de la richesse que la société produit. Ainsi, dans l'opération de production, les gens obtiennent leurs gains de la nature, et dans le système social, qui détermine les relations entre eux, ils se les partagent (les gains).
Il va sans dire que l'opération de production est en évolution et en transformation fondamentale permanentes, et ce comme conséquence du développement de la science. Ainsi, alors que l'homme utilisait jadis la charrue dans sa production, il utilise aujourd'hui l'électricité et l'atome. De même, le système social qui détermine les rapports des gens les uns avec les autres, y compris les rapports de distribution, ne s'est pas figé, lui non plus, dans une formule fixe, à travers l'histoire de l'homme. Il a pris des formes diverses selon la diversité et le changement des circonstances.
La question fondamentale qui se pose à ce propos est de savoir quel est le lien entre l'évolution des formes de production et l'évolution des rapports sociaux, y compris les rapports de distribution (le système social).
En effet, cette question constitue le centre de la principale différence entre l'Economie marxiste et l'Economie islamique, et l'un des points importants de différends entre le marxisme et l'Islam en général.
Ainsi, pour l'Economie marxiste, toute évolution dans les opérations et les formes de production est accompagnée d'une évolution inévitable des rapports sociaux en général, et des rapports de distribution en particulier ; il n'est pas possible que la forme de production change, alors que les rapports sociaux conservent leur ancienne forme, tout comme il n'est pas possible que les rapports sociaux devancent, dans leur évolution, la forme de production. Le marxisme en conclut qu'il est impossible qu'un seul système social conserve son existence à la longue, ou qu'il puisse convenir à la vie de l'humanité pendant plusieurs phases de la production, car les formes de production évoluent toujours à travers l'expérience humaine, entraînant du même coup l'évolution des rapports sociaux ; et que le système qui convient à la société de l'électricité et de l'atome, par exemple, ne peut être le même qui convenait à la société de production artisanale, tant la forme de production est différente dans les deux sociétés. C'est pour cela que le marxisme présente la doctrine socialiste comme le remède nécessaire au problème social dans une phase historique donnée, conformément aux exigences de la nouvelle forme de production dans cette phase.
Quant à l'Islam, il refuse ce lien prétendument nécessaire entre la production et l'évolution du système social, et estime que l'homme a deux domaines. Dans l'un, il travaille avec la nature et essaie, par tous les moyens dont il dispose, de l'exploiter et de l'asservir pour satisfaire ses besoins ; et dans l'autre, il établit des rapports avec ses semblables dans les divers domaines de la vie sociale. Les formes de production sont le produit du premier domaine, les systèmes sociaux du second. Chacun de ces deux domaines a subi, à travers son existence historique, de nombreuses évolutions dans la forme de production ou le système social. Mais l'Islam n'établit pas un lien nécessaire entre les évolutions de formes de production et les évolutions des systèmes sociaux. C'est pourquoi il croit qu'un seul système social peut conserver son identité et sa pertinence à la longue, quels que soient les changements que subissent les formes de production.
C'est sur la base de ce principe (le principe de séparation entre le système social et les formes de production) que l'Islam présente son système social, sa Doctrine économique comprise, comme un système social convenable pour la Ummah dans les différentes phases de la production, et capable d'assurer le bonheur de la Ummah lorsqu'elle disposera du secret de l'atome, tout comme il assurait son bonheur lorsqu'elle labourait la terre manuellement.
Cette différence essentielle entre le marxisme et l'Islam quant à leur vision du système social tient à leur différence, en général, dans l'interprétation de la vie sociale que le système social se charge d'organiser et de régler. Pour le marxisme, la vie sociale de l'homme est le fruit des forces de production, celles-ci étant la base fondamentale et le facteur primordial dans toute l'histoire de l'homme. Si la forme des forces de production change, il est naturel que, par voie de conséquence, change la forme de la vie sociale, représentée par le régime social en vigueur, et qu'un nouveau régime social adapté à la nouvelle forme de production naisse.
Ayant fait une critique exhaustive des conceptions de l'Histoire présentées par le matérialisme historique, lorsque nous traitions de ce sujet précédemment(19), il serait superflu de commenter ce qui vient d'être dit ci-dessus. En effet, nous avons démontré très clairement que les forces de production ne constituent pas le facteur fondamental de l'Histoire.
En revanche, dans l'optique de l'Islam, la vie sociale, sous toutes ses formes, n'est pas issue des formes diverses de la production, mais des besoins de l'homme lui-même, lequel est la force motrice de l'Histoire -et non pas les moyens de production- et contient les sources de la vie sociale. Car Allah a créé l'homme naturellement porté à l'amour de soi, à la satisfaction de ses besoins, et par conséquent à l'utilisation de tout ce qui l'entoure pour y parvenir. Il était donc naturel que l'homme se trouvât contraint de se servir de son semblable pour atteindre ce même but, n'étant capable de satisfaire ses besoins qu'en coopérant avec les autres. Il s'en est suivi que les rapports sociaux ont été établis conformément à ces besoins, et qu'ils se sont développés suivant l'élargissement et le développement desdits besoins, à travers la longue expérience de l'homme dans la vie. La vie sociale est donc le produit des besoins humains, et le système social est la forme qui organise la vie sociale conformément à ces besoins humains.
Lorsque nous étudions les besoins de l'homme, nous remarquons qu'ils comprennent un aspect principal qui reste constant à travers le temps, et d'autres aspects qui évoluent selon les circonstances et les situations. Cette permanence que l'on trouve dans la structure organique de l'homme, dans ses forces générales, dans les organes de nourriture et de régénération et les possibilités de perception et de sensibilité qu'il renferme, signifie nécessairement que toute l'humanité a en commun certains besoins, certaines caractéristiques et certaines qualités générales ; c'est ce qui explique pourquoi Allah a fait d'elle une seule communauté dans les Paroles qu'Il adresse à Ses Prophètes : «Cette communauté qui est la vôtre est une communauté unique. Je suis votre Seigneur ! Adorez-moi donc !» (Sourate al-Anbiyâ', 21 : 92)
D'un autre côté, nous remarquons qu'un grand nombre de besoins entrent progressivement dans la vie humaine, et se développent à travers les expériences de la vie et l'augmentation de l'expérimentation avec ses équivoques et ses caractéristiques. Donc, les besoins principaux sont constants alors que les besoins secondaires se renouvellent et évoluent conformément à l'accroissement de l'expérience de la vie et de ses complications.
Et si nous savons, en outre, que la vie sociale découle des besoins humains, et que le système social est la forme qui organise la vie sociale conformément à ces besoins, comme cela a été dit, nous pouvons tirer la conclusion suivante : le système social qui convient à l'humanité n'a pas besoin nécessairement d'évoluer et de changer généralement pour pouvoir suivre le développement de la vie sociale. De même, il n'est pas rationnel qu'il mette les généralités et les détails de la vie dans des formules fixes. Le régime social doit comporter un aspect principal constant, et des aspects ouverts à l'évolution et au changement, tant que la base de la vie sociale (les besoins humains) comporte des aspects immuables et des aspects changeants qui, tous deux, se reflètent sur le système social pertinent.
Telle est exactement la réalité du système social en Islam : il comporte, d'une part, un côté constant relatif au traitement des besoins fondamentaux constants dans la vie de l'homme, tels que son besoin de garantie des moyens d'existence, de génération et de sécurité, ainsi que d'autres besoins similaires abordés dans les statuts de la distribution de la richesse, les statuts du mariage et du divorce, les statuts des peines et sanctions, et autres statuts promulgués dans le Livre et la Sunnah.
Et, d'autre part, il comporte des côtés ouverts au changement suivant les intérêts et les besoins nouveaux. Ce sont les domaines dans lesquels l'Islam a permis au Tuteur de promulguer lui-même les statuts appropriés, conformément à l'intérêt général et au besoin, et à la lumière du côté constant du système. De même, le côté constant du système est doté de règles législatives constantes dans leurs formules juridiques, mais dont l'application est adaptable aux circonstances et aux époques, ce qui leur permet de déterminer le moyen adéquat de satisfaire les besoins constants dont les modes de satisfaction se diversifient malgré leur permanence. L'exemple de ce genre de règles est "la règle de "ni dommage ni endommagement" en Islam"(20), et "la règle de la non-gêne dans la Religion"(21).
Ainsi, contrairement au marxisme qui fait dépendre les rapports de distribution, et par conséquent tout le système social, des formes de production, nous pouvons séparer les rapports de distribution de la forme de distribution. Car il est possible qu'un même système social fournisse à la société humaine des rapports de distribution convenables aux différentes circonstances et formes de la production, et ce contrairement à ce qu'affirme le marxisme lorsqu'il déclare que chaque sorte de rapport de distribution est liée à une forme précise des formes de production, et qu'elle ne peut ni la devancer ni lui survivre.
C'est sur cette base que l'Islam et le marxisme diffèrent dans leur vision des autres systèmes de distribution qui ont été appliqués à travers l'Histoire, et dans leur jugement sur ces systèmes. Ainsi, le marxisme étudie chaque système de distribution à travers les circonstances de production en vigueur dans la société, et le juge sain s'il suit le développement des formes de production, malsain et méritant que l'on se soulève contre lui s'il constitue un obstacle devant leur voie montante. C'est pourquoi on voit le marxisme bénir l'esclavagisme jusqu'au bout et le plus sauvagement du monde dans une société qui vit de la production manuelle de l'homme car, dans son optique, une telle société ne peut être portée à doubler l'activité productive que par des coups de fouet que l'on administre à l'écrasante majorité de ses membres, et seulement si l'on oblige ceux-ci à travailler au rythme des coups de fouets et des piqûres de poignard. Pour le marxisme, celui qui entreprend une opération de répression terrible et qui tient le fouet dans sa main est le progressiste à l'avant-garde de cette société, car c'est lui qui veille inconsciemment sur la réalisation de la volonté de l'Histoire. Par contre, celui qui dédaigne de participer à l'opération d'asservissement, et manque cette occasion en or, est digne de tous les noms dont le capitaliste est qualifié aujourd'hui par les socialistes, parce qu'il s'oppose à l'opération du progrès humain.
Quant à l'Islam, il juge chaque système à la lumière de son lien (rapport) avec les divers besoins humains. Pour lui, le système doit adapter la vie de façon à garantir la satisfaction de ces besoins considérés comme la base de la formation de la vie sociale. Il n'accepte pas que telle ou telle autre forme de production soit la justification de l'instauration d'un système social et de rapports de distribution qui ne garantissent pas la satisfaction de ces besoins, car il nie ce prétendu lien nécessaire entre les formes de production et les systèmes sociaux.
Lorsque l'Islam nie ce lien, il ne le fait pas seulement théoriquement, mais il en fournit la preuve pratique qu'il tire de son existence historique. En effet, l'Islam a pu enregistrer une victoire idéologique sur la prétention de l'existence d'un lien entre le système social et les formes de production, et présenter un argument vivant qui dément cette prétention. Il a démontré que l'humanité peut adapter son existence sociale d'une façon révolutionnaire et nouvelle, tout en conservant intact son mode de production.
La réalité islamique que l'humanité a vécue pendant une courte phase du long âge du temps, et qui a enregistré pendant cette phase l'évolution la plus merveilleuse que la communauté humaine ait jamais connue, cette réalité révolutionnaire qui a créé une Ummah, fondé une Civilisation, et rectifié la marche de l'Histoire... cette réalité islamique n'est pas le produit d'un nouveau mode de production ni d'un changement dans les formes et les forces de celui-ci.
Si l'on se fiait à la logique de l'interprétation socialiste de l'Histoire, qui lie le système social aux moyens de production, cette révolution globale qui a couvert tous les aspects de la vie, sans être précédée d'aucune transformation fondamentale dans les conditions de la production, n'aurait pas pu se produire.
Ainsi donc, la réalité islamique a défié la logique marxiste de l'Histoire ainsi que tous ses calculs ; oui, tous ses calculs. Elle a défié le marxisme à propos de l'idée de l'égalité, car le marxisme considère que l'idée de l'égalité émane de la société industrielle, laquelle est développée par la classe qui porte le drapeau de l'égalité, en l'occurrence la bourgeoisie, et que ce drapeau ne peut être porté avant que l'évolution historique ne parvienne au stade industriel.
L'Islam adopte une attitude moqueuse vis-à-vis de cette logique qui attribue toute conscience et toute idée à l'évolution de la production, car lui-même il a pu hisser l'étendard de l'égalité, et faire naître dans l'humanité une conscience saine, une prise de conscience globale dont il a reflété l'essence dans la réalité des rapports sociaux, jusqu'à un degré que la bourgeoisie n'a pas atteint. Oui, il a pu faire tout cela avant qu'Allah ait permis l'apparition de la classe bourgeoise, et dix siècles avant que ne se réunissent les conditions de cette apparition. En effet, l'Islam a appelé à l'égalité avant que l'outil ne soit inventé, lorsqu'il a déclaré : «Vous êtes tous d'Adam, et Adam est de terre», «Les gens sont égaux comme les dents d'un peigne», «Pas de préférence entre un Arabe et un non-Arabe, si ce n'est par le critère de la crainte révérencielle d'Allah».
Cette égalité, la société islamique l'a-t-elle empruntée aux moyens de production de la bourgeoisie, laquelle n'apparaîtra que mille ans plus tard ? Ou bien, l'a-t-elle empruntée aux moyens agricoles et commerciaux primitifs en vigueur dans la société du Hijaz, moyens que l'on retrouvait, encore plus évolués et plus développés, dans d'autres sociétés de l'Arabie et du monde ? Et pourquoi ces moyens de production auraient-ils inspiré cette idée de l'égalité à la société du Hijaz, et l'auraient-ils chargée du plus merveilleux rôle historique en vue de réaliser cette idée, sans faire de même pour les sociétés arabes au Yémen, à Hîrah(22) ou en Syrie ?
L'Islam a défié également les calculs du matérialisme historique sur un autre registre, lorsqu'il a auguré l'instauration d'une société universelle qui réunit toute l'humanité sur une même échelle, et oeuvré sérieusement en vue de réaliser cette idée dans un milieu grouillant de luttes tribales et fourmillant de milliers de sociétés claniques opposées les unes aux autres. Il a transformé ces petites unités en une grande unité humaine, et élevé les Musulmans du stade de l'idée d'une société tribale régie par les liens de sang, de parenté et de voisinage, au stade de l'idée d'une société qui n'ait rien de ces limitations étroites, une société fondée sur la base idéologique islamique. Quel outil de production aurait transformé, en si peu de temps, ces gens dont l'esprit ne supportait guère l'idée d'une société nationale, en guide et porte-drapeau de la société universelle ?
L'Islam a défié une troisième fois la prétendue logique historique (du marxisme), lorsqu'il a établi des rapports de distribution, impossibles à établir selon le calcul de l'Economie socialiste dans une société qui n'a pas encore atteint un certain degré du stade industriel et mécanique de la production. Il a en effet rétréci le cercle de la propriété privée, réduit son domaine, corrigé sa conception, lui a assigné des limites et des restrictions, lui a imposé une solidarité envers les pauvres, et proposé, en outre, des garanties suffisantes pour préserver l'équilibre et la justice dans la distribution. Il a devancé ainsi les conditions matérielles, selon le marxisme, de telles sortes de rapports. En effet, alors qu'au XVIIIe siècle on disait(23) : «Il n'y a qu'un sot qui ignore que les classes inférieures doivent rester pauvres pour être laborieuses», et alors qu'on affirmait(24) au XIXe siècle : «Celui qui naît dans un monde qui est déjà approprié n'a pas le droit de se nourrir, s'il ne parvient pas à assurer ses moyens d'existence par le travail ou sa famille. Il devient un parasite dans la société, et son existence n'a pas de raison d'être. La nature n'a pas de place pour lui, elle lui ordonne de s'en aller, et elle n'hésite pas à mettre son ordre à exécution», l'Islam annonçait déjà plusieurs siècles auparavant, selon le hadith, le principe de la garantie sociale : «Celui qui a perdu sa maison, je lui en offre une, et celui qui a laissé une dette impayée, c'est moi qui la règle», et l'Economie islamique disait clairement : la pauvreté et la privation ne sont pas nées de la nature elle-même ; elles sont le produit de la mauvaise distribution et de la déviation des rapports sains qui doivent lier les riches aux pauvres. Le hadith dit, en effet : «Un pauvre n'est affamé que par ce dont jouit un riche».
Cette conscience islamique des problèmes de la justice sociale dans la distribution, que l'on ne retrouve pas même dans des sociétés plus évoluées que la société islamique sur le plan des conditions matérielles, ne saurait être le produit de la charrue, du commerce primitif, de l'industrie manuelle, ou d'autres moyens d'existence qu'ont connus les sociétés.
D'aucuns disent que cette conscience ou cette révolution sociale, ou plutôt cette montée islamique extraordinaire qui s'est étendue à l'histoire du monde entier... était le résultat de la croissance commerciale et des conditions commerciales de La Mecque, qui exigeaient la fondation d'un Etat stable que l'on devait soutenir par toutes les exigences sociales et intellectuelles s'adaptant à la situation commerciale en vigueur !
Il est vraiment ridicule d'expliquer cette transformation historique complète dans la vie de toute l'humanité par les conditions commerciales de l'une des villes de la Péninsule arabique !
Je ne vois pas comment les circonstances commerciales auraient permis à La Mecque, à l'exclusion des autres régions du monde et de la nation arabe, lesquelles connaissaient des vies citadines plus évoluées et des conditions matérielles plus développées, et qui étaient supérieures à La Mecque quant à leurs conditions politiques et économiques, de jouer ce rôle grandiose ? N'était-il pas inévitable, selon la logique du matérialisme historique, que ce nouveau développement se produisît dans ces régions-là ? Comment des circonstances commerciales précises auraient-elles créé, dans un pays comme La Mecque, une nouvelle histoire de l'humanité, alors que d'autres circonstances semblables, ou même plus évoluées et plus développées, n'ont pas pu le faire ?
Si La Mecque jouissait de circonstances commerciales propices au passage du commerce entre le Yémen et la Syrie, les Nabatéens jouissaient, eux aussi, de circonstances commerciales importantes lorsqu'ils avaient construit Pétra comme carrefour des routes commerciales, et y avaient fondé une vie citadine plus évoluée que toutes les vies citadines arabes, au point que leur influence s'était étendue au-delà des frontières de leur pays, qu'ils y ont installé des régiments pour défendre les convois commerciaux, et des sites pour exploiter les mines, que leur ville était devenue pendant un temps la ville étape principale des convois, et un centre commercial important, que leurs activités commerciales s'étaient étendues vers des régions très vastes, à tel point que l'on a retrouvé les traces de leur commerce à Solûqiyyah, dans les ports de la Syrie et d'Alexandrie, qu'ils achetaient l'"afâwiyah"(25) du Yémen, la soie de la Chine, le henné de 'Asqalân, les verreries et la teinture de pourpre de Tyr et de Saydûn, les perles du Golfe persique, les poteries de Rome, et qu'ils produisaient dans leur pays l'or, l'argent, le goudron et l'huile de sésame... Malgré ce niveau de commerce et de production, auquel La Mecque n'était pas parvenue, les Nabatéens étaient restés tels quels dans leurs rapports sociaux, attendant le rôle divin de La Mecque pour faire évoluer l'Histoire.
Il en va de même pour Hîrah, qui a connu un grand développement industriel et commercial à l'époque de Manâthirah. Dans cette ville, l'industrie textile, celles de l'armement, de la poterie, de la céramique et de la gravure se sont épanouies. Les Manâthirah ont pu étendre leur influence commerciale au centre, au sud et à l'ouest de la Péninsule arabique. Ils envoyaient leurs convois commerciaux, chargés de leurs produits, vers les principaux marchés.
Il y eut aussi la civilisation de Tadmor, qui s'étendit sur plusieurs siècles, et sous laquelle le commerce a prospéré, des relations commerciales ont été nouées avec différents pays, tels que la Chine, l'Inde, Babylone, les villes phéniciennes et "Bilâd al-Jazirah" (la Péninsule arabique) sans parler des civilisations qui ont enrichi l'histoire du Yémen depuis les époques les plus reculées.
L'étude de ces civilisations et vies citadines, ainsi que leurs conditions commerciales et économiques, et leur comparaison avec la réalité "civilisationnelle" et citadine de La Mecque anté-islamique, prouvent que la révolution islamique dans les rapports sociaux et la vie intellectuelle n'avait rien à voir avec des conditions matérielles et des circonstances économiques et commerciales, et que, par conséquent, les rapports sociaux, y compris les rapports de distribution, sont séparés de la forme de la production et de la situation économique des forces productives.
L'Islam n'a-t-il donc pas le droit, après tout ce qui vient d'être montré, de démentir en toute confiance et en toute assurance cette prétendue fatalité historique qui lie tout mode de distribution à un mode de production, et d'annoncer, preuves matérielles concrètes à l'appui, qu'un système repose sur des fondements idéologiques et spirituels, et non pas sur le mode matérialiste de satisfaction des besoins de la vie ?
6- LE PROBLEME ECONOMIQUE ET SES SOLUTIONS SELON L'OPTIQUE DE L'ISLAM.
Quel est le problème économique ?
Tous les courants idéologiques dans le domaine économique s'accordent pour dire qu'il y a dans la vie économique un problème qu'il faut résoudre, et divergent ensuite quant à la nature de ce problème et les lignes générales de son traitement.
Le capitalisme croit que le problème économique fondamental est la rareté relative des ressources naturelles en raison des limites de la nature, puisqu'il n'est possible, en effet, d'accroître ni la superficie de la terre sur laquelle vit l'homme, ni la quantité des diverses richesses naturelles qu'elle renferme, et alors que les besoins vitaux de l'homme augmentent régulièrement suivant le progrès et l'épanouissement de la civilisation ; c'est ce qui (selon le capitalisme) rend la nature incapable de satisfaire tous les besoins de tous les individus, conduit par conséquent à une concurrence entre les individus pour la satisfaction de leurs besoins, et aboutit, finalement, à la naissance du problème économique.
Ainsi donc, pour le capitalisme, le problème économique consiste en ce que les sources de richesses naturelles ne peuvent satisfaire tous les besoins et désirs nouveaux nés de l'évolution de la civilisation.
Pour ce qui est du marxisme, il estime que le problème économique est toujours un problème de contradiction entre la forme de production et les rapports de distribution. Une fois que la concordance entre cette forme et ces rapports est établie, la vie économique connaît la stabilité, quel que soit le type du système social résultant de cette concordance.
Quant à l'Islam, il ne partage pas l'affirmation capitaliste selon laquelle le problème tient à la rareté des ressources, car il croit que la nature est capable de garantir tous les besoins de la vie qui, s'ils n'étaient pas satisfaits, conduiraient à un problème réel dans la vie de l'homme.
De même, l'Islam, à la différence du marxisme, ne considère pas que le problème consiste en une contradiction entre la forme de production et les formes de distribution.
Pour lui, le problème est, avant tout, le problème de l'homme lui-même, et non celui de la nature, ni celui des formes de production. C'est exactement ce qu'affirme l'Islam dans les Versets suivants :
«Allah ! C'est Lui Qui a créé les cieux et la terre et Qui fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle Il fait pousser des fruits pour votre subsistance. Il a mis à votre service le vaisseau pour que celui-ci, par Son Ordre, vogue sur la mer. Il a mis à votre service le soleil et la lune qui gravitent avec régularité. Il a mis à votre service la nuit et le jour. Il vous a donné tout ce que vous Lui avez demandé. Si vous vouliez compter les Bienfaits d'Allah, vous ne sauriez les dénombrer. L'homme est vraiment très injuste et très ingrat.» (Sourate Ibrâhîm, 14 : 32-34)
Ces nobles Versets disent clairement qu'Allah -Il est Très-Haut- a massé pour l'homme dans ce vaste univers tout ce dont celui-ci pourrait avoir besoin, en quantité suffisante pour satisfaire ses besoins et alimenter sa vie, mais que c'est l'homme qui a perdu, par son injustice et son ingratitude («... L'homme est vraiment très injuste et très ingrat.») cette occasion qu'Allah lui avait offerte. Donc, ce sont l'injustice de l'homme dans sa vie pratique, et son ingratitude envers les Bienfaits d'Allah, qui sont les deux raisons principales du problème économique dans la vie de l'homme.
L'injustice de l'homme se traduit, sur le plan économique, par la mauvaise distribution, et son ingratitude vis-à-vis des Bienfaits d'Allah, par sa négligence dans l'exploitation de la nature et son attitude négative vis-à-vis d'elle.
Lorsque cette injustice dans les rapports sociaux disparaît, et que les énergies de l'homme sont mobilisées en vue d'utiliser positivement la nature et de l'exploiter, le vrai problème s'efface sur le plan économique.
L'Islam a fourni les moyens d'effacer l'injustice, à travers les solutions qu'il a présentées pour les questions de la distribution et de la circulation, et a traité l'ingratitude par ses conceptions de la production et les statuts qu'il a promulgués concernant ce sujet.
Dans les pages qui suivent, nous allons expliquer comment l'Islam a traité ce qu'il considère comme la première cause du problème économique, à savoir l'injustice sociale dans le domaine de la distribution et de la circulation. Quant à la position de l'Islam devant la seconde cause, à savoir l'ingratitude vis-à-vis des Bienfaits d'Allah, nous en traiterons dans un autre chapitre consacré à l'exposé de la position de l'Islam vis-à-vis de la production, de ses statuts islamiques et des conceptions que l'Islam en fait.
En ce qui concerne le domaine de la distribution, l'humanité a souffert à travers l'Histoire de diverses sortes d'injustices, parce que la distribution était fondée tantôt sur une base purement individuelle, et tantôt sur une base purement non individuelle. Dans le premier cas, ce fut une transgression des droits de la collectivité, dans le second une atteinte aux droits de l'individu.
L'Islam a mis en oeuvre un appareil de distribution pour la société islamique, dans lequel se rencontrent les droits de l'individu et ceux de la communauté. Cet appareil de distribution n'empêche pas l'homme de jouir de son droit et de satisfaire ses penchants naturels, ni ne confisque la dignité de la communauté, ni ne menace la vie de celle-ci. C'est ce qui l'a distingué des différents autres appareils de distribution que l'homme a expérimentés tout au long de l'Histoire.
L'appareil de distribution en Islam se compose de deux instruments principaux : le travail et le besoin. Chacun de ces deux instruments joue un rôle actif dans le domaine général de la richesse sociale.
Nous allons les étudier afin de connaître les rôles qu'ils jouent dans le domaine de la distribution et comparer la position qu'ils occupent dans l'appareil de distribution de la richesse en Islam, d'une part, et d'autre part dans les autres plans et théories de distribution, fondés sur le communisme, le socialisme et le capitalisme.
Le rôle du travail dans la distribution.
Pour connaître le rôle du travail dans la distribution, il faut étudier le lien social entre le travail et la richesse qu'il produit. En effet, le travail couvre les diverses matières naturelles : c'est par le travail que l'homme extrait le minerai de la terre, coupe le bois des arbres, sort les perles de la mer, chasse les oiseaux dans l'air,.. et obtient d'autres richesses de la nature. La question qui se pose ici est celle de savoir quel caractère social la matière acquiert par le travail. Quel rapport y a-t-il entre le travailleur et la richesse qu'il a obtenue par son travail ?
Il y a une opinion qui affirme qu'il n'existe pas de lien social entre le travail (ou le travailleur) et son objet, car le travailleur (ou le travail) n'a d'autre droit que la satisfaction de ses besoins, et ce quel que soit son travail, étant donné que le travail n'est qu'une fonction sociale que l'individu assume pour la société en échange de la prise en charge de ses besoins par cette dernière.
Cette opinion s'accorde avec le point de vue de l'Economie communiste(26), qui considère la société comme un grand être dans lequel fusionnent les individus en y occupant chacun la position qu'occupe une cellule dans un seul être organique. Selon cette vision qui fond tous les individus dans le grand creuset social, et les fusionne dans cet être géant, les travaux accomplis par les individus de la société ne sont pas des travaux individuels, étant donné que lesdits individus ont tous fusionné dans le grand être, que le lien du travailleur se trouve dès lors coupé des résultats de son travail, que la société devient le véritable travailleur et le propriétaire réel du travail de tous les individus, et qu'il ne reste aux individus que le droit de satisfaire leurs besoins conformément à la formule communiste, que nous avons vue lors de notre étude du matérialisme historique : «De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins». Dans la société communiste, les individus ressemblent exactement aux rouages qui composent un appareil mécanique où chacun a le droit de consommer la quantité d'huile dont il a besoin et où chacun doit accomplir sa fonction spécifique. Dans un tel appareil, les rouages mécaniques consomment tous des quantités d'huile égales, malgré les différences dans l'importance et la complexité de leurs fonctions. Il en va de même pour les individus dans la société, dont chacun reçoit, dans le système de distribution communiste, de quoi satisfaire ses besoins, même si sa participation à l'opération de la production de richesse est inégale. Donc, l'individu travaille, mais il n'obtient pas le fruit de son travail ni ne peut s'en réserver le résultat. Il a droit seulement à la satisfaction de ses besoins, peu importe que cette rétribution soit supérieure ou inférieure à la valeur de son travail.(27)
Dans ces conditions, la position du travail devient négative vis-à-vis de la distribution. Car selon la conception communiste, le travail est un instrument de production de marchandises et non un instrument de distribution des marchandises ; et c'est le besoin seul qui décide du mode de distribution des marchandises entre les individus de la société, c'est ce qui fait que la part de chacun de ceux-ci dans la distribution varie selon la différence de leurs besoins et non pas de leur travail.
Quant à l'Economie socialiste marxiste, elle détermine le lien du travailleur avec le résultat de son travail à la lumière de sa propre conception de la valeur. Elle considère, en effet, que c'est le travailleur qui crée la valeur d'échange de la matière qui absorbe son travail, et que sans le travail humain incarné dans la matière, celle-ci n'a pas de valeur. Et tant que le travail est la source fondamentale de la valeur, il faut que la distribution des valeurs produites dans les différentes branches de la richesse soit fondée sur la base du travail, et que chaque travailleur possède le résultat de son travail et la matière dans laquelle il a accompli son travail, puisque c'est grâce à ce travail qu'elle a acquis une valeur. Il en résulte que «à chacun selon son travail» et non pas (à chacun) selon ses besoins, puisque chaque travailleur a le droit d'obtenir les valeurs de son travail. Et étant donné que le travail est le seul créateur des valeurs, il est donc le seul instrument de la distribution. Ainsi, alors que l'instrument de la distribution dans la société communiste était le besoin, le travail devient l'instrument fondamental de la distribution dans la société socialiste.
Pour ce qui est de l'Islam, il diffère et de l'Economie communiste, et de l'Economie socialiste.
Il diffère du communisme sur le fait que celui-ci coupe tout lien entre le travail de l'individu et les résultats de son travail, et met en évidence la société comme le seul propriétaire des résultats des travaux des individus ; tandis que l'Islam ne considère pas la société comme un grand être qui se cacherait derrière les individus et les dirigerait çà et là. Pour l'Islam, la société n'est qu'une multitude d'individus ; il faut donc regarder les individus avec réalisme, en les considérant comme des êtres humains qui peinent et travaillent ; par conséquent, il n'est aucunement possible de couper le lien entre le travailleur et le résultat de son travail.
L'Islam diffère aussi de l'Economie marxiste, selon laquelle c'est l'individu qui confère, par son travail, la valeur d'échange aux richesses naturelles, telles que le bois, les minerais, etc., et les autres richesses naturelles ne tirent pas leur valeur du travail. Selon l'Islam, la valeur de chaque matière est le résultat du désir social général de l'obtenir, comme nous l'avons expliqué dans notre étude du matérialisme historique.
Pour l'Islam, le travail constitue la raison de l'appropriation par l'ouvrier du résultat de son travail. Cette propriété privée, fondée sur le travail, est l'expression d'un penchant naturel chez l'homme pour l'appropriation du résultat de son travail. L'origine de ce penchant est le sentiment qu'éprouve tout individu de contrôler son travail. Ce sentiment inspire naturellement une tendance à contrôler les résultats et les acquis du travail. Il en résulte que la propriété fondée sur le travail est un droit de l'homme, découlant de ses sentiments originels. Même les sociétés dont le communisme dit qu'elles sont dépouillées de toute propriété privée ne récusent pas le droit de propriété fondé sur le travail, en tant qu'expression d'une tendance originelle chez l'homme, mais estiment seulement que le travail -dans ces sociétés- ayant un caractère socialiste, la propriété fondée sur le travail y est socialiste également. La vérité reste donc la même. La tendance naturelle à l'appropriation sur la base du travail demeure de toutes façons inchangée, même si le type de propriété change selon la forme du travail, c'est-à-dire travail individuel ou collectif.
LE TRAVAIL EST DONC LA BASE DE L'APPROPRIATION PAR LE TRAVAILLEUR, selon l'optique de l'Islam. Et, de ce fait, il est un instrument principal dans l'appareil de distribution islamique, car tout travailleur acquiert les richesses qu'il obtient par son travail, et il se les approprie conformément à la règle selon laquelle «LE TRAVAIL EST LE MOTIF DE LA PROPRIETE».
Ainsi, nous pouvons déduire enfin les différentes positions doctrinales vis-à-vis du lien social entre l'individu-travailleur et le résultat de son travail.
La règle communiste à ce propos est : «Le travail est le motif de la propriété (appropriation) par la société, et non pas par l'individu».
La règle marxiste : «Le travail est le motif de la valeur d'échange de l'article (matière), et par conséquent le motif de son appropriation par le travailleur».
La règle islamique : «LE TRAVAIL EST LE MOTIF DE L'APPROPRIATION DE LA MATIERE PAR LE TRAVAILLEUR, ET NON PAS LE MOTIF DE SA VALEUR». Car lorsque le travailleur extrait la perle, il ne lui confère pas une valeur par son travail, mais se l'approprie par ce travail.
Le rôle du besoin dans la distribution.
Le travail, en sa qualité de base de la propriété, comme nous venons de le souligner, est le premier instrument principal dans l'appareil de distribution. L'autre instrument qui participe principalement à l'opération de distribution est le besoin.
Et c'est le rôle conjoint que jouent le travail et le besoin ensemble dans ce domaine qui détermine la forme primitive générale de la distribution dans la société islamique.
Pour mettre en lumière ce rôle conjoint auquel participe le besoin, nous pouvons diviser les individus de la société en trois catégories. En effet, la société comprend normalement une catégorie d'individus capables, grâce à leurs dons et énergies intellectuels et pratiques, de s'assurer un niveau de vie aisé et riche, et une deuxième catégorie dont les membres peuvent travailler, mais dont la production ne peut leur assurer que de quoi satisfaire leurs premières nécessités et couvrir leurs besoins essentiels, et une troisième catégorie incapable de travailler en raison d'une infirmité physique ou d'une tare mentale, ou pour d'autres causes qui paralysent l'activité humaine et mettent l'homme à l'écart du travail et de la production.
Sur la base de l'Economie islamique, le première catégorie compte sur le travail -en tant que base de la propriété et instrument principal de distribution- pour gagner sa part dans la distribution, et chacun de ses membres obtient la part que lui permettent ses propres possibilité, même si elle dépasse ses besoins, tant qu'il utilise ses possibilités dans les limites que l'Economie islamique fixe aux activités économiques des individus. Donc, pour cette catégorie, le besoin ne joue aucun rôle ; c'est le travail qui détermine leur part dans la distribution.
Si la première catégorie compte sur le seul travail, le revenu et l'identité économique de la troisième catégorie sont fondés sur le besoin seul, car cette catégorie se trouve dans l'incapacité de travailler, et elle obtient une part dans la distribution -qui assure la totalité de ses moyens d'existence- sur la base de ses besoins, conformément aux principes d'entraide générale et de solidarité sociale dans la société islamique.
Quant à la deuxième catégorie, qui travaille mais n'obtient de son travail que le minimum de moyens d'existence, elle compte et sur le travail et sur le besoin pour assurer son revenu. Le travail lui assure les moyens d'existence nécessaires, et le besoin impose -conformément aux principes d'entraide et de solidarité- l'augmentation du revenu de cette catégorie, par des moyens et selon des modalités définis dans l'Economie islamique (comme nous allons le voir) afin que ses membres puissent vivre au niveau général de bien-être.
Partant de ce qui précède, nous pouvons percevoir les aspects de la différence entre le rôle du besoin - en tant qu'instrument de distribution - dans l'Economie islamique, et son rôle dans les autres doctrines économiques.
Le besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du communisme.
Dans l'optique du communisme, qui dit : «De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins», le besoin est le seul critère essentiel dans la distribution de la production entre les individus actifs dans la société. Le communisme ne permet pas que le travail procure (au travailleur) une propriété qui dépasse le cadre des besoins de ce travailleur. En revanche, l'Islam reconnaît le travail comme un instrument de distribution à côté du besoin, et lui confère un rôle actif dans ce domaine. De cette façon, il permet à tous les dons et énergies de s'exprimer et de se développer sur la base de la concurrence et de la compétition, et pousse les individus doués à utiliser toutes leurs possibilités dans le domaine de la civilisation et de l'Economie. Tout au contraire, le communisme, en fondant la distribution sur la base du seul besoin du travailleur, sans tenir compte de la qualité de son travail et de son activité, conduit au figement des penchants naturels de l'homme, penchants qui poussent à l'effort et à l'activité, car ce qui pousse l'individu à cet effort et à cette activité, c'est en réalité son intérêt personnel. Et si l'on dépouille le travail de sa qualité d'instrument de distribution, et que l'on considère le besoin seul comme le critère de la part de chaque individu -comme le fait le communisme- on enraie la force la plus importante qui pousse en avant l'appareil de l'Economie et qui le fait se mouvoir dans une direction montante.
Le besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du socialisme marxiste.
Le socialisme -qui dit : «de chacun selon sa capacité à chacun selon son travail»- considère le travail comme l'appareil essentiel de la distribution. Selon lui, chaque ouvrier a droit au résultat de son travail, quel que soit ce résultat : grand ou minime. Il abolit ainsi le rôle du besoin dans la distribution. Il s'en suit que la part du travailleur ne se limite pas à ses besoins -s'il produit dans son travail plus que ces besoins-, et qu'il n'obtient pas ce qu'il lui faut pour satisfaire complètement ses besoins -si son travail n'atteint pas une productivité équivalente à ces besoins. Donc, chaque individu obtient la valeur de son travail, quels que soient ses besoins, et quelle que soit la valeur du travail qu'il a réalisé.
Cette conception socialiste marxiste diffère de celle que l'Islam se fait du besoin. En effet, le besoin a, selon l'Islam, un rôle actif (positif) important, car bien qu'il ne soit pas une cause de l'appropriation par l'ouvrier doué des fruits de son travail, si ceux-ci dépassent ses besoins, il constitue un facteur actif dans la distribution pour la deuxième des trois catégories d'individus qui composent la société que nous venons de distinguer, c'est-à-dire pour la catégorie de ceux à qui leurs capacités intellectuelles et physiques ne permettent d'obtenir que le minimum de ce qui est nécessaire pour vivre. Cette catégorie doit, selon les bases socialistes communistes de l'Economie, se contenter des maigres fruits de son travail, et accepter les disparités énormes entre son niveau de vie et celui de la première catégorie -qui a la capacité de gagner ce qui lui permet de mener une vie aisée-, le travail étant la seule base de la distribution dans le socialisme (où le travailleur ne peut aspirer à mener un niveau de vie meilleur que celui auquel son travail le destine). Au sein de l'Economie islamique, les choses ne se passent pas de cette façon, car l'Islam ne limite pas l'organisation de l'appareil de distribution (entre les travailleurs) au travail seul, mais y associe le besoin. Il a considéré l'incapacité par la deuxième catégorie à atteindre le niveau général de bien-être, comme une sorte de besoin, et a fixé les moyens et les modalités de traiter ce besoin. Certes, le travailleur doué et chanceux ne sera pas privé de ce qui excède ses besoins dans ce qu'il produit, mais, en revanche, le travailleur qui n'est doté que du minimum d'énergie de travail obtiendra une part plus grande que ce qui provient de sa production.
Il y a un autre point de désaccord idéologique entre l'Islam et le socialisme marxiste, à propos de la troisième des trois catégories de la société, celle dont les membres sont privés du travail en raison de la nature de leur constitution intellectuelle et physique. Cette différence entre l'Islam et le socialisme marxiste découle de la contradiction entre leurs conceptions respectives des rapports de distribution.
Je ne voudrais pas aborder à ce propos l'attitude du monde socialiste d'aujourd'hui vis-à-vis de la troisième catégorie, ni essayer de reprendre les dires selon lesquels l'individu incapable de travailler est condamné à mourir de faim dans les sociétés socialistes, car je cherche à étudier la question sur le plan théorique et non sur le plan pratique, et je ne voudrais pas assumer la responsabilité de ces accusations, que les détracteurs du monde socialiste portent contre celui-ci.
Sur le plan théorique, l'Economie socialiste marxiste ne peut expliquer le droit de la troisième catégorie dans la vie, ni justifier sa part du produit général dans l'opération de distribution, car celle-ci n'est pas fondée, selon le marxisme, sur une base morale constante, mais déterminée par la situation de la lutte des classes dans la société, laquelle situation est dictée par la forme de la production en vigueur. C'est pourquoi le marxisme croit que l'esclavagisme et la mort de l'esclave sous les coups de fouet, ainsi que sa privation des fruits de son travail, étaient quelque chose d'acceptable dans les circonstances de lutte de classes entre les maîtres et les esclaves.
Sur cette base marxiste, il faut déterminer la part de la troisième catégorie dans la distribution par sa position de classe, étant donné que les parts des individus dans la distribution sont fixées selon leur position de classe dans la lutte sociale.
Et étant donné que la troisième catégorie est dépourvue de la propriété des moyens de production et de l'énergie du travail produit, elle ne peut être classée dans aucune des deux classes en lutte (la classe des capitalistes et le prolétariat), et ne constitue pas une partie de la classe ouvrière dans l'étape de la victoire du prolétariat et de la fondation de la société socialiste.
Et si les individus qui se trouvent dans une incapacité naturelle de travailler sont écartés de la lutte de classes entre les capitalistes et les ouvriers, et par conséquent de la classe ouvrière -qui contrôle les moyens de production dans la phase socialiste-, il n'y a donc aucune explication scientifique, à la manière marxiste, qui puisse justifier leur part dans la distribution et leur droit dans la vie et dans la richesse passée sous contrôle de la classe ouvrière, tant qu'ils sont à l'extérieur du cadre de la lutte des classes. Ainsi, le marxisme ne peut justifier, à sa manière propre, la garantie de la vie et des moyens d'existence de la troisième catégorie dans la phase socialiste.
Quant à l'Islam, il ne détermine pas l'opération de la distribution selon la lutte des classes dans la société, mais à la lumière de l'idée suprême de la société heureuse, et sur la base de valeurs morales fixes qui imposent une distribution de la richesse garantissant la réalisation desdites valeurs et dudit idéal, et réduisant au minimum possible les souffrances de la privation.
L'opération de distribution qui repose sur ces conceptions est en tous cas assez large pour contenir la troisième catégorie en sa qualité de partie de la société humaine dans laquelle la richesse doit être distribuée de façon à réduire autant que possible les souffrances de la privation, afin de réaliser l'idéal d'une société heureuse et les valeurs sur lesquelles l'Islam fonde les relations sociales. Et, dès lors, il est naturel que les besoins de cette catégorie démunie deviennent une raison suffisante pour qu'elle ait son droit de vivre, et un des instruments de la distribution : «Une partie de leurs biens revenait de droit au mendiant et au déshérité» (Sourate al-Thâriyât, 51 : 19).
Le besoin dans l'optique de l'Islam et dans celle du capitalisme.
Quant à l'Economie capitaliste, elle est tout à l'opposé de celle de l'Islam en ce qui concerne sa position vis-à-vis du besoin. En effet, dans la société capitaliste, le besoin ne compte pas parmi les instruments positifs de la distribution ; il est un instrument dont la qualité et le rôle positif sont contraires à ceux que l'Islam lui confère. Plus ce besoin se fait sentir chez les individus, plus leur part dans la distribution diminue, jusqu'à ce que cette diminution conduise à la fin un grand nombre d'entre eux à se retirer du cadre du travail et de la distribution. La raison en est que le fait que le besoin se répande et s'intensifie signifie l'existence d'un surplus d'offre de forces de travail dans le marché capitaliste, supérieur à la quantité demandée par les patrons. Et étant donné que l'énergie humaine est un article capitaliste dont le sort dépend des lois de l'offre et de la demande -qui régissent tous les articles du marché-, il est naturel que le salaire du travail baisse lorsque l'offre est supérieure à la demande. Et plus l'offre augmente, plus cette baisse s'accentue. Lorsque le marché capitaliste refuse d'absorber toute la quantité offerte de forces de travail, une grande partie de cette quantité, qui se trouve ainsi au chômage, est acculée à faire l'impossible pour survivre ; autrement elle devrait supporter les souffrances de la privation et mourir de faim.
Ainsi, le besoin n'a rien de positif dans la distribution capitaliste. Il signifie seulement un surplus d'offre de main d'oeuvre. Or, tout article dont l'offre est supérieure à la demande n'a d'autre issue que la baisse de son prix et le gel de sa production jusqu'à ce qu'il soit consommé, et que le rapport entre l'offre et la demande le concernant se rééquilibre.
Donc, le besoin, dans la société capitaliste, n'est pas un instrument de distribution, mais le retrait de l'individu du domaine de la distribution.
Lorsque l'Islam a décidé que le travail est un motif d'appropriation conforme au penchant naturel de l'homme à l'appropriation des résultats de son travail, et qu'il a fait du travail, sur cette base, un instrument principal de la distribution, il en a tiré deux conclusions :
Autoriser l'apparition de la propriété privée sur le plan économique. Car si le travail est une base de la propriété, il est naturel que l'on permette au travailleur de faire des articles auxquels il a donné naissance et qu'il a transformés en biens, denrées agricoles, etc., sa propriété privée.
Et lorsque nous décidons que l'appropriation, par le travailleur, des biens qu'il a produits, est l'expression d'un penchant naturel (chez l'homme-travailleur), nous entendons par là qu'il y a chez l'homme un penchant naturel pour se réserver l'exclusivité des résultats de son travail, et c'est ce qu'on appelle dans la terminologie sociologique "l'appropriation" (tamalluk). Quant à la nature des droits que cette exclusivité engendre, elle n'est pas déterminée selon le penchant naturel, mais définie par le système social conformément aux idées et aux intérêts qu'il adopte. Ainsi, il appartient au système social qui définit la propriété privée et ses droits, et non au penchant naturel ou à l'instinct, de répondre aux questions de savoir, par exemple, si le travailleur qui s'est approprié un article par le travail a le droit d'en disposer à sa guise, étant donné qu'il s'agit d'un bien privé, ou s'il a le droit de le troquer contre un autre article, ou d'en faire un objet de commerce et de développer sa richesse en l'érigeant en un capital commercial ou usuraire.
C'est pour cela que l'Islam est intervenu dans la détermination
de ces droits d'exclusivité, en récusant certains d'entre
eux, et en en reconnaissant d'autres, conformément aux idéaux
et aux valeurs qu'il adopte. Dans le domaine de la dépense, par
exemple, il a refusé au propriétaire le droit de dilapider
son bien ou de le prodiguer, mais il lui a reconnu le droit d'en jouir
sans dilapidation ni prodigalité. Il a refusé au propriétaire
de faire fructifier ses biens par le recours aux intérêts
usuraires, mais lui a accordé le droit de le faire par le recours
au commerce, dans des conditions spécifiques et conformément
à ses théories générales de distribution, que
nous étudierons dans les prochains chapitres.
La deuxième conclusion tirée de la base selon laquelle
le travail est le motif de la propriété est la
détermination du domaine de la propriété suivant les
exigences de cette base. Si le travail est le fondement principal de
la propriété privée, il faut que le cadre de celle-ci
se limite aux biens à l'engendrement et à la structure desquels
le travail contribue, et qu'il ne couvre pas ceux sur lesquels le travail
n'a aucun effet.
De ce fait, les biens se divisent, selon la nature de leur formation et préparation, en richesses particulières et en richesses générales.
Les richesses particulières : il s'agit de tout bien produit ou mis en valeur par un travail humain particulier, tels que les denrées agricoles, les textiles, les richesses qui ont exigé un travail humain pour être extraites du sol, de la mer, de l'air. Ici, le travail humain est intervenu soit pour constituer le bien lui-même, tel le travail agricole pour le produit agricole, soit pour adapter son existence et le préparer de manière à le rendre apte à l'usage, tel le travail effectué pour produire l'électricité à partir des forces répandues dans la nature, ou pour extraire l'eau ou le pétrole du sous-sol. Dans ce cas, l'énergie électrique et les quantités de pétrole ou d'eau ainsi extraites ne sont pas créées par l'homme, mais c'est le travail qui les a adaptées et préparées pour qu'elles soient utilisables.
Ce sont ces richesses, dans lesquelles le travail humain compte, qui constituent le domaine auquel l'Islam a limité la propriété privée, c'est-à-dire le cadre dans lequel l'Islam a autorisé l'apparition de la propriété privée. Car le travail étant ici le fondement de la propriété, et ces biens étant mélangés avec le travail humain, le travailleur peut donc les posséder et en utiliser les droits résultant de l'appropriation, tels que le droit d'en jouir, le droit de les commercialiser, etc.
Quant aux richesses générales, il s'agit de tout bien dans lequel la main de l'homme n'intervient pas, comme la terre, qui est un bien que la main humaine n'a pas fabriqué. Même si l'homme intervient parfois pour adapter la terre et la rendre cultivable et exploitable, ce travail d'adaptation reste limité quelle que soit sa durée, l'âge de la terre étant toujours plus long. Cette adaptation ne couvre donc qu'une phase limitée de l'âge de la terre. En cela, la terre ressemble à la "raqabah" (la source) elle-même des minerais et des richesses naturelles qu'elle renferme, car la matière de ces minerais, renfermée dans la terre, ne doit rien, dans sa constitution ou son adaptation, au travail humain, lequel intervient seulement dans les quantités qui en sont extraites et dont l'extraction et le raffinage exigent un effort.
Ces richesses générales, publiques par nature, ou de par leur titre originel comme disent les faqîh, ne sont pas appropriées à titre privé par le travail, et les biens qui ne sont pas mélangés au travail n'entrent pas dans le domaine limité de la propriété privée, mais sont des biens d'usage commun ou propriété commune.
La terre, par exemple, en sa qualité de bien dans lequel le travail n'intervient pas, ne peut pas être appropriée à titre privé. Le travail dépensé dans la mise en valeur et la préparation de la terre étant une adaptation provisoire et limitée à une période plus brève que l'âge de la terre, ne peut donc faire inclure celle-ci dans le domaine de la propriété privée ; il accorde seulement à l'ouvrier un droit lui permettant de l'utiliser et interdisant aux autres de l'y concurrencer, car il a sur eux l'avantage de l'énergie qu'il a dépensée dans la terre. C'est parce qu'il serait injuste de traiter également des mains qui ont oeuvré et peiné pour la terre, et d'autres qui n'ont rien fait pour elle, que l'on a distingué le travailleur par un droit sur la terre, sans lui permettre toutefois de se l'approprier. Ce droit continuera tant que la terre restera adaptée à son travail. S'il la néglige, il sera déchu de son droit privatif.
Il résulte de ce qui précède que la règle générale est que la propriété privée n'apparaît que dans les biens dont la formation et l'adaptation sont mélangées au travail humain ; elle est exclue des biens et des richesses naturelles qui ne sont pas mélangés avec le travail, car le motif de la propriété privée est le travail, et tant que le bien n'est pas inclus dans le cadre du travail humain, il n'entre pas dans le domaine de la propriété privée.
Cette règle a cependant ses exceptions, pour des considérations ayant trait à l'intérêt de l'Appel Islamique, comme nous allons le voir ci-après.
La propriété est un accessoire de la distribution.
Après le travail et le besoin, vient le rôle de la propriété en tant qu'instrument secondaire de la distribution.
Lorsque l'Islam a permis d'accorder la propriété privée sur la base du travail, il s'est différencié et du marxisme et du capitalisme, par les droits qu'il a accordés au propriétaire et par les domaines dans lesquels il lui a permis d'exercer ces droits. Il ne lui a pas donné une autorisation absolue et sans restrictions d'utiliser son bien en vue de développer sa richesse, comme le fait le capitalisme qui a autorisé toutes sortes de bénéfices, ni ne lui a interdit toute possibilité de gain, comme le fait le marxisme qui interdit le gain et toutes les formes de la fructification individuelle du bien. L'Islam a pris une position intermédiaire ; il a interdit certaines sortes de gains, tels que l'intérêt usuraire, et il en a autorisé d'autres, tels que le gain commercial.
En prohibant certaines sortes de gains, l'Islam exprime sa différence essentielle avec le capitalisme en ce qui concerne la liberté économique -dont nous avons fait la critique dans le chapitre "Avec le capitalisme"(28)- en sa qualité de base de la pensée doctrinale capitaliste.
Nous étudierons dans de prochains chapitres certaines sortes de gains prohibés en Islam -tels que l'intérêt usuraire- et le point de vue de l'Islam sur cette prohibition.
De même, en autorisant le gain commercial, l'Islam exprime sa différence essentielle avec le marxisme en ce qui concerne sa conception (du marxisme) de la valeur et de la plus-value, et sa méthode propre d'expliquer les gains capitalistes, comme nous l'avons vu lors de notre étude du matérialisme historique.
En reconnaissant le gain commercial, l'Islam a fait de la propriété elle-même un instrument de fructification des biens par le commerce, conformément aux conditions et aux lois canoniques et, par conséquent, un instrument secondaire de distribution, limité par un cadre de valeurs morales et d'intérêts sociaux que l'Islam adopte.
Rappel des caractéristiques de la distribution en Islam.
Tel est donc le portrait islamique de la distribution. De ce qui précède, nous pouvons la décrire comme suit :
Le travail, en tant que base de la propriété, est un instrument principal de la distribution. C'est ainsi que celui qui travaille dans le domaine de la nature cueille les fruits de son travail et se les approprie.
- Le besoin, en tant qu'expression du droit immuable de l'homme à une vie digne, est un instrument principal de la distribution. C'est pourquoi, dans la société islamique, les besoins sont assurés et leur satisfaction garantie.
- La propriété devient un instrument secondaire de la distribution grâce aux activités commerciales autorisées par l'Islam, dans les limites des conditions spécifiques qui ne se heurtent pas aux principes islamiques de la justice sociale -dont l'Islam garantit la réalisation, comme nous allons le voir en détail.
La circulation (l'échange) est l'un des fondements de la vie économique. Son importance n'est pas moindre que celle de la production ou de la distribution, bien qu'elle leur soit historiquement postérieure. En effet, l'existence historique de la production et de la distribution est toujours associée à l'existence sociale de l'homme. Là où il y a une société humaine, il est nécessaire qu'elle exerce, pour pouvoir poursuivre sa vie et assurer ses moyens d'existence, une forme de production, et qu'elle redistribue la richesse produite sur ses membres, sous n'importe quelle forme convenue. Donc, l'homme ne peut pas avoir une vie sociale sans production et distribution.
Quant à la circulation, il n'est pas nécessaire qu'elle existe dans la vie de la société dès le début, étant donné que les sociétés mènent souvent, au début de leur création, une sorte d'Economie primitive fermée, c'est-à-dire que chaque famille composant la société produit elle-même tout ce dont elle a besoin, sans recourir aux efforts des autres. Or, cette sorte d'Economie fermée ne laisse pas de place à l'échange tant que tout producteur satisfait par sa production tous ses besoins simples et se contente des articles qu'il produit. L'échange ne commence à avoir un rôle actif sur le plan économique que lorsque les besoins de l'homme se diversifient et se développent, et que les articles dont il a besoin dans sa vie se multiplient, de telle sorte que chaque individu n'est plus capable de produire seul toutes les sortes et formes d'articles dont il a besoin. Alors la société se voit obligée de répartir le travail entre ses membres, et chaque producteur -ou catégorie de producteurs- se spécialise dans la production d'un article particulier qu'il peut produire mieux qu'un autre (article), et il satisfait ses autres besoins par l'échange du surplus des articles qu'il a produits contre ceux que les autres produisent. De cette façon, l'échange naît, dans la vie économique, en tant que moyen de satisfaire les besoins des producteurs, au lieu que chaque producteur se charge lui-même de satisfaire tous ses besoins par sa production directe.
Ainsi donc, l'échange naît pour faciliter la vie et pour répondre à l'élargissement du champ des besoins et à la tendance de la production à la spécialisation et au développement.
Il en résulte que le rôle de l'échange dans la vie économique de la société est celui d'un intermédiaire entre la production et la consommation ou, en d'autres termes, entre les producteurs et les consommateurs. Le producteur trouve toujours par l'échange le consommateur qui a besoin de l'article qu'il produit, et ledit consommateur à son tour produit une autre sorte d'article, et trouve, à travers l'échange, le consommateur qui le lui achète.
Mais l'injustice de l'homme -selon l'expression coranique- qui a privé l'humanité des bénédictions et des bienfaits de la vie, et qui est intervenue dans le domaine de la distribution, au détriment de tel ou tel autre droit, a atteint l'échange aussi, jusqu'à ce qu'elle (l'injustice de l'homme) l'ait transformé et l'ait érigé en un instrument d'exploitation et de complication, au lieu d'être un instrument de satisfaction des besoins, et en un intermédiaire entre la production et l'épargne, et non pas entre la production et la consommation. Il est résulté de cette injustice dans l'échange des drames et toutes sortes d'exploitations, comparables aux situations injustes sur lesquelles a débouché la distribution dans les sociétés capitalistes et communistes.
Pour expliquer le point de vue islamique de l'échange, il est indispensable de connaître l'opinion de l'Islam sur la raison fondamentale pour laquelle l'échange est devenu un instrument injuste d'exploitation, et les résultats qui s'en sont suivis, d'étudier ensuite les solutions que l'Islam a présentées pour ce problème, et de savoir enfin comment il a trouvé à l'échange sa formule juste et ses lois adéquates à ses objectifs.
L'échange, et son évolution historique (du troc à la monnaie).
Avant toute chose, il faut remarquer que l'échange a deux formes :
L'une est l'échange fondé sur le troc ;
L'autre est l'échange fondé sur la monnaie.
L'échange fondé sur le troc consiste à échanger un article contre un autre. Cette forme d'échange est, historiquement, la plus ancienne des formes de l'échange. En effet, chaque producteur, dans les sociétés en voie de spécialisation et de division du travail, obtenait les articles qu'il ne produisait pas lui-même, contre le surplus de l'article dont la production était sa spécialité. Ainsi, celui qui produisait cent kilos de blé en conservait la moitié, par exemple, pour satisfaire ses besoins, et en échangeait l'autre moitié contre une quantité donnée de coton, par exemple, produit par autrui.
Mais cette forme d'échange (le troc) n'a pas pu faciliter la circulation dans la vie économique. Elle devenait de plus en plus difficile et compliquée à la longue et au fur et à mesure que la spécialisation se répandait et que les besoins se diversifiaient ; car le troc obligeait le producteur du blé à chercher le coton dont il avait besoin chez quelqu'un qui désirait se procurer du blé ; mais si le propriétaire du coton avait besoin de fruits et non de blé, et si le producteur du blé n'avait pas de fruits, il ne pouvait pas satisfaire son besoin de coton. Les difficultés sont nées ainsi de la rareté de la concordance entre le besoin de l'acheteur et celui du vendeur.
A cela il faut ajouter la difficulté de concordance entre les valeurs des articles offerts à l'échange. Celui qui possédait un cheval ne pouvait pas se permettre de l'échanger contre un poulet dont il aurait eu besoin, car la valeur de celui-ci était très inférieure à la valeur de celui-là. En tout état de cause, il n'était pas disposé à obtenir un seul poulet en échange d'un cheval tout entier, et celui-ci n'est pas divisible pour que l'on puisse en donner une partie pour l'obtention d'un poulet!
En outre, les opérations d'échange se heurtaient à un autre problème : la difficulté d'évaluer la valeur des choses offertes à l'échange ; car pour estimer la valeur d'une chose, il est indispensable de la comparer aux autres choses, afin que sa valeur soit connue par rapport à chacune de ces choses.
Pour toutes ces raisons, les sociétés fondées sur l'échange commencèrent à penser à modifier le troc de manière à le rendre apte à résoudre ces problèmes. De là est née l'idée de l'utilisation de la monnaie en tant qu'instrument d'échange remplaçant l'article lui-même. Et de cette façon, la seconde forme de l'échange a vu le jour, c'est-à-dire l'échange par la monnaie. Celle-ci est devenue ainsi le représentant de l'article que l'acheteur était obligé d'offrir au vendeur dans le troc. Au lieu que le propriétaire du blé, dans notre précédent exemple, soit contraint de fournir des fruits au producteur du coton contre le coton qu'il voulait lui acheter, il aura désormais la possibilité de vendre son blé contre de l'argent, puis d'acheter avec cet argent le coton qu'il désire. Le producteur du coton achètera à son tour le fruit qu'il demande contre l'argent qu'il aura obtenu.
Conséquences du passage du troc à la monnaie : thésaurisation et déséquilibre.
La représentation de l'article par l'argent dans les opérations d'échange a donc assuré la solution du problème né du troc et l'aplanissement de ses difficultés.
La difficulté de concordance entre le besoin de l'acheteur et celui du vendeur s'est effacée. L'acheteur n'était plus obligé de fournir au vendeur l'article dont il avait besoin, il lui suffisait de lui donner l'argent au moyen duquel il pourrait acheter cet article par la suite à ses producteurs.
La difficulté de concordance entre les valeurs des choses a été aplanie, parce que la valeur de tout article était désormais estimée en argent, lequel est divisible.
De même, il est devenu possible d'estimer facilement les valeurs des choses, car celles-ci étaient désormais évaluées toutes par rapport à un seul et même article, à savoir l'argent, en tant que critère général de la valeur.
Toutes ces facilités ont découlé de la représentation de l'article par l'argent dans tous les domaines de la circulation.
Tel est l'aspect brillant et lumineux de la représentation de l'article par l'argent, aspect qui nous explique comment cette représentation accomplit sa fonction sociale -pour laquelle elle a été créée- qui consiste à faciliter les opérations de la circulation.
Mais cette représentation ne s'est pas arrêtée à ce stade. A la longue, elle va jouer un rôle plus important dans la vie économique, jusqu'à ce qu'il s'en soit suivi des difficultés et des problèmes non moins graves que ceux qui avaient découlé du troc. Mais alors que les problèmes issus du troc étaient naturels, les nouveaux problèmes causés par la représentation de l'article par l'argent sont humains et traduisent toutes les sortes d'injustices et d'exploitations auxquelles a conduit la représentation de l'argent par l'argent dans les domaines de la circulation.
Pour bien comprendre cela, nous devons remarquer les développements qui se sont produits dans les opérations de l'échange comme suite au changement de leur forme, fondée d'abord sur le troc, remplacé ensuite par l'argent.
Dans l'échange fondé sur le troc, il n'y avait pas de ligne de démarcation entre le vendeur et l'acheteur, les deux co-contractants étant à la fois vendeur et acheteur, chacun fournissant à l'autre un article, et en recevant un autre. C'est pourquoi le troc satisfaisait directement les besoins des deux co-contractants en même temps ; chacun d'eux sortait de l'opération de la circulation avec l'article dont il avait besoin pour sa consommation ou sa production, tel que blé ou charrue. A la lumière de ce qui précède, nous savons que l'homme, à l'époque du troc, n'avait pas la possibilité de s'identifier à la personnalité du vendeur sans être en même temps acheteur. Il n'y avait pas de vente sans achat concomitant. Le vendeur fournissait -en tant que vendeur- d'une main son article à l'acheteur, pour recevoir de l'autre main un nouvel article -en tant qu'acheteur. La vente et l'achat étaient couplés dans une seule opération.
En revanche, dans les échanges fondés sur l'argent, la situation est très différente, car l'argent met un point de démarcation entre le vendeur et l'acheteur, le premier étant le propriétaire de l'article, le second celui qui offre de l'argent pour l'obtenir. Le vendeur qui offrait du blé pour obtenir du coton pouvait vendre ce blé et obtenir du coton dans un seul échange fondé sur le troc, alors qu'il est obligé ici (dans les échanges fondés sur l'argent) d'effectuer deux échanges pour obtenir ce qu'il cherche. Dans un premier échange, il joue le rôle de vendeur en vendant son blé contre une somme d'argent, et dans le second échange, il joue le rôle de l'acheteur en achetant du coton avec cet argent ; ce qui signifie la séparation de la vente et de l'achat, alors que ces deux opérations étaient couplées dans le troc. La séparation de la vente et de l'achat dans les opérations de l'échange fondé sur l'argent a permis de retarder l'achat par rapport à la vente. Le vendeur n'est plus obligé, pour vendre son blé, d'acheter à l'autre le coton qu'il produit. Il peut vendre son blé contre une somme d'argent, qu'il conserve, et reporter l'achat du coton à plus tard.
Cette occasion nouvelle que les vendeurs ont trouvée à leur service -l'occasion de retarder l'achat par rapport à la vente- a changé le caractère général des ventes et des échanges. Alors que la vente avait toujours pour objet, à l'ère du troc, l'achat de l'un des articles dont avait besoin le vendeur, à l'ère de la monnaie elle a un nouvel objectif. Le vendeur ne se débarrasse pas de son article pour en obtenir un autre, mais pour gagner plus d'argent, en sa qualité de représentant général de l'article ; l'argent qui lui donne la possibilité d'acheter n'importe quel autre article quand il le voudra... Ainsi, la vente pour l'achat s'est transformée en vente pour se procurer de l'argent. De là est né le phénomène de la thésaurisation des biens et de leur gel, incarné par cet argent. Car l'argent, et par argent nous entendons surtout l'argent en pièces métalliques et en billets de banque, se distingue de tous les autres articles, puisqu'il était inutile de thésauriser tout autre article, étant donné que :
a) la valeur de la plupart des articles baisse à la longue ;
b) la conservation de l'article et son maintien en bon état nécessiteraient de nombreuses dépenses ;
c) le propriétaire de l'article thésaurisé pourrait ne pas trouver, au moment voulu, un autre article dont il aurait besoin ; donc sa thésaurisation ne garantit pas l'obtention de tout ce dont on a besoin à tout moment.
Tout au contraire, l'argent est susceptible d'être conservé et épargné, et son épargne ne demande pas de dépenses. De plus, en tant que représentant général des articles, il garantit au thésauriseur son pouvoir d'achat de tout article à tout moment.
De cette façon sont nées les motivations de la thésaurisation dans les sociétés où l'échange commençait à être fondé sur l'argent et notamment sur la monnaie en or et en argent.
Il s'en est suivi que l'échange a abandonné sa fonction saine d'intermédiaire entre la production et la consommation dans la vie économique, et qu'il est devenu un intermédiaire entre la production et l'épargne. Ainsi le vendeur produit, vend et échange sa production contre de l'argent qu'il épargne et ajoute à sa richesse thésaurisée ; et l'acheteur offre cet argent au vendeur pour obtenir l'article que celui-ci vend, sans pouvoir vendre à son tour son produit, le vendeur ayant thésaurisé et retiré de la circulation son argent.
Il en est résulté aussi un grand déséquilibre entre la quantité de l'offre et celle de la demande, car l'offre et la demande tendaient à l'équilibre à l'ère du troc, étant donné que le producteur produisait pour satisfaire ses besoins et échanger le surplus de sa production contre d'autres articles -dont il avait besoin dans la vie- différents de celui qu'il produisait lui-même. Le produit équivalait donc toujours à son besoin, c'est-à-dire que l'offre faisait face, toujours, à une demande équivalente. C'est pourquoi les prix du marché tendaient vers leur niveau naturel, qui traduisait la valeur réelle des articles, et leur importance effective dans la vie des consommateurs. Mais lorsque l'ère de l'argent a commencé, et que l'argent a dominé sur le commerce, et que la production et la vente ont pris une nouvelle orientation, au point que leur raison d'être est devenue la thésaurisation de l'argent et le développement de la possession, et non plus la satisfaction des besoins, il était naturel que l'équilibre entre l'offre et la demande bascule, et que les motivations de l'accaparement jouent leur rôle important dans l'accentuation de cette contradiction entre l'offre et la demande, à tel point que l'accapareur pouvait provoquer une fausse demande en achetant toutes les quantités disponibles de l'article sur le marché, non pas parce qu'il en aurait eu besoin, mais pour en faire monter le prix ; ou encore il offrait l'article à un prix inférieur à son coût pour obliger les autres vendeurs et acheteurs à se retirer de la concurrence et à se déclarer en faillite. De cette façon, les prix se trouvaient dans une situation anormale, le marché tombait sous l'emprise de l'accaparement, et des milliers de petits vendeurs et producteurs étaient pris entre les mains des grands accapareurs qui dominaient le marché.
Et puis, après tout cela, il ne reste que de voir les gens puissants dans le domaine économique profiter de ces occasions que leur fournit l'argent pour s'orienter de toutes leurs forces vers la thésaurisation et vers la vente en vue de l'épargne. Il se mettent à produire et à vendre pour attirer la monnaie en circulation vers leurs coffres-forts et l'absorber progressivement. Ils abolissent ainsi la fonction de l'échange en tant qu'intermédiaire entre la production et la consommation, et précipitent la majorité des gens vers la misère et la pauvreté. Il s'en suit que la consommation faiblit en raison de la baisse du niveau économique du public et de son incapacité à acheter. De même, le mouvement de la production s'interrompt, car l'absence du pouvoir d'achat ou son affaiblissement chez les consommateurs prive la production de ses bénéfices, et le marasme prévaut dans tous les secteurs de la vie économique.
L'usure : le point de vue de l'Islam sur tous les problèmes liés à l'échange.
Les problèmes de l'argent ne se sont pas arrêtés là. En effet, l'argent a débouché sur un autre problème qui pourrait être considéré comme plus grave que tous les problèmes que nous avons exposés. L'argent ne s'est pas limité à son rôle d'instrument d'épargne, mais il est devenu également un instrument d'accroissement des biens par l'intérêt que les prêteurs perçoivent de leurs débiteurs, ou que les banques paient aux capitalistes pour les biens qu'ils y ont déposés. De cette façon, la thésaurisation est devenue, à la place de la production, la cause de la croissance de la richesse dans le milieu capitaliste. Il en est résulté que beaucoup de capitaux se sont déplacés du domaine de la production vers les caisses d'épargne et les banques, et que les commerçants n'entreprenaient plus un projet de production ou de commerce qu'après s'être assurés que le bénéfice que ce projet leur ferait réaliser serait normalement supérieur à l'intérêt qu'ils pourraient toucher sur les biens qu'ils prêteraient ou qu'ils déposeraient dans les banques.
Les biens servant de base à l'intérêt usuraire commencèrent ainsi à affluer vers les banquiers depuis le début de l'époque capitaliste. Ceux-ci se sont mis en effet à attirer les quantités d'argent thésaurisé chez les particuliers en appâtant ces derniers par l'intérêt annuel que leurs clients touchent sur l'argent qu'ils ont déposé chez eux. Ces différentes quantités d'argent se sont donc accumulées dans les coffres des banquiers, au lieu d'être employées dans une production fructueuse, et leur accumulation a conduit à la création de banques et de grands établissements financiers qui ont tenu les rênes de la richesse dans le pays, et ont mis fin à tous les aspects de l'équilibre de la vie économique.
Cet exposé rapide des problèmes de la circulation ou de l'échange montre clairement que ces problèmes ont découlé, tous, de l'argent et de sa mauvaise utilisation dans le domaine de la circulation, puisqu'il a servi d'instrument de thésaurisation, et par conséquent, de croissance de la possession.
Ceci pourrait jeter un peu de lumière sur ce que le Saint Prophète (Ç) a dit dans le hadith : «Les dinars jaunes et les dirhams blancs vous tueront comme ils ont tué ceux qui vous ont précédés».
En tout état de cause, l'Islam a traité ces problèmes issus de l'argent, et a pu rétablir l'échange dans sa situation naturelle et son rôle d'intermédiaire entre la production et la consommation.
La position islamique vis-à-vis des problèmes de l'échange peut se résumer dans les points principaux suivants :
L'Islam a interdit la thésaurisation des biens en imposant l'impôt de la "Zakât" sur l'argent gelé, impôt qui se renouvelle chaque année, jusqu'à ce qu'il absorbe presque tout le bien thésaurisé, si sa thésaurisation se prolonge plusieurs années. C'est pourquoi le Coran considère la thésaurisation de l'or et de l'argent comme un crime punissable du Châtiment de l'Enfer. Parce que thésauriser signifie naturellement négliger de s'acquitter d'un impôt légalement obligatoire, et que l'acquittement de cet impôt empêche l'accumulation et la thésaurisation de l'argent ; il est donc normal que le Coran menace ceux qui thésaurisent l'or et l'argent, et leur promette l'Enfer: «... Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans rien dépenser sur le Chemin d'Allah, le jour où ces métaux seront portés à incandescence dans le Feu de la Géhenne et qu'ils serviront à marquer leurs fronts, leurs flancs et leurs dos : "Voici ce que vous thésaurisiez ; goûtez ce que vous thésaurisiez !"» (Sourate al-Tawbah, 9 : 34-35)
De cette façon, l'Islam s'est assuré que l'argent se maintient dans les domaines de la production, de l'échange et de la consommation, et l'a empêché de glisser vers les caisses de thésaurisation et d'épargne.
L'Islam a interdit catégoriquement et fermement l'usure, extirpant de cette façon l'intérêt et ses conséquences graves dans le domaine de la distribution, ainsi que l'atteinte qu'il porte à l'équilibre économique général, ôtant par là même à l'argent son rôle d'instrument à part entière de croissance de la possession, et le rétablissant dans son rôle naturel de représentant général des articles, et d'instrument servant à évaluer leur valeur et à faciliter leur circulation.
Beaucoup de ceux qui ont vécu l'expérience capitaliste et connu de près ses différentes formes et modalités pourraient penser que l'extirpation de l'intérêt équivaudrait à l'extirpation des banques et des établissements financiers, l'abolition des organes de la vie économique, et la paralysie de tous ses nerfs et veines alimentés par lesdites banques et établissements financiers. Mais cette pensée naît chez eux de leur ignorance de la réalité du rôle joué par les banques et les établissements financiers dans la vie économique, ainsi que de la réalité de la forme islamique de l'organisation économique, qui garantit le traitement de tous les problèmes découlant de l'éradication de l'intérêt. C'est ce que nous allons étudier dans un prochain chapitre.
L'Islam
a accordé au Tuteur (le gouvernant légal) les pouvoirs
qui lui donnent le droit d'exercer un contrôle total sur le déroulement
de la circulation et la supervision des marchés, afin d'empêcher
toute attitude de nature à ébranler la vie économique
et à lui porter atteinte, ou bien à ouvrir la voie à
un contrôle individuel illégal du marché et de la circulation.
Nous étudierons et expliquerons ces trois points d'une façon
exhaustive dans les prochains chapitres du présent ouvrage, lorsque
nous parlerons des détails de l'Economie islamique.
Différence entre doctrine économique et science économique
Puisque nous essayons d'étudier ici une doctrine économique déterminée, il convient avant tout de nous mettre d'accord sur la définition exacte du terme "doctrine", afin que nous puissions, dès le début, connaître les aspects du but et la qualité du contenu que toute recherche sur une doctrine économique doit éclaircir et déterminer. Que veut donc dire le mot "doctrine" ? Quels sont les domaines que l'on peut étudier d'un point de vue doctrinal?
C'est sur la base de la réponse donnée à ces questions -et qui détermine les aspects de la doctrine économique en général- que nous préciserons la nature de la recherche que nous pratiquons dans la Doctrine économique islamique.
Il faut rappeler à cet égard ce que nous avons déjà dit dans un chapitre précédent (29) sur la notion de doctrine et de science, à savoir : «La doctrine économique de la société est le modèle que celle-ci préfère suivre pour sa vie économique et pour résoudre ses problèmes pratiques ; alors que la science économique est la science qui s'applique à interpréter la vie économique, ses péripéties et ses phénomènes, et à lier ces péripéties et phénomènes aux causes et aux facteurs généraux qui les régissent.»
Ce mode de distinction entre la doctrine et la science, bien qu'il indique la différence essentielle entre les deux, n'est plus suffisant dès lors qu'il s'agit d'essayer de découvrir une doctrine économique précise et spécifique ou d'en donner une idée précise. En effet, nous avions établi cette distinction essentielle entre la doctrine et la science pour permettre au lecteur de connaître le type de l'Economie islamique que nous sommes en train d'étudier, et de comprendre à la lumière de cette distinction que l'Economie islamique est une doctrine et non pas une science, car elle est le modèle que l'Islam préfère suivre dans la vie économique, et non pas une interprétation dans laquelle l'Islam expliquerait les péripéties et les lois de la vie économique.
Pour ce faire, et pour souligner le caractère doctrinal de l'Economie islamique, il nous suffisait donc de dire que «la doctrine est un modèle alors que la science est une interprétation» pour savoir que l'Economie islamique est une doctrine et non pas une science.
Mais à présent, nous devons en savoir plus sur la doctrine économique, afin de pouvoir connaître avec précision, à la lumière de notre conception de cette doctrine, les domaines dans lesquels elle oeuvre, et d'examiner tout ce qui, en Islam, a trait à ces domaines. Ainsi, il faut savoir dans quel domaine oeuvre la doctrine économique, jusqu'où elle s'étend, quel est le trait général que nous retrouvons dans toute pensée économique doctrinale afin de faire de ce trait un signe distinctif des pensées doctrinales en Islam, pensées que nous essaierons de rassembler et d'harmoniser dans un cadre unique.
Ces questions exigent que nous donnions de la doctrine - distincte de la science - une notion précise, susceptible de fournir à toutes une réponse. Il ne suffit donc pas ici de dire que la doctrine est un simple modèle.
D'aucuns considèrent que le domaine de la doctrine est limité exclusivement à la distribution, et que la doctrine n'a pas de rapport avec la production, étant donné que l'opération de production -de blé ou de textiles par exemple- est régie par des lois scientifiques et le niveau des connaissances humaines des éléments de la production et de ses caractéristiques et de ses forces. En un mot, l'opération de la production du blé ne diffère pas de celle des textiles selon la différence de nature de la doctrine économique. Ainsi, la science économique est-elle la science des lois de la production, alors que la doctrine économique est l'art de la distribution de la richesse. Toute recherche concernant la production, son amélioration, et les moyens de cette amélioration, appartient donc à la science économique, et possède un caractère universel qui ne varie pas selon la différence des principes et des conceptions sociales des nations, et elle n'est pas propre à un principe particulier plutôt qu'à un autre. Et toute recherche qui explique la richesse et comment s'en servir est une recherche doctrinale et appartient au système économique, et non à la science économique, avec laquelle elle n'a pas de lien. Elle est liée seulement à l'un des points de vue sur la vie que les différentes doctrines -capitaliste, socialiste, islamique - adoptent.
Cette séparation entre la science et la doctrine -la science économique et la doctrine économique- fondée sur la différence du domaine auquel chacune d'elles s'applique, comporte une erreur grave, car elle conduit à considérer la qualité systémique et la qualité scientifique comme deux résultats de la qualité du domaine étudié ; si la recherche concerne la production, il s'agit d'une recherche scientifique, et si elle concerne la distribution, elle est doctrinale, et ce bien que la science et la doctrine diffèrent quant à leur méthodologie et à leurs buts, et non pas dans le sujet et son domaine doctrinal, et elle conserve ce caractère tant qu'elle observe sa méthode et ses objectifs spécifiques, même lorsqu'elle traite de la production elle-même. De même, la recherche scientifique ne perd pas sa nature scientifique si elle aborde la distribution et l'étudie avec une méthode et dans des buts qui concordent avec la science.
C'est pour cela que nous remarquons que l'idée de la planification centrale de la production -qui donne à l'Etat le droit de mettre au point la politique de production et de la superviser- est l'une des théories doctrinales importantes, considérée comme un des fondements de certaines doctrines et de certains systèmes socialistes ou socialisants, ceci bien que nous sachions que la planification centrale de la production et l'autorisation accordée à un organisme haut placé, tel que l'Etat, d'exercer cette planification ne signifient pas que cet organisme possède les moyens de production, ni ne concernent la question de la distribution de ces moyens aux individus.
L'idée de la planification centrale de la production est donc une idée doctrinale ayant trait à la doctrine économique, et non pas une recherche scientifique, bien qu'elle traite de la production et non de la distribution.
A l'opposé, nous trouverions beaucoup d'idées qui traitent des problèmes de la distribution, classées dans le domaine de la science économique bien qu'elles soient liées à la distribution sans la production. Ainsi, par exemple, lorsque Ricardo énonçait que : «la part des ouvriers dans la richesse produite, représentée par les salaires qu'ils perçoivent, ne dépasse en aucun cas la portion congrue», il n'entendait pas énoncer par là une règle doctrinale, ni demander aux gouvernements de l'imposer comme un système économique des salaires, à l'instar du système de la propriété privée et de la liberté économique ; il essayait seulement d'expliquer la réalité que les ouvriers vivent, et la conséquence inévitable de cette réalité, et ce malgré la non-adoption par l'Etat de l'imposition d'une limitation des salaires, et malgré sa croyance, en tant qu'Etat capitaliste, à la liberté économique.
Ainsi, la doctrine et la science entrent-elles dans tous ces domaines et étudient-elles à la fois la production et la distribution. Mais ceci ne doit pas nous conduire à ne pas les distinguer l'une de l'autre, ni à confondre caractère doctrinal et caractère scientifique dans la recherche économique, comme l'on fait certains de ceux qui affirment qu'il n'y a pas d'Economie en Islam, n'ayant pas eu l'occasion de distinguer nettement la science de la doctrine, et croyant que qui dit Economie islamique doit obligatoirement dire que l'Islam avait devancé les penseurs occidentaux dans ce domaine, et que qui dit Economie islamique dit obligatoirement existence en Islam d'une pensée économique et d'une recherche scientifique dans le domaine des lois de la vie économique -telles celles de la distribution, de la production, etc.- à l'instar de ce que l'on trouve dans les recherches d'Adam Smith, de Ricardo et autres sommités de l'Economie politique. Or, étant donné qu'il n'y a pas en Islam de telles recherches, ils en déduisent que l'Economie islamique n'est qu'un mythe, une fiction.
Ceux qui affirment l'inexistence d'une Economie islamique pourraient renoncer à cette affirmation dès lors qu'ils auront appris clairement la différence entre la doctrine économique et la science économique, ou ce qu'on appelle "Economie islamique", et su que l'Economie islamique est une doctrine et non pas une science, car la doctrine économique comprend toute base fondamentale dans la vie économique ayant trait à l'idée de la "justice sociale", alors que la science comprend toute théorie interprétant une réalité de la vie économique, en dehors de tout préjugé et de tout idéal suprême de Justice.
L'idée de Justice est donc la ligne de démarcation entre la doctrine et la science, et le signe distinctif entre les idées doctrinales et les théories scientifiques, car l'idée de Justice elle-même n'est ni scientifique, ni quelque chose de tangible, de mesurable, d'observable, ni n'est susceptible d'être soumise à l'expérimentation par des moyens scientifiques. La Justice est une appréciation et une rectification morales. Ainsi, lorsque vous voulez savoir quel est le degré de Justice dans le système de la propriété privée, ou juger si le système des intérêts sur lequel sont fondées les banques est juste ou injuste, vous ne recourez pas aux mêmes moyens et critères scientifiques que vous utiliseriez si vous vouliez mesurer la température de l'atmosphère, ou de l'ébullition d'un liquide donné, car la chaleur et l'évaporation sont deux phénomènes physiques naturels que l'on peut soumettre à la sensibilité d'instruments scientifiques, tandis que la Justice recourt, dans son appréciation, à des valeurs et des idéaux sublimes qui sortent des limites du mesurage matériel.
La Justice n'est donc pas en soi une idée scientifique. C'est pourquoi, lorsqu'elle est mélangée à une idée, elle la marque du caractère doctrinal, et la distingue de la pensée scientifique. Les principes de la propriété privée, de la liberté économique, de l'abolition des intérêts ou de la nationalisation des moyens de production... appartiennent tous à la doctrine, car ils sont liés à l'idée de Justice. Quant à la loi de la diminution des récoltes, celle de l'offre et de la demande, celle rigoureuse des salaires... ce sont des lois scientifiques, car elles ne s'occupent pas de rectifier ces phénomènes économiques. Ainsi, la loi de la diminution des récoltes ne juge pas si cette diminution est juste ou non, mais la dévoile en tant que vérité objective établie. De même la loi de l'offre et de la demande ne justifie pas la hausse des prix à cause de la diminution de l'offre ou de l'augmentation de la demande selon une conception particulière de la Justice, mais elle met en évidence de façon objective la corrélation entre le prix et la quantité de l'offre et de la demande, en tant que phénomène -parmi bien d'autres- inévitable du marché capitaliste. Il en va de même pour la loi rigoureuse des salaires, car elle explique la réalité inévitable de la condition des ouvriers qui fait qu'ils n'obtiennent dans la société capitaliste que la portion congrue, sans chercher à savoir si la part insignifiante des ouvriers dans la distribution est conforme ou non à la Justice. Car les lois scientifiques -dans leur totalité- ne se fondent pas sur l'idée de Justice, mais sur l'induction de la réalité et l'observation de ses différents phénomènes. Ceci est tout le contraire des fondements doctrinaux, qui incarnent toujours une idée particulière de la Justice.
Cette séparation déterminante entre la recherche doctrinale et la recherche scientifique n'interdit pas que l'on prenne parfois la doctrine comme cadre de la recherche scientifique, comme c'est le cas dans les lois de l'offre et de la demande ou dans la loi rigoureuse des salaires des ouvriers. De telles lois sont scientifiquement crédibles et s'appliquent à la réalité qu'elles interprètent dans une société qui applique le capitalisme doctrinal. Ce sont des lois scientifiques qui n'ont de valeur que dans un cadre doctrinal spécifique. Elles ne sont ni scientifiques ni justes dans un autre cadre, comme nous l'avons expliqué dans un autre chapitre du présent ouvrage(30).
Dès que nous aurons souligné cette séparation déterminante entre la doctrine économique et la science économique, nous saurons qu'affirmer l'existence d'une doctrine économique islamique ne signifie pas que l'Islam traite des lois de l'offre et de la demande, ni qu'il détermine l'ampleur de l'effet de leur augmentation ou de leur rétrécissement sur les prix dans le marché libre. Au lieu de cela, il traite de la garantie de la liberté dans le marché et appelle à assurer et à protéger cette liberté, ou à superviser le marché et à limiter sa liberté, selon la conception particulière de la Justice qu'il adopte.
De même, l'Islam ne traite pas de la relation et des réactions entre les intérêts et les gains, ou entre le mouvement du capital usuraire et le commerce, ni des facteurs qui conduisent à l'augmentation ou à la baisse des taux d'intérêts ; ce qui l'intéresse, c'est de rectifier les intérêts et les gains eux-mêmes, et de juger l'investissement usuraire et commercial conformément à ses conceptions de la Justice.
De même encore, l'Islam ne traite pas du phénomène de la diminution des récoltes et de ses causes, mais de la question de savoir s'il est permis, et s'il est juste, de mettre la production sous le contrôle d'un organe central suprême.
De tout ceci, nous apprenons que la fonction de la doctrine économique est de mettre au point des solutions aux problèmes de la vie économique, solutions découlant de sa pensée et de ses idéaux de la Justice. Et lorsque nous ajoutons à cette vérité le fait que les termes "licite" et "illicite" incarnent en Islam les valeurs et les idéaux auxquels il croit, il est naturel d'aboutir, à partir de là, à la certitude de l'existence d'une Economie doctrinale islamique, car la question du "licite" et de l'"illicite" en Islam s'étend à toutes les activités humaines et à toutes les sortes de conduites, la conduite du gouvernant et celle du gouverné, la conduite de l'acheteur et celle du vendeur, la conduite de l'employeur et celle du salarié, la conduite du travailleur et celle du chômeur. Chacune des unités de cette conduite est soit licite, soit illicite, et par conséquent soit juste, soit injuste, car si l'Islam émet un texte interdisant une conduite donnée, négative ou positive, cette conduite est considérée comme illicite, autrement elle est licite -tant qu'aucun texte ne vient l'interdire.
Etant donné que toutes les formes d'activités économiques sont soumises à la question du licite et de l'illicite, avec tous les idéaux et valeurs que cette question comporte, il est juste que la recherche en Islam nous incite à déduire et à déterminer la doctrine économique exprimée par la question du licite et de l'illicite, avec tout ce qu'elle comporte de valeurs, d'idéaux et de notions.
2- RELATION ENTRE LA DOCTRINE ET LA LOI
De même que nous avons vu que la doctrine économique diffère de la science économique, de même nous devons comprendre la différence entre la doctrine économique et le Code civil ; car la doctrine est une série de théories fondamentales traitant des problèmes de la vie économique, et le Code civil est la législation qui régit les détails des relations financières entre les individus, et de leurs droits personnels et réels. Partant de là, il ne sera pas possible de considérer la doctrine économique d'une société comme étant son Code civil. Ainsi, le capitalisme, par exemple, en tant que doctrine économique d'un grand nombre de pays dans le monde, ne constitue pas les lois civiles de ces pays. Aussi deux Etats capitalistes peuvent-ils avoir des législations civiles différentes conformément à la différence des tendances législatives -romaine ou germanique, par exemple-, malgré la communauté de leurs doctrines économiques, car ces législations civiles n'appartiennent pas à la doctrine capitaliste.
Ainsi, les dispositions par lesquelles le Code civil d'un Etat capitaliste régit les contrats d'échange, de vente, de loyer, de prêt, etc. ne font pas partie du capitalisme en tant que doctrine. Autrement, si ces dispositions étaient présentées comme étant le contenu capitaliste de la doctrine, ceci comporterait une équivoque et une confusion entre les théories fondamentales et les détails législatifs, entre la doctrine et la loi, en un mot entre les théories fondamentales du capitalisme, relatives à la liberté d'acquisition, la liberté d'initiative, la liberté d'investissement, d'une part, et les législations civiles sur lesquelles se fondent les principes capitalistes de la liberté d'autre part.
C'est pour cette raison qu'il serait erroné de la part d'un chercheur musulman de présenter une série de statuts islamiques -qui sont du niveau du code, dans sa conception contemporaine- et de les exposer conformément aux textes législatifs et jurisprudentiels en tant que Doctrine islamique, comme le font certains auteurs musulmans lorsque, voulant étudier la Doctrine économique en Islam, ils parlent d'une série de réglementations de l'Islam par lesquelles celui-ci régit les droits fiscaux et les statuts légaux relatifs à la vente, au loyer, à l'association, au dol, aux jeux de hasard, etc. Ces auteurs sont semblables à quelqu'un qui voudrait étudier et déterminer la doctrine économique d'une société -comme l'Angleterre, par exemple- en se contentant d'étudier le Code civil (c'est-à-dire l'ensemble des règles juridiques civiles) de cette société, au lieu de passer en revue le capitalisme et ses principes fondamentaux relatifs à la liberté de la propriété, de l'initiative, de l'investissement, ainsi que les conceptions et les valeurs que ces principes expriment.
Pour notre part, lorsque nous insistons sur la nécessité de distinguer l'entité théorique de la doctrine économique du Code civil, nous n'essayons pas de couper par là tout lien entre eux. Au contraire, nous soulignons le rapport solide qui lie la doctrine au code en tant que deux parties d'une structure théorique complète de la société. Ce qui importe, ce n'est pas seulement de se hisser au niveau de la distinction entre la doctrine économique et le Code civil ; il est indispensable aussi d'assimiler les liens qui les rattachent l'un à l'autre, en tant que deux composantes d'un seul complexe théorique.
Ainsi, la doctrine économique constitue-t-elle, avec ses théories et ses règles, la base d'une superstructure de la loi, et est-elle considérée comme un facteur important dans la détermination de son orientation générale. Et le fait que la doctrine soit une base théorique de la loi n'empêche pas de considérer la doctrine à son tour comme une superstructure d'une base sur laquelle elle se fonde. Car la superstructure complète de la société est fondée sur une vue générale, et comprend plusieurs étages qui reposent les uns sur les autres, chacun de ces étages étant considéré comme la base et le fondement de l'étage supérieur, qui repose sur lui. La doctrine et la loi sont ainsi deux étages de la structure théorique : la loi en est l'étage supérieur, qui s'adapte selon la doctrine et se détermine à la lumière des théories et des conceptions fondamentales que cette doctrine exprime.
Prenons-en un exemple explicatif, tiré de la doctrine capitaliste de l'Economie libérale et de ses relations avec les autres lois civiles aux plans théorique et réel, afin que soient clarifiés le lien entre la doctrine et la loi, et le degré de l'influence théorique et réelle des théories doctrinales sur la loi.
Ainsi, nous pouvons comprendre l'influence de la doctrine sur le Code civil, dans le domaine des droits individuels, lorsque nous apprenons que la théorie des obligations (qui est la pierre angulaire du Code civil) a puisé son contenu théorique dans la nature de la doctrine capitaliste, pendant la période où les idées capitalistes ont prédominé sur la liberté économique et où les principes de l'économie libérale ont dominé la pensée générale, ce qui eut pour conséquence l'apparition du principe de l'emprise de la volonté individuelle dans la théorie des obligations, principe qui porte le caractère doctrinal du capitalisme, puisqu'il affirme (conformément à la croyance du capitalisme à la liberté dans sa tendance individuelle) que la volonté particulière de l'individu est la source unique de toutes les obligations et de tous les droits individuels, et récuse l'idée du droit d'un individu sur un autre, ou d'une communauté sur un individu, s'il n'y a pas derrière ce droit une volonté libre par laquelle l'individu accepte librement ce droit sur lui.
Il est évident que le refus d'imposer un droit à l'individu sans son consentement volontaire n'est qu'une transposition fidèle du contenu idéologique de la doctrine capitaliste -en l'occurrence la liberté économique- du domaine économique au domaine juridique. C'est pourquoi nous remarquons que la théorie des obligations, lorsqu'elle est fondée sur une autre base doctrinale de l'Economie, diffère de ce qui vient d'être dit, et le rôle de la volonté y diminue beaucoup.
Parmi les exemples de transfert du contenu théorique de la doctrine capitaliste vers les détails législatifs, sur le plan juridique, il y a le fait que le Code civil fondé, dans son organisation, sur le capitalisme, permet dans les contrats de vente, de prêt et de loyer, de vendre par exemple d'urgence une certaine quantité de blé contre une quantité supérieure payée ultérieurement, ou de prêter de l'argent moyennant un pourcentage donné d'intérêt, et autorise le capitaliste à louer les services de travailleurs pour l'extraction du pétrole avec les moyens de production qu'il possède, et à prendre possession de ce pétrole. Lorsque la loi autorise tout ceci, elle s'inspire, en réalité, des théories capitalistes de la doctrine sur laquelle elle est fondée, pour justifier cette autorisation.
On retrouve la même chose également dans le domaine des droits réels du Code civil. Ainsi, le droit de propriété, principal droit réel, est régi par la loi conformément à l'attitude générale que la doctrine économique adopte vis-à-vis de la distribution de la richesse ; car lorsque le capitalisme doctrinal a cru à la liberté de la propriété, et qu'il a considéré la propriété comme un droit sacré, il a imposé à l'étage supérieur de la structure capitaliste l'obligation de permettre aux individus la propriété des minerais, en application de la liberté de l'appropriation, et de faire passer l'intérêt de l'individu à bénéficier de ce qu'il possède avant toute autre considération. Ainsi n'interdit-il pas à l'individu d'utiliser ses biens à sa guise -quelles qu'en soient les incidences sur autrui- tant que la propriété et la liberté sont considérés comme un droit naturel de l'individu et non pas une fonction sociale qu'il exerce dans le cadre de la communauté.
Lorsque le rôle de la liberté économique a commencé de décroître, et le concept de propriété privée à évoluer, les codes civils ont entrepris d'interdire à l'individu de s'approprier certaines richesses ou avantages naturels, et de ne pas lui permettre d'abuser de son droit d'utiliser et de jouir à sa guise de ses biens.
Tout ce qui précède met en évidence le rapport de dépendance entre le Code civil et la doctrine, et ce à tel point qu'on peut reconnaître la doctrine et ses traits originaux par l'intermédiaire du Code civil. Ainsi, la personne qui n'a pas eu l'occasion de connaître directement la doctrine économique d'un pays donné pourrait se référer à son Code civil, non pas en tant que doctrine économique, car la doctrine n'est pas le code, mais en tant que superstructure de la doctrine et l'étage supérieur qui reflète le contenu et les caractéristiques générales de la doctrine, afin de savoir facilement (à travers l'étude du Code civil de ce pays) si celui-ci est capitaliste ou socialiste, ou même de connaître le degré de croyance de ce pays au capitalisme ou au socialisme.
Récapitulation :
Nous avons traité jusqu'à maintenant de la différence entre la doctrine économique en général et la science économique, ainsi que de celle entre la doctrine économique et le Code civil, et nous avons appris par conséquent qu'il est erroné de traiter la doctrine économique en tant que science, ou en tant qu'une série de règles juridiques au niveau du Code civil -qui régit les statuts des relations sociales et autres.
Nous avons appris aussi la nature de la relation entre la doctrine et le code, laquelle relation influera fortement -comme nous le verrons dans le présent ouvrage- sur la recherche que nous y effectuons.
Maintenant, étant convenu de l'existence de la doctrine économique en Islam, après l'avoir distinguée de la science économique, et souligné la différence entre la doctrine et le code, tout en percevant le type de relations entre les deux, nous allons parler de l'opération de recherche que nous effectuons dans le présent ouvrage, concernant l'Economie islamique, déterminer son type et ses aspects principaux, expliquer notre méthode, à la lumière des renseignements précédents sur la doctrine en général et sur sa distinction de la science et de la loi, ainsi qu'à la lumière du type de relations qui lient le Code civil à la doctrine.
3- OPERATION DE DECOUVERTE ET OPERATION DE FORMATION
L'opération que nous effectuons dans notre étude de la Doctrine économique islamique diffère de la nature du travail qu'ont effectué les autres pionniers en matière doctrinale. Car le chercheur islamique sent, dès le début, la différence essentielle entre son attitude face à la mission dont il essaie de s'acquitter, et celle de n'importe quel autre chercheur doctrinal parmi ceux qui ont déjà effectué une opération de recherche doctrinale en Economie et formulé des doctrines économiques déterminées, telles que le capitalisme et le socialisme.
C'est cette différence essentielle qui détermine pour chacune des deux recherches, l'islamique et la non islamique, les aspects de la voie, et le type de l'opération que la recherche doit effectuer, ainsi que ses traits caractéristiques comme nous allons le voir.
En effet, le penseur islamique se trouve devant une Economie accomplie, déjà mise au point, et il est appelé à en mettre en évidence le visage authentique, à en définir la structure générale, à en découvrir les bases idéologiques, à en souligner les traits originels, à en enlever la poussière de l'Histoire, et à triompher autant que possible de la densité accumulée du temps, des longues distances historiques, et des inspirations des expériences déviées qui ont, même nominalement, exercé l'opération de l'application de l'Islam, et enfin à se débarrasser des cadres culturels non islamiques qui dirigent la compréhension des choses selon leur propre tendance et leur propre nature idéologique.
La mission du penseur islamique est donc de s'efforcer de triompher de toutes ces difficultés, et de les dépasser, pour arriver à une Economie islamique doctrinale.
C'est pour cela qu'on peut dire que l'opération de recherche que nous effectuons est une opération de découverte, et ceci contrairement aux penseurs doctrinaux ayant formulé leurs doctrines capitalistes et socialistes, et qui effectuent l'opération de formation et de création de la doctrine.
Chacune de ces deux opérations, celle de la découverte comme celle de la formation, a ses particularités et ses traits distinctifs, qui se reflètent sur la recherche doctrinale qu'effectuent les découvreurs islamiques et les créateurs capitalistes et communistes.
Le plus important de ces particularités et traits distinctifs est la détermination du point de départ de l'opération et son cheminement.
Dans l'opération de formation de la doctrine économique, et lorsqu'on veut édifier une structure théorique complète de la société, l'idée prend son développement et son cheminement naturels, et conduit à l'exercice direct de la mise au point des théories générales de la doctrine économique, théories dont elle fait la base de recherches secondaires et de superstructures de lois qui reposent sur la doctrine, tout comme le Code civil dont nous avons déjà signalé la dépendance par rapport à la doctrine sur laquelle il se fonde. Ainsi, la gradation dans l'opération de la formation de la structure est-elle une gradation naturelle des racines aux branchages, de la base à la superstructure, ou en d'autres termes, de l'étage avancé de la structure théorique générale de la société à un étage supérieur.
En revanche, dans l'opération de la découverte de la doctrine économique, le cheminement pourrait être en sens opposé et le point de départ pourrait différer. Car lorsqu'il s'agit de découvrir une doctrine économique dont nous n'avons pas une idée claire (de toute la doctrine ou de certains de ses aspects), et dont les promoteurs n'ont pas émis une formule précise (par exemple lorsque nous ne savons pas si la doctrine croit au principe de la propriété générale ou à celui de la propriété privée, ou lorsque nous ne savons pas quelle est la base théorique de la propriété privée dans la doctrine : le besoin, le travail ou la liberté) il faut chercher une autre méthode pour découvrir la doctrine ou ses aspects obscurs, étant donné l'absence d'un texte - des fondateurs de la doctrine à découvrir- susceptible de dissiper l'obscurité qui l'imprègne.
Cette méthode, nous pouvons la déterminer à la lumière de la relation de dépendance entre la doctrine et la loi, relation que nous avons expliquée précédemment. Car tant que le Code civil reste un étage supérieur par rapport à la doctrine sur laquelle il repose et dans laquelle il puise ses orientations, il est possible de découvrir la doctrine par le code -si nous connaissons le code qui se fonde sur cette doctrine inconnue. Ainsi, il devient obligatoire pour l'opération de la découverte, de chercher les rayonnements de la doctrine dans le domaine extérieur, c'est-à-dire ses superstructures et ses traces qui se dégagent de ces superstructures dans les divers domaines, afin de parvenir -à travers ces rayonnements et ces traces- à évaluer avec précision la qualité des idées et des théories dans la doctrine qui se cache derrière ces apparences.
C'est pourquoi l'opération de la découverte doit suivre une voie opposée à celle suivie par l'opération de la formation : elle commence par la superstructure et progresse vers la base, elle débute par le rassemblement et la coordination des traces, pour aboutir à une image précise de la doctrine, au lieu de commencer par la mise au point de la doctrine pour déboucher sur la ramification des traces.
C'est exactement notre attitude, dans l'opération de découverte que nous effectuons, vis-à-vis de l'Economie islamique - ou plus exactement d'une grande partie de cette Economie, car certains aspects de la Doctrine économique en Islam peuvent être déduits directement des textes- car il est difficile d'obtenir directement à partir des textes certaines autres théories et pensées essentielles qui composent la Doctrine économique, et il nous faut les saisir indirectement, c'est-à-dire à partir des briques supérieures de la citadelle islamique, et à la lueur des statuts par lesquels l'Islam a organisé les contrats et les droits.
Si nous partons de l'étage supérieur vers l'étage inférieur, c'est parce que nous effectuons une opération de découverte. En revanche, ceux qui effectuent une opération de formation, et qui essaient d'édifier une structure -et non pas de la découvrir-, montent du premier vers le second étage, car ils procèdent là à une opération de construction et de formation ; et ce second étage ne vient que postérieurement dans cette opération.
Ainsi différons-nous dans notre attitude, dès le départ, des pionniers doctrinaux capitalistes et socialistes. Bien plus, nous différons même de ceux qui étudient les doctrines capitalistes et socialistes dans une intention de découverte et de détermination; car ces derniers peuvent étudier lesdites doctrines par un contact direct avec elles et conformément aux formules générales que les pionniers de ces doctrines avaient énoncées. Pour connaître la doctrine économique d'Adam Smith par exemple, on n'a pas forcément besoin d'étudier ses idées juridiques dans le domaine civil, ni de savoir quelle méthode il préfère dans l'organisation des engagements et des droits. Nous pouvons, dès le départ, nous enfoncer dans sa pensée doctrinale dans le domaine économique. Tout au contraire, lorsque nous voulons connaître une bonne partie du contenu de la Doctrine économique à laquelle croit l'Islam, nous sommes obligés naturellement de suivre des traces et de découvrir la Doctrine indirectement, par l'intermédiaire de ses aspects réfléchis dans les briques supérieures de la citadelle islamique, étant donné que nous ne pouvons en trouver une formule précise dans les sources de l'Islam de la même façon que nous l'avons trouvée chez Adam Smith.
C'est cela qui fait que l'opération de la découverte qu'effectue le penseur islamique paraît parfois renversée, ou pis semble ne pas pouvoir distinguer la Doctrine et la Loi lorsqu'elle expose des statuts islamiques au niveau du Code civil, alors qu'elle vise à étudier la Doctrine économique en Islam. Mais, en réalité, sa démarche est tout à fait pertinente, étant donné qu'elle expose ces statuts en leur qualité de superstructure de la Doctrine, capable de faire découvrir celle-ci, et non pas en tant que doctrine économique ou théories économiques.
4- LE SYSTEME FISCAL COMME LE CODE CIVIL
Il est nécessaire, à ce propos, d'ajouter au Code civil le système fiscal, en tant que l'une des superstructures de la Doctrine économique qui reflètent les traits de celle-ci et s'adaptent selon les circonstances. De même que, dans l'opération de la découverte, il est possible de profiter des rayonnements de la doctrine reflétées sur le Code civil, il est de même possible de mettre à profit des rayonnements doctrinaux similaires dans le système fiscal.
Si nous cherchons un exemple de cette influence de la doctrine économique sur le système fiscal en tant que superstructure de la doctrine, nous pouvons le trouver dans le lien de la doctrine capitaliste avec la fiscalité générale, tout comme nous l'avons fait précédemment pour comprendre le lien entre la doctrine et le code à travers la détermination du lien de cette doctrine avec le code. L'une des facettes du lien entre le capitalisme et la fiscalité générale est l'influence de la doctrine sur l'idée du domaine(31). En effet, le domaine est considéré, dans la fiscalité, comme l'une des sources principales de revenus de l'Etat. Toutefois, l'idée de domaine s'est réduite, l'aire des projets que possède l'Etat s'est rétrécie, et ces projets ont failli disparaître du système fiscal sous l'influence du principe de la liberté économique, lorsque la doctrine capitaliste a prédominé et qu'a prévalu la pensée doctrinale du capitalisme -dont l'une des exigences était que pour préserver la liberté économique des individus l'Etat ne devait intervenir dans l'activité productrice que dans les limites étroites où cette activité prévalait. Il était naturel, par conséquent, que l'Etat capitaliste compte, pour sa fiscalité générale, sur l'impôt et sur d'autres sources similaires de revenus. Puis le domaine a repris sa place comme source importante de revenus, et son aire s'est élargie après l'apparition des tendances socialistes à la nationalisation et après l'ébranlement du principe de la liberté individuelle dans la pensée économique générale.
Une autre manifestation du lien entre la doctrine et la fiscalité générale est le fait que la fonction des revenus de l'Etat diffère selon le type des idées économiques doctrinales dont il a subi l'influence. Ainsi, pendant l'époque où la doctrine capitaliste a régné par ses idées sur la liberté, la fonction essentielle des revenus était de couvrir les dépenses de l'Etat en tant qu'instrument de protection de la sécurité et de la défense du pays. Lorsque les idées socialistes ont commencé à faire irruption dans l'échelle doctrinale, les revenus ont reçu une autre mission, plus large, celle de corriger la mauvaise distribution, de rapprocher les unes des autres les classes, et d'instaurer la justice sociale conformément aux nouvelles idées doctrinales. L'Etat ne se contentait plus des revenus ou des impôts suffisants pour couvrir ses dépenses, en tant qu'instrument, mais les a étendus autant que sa nouvelle mission l'imposait.
Ces manifestations prouvent l'adaptation de la fiscalité générale de la société à sa base doctrinale, tout comme s'y adapte le Code civil, et c'est ce qui en fait un fonds pour l'opération de la découverte, sous forme d'un étage supérieur par lequel le chercheur contrôle l'étage inférieur, c'est-à-dire la doctrine économique.
A la lumière de ce qui précède, il devient nécessaire d'inclure plusieurs statuts et règles juridiques de l'Islam, considérés comme superstructures de la Doctrine, dans le cadre de l'opération de la découverte de ladite Doctrine, bien que ces statuts et règles juridiques ne fassent pas tous partie du fond de la Doctrine elle-même.
C'est pourquoi la recherche que nous effectuons dans le présent ouvrage réserve une grande place à un bon nombre de statuts de l'Islam, relatifs aux relations sociales et aux droits qui régissent les rapports pécuniaires entre les individus. Elle réserve également une place à certains statuts de la Législation relatifs à l'organisation des relations fiscales entre l'Etat et la Ummah, et à la détermination des revenus de l'Etat et de sa politique en ce qui concerne l'emploi de ces revenus. Car le présent ouvrage ne se propose pas seulement d'exposer la Doctrine économique, mais s'efforce aussi d'effectuer l'opération de la découverte de cette Doctrine, et de déterminer la méthode, les modalités, le contenu et les conséquences de cette opération.
C'est pour cette raison également que nous allons sélectionner et harmoniser, parmi les statuts de l'Islam relatifs aux droits et à la fiscalité, ce qui peut constituer une superstructure de la Doctrine et qui peut éclairer celle-ci pendant l'opération de la découverte. Quant aux statuts qui ne contribuent pas à cet éclairage, ils seront exclus du cadre de la recherche.
Prenons comme exemples l'intérêt usuraire, la fraude, l'impôt d'équilibre, l'impôt de Jihâd. L'Islam a prohibé l'intérêt usuraire dans les transactions tout comme il a prohibé la fraude, mais la prohibition de l'intérêt usuraire et l'interdiction du prêt à intérêts contribuent à l'opération de la découverte, car elles font partie d'une superstructure de la théorie de la richesse produite, et découvrent la base générale de la distribution en Islam, comme nous le verrons dans la recherche sur la distribution de la post-production. Quant à la prohibition de la fraude, elle n'a pas de cadre doctrinal ; aussi les lois de tous les pays s'y accordent-elles, malgré les différences de leurs doctrines économiques.
Il en va de même en ce qui concerne les impôts d'équilibre et de Jihâd. En effet, l'impôt qu'institue l'Islam pour préserver l'équilibre -comme la Zakât, par exemple- entre dans le cadre de l'opération de la découverte, ce qui n'est pas le cas pour l'impôt de Jihâd, prescrit pour financer l'armée des Mujahidîn(32), car ce dernier impôt a trait au rôle de l'Appel(33)
dans l'Etat islamique, non pas à la Doctrine économique
en Islam.
6- L'OPERATION DE COMBINAISON ENTRE LES STATUTS
Lorsque nous abordons une série de statuts islamiques qui organisent les relations sociales et déterminent les droits et les obligations, pour les dépasser vers ce qui est plus profond, à savoir les fondements essentiels qui constituent la Doctrine économique en Islam, nous ne devons pas nous contenter d'exposer ou d'examiner chacun de ces statuts de façon séparée ou indépendante des autres statuts. Une telle méthode d'isolement et d'individualisation dans la recherche effectuée sur chacun de ces statuts est adaptée à une recherche sur les statuts de la Charî'ah -au niveau du Code civil- car un tel niveau permet d'exposer individuellement et indépendamment les uns des autres les statuts, étant donné que l'étude des statuts de la Charî'ah au niveau du Code civil ne dépasse pas les domaines accessoires de ces statuts, et se borne à exposer les statuts islamiques qui organisent les contrats de vente, de loyer, de prêt, d'association, par exemple, sans dépasser ce stade pour une opération de combinaison entre ces statuts, aboutissant à une règle générale. En revanche, lorsque nous étudions et exposons ces statuts dans le cadre de l'opération de la découverte de la Doctrine, il ne suffit plus d'exposer individuellement les statuts pour découvrir la Doctrine - ien que les recherches de nombreux Musulmans s'en contentent- mais il nous faut réaliser l'opération de combinaison entre ces unités, c'est-à-dire étudier chacune d'elles en tant que partie d'un tout, et un aspect d'une formule générale bien soudée pour aboutir à la découverte d'une règle générale qui rayonne de l'ensemble ou à travers le complexe combiné, et qui soit capable de l'expliquer et de le justifier. Avec la méthode d'isolation et de vision individuelle, nous ne pourrons pas parvenir à une telle découverte.
Ainsi, l'abolition de l'intérêt du capital dans le contrat
de prêt, l'autorisation du gain résultant du loyer d'un moyen
de production dans un contrat de louage, l'interdiction faite à
l'employeur de s'approprier, à la suite d'un contrat de louage,
la matière naturelle qu'acquiert son salarié, tout ceci constitue
des statuts qu'il faut étudier -après avoir vérifié
leur conformité à la Charî'ah- d'une façon liée,
et qu'il faut combiner, et ce afin de pouvoir en déduire la règle
islamique de la distribution de la richesse produite, laquelle fait distinguer
l'attitude islamique envers la distribution de celle de la doctrine socialiste
- qui fait reposer la distribution de la richesse produite sur la base
du travail seulement- et de celle de la doctrine capitaliste -qui fonde
sa distribution sur les éléments communs matériels
et humains- de la formation de la richesse produite.
7- LES CONCEPTS QUI CONTRIBUENT A L'OPERATION
Nous pouvons placer au rang des statuts entrant dans l'opération de la découverte les notions qui constituent une partie importante de la culture islamique.
Par concept, nous entendons toute opinion ou toute conception islamique expliquant une réalité cosmique, sociale ou législative. Ainsi, la croyance selon laquelle l'univers est lié et attaché à Allah -Qu'IL soit Exalté- est l'expression d'une conception islamique déterminée de l'univers(34). De même, la croyance selon laquelle la société humaine a traversé une phase de nature innée et d'instinct avant d'arriver à la phase où règnent la raison et la réflexion est l'expression d'un concept islamique de la société(35). La croyance selon laquelle la propriété n'est pas un droit individuel, mais une opération de délégation (gérance), reflète un concept islamique spécifique d'une législation donnée, à savoir la propriété d'un bien ; car selon la conception islamique, le bien appartient tout entier à Allah, Qui délègue parfois les individus pour s'en occuper. En langage juridique, cette délégation est appelée propriété.
Les concepts sont donc des points de vue islamiques concernant l'interprétation de l'univers et de ses phénomènes, la société et les relations qui s'établissent en son sein, ou n'importe quel statut promulgué. C'est pourquoi ils ne comprennent pas directement des statuts. Toutefois, une partie d'entre eux nous est utile dans notre tentative de connaître la Doctrine économique en Islam : il s'agit de cette partie des concepts islamiques qui sont relatifs à la vie économique et à ses phénomènes, ou aux statuts islamiques qui sont promulgués à son égard.
Pour éclairer d'une façon générale le rôle que peut jouer cette partie des statuts dans la détermination des aspects de la Doctrine économique en Islam, nous devons anticiper sur les résultats qu'enregistreront certains des prochains chapitres et en emprunter deux concepts islamiques qui entrent dans l'opération de découverte de la Doctrine que nous effectuons dans le présent ouvrage.
L'un de ces deux concepts est le concept islamique de la propriété, selon lequel Allah -Qu'IL soit Exalté- a mandaté la communauté pour gérer les biens et les richesses de la nature, et a fait de la réglementation de la propriété privée un moyen dans le cadre duquel l'individu réalise les exigences de ce mandat, telles que l'exploitation et la protection des biens, et leur dépense dans l'intérêt de l'homme, étant entendu que la possession est une opération que l'individu exerce pour le compte de la communauté, et pour son propre compte dans le cadre de la communauté.
L'autre concept que nous empruntons aux chapitres à venir est l'avis de l'Islam sur la circulation en tant qu'un phénomène important parmi les phénomènes de la vie économique. L'Islam considère que la circulation constitue, de par sa nature originelle, une branche de la production ; car lorsque le commerçant vend les produits d'autrui, il participe dans la production, étant donné que la production est toujours une production d'utilité et non pas de matière, celle-ci ne pouvant pas être recréée. Donc, en apportant le nouvel article produit et en le mettant en circulation à la disposition des consommateurs, il réalise une nouvelle utilité. Mieux, sans cette mise en circulation -faite par le commerçant- l'article serait sans utilité pour les consommateurs. Toute tendance dans la circulation écartant celle-ci de sa réalité originelle et en faisant ainsi une opération parasitaire visant uniquement à l'enrichissement et aboutissant à l'allongement de la distance entre l'article et le consommateur... est une tendance anormale et différente de la fonction naturelle de la circulation.
Ajournons l'explication détaillée du fondement islamique de ces deux concepts -que nous étudierons de manière exhaustive dans le chapitre qui leur est consacré dans le présent ouvrage, et contentons-nous de ce bref exposé qu'il nous fallait faire pour éclairer le rôle des concepts dans l'opération, au risque de nous répéter parfois.
A la lumière de ces deux modèles de concepts islamiques, nous pouvons comprendre et déterminer le rôle que peuvent jouer de tels concepts à l'échelle de recherches et dans l'opération de la découverte.
Il y a des concepts qui jouent le rôle d'éclaircissement de certains statuts, aident à leur compréhension à partir des Textes canoniques les concernant, et à franchir les barrières qui feraient obstacle à cette compréhension. Ainsi, le premier concept que nous venons de mentionner, relatif à la propriété privée, prépare la mentalité islamique et la rend apte à percevoir les Textes canoniques limitant le pouvoir du propriétaire selon les exigences de l'intérêt général de la communauté. Car, selon ledit concept, la propriété est une fonction sociale attribuée par le Législateur à l'individu pour qu'il participe à la charge de gérance qu'Allah a attribuée à l'homme sur cette terre, et non pas un droit personnel n'admettant ni restriction ni exception, et il est donc naturel que la propriété soit soumise aux exigences de cette gérance. Dès lors, il est facile, à la lumière des stipulations de cette conception, d'accepter les textes limitant le pouvoir du propriétaire et autorisant même dans certains cas le recours à l'expropriation, tels que les textes islamiques relatifs à la terre et stipulant que si le propriétaire d'une terre n'exploite pas celle-ci et n'en prend pas soin -conformément aux exigences de la gérance- il sera déchu de son droit sur elle et exproprié, et qu'elle sera donnée à un tiers.
Nombreux sont ceux qui ont hésité à suivre ces textes parce que, selon eux, ils vont à l'encontre de l'intangibilité du caractère sacré de la propriété. Or il est évident que s'ils considéraient ces textes avec la vision du concept islamique de la propriété, ils n'auraient pas de difficultés à les adopter et à en comprendre l'idée et l'esprit.
Ainsi, nous savons que les concepts islamiques dans le domaine économique constituent un cadre idéologique qu'il est nécessaire d'adapter afin que les textes législatifs de l'Islam s'y cristallisent complètement et qu'ils deviennent facilement compréhensibles.
Nous remarquons que certains de ces textes législatifs en ont tenu compte et ont présenté la conception ou le cadre pour en faire le prélude à la présentation du statut canonique. En effet, il est dit dans un hadith relatif à la terre et à son appropriation par l'homme :
«La terre est à Allah -Qu'IL soit Exalté- ; Il l'a léguée à Ses serviteurs. Quiconque d'entre eux cesse d'exploiter une terre pendant trois années consécutives sans raison valable en sera dessaisi, et la terre sera confiée à un autre.»
Ici, nous remarquons que le hadith a recouru à un concept déterminé de la propriété de la terre et du rôle de l'individu dans cette propriété, pour expliquer le statut de l'expropriation de la terre et la justification de cette expropriation.
Certains concepts islamiques tendent à former une base sur laquelle se fonde le "comblement du vide juridique" dont se charge, de droit, le Tuteur. Par exemple, le concept islamique de la circulation, que nous avons exposé précédemment, peut justement devenir le fondement de l'utilisation par l'Etat de ses pouvoirs dans les domaines de l'organisation de la circulation, ce qui lui permet d'interdire -dans les limites de ces pouvoirs- toute tentative susceptible d'éloigner la circulation de la production et d'en faire une opération de prolongation de la distance entre le consommateur et l'article produit, au lieu d'être une opération de préparation de l'article et de son acheminement vers le consommateur.
Les concepts islamiques jouent donc le rôle de projection de lumière sur les textes législatifs généraux, ou le rôle d'alimentation de l'Etat en réglementations économiques qui doivent remplir la zone de vide juridique.
8- LA ZONE DE VIDE [JURIDIQUE] DANS LA LEGISLATION ECONOMIQUE
Puisque nous évoquons ici la zone de vide dans la Législation économique, nous devons lui accorder une grande importance dans l'opération de la découverte de la Doctrine économique, étant donné qu'elle représente un aspect important de la Doctrine économique en Islam. Car la Doctrine économique en Islam comporte deux aspects : le premier a été rempli par l'Islam d'une façon accomplie n'admettant aucun changement ni aucun remplacement ; le second constitue la zone de vide (dans la Doctrine) dont la mission de le remplir est confiée par l'Islam à l'Etat (ou au Tuteur), lequel doit le remplir selon les exigences et les nécessités des buts généraux de l'Economie islamique à chaque époque.
Lorsque nous parlons de "zone de vide juridique", nous faisons allusion à la Charî'ah islamique et à ses textes juridiques, et non pas à la réalité appliquée de l'Islam que la Ummah a vécue à l'époque du Saint Prophète (Ç) ; car celui-ci a rempli ce vide conformément aux buts de la Charî'ah dans le domaine économique, à la lumière des circonstances dans lesquelles vivait la société islamique. Mais en effectuant l'opération du remplissage du vide, il ne l'a pas fait en sa qualité de Prophète communiquant la Législation Divine, immuable partout et à toutes les époques, en sorte que ce remplissage particulier du vide juridique par la conduite du Saint Prophète (Ç) aurait été l'expression d'une formule législative immuable, mais il l'a rempli en sa qualité de Tuteur, chargé par la Charî'ah de remplir la zone du vide selon les circonstances.
Ce qui précède nous amène aux considérations suivantes :
1- L'appréciation de la Doctrine économique en Islam ne peut se faire sans l'inclusion de la zone de vide juridique dans la recherche (sur cette appréciation), et sans l'estimation des possibilités de ce vide, et sans savoir combien l'opération de son remplissage peut contribuer -avec la zone initialement remplie par la Charî'ah- à la réalisation des buts de l'Economie islamique.
Si nous négligions la zone de vide juridique et son rôle important, cela reviendrait à fragmenter les possibilités de l'Economie islamique et à insister sur ses éléments immuables en en excluant les éléments variables.
2- Les règles juridiques par lesquelles le Saint Prophète (Ç) a rempli, en sa qualité de Tuteur, la zone de vide de la Doctrine, ne sont pas des statuts de nature fixe, car le Saint Prophète (Ç) ne les avait pas promulgués en sa qualité de "Communicateur" des statuts généraux fixes, mais en tant que Gouvernant et Tuteur des Musulmans. Ils ne constituent donc pas une partie fixe de la Doctrine économique en Islam, mais jettent, dans une large mesure, la lumière sur l'opération du remplissage du vide que l'on doit effectuer à chaque époque selon les circonstances, et facilitent la compréhension des buts essentiels que visait le Saint Prophète (Ç) dans sa politique économique ; ce qui aide toujours à remplir la zone du vide juridique à la lumière de ces buts.
3- C'est pourquoi la Doctrine économique en Islam est complètement liée au régime politique sur le plan de l'application. Par conséquent, s'il n'y a pas un gouvernant ou un appareil gouvernant jouissant des mêmes pouvoirs que ceux dont jouissait le Saint Prophète (Ç) en sa qualité de Gouvernant (et non pas de Prophète), il ne sera pas possible de remplir la zone de vide dans l'Economie islamique conformément aux exigences des buts islamiques et selon les circonstances. Et, par conséquent, il deviendra impossible d'appliquer la Doctrine économique complètement et de façon à pouvoir récolter ses fruits et réaliser ses buts.
Etant donné que le présent ouvrage traite de la Doctrine économique, il n'a évidemment pas à s'occuper du régime politique en Islam, ni du type de la personne ou de l'appareil qui peut légalement succéder à la Tutelle ou dans les pouvoirs du Saint Prophète (Ç) en sa qualité de Gouvernant, ni des conditions que doit remplir cette personne ou cet appareil. Tous ces détails sont hors de notre propos. Aussi supposerons-nous dans les recherches du présent ouvrage l'existence d'un Gouvernant légal, que l'Islam autorise à se charger des pouvoirs du Saint Prophète (Ç) en sa qualité de Gouvernant, et emploierons-nous cette supposition pour faciliter notre discussion sur la Doctrine économique et sa zone de vide juridique, et pour brosser un portrait des buts et des fruits qu'elle peut réaliser.
Quant à savoir :
- Pourquoi la zone de vide juridique dans la Doctrine économique islamique a-t-elle été laissée ainsi, sans être remplie initialement par des statuts fixes ?
- Quelle est l'idée qui justifie l'existence de cette zone dans la Doctrine, et le fait que la charge de son remplissage ait été laissée au Gouvernant ?
- Et quelles sont par conséquent les limites de la zone de vide juridique, à la lumière des arguments de la jurisprudence islamique ?
nous répondrons à toutes ces interrogations dans les recherches à venir.
9- L'OPERATION DE L'IJTIHÂD(36) ET LA SUBJECTIVITE
Nous avons appris jusqu'à présent que le bagage dont nous disposons pour mener à bien l'opération de découverte de la Doctrine économique en Islam est constitué de statuts et de concepts. Il est temps maintenant de dire quelques mots sur la méthode par laquelle nous accédons à ces statuts et concepts, et sur les risques qu'elle comporte. Car si c'est par l'intermédiaire des statuts et des concepts que nous entendons découvrir la Doctrine économique, il est naturel de nous demander comment nous pourrons parvenir tout d'abord à ces statuts et concepts eux-mêmes.
La réponse à cette interrogation est que nous rencontrons ces statuts et concepts face à face et d'une façon directe dans les textes islamiques qui comprennent la Législation ou un point de vue islamique déterminé.
Ainsi, il nous suffit de passer en revue les textes du Saint Coran et de la Sunnah(37) à cet égard pour rassembler le nombre suffisant de statuts et de concepts qui finiront par nous conduire aux théories doctrinales générales.
Toutefois le problème ne consiste pas seulement à rassembler des textes, car ceux-ci ne laissent pas voir, le plus souvent, leur contenu législatif ou conceptuel -le statut ou le concept- d'une façon nette et précise et de manière à ce qu'il ne subsiste de doute sur aucun des aspects de ce contenu. Au contraire, très souvent le contenu se trouve éclipsé, ou les contenus paraissent différents et discordants, auxquels cas la compréhension du texte et la découverte du contenu précis parmi l'ensemble des textes qui traitent de ce contenu deviennent une opération complexe d'ijtihâd, et ne sont guère d'une compréhension facile.
Nous ne voulons pas souligner ici la nature de cette opération, ses fondements, ses règles et ses méthodes jurisprudentielles, car cela est hors de notre propos, mais nous voulons seulement montrer une vérité sur la Doctrine économique et mettre en garde contre un risque qui pourrait se produire au cours de l'opération de la découverte.
Cette vérité est que l'image que nous concevons de la Doctrine économique étant dépendante des statuts et des concepts, elle est le reflet d'un ijtihâd donné, car ces statuts et concepts dont dépend l'image sont le résultat d'un ijtihâd particulier dans la compréhension de textes et la méthode pour les coordonner et les réunir.Et étant donné que l'image que nous concevons de la Doctrine économique résulte d'un point de vue "ijtihâdite", elle n'est pas forcément l'image vraie, l'erreur dans l'ijtihâd étant possible. C'est pourquoi il devient possible que des penseurs islamiques différents présentent des thèses différentes de la Doctrine économique en Islam, suivant la différence de leurs ijtihâd ; ce qui n'empêche pas toutes ces images (thèses) d'être des images islamiques de la Doctrine économique, puisqu'elles expriment une opération de l'ijtihâd que l'Islam a admise et autorisée, et à laquelle il a fixé des méthodes et des règles. Ainsi, l'image est considérée comme islamique tant qu'elle aura été le résultat d'un ijtihâd légalement permis, abstraction faite de sa conformité ou non à la réalité de la Doctrine économique en Islam.
Telle est cette vérité. Quant au danger qui entoure l'opération de la découverte -fondée sur l'ijtihâd dans la compréhension des statuts et des concepts des textes- c'est l'élément subjectif, et le glissement vers la subjectivité de l'opération de l'ijtihâd ; car plus l'opération de la découverte est objective - et plus elle s'écarte d'un apport subjectif- plus elle sera précise et mieux elle aura réussi à atteindre son but. En revanche, si le praticien(38)
ajoute, à travers l'opération de la découverte et de la compréhension des textes, quelque chose de personnel, et participe au résultat, la recherche perd de sa fidélité objective et de son véritable caractère de découverte.
Ce danger grandit et s'aggrave lorsque de grandes distances historiques et réalistes(39) séparent le praticien des textes qu'il traite, et que ces textes concernent des problèmes tout à fait différents -dans la façon de les traiter- de la réalité dans laquelle vit le praticien, tels les textes législatifs et conceptuels rattachés aux aspects sociaux de la vie humaine. C'est pour cela que le danger de la subjectivité sur l'opération de la découverte de l'Economie islamique est plus grand que son danger sur l'opération de l'ijtihâd dans d'autres statuts individuels, tels que le statut de la pureté rituelle de l'urine d'oiseau, ou celui de l'interdiction de pleurer pendant la Prière, ou celui de l'obligation du repentir pour le pécheur.
Et c'est à cause de l'accroissement du danger de la subjectivité dans l'opération que le praticien effectue qu'il nous fallait mettre en évidence ce point, et déterminer les sources de ce danger. Nous pouvons, à cet égard, mentionner les quatre causes suivantes comme étant les plus importantes des sources du danger de la subjectivité :
1- La justification de la réalité ;
2- La fusion du texte dans un cadre spécifique ;
3- Le dépouillement de la preuve légale de ses circonstances et conditions ;
4- L'adoption d'une attitude spécifique d'une façon préalable, vis-à-vis du texte.
La justification de la réalité
L'opération de justification de la réalité est la tentative, volontaire ou involontaire, du praticien de développer le texte et de le comprendre d'une façon particulière qui justifie la réalité corrompue dans laquelle il vit, le praticien considérant cette justification comme un fait nécessaire inévitable. C'est ce qu'ont fait certains penseurs musulmans qui, soumis à la réalité sociale qu'ils vivaient, ont essayé d'adapter le texte à la réalité au lieu de penser à adapter la réalité au texte. Il en est résulté que les preuves de l'interdiction de l'usure et de l'intérêt ont été interprétées de façon à suivre la réalité corrompue, à savoir que l'Islam autoriserait l'intérêt s'il n'est pas excessif, et qu'il l'interdirait seulement lorsqu'il atteint une somme exorbitante, dépassant les limites du raisonnable, comme l'indiquerait ce Verset coranique :
«O vous qui croyez ! Ne vivez pas de l'usure produisant plusieurs fois le double. Craignez Allah ! Peut-être serez-vous heureux.»(40)
Les limites du raisonnable sont ici celles auxquelles ces penseurs se sont habitués dans sa réalité tirée de leur vie et de leur société. En fait, cette réalité les a empêchés justement de percevoir le motif de ce Noble Verset, qui ne vise pas à autoriser l'intérêt qui ne multiplie pas le prêt, mais veut seulement montrer les extrêmes auxquels l'usure pourrait aboutir lorsque le débiteur serait accablé par plusieurs fois le double de ce qu'il a emprunté, en raison de l'accumulation de l'usure et de l'accroissement anormal et continuel du capital usuraire, accompagnés de l'aggravation de la misère du débiteur, et son effondrement à la fin.
Si ces penseurs voulaient s'en tenir strictement au Saint Coran, loin des suggestions et des déductions de la réalité vécue, ils auraient lu cette Parole d'Allah :
«Si vous vous repentez, votre capital vous restera. Ne lésez personne et vous ne serez pas lésés.»(41)
Ils auraient compris qu'il ne s'agit pas d'une guerre d'un type particulier contre l'usure "jahilite"(42) qui multipliait plusieurs fois la dette, mais d'une Doctrine économique qui a une vision particulière du capital, vision qui détermine les justifications de son développement et qui condamne en lui tout surplus -si infime soit-il- dans ces justifications et ce conformément au principe de l'obligation faite au prêteur de se contenter de récupérer la totalité de son capital, sans léser ni être lésé.
La fusion du texte dans un cadre particulier
Quant à l'opération de fusion du texte dans un cadre particulier, elle consiste à étudier le texte dans un cadre idéologique non islamique. Ce cadre peut, ou non, être issu de la réalité vécue. Le praticien essaie donc de comprendre le texte dans ce cadre particulier. S'il le trouve non concordant avec son cadre idéologique, il le néglige et passe à d'autres textes qui concordent avec ce cadre ou tout au moins qui ne se heurtent pas à lui.
Nous avons vu précédemment comment des textes qui limitent le pouvoir du propriétaire et autorisent parfois sa dépossession de sa terre, ont été négligés, et comment d'autres textes leur ont été préférés, tout simplement parce que les premiers de ces textes ne concordaient pas avec le cadre idéologique qui exalte à tel point la consécration de la propriété privée qu'il la place au-dessus de toute autre considération.
Commentant le texte qui stipule que "si la terre n'est pas mise en valeur par son propriétaire, le Tuteur l'en dépossède et l'exploite au profit de la Ummah", un faqîh a dit : «Il faudrait plutôt négliger de suivre ce récit, car il contredit les fondements et les arguments rationnels.»
Par "arguments rationnels", il entend les idées qui affirment le "caractère sacré" de la propriété. Or le "caractère sacré de la propriété" et le degré de sacralité de ce caractère doivent être tirés de la Charî'ah. Mais si ces idées jugent a priori et de façon à pouvoir décider à leur guise la compréhension du texte législatif, cela s'appelle déduction dans un cadre idéologique emprunté. Autrement, quel argument rationnel peut-on tirer du caractère si sacré de la propriété qu'il interdit de suivre le texte législatif précité ? La propriété privée est-elle autre chose qu'une relation dans le cadre de la société entre l'individu et un bien ? Or cette relation est une supposition et un axiome que la société ou tout autre législateur instituent pour réaliser un but déterminé, et elle n'entre pas, par conséquent, dans le cadre d'une recherche rationnelle abstraite ou rationnelle empirique.
Souvent, nous remarquons que certains praticiens soutiennent dans de tels domaines l'interdiction de déposséder un propriétaire de son bien, en arguant par exemple que l'usurpation est détestable rationnellement. Or c'est là une induction stérile, car l'usurpation est une dépossession illicite d'un bien. Mais c'est la Charî'ah qui détermine si une telle dépossession est ou non licite, et c'est d'elle que nous devons l'apprendre, sans lui imposer une idée a priori. Si elle décide que la dépossession est illicite, ce sera donc une usurpation ; mais si elle impose à une personne une telle dépossession, celle-ci ne sera pas une usurpation, ni par conséquent détestable.
Voulant inférer du statut juridique de la propriété privée de la terre, un autre faqîh a écrit : «Le besoin incite à cela [la réglementation de la propriété privée de la terre] et la nécessité s'y fait fortement sentir, car l'homme n'est pas comme les bêtes. Il est citadin par tempérament, il lui faut une maison dans laquelle il se réfugie, une place qui lui soit propre. Si donc [la propriété privée... ] n'avait pas été instituée, cela aurait causé une grande gêne, et même plus, aurait équivalu à exiger l'insupportable.»
Certes nous reconnaissons l'existence de la propriété privée en Islam, et notamment sur la terre. Mais ce que nous n'admettons pas, c'est que le statut dans la Charî'ah islamique soit puisé dans l'enracinement historique de l'idée de la propriété, comme l'a fait ce faqîh dont les dimensions idéologiques et les conceptions du passé, du présent et de l'avenir ne dépassent pas le cadre historique dans lequel a vécu la propriété privée. Aussi voyait-il derrière toute spécialité dans l'histoire de la vie humaine l'ombre de la propriété privée, qu'il justifiait et interprétait, au point qu'il ne pouvait plus distinguer la réalité de l'ombre. Il s'est mis à croire que puisque l'homme a besoin d'une maison qui lui soit propre et dans laquelle il se réfugie -selon son expression- il a donc besoin de la posséder comme une propriété privée, afin qu'elle lui soit propre et qu'il puisse s'y réfugier. Si ce praticien (jurisconsulte) pouvait distinguer entre habiter dans un domicile privé, et posséder en propriété privée ce domicile, il ne se serait pas trompé dans cette imbrication historique entre les deux situations, et aurait pu réaliser clairement que demander l'insupportable, c'est interdire à l'homme d'avoir un domicile privé, et non pas ne pas lui faire acquérir ce domicile en propriété privée. Car les étudiants dans une cité universitaire, ou les membres d'une société socialiste, habitent chacun dans un domicile personnel sans le posséder en propriété privée.
C'est ainsi que notre faqîh a fait, inopinément, du prestige historique de la propriété privée et des idées qu'il suggère sur la nécessité de cette propriété pour l'humanité, un cadre pour sa pensée jurisprudentielle.
Parmi les cadres idéologiques qui jouent un rôle actif dans l'opération de compréhension du texte, figure le cadre linguistique. Ainsi, si le mot essentiel du texte était un terme chargé d'histoire, c'est-à-dire ayant évolué à travers le temps, il est normal que le chercheur essaie spontanément de le comprendre dans sa signification réelle, et non pas dans son histoire lointaine. Or cette signification pourrait être récente dans la vie du terme, et le produit linguistique d'une nouvelle doctrine d'une civilisation naissante. Par conséquent, lorsqu'on veut déterminer le sens d'un texte, il faut prendre bien garde de ne pas se fier à un cadre linguistique accidentel qui n'aurait pas vécu avec le texte depuis sa naissance.
Il peut arriver que le processus du conditionnement social de la propriété contribue à faire dévier celui qui s'occupe d'un texte d'une compréhension correcte. Même si le mot a conservé son sens originel à travers le temps, il peut arriver qu'il devienne, à travers certaines équivoques sociales dans sa signification, une pensée particulière ou un comportement précis -conditionné par cette pensée ou ce comportement au point parfois que sa signification psychologique prédomine, selon le processus du conditionnement produit par une situation sociale donnée- par rapport à sa signification linguistique originelle ; ou tout au moins que la donnée linguistique du mot se mélange avec la donnée psychologique conditionnelle, laquelle est en réalité davantage le résultat d'une situation sociale que vit le chercheur que la résultante du mot lui-même.
Prenons comme exemple le mot "socialisme". Ce mot a été associé, à travers des doctrines sociales modernes qu'a vécues l'homme contemporain, à un bloc de pensées, de valeurs et de comportements, lequel bloc est devenu, dans une certaine mesure, une partie importante de sa signification sociale aujourd'hui, bien que sur le plan purement linguistique il ne porte rien de ce bloc. Il en va de même pour le mot "ouailles" que l'histoire de la féodalité a chargé d'une grave conséquence, associée à la conduite du féodal, propriétaire de la terre, avec les serfs qui la cultivaient. Si nous traitons de textes comportant le mot "socialisme" ou le mot "ouailles", tel ce texte qui dit :«Les gens sont associés dans l'eau, le feu et l'herbe», ou cet autre affirmant : «Le Tuteur a un droit sur les ouailles", nous rencontrons le danger de nous plier au conditionnement social de ces mots, et de leur attribuer le sens social qu'ils ont vécu, loin de l'ambiance du texte, au lieu de leur donner le sens réel qu'ils expriment.
La séparation de la preuve canonique de son contexte (de ses circonstances et conditions)
Le dépouillement de la preuve canonique de ses conditions et circonstances est une opération de prolongation de la preuve sans justification objective.
Ce processus s'effectue souvent dans une sorte spécifique de preuves canoniques, et il est désigné jurisprudentiellement sous la dénomination d'"approbation"(taqrîr). Etant donné que cette sorte de preuve a une grande influence sur l'opération de l'ijtihâd dans les statuts et les concepts qui ont trait à la Doctrine économique, il est donc nécessaire de mettre en évidence le danger qui menace cette preuve par suite de son dépouillement de ses circonstances et de ses conditions.
Expliquons d'abord le sens de l'"approbation" (taqrîr). L'approbation est l'un des aspects de la noble Sunnah. Elle signifie le silence observé par le Prophète (Ç) ou l'Imam (S) face à une action qui se produit à son vu et à son su, silence qui signifie qu'il autorise cette action et que celle-ci est permise en Islam.
L'approbation est de deux sortes. tantôt elle se traduit par l'approbation d'une action faite par un individu en particulier, comme dans le cas où quelqu'un boit du "Fuqâ'" (boisson extraite de fruits) devant le Saint Prophète (Ç) et que celui-ci garde le silence. Ce silence traduit la permission de boire cette boisson en Islam. Tantôt elle se traduit par l'approbation d'une action générale qui se répète chez les gens dans leur vie quotidienne, comme c'était le cas de l'habitude des gens , à l'époque de la Législation islamique, d'extraire les richesses minérales et de se les approprier sur la base de leur extraction. Le silence de la Charî'ah sur cette habitude, et le fait qu'elle ne s'y soit pas opposée, sont considérés comme une approbation de sa part et une preuve que l'Islam autorise les individus à extraire et à posséder la matière naturelle. C'est ce que l'on appelle dans la recherche jurisprudentielle la "norme ['Urf] générale", ou "al-Sîrah al-'Oqlâ'iyah"(43). Elle désigne en réalité la découverte de l'approbation par la Charî'ah d'une conduite générale contemporaine de l'époque de la Législation à travers sa non-interdiction par la Charî'ah. Car si celle-ci n'avait pas approuvé cette conduite dont elle était contemporaine, elle l'aurait interdite. Donc, la non-interdiction est la preuve de l'approbation.
Ce raisonnement dépend, sur le plan jurisprudentiel, de plusieurs facteurs :
1- Il faut s'assurer chronologiquement de l'existence de cette conduite à l'époque de la Législation. Car si son existence date d'une époque postérieure à celle de la Législation, le silence de la Charî'ah ne serait pas la preuve de son approbation de cette conduite. L'approbation déduite du silence n'est valable que si la conduite est contemporaine de l'époque de la Législation.
2- Il faut s'assurer que la Charî'ah n'a pas prononcé l'interdiction de cette conduite. Il ne suffit pas d'ignorer si une telle interdiction a ou non été prononcée. Tant que le chercheur n'a pas établi avec certitude l'absence d'une telle interdiction, il n'a pas le droit de déduire l'autorisation par l'Islam de cette conduite, étant donné l'existence d'une possibilité que la Charî'ah l'ait interdite.
3- Il faut prendre en considération toutes les caractéristiques et conditions objectives existant dans cette conduite, car il est possible que certaines de ces caractéristiques et conditions aient de l'influence sur l'autorisation et la non-interdiction de cette conduite. Lorsque nous aurons vérifié toutes les conditions et caractéristiques qui entouraient cette conduite, qui fut contemporaine de la Législation, nous pourrons déduire du silence de la Charî'ah à son égard son autorisation de cette conduite lorsqu'elle se trouve dans le cadre de ces caractéristiques et conditions ainsi vérifiées.
A la lumière de cette explication, nous pouvons maintenant comprendre comment l'élément subjectif se glisse dans la preuve canonique, à la faveur de la séparation de la conduite de ses circonstances et conditions, en un mot de son contexte.
Cette séparation peut revêtir deux formes. Parfois, le praticien trouve qu'il vit une réalité dotée d'une conduite économique précise, et sent nettement le caractère originel et profond de cette conduite, au point d'oublier les facteurs qui ont aidé à la créer et les circonstances provisoires qui lui ont ouvert le chemin. Aussi s'imagine-t-il que cette conduite est originelle et existait déjà à l'époque de la Législation, alors qu'en réalité elle est le produit de facteurs et de circonstances donnés particuliers et accidentels, ou tout au moins pourrait l'être. Prenons à cet égard un exemple, celui de la production capitaliste dans les travaux et les industries extractives. La réalité d'aujourd'hui est pleine de cette sorte de production représentée par le travail de salariés extrayant des matières minérales, telles que le sel ou le pétrole, et un capitaliste qui leur paie des salaires et se considère pour cette raison comme le propriétaire de la matière extraite. Ce contrat de louage de services, passé entre le capitaliste et ses ouvriers, apparaît maintenant naturel dans son contenu et ses conséquences précités -c'est-à-dire la possession par les ouvriers du salaire, et par le capitaliste de la matière extraite- au point que cette sorte de contrat pourrait apparaître à beaucoup comme étant aussi ancien que la découverte et l'utilisation des métaux par l'homme, et qu'ils croient, en se fondant sur cette conception, que cette forme de louage existait déjà à l'époque de la Législation. Il est naturel donc qu'il s'ensuive que l'on pense à induire la permission de ce louage, et de l'appropriation par le capitaliste de la matière extraite, par la preuve de l'approbation. Aussi dit-on que le silence de la Charî'ah sur ce louage et sa non-interdiction par elle est la preuve de son autorisation par l'Islam.
Nous ne voulons pas ici faire de commentaires sur cette forme de louage et ses exigences du point de vue jurisprudentiel, ni sur les opinions des faqîh qui le mettent en doute, ou mettent en doute ses exigences, car nous étudierons le statut canonique (= statut légal, hukm char'î) de cette forme de louage et de ses exigences dans tous leurs détails dans un prochain chapitre où nous passerons en revue toutes les preuves auxquelles on peut se référer positivement ou négativement. Ce que nous voulons ici, c'est étudier seulement l'induction de ce louage et de ses exigences par la preuve de l'approbation, pour mettre en évidence une forme de dépouillement de la conduite de ses circonstances et conditions. Car ceux qui induisent la validité de ce louage et de ses exigences en invoquant la preuve de l'approbation n'ont pas vécu à l'époque de la Législation, pour pouvoir s'assurer du recours habituel à cette forme de louage à cette époque-là, ils ont vu sa circulation seulement dans la réalité qu'ils ont eux-mêmes vécue. Et c'est son enracinement dans le système social en vigueur qui a conduit à croire qu'il s'agit d'un phénomène à valeur absolue, remontant historiquement jusqu'à l'époque de la Législation. C'est ce que nous entendons par la "séparation de la conduite de ses circonstances et conditions sans justification objective". Autrement, avons-nous une vraie preuve que cette forme de louage existait couramment à l'époque de la Législation islamique ? Ceux qui affirment qu'elle existait à cette époque-là savent-ils que ce louage est l'aspect juridique de la production capitaliste, laquelle n'a eu dans l'Histoire d'existence sur une grande échelle, notamment dans les domaines de l'industrie, que tout récemment ?
Mais cela ne signifie pas une dénégation absolue de l'existence de la production capitaliste des matières métalliques à l'époque de la Législation - c'est-à-dire le travail salarié pour leur extraction - ni la présentation d'une preuve de cette dénégation, mais tout simplement un doute sur ce point et une explication de la façon dont un phénomène quelconque s'enracine et apparaît naturel, au point qu'il donne l'impression de la certitude sur sa profondeur et son ancienneté, tout simplement parce qu'il est enraciné dans la réalité vécue et bien qu'il n'y ait pas de preuves complètes de son ancienneté historique et de sa séparation des circonstances nouvelles.
Telle est la première forme du dépouillement, le dépouillement de la conduite vécue de ses circonstances réelles, et son extension historique jusqu'à l'époque de la Législation.
Quant à l'autre forme du dépouillement dans la preuve de l'approbation, c'est celle qui consiste à étudier une conduite véritablement contemporaine de l'époque de la Législation et à déduire du silence de la Charî'ah à son égard que l'Islam l'a autorisée. Dans un tel cas, le praticien de l'opération de dépouillement peut être induit en erreur lorsqu'il dépouille cette conduite contemporaine de l'époque de la Législation de ses traits caractéristiques et qu'il la sépare des facteurs qui ont contribué à son autorisation, en faisant cette généralisation : «cette conduite est permise et islamiquement juste dans tous les cas», bien que, pour être objectif, la déduction par la preuve de l'approbation doive nous conduire à prendre en considération chaque cas qui pourrait avoir influencé l'attitude de l'Islam vis-à-vis de cette conduite. Lorsque certains de ces cas et circonstances changent, le raisonnement par la preuve de l'approbation devient stérile. Ainsi, si on vous disait par exemple que boire de la bière est permis en Islam, et que la preuve en est que lorsqu'Untel est tombé malade du vivant du Saint Prophète (Ç), il a bu de la bière sans que le Prophète le lui interdise, vous devriez répondre que cette preuve de l'approbation ne suffit pas à elle seule à constituer la preuve que l'Islam autorise tout individu à boire de la bière, notamment s'il n'est pas malade, car il est possible que certaines maladies constituent une raison autorisant sa consommation à titre exceptionnel. Il serait donc erroné de séparer la conduite contemporaine de l'époque de la Législation de ses circonstances et de ses traits caractéristiques, et de généraliser sans raison le statut de cette conduite sur toute conduite similaire sans s'occuper de savoir si elle ne diffère pas dans certains traits caractéristiques de nature à entraîner un statut différent. Il faut donc prendre en considération tous les cas individuels et les circonstances sociales qui entourent la conduite contemporaine de l'époque de la Législation.
L'adoption d'une attitude précise et préalable vis-à-vis du texte
Par adoption d'une attitude précise vis-à-vis du texte, nous entendons la tendance psychologique du chercheur. Car cette tendance a une grande influence sur l'opération de la compréhension des textes. Pour illustrer cette attitude, supposons deux personnes qui pratiquent l'étude de textes. Alors que l'une s'oriente psychologiquement vers la découverte de l'aspect social et de tous les statuts et de toutes les conceptions islamiques relatifs à l'Etat, l'autre manifeste une tendance psychologique à s'orienter vers les statuts relatifs aux comportements particuliers des individus. Ces deux personnes, bien qu'elles traitent des mêmes textes, différeront quant aux acquis que leur étude des textes leur procure. Chacune d'elles obtiendra des résultats supérieurs dans ce qui a trait à sa tendance psychologique et à son attitude particulière ; et peut-être les aspects du côté islamique auquel elle ne tend pas psychologiquement pourraient-ils même lui échapper.
Cette attitude psychologique, imposée par la subjectivité du praticien et non par l'objectivité du chercheur, a pour effet non seulement la dissimulation de certains aspects de la Législation, mais peut aussi conduire parfois à l'égarement dans la compréhension du texte législatif, et à l'erreur dans la déduction du statut canonique de ce texte, et ce lorsque le praticien veut imposer au texte son attitude personnelle qu'il a adoptée préalablement. Il en résulte qu'il ne réussit pas à l'interpréter d'une façon objective et correcte.
De nombreux exemples dans la Jurisprudence islamique illustrent ce qui vient d'être souligné. Peut-être l'interdiction par le Saint Prophète (Ç) du surplus de l'eau et de l'herbe constitue-t-elle le meilleur exemple tiré des textes de l'influence de l'attitude psychologique du praticien sur l'opération de la déduction à partir d'un texte. En effet, il est dit dans le hadith que le Prophète a prononcé, à l'intention des Médinois, ce jugement concernant les dattiers :
«Il ne faut pas interdire l'utilisation des puits»
et à l'intention des gens du désert :
«Il ne faut pas interdire le surplus de l'eau, ni vendre le surplus de l'herbe».
Cette interdiction par le Saint Prophète (Ç) d'empêcher l'utilisation du surplus de l'eau et de l'herbe, peut être l'expression d'un jugement canonique (statut légal ou canonique) général, fixe en tous temps et en tous lieux, comme l'interdiction du vin et des jeux de hasard. Elle peut également exprimer une mesure ponctuelle prise par le Prophète (Ç) en sa qualité de Tuteur, responsable de veiller sur les intérêts des Musulmans, dans les limites de sa Tutelle et de ses pouvoirs ; et dès lors il ne s'agirait pas d'un jugement canonique général, mais conjoncturel, lié à ses propres circonstances et intérêts qu'apprécie le Tuteur.
L'objectivité de la recherche sur ce texte prophétique impose au chercheur d'assimiler ces deux évaluations et de désigner l'une d'elles, à la lumière de la formule dudit texte et d'autres textes similaires.
Quant à ceux qui adoptent une attitude psychologique préalable vis-à-vis du texte,, ils supposent dès le début qu'ils trouvent dans tout texte un jugement canonique général, et regardent toujours le Saint Prophète, à travers les textes, comme un instrument de communication de jugements généraux, et négligent son rôle positif en qualité de Tuteur. Aussi interprètent-ils le texte précité comme un jugement légal général(44).
Cette attitude particulière dans l'interprétation du texte ne provient pas du texte lui-même, mais elle est le résultat d'une accoutumance de l'esprit à une image particulière du Saint Prophète (Ç), et d'une idée spécifique que l'on se fait de lui, idée avec laquelle s'est familiarisé le praticien, et à travers laquelle il s'est habitué à toujours regarder le Saint Prophète en sa qualité d'Annonciateur, ne voyant pas son autre personnalité, sa qualité de Gouvernant, et ignorant par conséquent l'expression de cette autre personnalité elle-même dans les différents textes.
La nécessité de la subjectivité parfois
Enfin, il faut signaler le seul domaine où le côté subjectif est permis dans la tentative de former une idée générale et précise de l'Economie islamique, à savoir le domaine du choix de l'image que l'on veut se faire de l'Economie en Islam, parmi l'ensemble des images qui représentent les différents ijtihâd jurisprudentiels légitimes. Nous avons eu l'occasion de voir que la découverte de la Doctrine économique islamique se réalise à travers une opération d'ijtihâd dans la compréhension et la coordination des textes, et dans l'harmonisation entre leurs significations dans une même règle. Nous avons pu voir également que l'ijtihâd diffère et varie selon la différence des mujtahid (celui qui pratique l'Ijtihâd) dans leur approche des textes et leur façon de traiter les contradictions qui apparaîtraient entre les uns et les autres, et dans les règles et les méthodologies générales de la pensée jurisprudentielle qu'ils adoptent. Nous avons appris, en outre, que l'ijtihâd jouit d'une qualité légale et d'un caractère islamique tant qu'il exerce sa fonction, dessine l'image et détermine ses aspects dans le cadre du Livre (le Coran) et de la Sunnah et selon les conditions générales qu'il n'est pas permis de dépasser.
Il résulte de tout ceci l'augmentation de notre bagage relatif à l'Economie islamique et l'existence de nombreuses images de cette Economie, qui sont toutes légales et islamiques. Il est possible dès lors de choisir dans tout domaine les éléments les plus solides que nous trouvions dans cette image, et les plus capables d'entre eux de traiter les problèmes de la vie et de réaliser les buts suprêmes de l'Islam. Et cela constitue un domaine de choix subjectif dans lequel le chercheur trouve sa liberté et son opinion, et se libère de sa qualité de simple prospecteur ; et bien que cette subjectivité traduise un simple choix et non pas une créativité, elle est donc une libération dans le cadre des ijtihâd différents, et non pas une libération complète.
Le présent ouvrage a recouru dans de précédents chapitres, et recourra dans des chapitres ultérieurs, à ce domaine subjectif, comme nous l'avons signalé dans l'introduction. En effet, ni tous les statuts exposés dans le présent ouvrage, ni tout ce qui est adopté et induit, ne sont le résultat de l'ijtihâd personnel de l'auteur. Il arrive même qu'il y expose, à propos de certains points, ce qui ne s'accorde pas avec son ijtihâd, tant que cela exprime un autre point de vue "ijtihâdite" qui porte un caractère islamique et une qualité légale.
J'aimerais affirmer à cette occasion que la pratique de ce domaine subjectif, et l'octroi au praticien d'un droit au choix dans le cadre général de l'ijtihâd dans la Charî'ah, pourraient constituer une condition nécessaire sur le plan technique de l'opération de la découverte qu'essaie de pratiquer le présent ouvrage, et non pas seulement une chose permise, ou une sorte de mollesse ou de paresse dans l'acceptation des charges et des difficultés de l'ijtihâd dans les statuts de la Charî'ah ; car il est impossible dans certains cas de découvrir la théorie islamique et les règles doctrinales en Economie dans leurs formes complètes et concordantes avec leurs superstructures, leurs détails juridiques et leurs branches jurisprudentielles, si ce n'est sur la base du domaine subjectif dans le choix.
Je dis ceci par expérience personnelle que j'ai vécue pendant la période de préparation de ce livre. Peut-être est-il nécessaire de mentionner cette expérience afin de mettre en évidence l'un des problèmes dont souffre souvent l'Economie islamique, et le moyen par lequel ce livre en a triomphé, à savoir la pratique de l'ijtihâd personnel précité qu'il s'est accordé le droit de pratiquer.
Les Musulmans s'accordent aujourd'hui pour constater que seulement peu de statuts conservent encore leur clarté, leur nécessité et leur caractère absolu, malgré les longs siècles qui nous séparent de l'époque de la Législation. Peut-être cette catégorie de statuts de la Charî'ah conservant encore ce caractère absolu ne dépasse-t-elle pas cinq pour cent de l'ensemble des statuts que l'on trouve dans les ouvrages de Jurisprudence.
La raison en est évidente, puisque les statuts de la Charî'ah sont puisés dans le Livre et dans la Sunnah, c'est-à-dire dans le Texte législatif, et que nous dépendons évidemment, quant à la véracité de chaque texte, de la transmission des rapporteurs et des hommes de Hadith -sauf pour les textes coraniques, et un petit nombre de textes de la Sunnah établis par la concordance et la certitude- et que nous aurons beau essayer de vérifier la confiance à accorder au rapporteur et son honnêteté dans la transmission, nous ne pourrons être absolument certains de l'exactitude du texte, dans la mesure où nous ne connaissons le degré d'honnêteté des rapporteurs qu'historiquement et non pas directement, et où le rapporteur honnête aurait pu se tromper en nous présentant un texte déformé, notamment dans les cas où ce texte ne nous parvient qu'après avoir parcouru plusieurs rapporteurs, lesquels se le sont transmis de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'il aboutisse jusqu'à nous. Même si nous nous assurons parfois que le texte est exact, et qu'il émane bien du Prophète (Ç) ou de l'Imam (S), nous ne le comprenons que tel que nous le vivons à présent, et nous ne pourrons assimiler son ambiance et ses conditions, ni sonder son milieu qui aurait pu l'éclairer. Et lorsque nous comparons ce texte avec l'ensemble des textes législatifs, pour accorder celui-là à ceux-ci, nous pourrions là encore nous tromper dans la méthode de l'accorder, par exemple en choisissant tel texte plutôt que tel autre, alors que cet autre serait plus conforme à la réalité. Pis, le texte pourrait comporter une exception dans un autre texte, et cette exception pourrait n'être pas parvenue jusqu'à nous, ou bien nous pourrions ne lui avoir pas prêté attention pendant que nous pratiquions les textes, prenant ainsi en considération seulement le premier texte tout en négligeant son exception qui l'interprète et le précise.
L'ijtihâd est donc une opération compliquée, qui se heurte à des doutes de tous côtés. Et quelque probable qu'en soit le résultat aux yeux du mujtahid, celui-ci n'affirme pas avec certitude son exactitude dans la réalité tant qu'il envisage la possibilité de son erreur dans la déduction de ce résultat et ce, soit à cause de l'inexactitude du texte dans la réalité -même s'il lui paraissait exact- soit à cause d'une erreur dans sa compréhension ou dans la méthode de faire concorder ce texte avec l'ensemble des textes, ou encore à cause de sa non-assimilation d'autres textes qui comporteraient des indications sur le sujet, soit parce qu'elles lui ont échappé par distraction, soit parce qu'elles ont été altérées par l'usure des siècles.
Ceci ne signifie pas, naturellement, l'abolition de l'opération de l'ijtihâd, ni son illégitimité, car l'Islam - malgré les doutes qui entourent cette opération - l'a autorisée et a défini pour le mujtahid les limites dans lesquelles il peut se fier à la conjecture, et ce dans le cadre des règles appliquées généralement dans la Science des Fondements de la Jurisprudence. Le mujtahid, dans ce cas, n'aura pas commis de péché s'il se fie à sa conjecture dans les limites permises, peu importe qu'il ait tort ou raison.
A la lumière de ce qui précède, il devient raisonnable ou probable qu'il se trouve chez tout mujtahid un lot d'erreurs et de choses contraires à la réalité de la Législation islamique, et il en a l'excuse, et il devient également raisonnable que la réalité de la Législation islamique concernant un certain nombre de questions qu'elle traite soit distribuée çà et là, en proportions variables, chez les mujtahid. Il en résulte que tel mujtahid peut commettre une erreur à propos d'une question donnée et avoir raison dans d'autres, et vice versa.
Devant cette réalité de l'opération de l'ijtihâd et des mujtahid que nous avons expliquée, le praticien de l'opération de la découverte de la Doctrine économique ne peut, pour la mener à bien, que commencer par des statuts établis par un ijtihâd conjecturel donné, pour passer à ce qui est plus profond et plus global, à savoir les théories de l'Islam dans l'Economie et dans sa Doctrine économique.
Mais nous devons nous demander s'il est nécessaire que l'ijtihâd de chacun des mujtahid -avec tous les statuts qu'il comporte- reflète une Doctrine économique complète, et des fondements uniformes, concordant avec la structure et la nature de ces statuts.
Et c'est par la négative que nous répondons à cette interrogation, car l'ijtihâd sur lequel repose la déduction de ces statuts est sujet à erreur, et tant qu'il en est ainsi il reste possible que l'ijtihâd comporte un élément juridique étranger à la réalité de l'Islam -et déduit par erreur par le mujtahid- ou que cet ijtihâd perde un élément juridique islamique que le mujtahid n'aurait pas réussi à trouver dans les textes qu'il a examinés. Il se peut même que l'ensemble des statuts auxquels a conduit son ijtihâd devienne contradictoire dans ses fondements en raison de ce facteur-ci ou de ce facteur-là (perte d'un élément islamique ou introduction d'un élément étranger à l'Islam) et, dans ce cas, il serait impossible de parvenir à un fonds théorique complet qui les unifie, ou à une interprétation doctrinale globale qui les mette tous dans une seule règle.
Par conséquent, il faut distinguer la réalité juridique islamique, telle qu'elle est apportée par le Saint Prophète (Ç), et l'image d'ijtihâd, telle qu'elle est brossée par un mujtahid donné à travers son étude des Textes. En effet, nous croyons que la réalité de la Législation islamique dans les domaines économiques n'est pas improvisée, ni le produit de théories éloignées, séparées et isolées les unes des autres, mais qu'elle est fondée sur une base unifiée et un fonds commun de concepts, et qu'elle jaillit des théories et des généralités de l'Islam relatives aux affaires économiques.
C'est cette croyance qui nous a amené à considérer les statuts comme une superstructure qu'il faut dépasser pour examiner ce qui est plus profond et plus global, et pour passer aux fondements sur lesquels repose cette superstructure, auxquels elle s'adapte et dont elle exprime ou traduit, par tous ses détails et ramifications, les généralités, sans contradiction ni disparité. Sans cette croyance que les statuts de la Charî'ah se fondent sur des bases unifiées, il n'y aurait aucune raison d'effectuer l'opération de la découverte de la Doctrine au-delà des statuts secondaires de la Charî'ah.
Tout ceci est vrai pour ce qui concerne la réalité de la Législation islamique. Quant à tel ijtihâd, ou à tel autre, parmi les ijtihâd des mujtahid, il n'est pas nécessaire que les statuts ressortissant audit ijtihâd reflètent une Doctrine économique intégrale et un fondement théorique global tant qu'il est possible qu'ils comportent un élément étranger ou qu'ils manquent d'un élément authentique à cause de l'erreur dans l'ijtihâd.
De même, il se peut qu'une seule erreur dans l'ensemble de ces statuts conduise à intervertir complètement les vérités dans l'opération de la découverte et, par voie de conséquence, à l'impossibilité de parvenir à la Doctrine économique à travers ces statuts.
C'est pourquoi celui qui effectue l'opération de la découverte de la Doctrine économique se trouverait devant une rude épreuve -à savoir la contradiction entre sa qualité de découvreur de la Doctrine et sa qualité de mujtahid déduisant des statuts- si l'on supposait que le lot de statuts auxquels a abouti son ijtihâd personnel est incapable de découvrir la Doctrine économique. En effet, dans un tel cas, celui qui se livre à cette opération -en tant que mujtahid déduisant lesdits statuts- se voit amené, par la nature de son ijtihâd, à choisir ces statuts auxquels cet ijtihâd a abouti, pour en faire le point de départ de sa découverte de la Doctrine économique. Mais en tant que découvreur de la Doctrine, il doit choisir un lot de statuts concordants et harmonisés dans leurs orientations et leurs significations théoriques, afin de pouvoir découvrir la Doctrine sur leur base. Or lorsqu'il ne trouve pas de concordance dans ce lot de statuts auxquels a abouti son ijtihâd personnel, il se voit contraint de choisir un autre point de départ plus propice à l'opération de la découverte de la Doctrine.
Exposons ce problème plus clairement à travers l'exemple suivant. Un mujtahid remarque que les textes lient la possession des richesses naturelles brutes au travail et récusent leur appropriation par tout autre moyen que le travail. Mais il a trouvé une seule exception à ces textes, dans un texte, qui admet, dans certains domaines, la prise de possession par un autre moyen que le travail. Dans un tel cas, les résultats et les données des textes paraissent hésitants et discordants à ce mujtahid, d'après son ijtihâd personnel. La source de cette hésitation et de cette discordance est le texte exceptionnel. Car sans ce dernier il aurait pu découvrir, en se fondant sur l'ensemble des autres textes, que la propriété en Islam a pour base le travail.
Que va donc faire ce mujtahid dans ce cas précis ? Et comment pourra-t-il avoir raison de cette contradiction entre son attitude de mujtahid et son attitude de découvreur ?
Le mujtahid qui rencontre une telle contradiction suppose habituellement deux explications possibles à cette hésitation et cette discordance dans les statuts auxquels a abouti son ijtihâd :
1- Certains textes qu'il a étudiés sont inexacts, par exemple celui qui constituerait l'exception, dans l'hypothèse que nous avons émise, bien que soient réunies , dans ces textes, les conditions rendant obligatoire, selon les instructions de l'Islam, l'observance de tout texte les remplissant. Et cette inexactitude de certains textes a conduit à l'intrusion d'un élément juridique étranger dans le lot de statuts que son ijtihâd englobe, et par voie de conséquence à la discordance entre ces statuts sur le plan théorique et dans l'opération de la découverte.
2- Cette discordance entre les éléments du lot examiné est superficielle et sans existence réelle ; si toutefois l'opérateur a senti l'existence d'une telle discordance, cela est dû à son incapacité à percevoir le secret de l'unité desdits éléments et leur interprétation théorique commune.
L'attitude de l'opérateur diffère alors selon sa qualité de mujtahid déduisant des statuts ou celle de découvreur de la Doctrine économique. En tant que mujtahid déduisant des statuts, il ne peut négliger dans son travail personnel les statuts auxquels son ijtihâd a abouti, même si ces statuts lui ont semblé discordants sur le plan théorique, et cela tant qu'il retient la possibilité que cette discordance s'explique par son incapacité personnelle à sonder leurs secrets et leurs fondements doctrinaux. Mais son attachement à ces statuts n'établit pas forcément leur caractère absolu, ceux-ci étant des résultats conjecturels tant qu'ils sont fondés sur la base d'un ijtihâd conjecturel qui justifie l'obligation de leur observance malgré la possibilité d'erreur qu'ils comportent.
Mais lorsque ce faqîh (mujtahid) veut passer de la Jurisprudence des statuts à celle des théories, et effectuer l'opération de la découverte de la Doctrine économique en Islam, la nature de l'opération lui impose une forme spécifique de statuts dont il doit partir, et exige que le point de départ soit un lot de statuts concordants et harmonisés. S'il parvient à trouver un tel lot harmonisé parmi les statuts que comprend son ijtihâd personnel, et qu'il en fasse le point de départ de son opération de découverte en vue de comprendre les Fondements généraux de l'Economie islamique, sans se heurter à une contradiction ou à une discordance dans les éléments de ce lot... ce sera une occasion précieuse dans laquelle s'uniront la personnalité de l'opérateur en sa qualité de faqîh déduisant des statuts, avec sa personnalité en tant que découvreur de théories.
Et s'il ne tombe pas sur une telle occasion favorable, et que son ijtihâd personnel ne lui fournisse pas le point de départ propice, cela n'influera pas sur sa détermination dans l'opération, ni sur sa croyance que la réalité de la Législation islamique peut être interprétée d'une façon théorique, concordante et globale. La seule voie possible que l'opérateur doit suivre dans ce cas, c'est de faire appel aux statuts auxquels sont parvenus les ijtihâd d'autres mujtahid car, dans chaque ijtihâd, il y a un lot de statuts qui diffèrent dans une grande mesure des lots issus des autres ijtihâd.
Il n'est pas logique de s'attendre à la découverte d'une Doctrine économique derrière chacun de ces lots, car nous croyons à une seule Doctrine économique sur laquelle sont fondés les statuts existants de la Charî'ah, dans le cadre de ces lots de statuts. Par conséquent, en cas de discordance entre les éléments d'un même lot que l'ijtihâd de l'opérateur adopte, celui-ci doit éliminer, dans l'opération de la découverte, les éléments incertains qui conduisent à la contradiction -sur le plan théorique- pour les remplacer par des résultats et des statuts d'autres ijtihâd qui soient plus concordants et qui facilitent mieux l'opération de la découverte, et constituent un groupe homogène de plusieurs ijtihâd pour en faire le point de départ qui le conduira en fin de compte à la découverte du fonds théorique de cette somme de statuts juridiques.
Le moins que l'on puisse dire de ce lot de statuts, c'est qu'il constitue un portrait qui peut être très véridique dans sa représentation de la réalité de la Législation islamique, et dont la probabilité de véracité n'est ni plus ni moins que celle de n'importe lequel d'entre les nombreux portraits que renferme le domaine jurisprudentiel "ijtihâdite". Après tout, ce portrait a ses justifications légales, car il traduit des ijtihâd islamiques légaux qui demeurent tous dans l'orbite du Livre et de la Sunnah. Et dès lors, il est possible pour la société musulmane de le retenir, dans le domaine de l'application, parmi les nombreux portraits issus de l'ijtihâd de la Charî'ah entre lesquels elle doit choisir.
C'est tout ce que l'on peut réaliser dans l'opération de la découverte de l'Economie islamique, lorsque l'ijtihâd personnel de l'opérateur se voit incapable de constituer un point de départ approprié. Mieux, c'est presque tout ce dont on a besoin à cet égard. En effet, de quoi aurions-nous besoin en plus, quand nous aurons découvert une doctrine économique jouissant d'une probabilité de véracité et de précision dans la représentation qui ne soit pas d'un degré inférieur à celui de tout autre portrait, comprenant toutes les justifications d'appartenance islamique -étant donné qu'il appartient à des mujtahid compétents- et ayant reçu de l'Islam l'autorisation de son application dans la vie économique.
L'effet trompeur de la réalité d'application
La Doctrine économique en Islam est entrée dans la vie de la société en tant que système en vigueur à l'époque du Saint Prophète (Ç). Elle a vécue, sur le plan de l'application, incarnée dans la réalité des relations sociales établies entre les membres de la société islamique à cette époque-là. Pour cette raison, il est possible de l'étudier à travers l'opération de la découverte de l'Economie islamique, et de faire des recherches sur elle sur le plan de l'application, tout comme nous le faisons sur le plan théorique. Car l'application détermine les traits et les caractéristiques de l'Economie islamique, tout comme les déterminent les textes de la théorie dans le domaine de la Législation.
Toutefois, les textes législatifs de la théorie sont plus aptes à brosser le portrait de la Doctrine que la réalité de l'application, étant donné que l'application d'un texte législatif dans une circonstance donnée pourrait ne pas refléter le vaste contenu de ce texte, ni restituer complètement sa signification sociale. Il s'ensuivrait que l'inspiration de l'application, et sa donnée conceptuelle de la théorie, différeraient de la donnée idéologique des textes législatifs eux-mêmes. L'origine de cette différence incomberait à l'effet trompeur de l'application sur les sens de la découverte de l'opérateur du fait que l'application serait liée à des conditions objectives particulières.
Prenons un exemple pour illustrer cet effet trompeur. Pour l'opérateur qui veut connaître la nature de l'Economie islamique à travers l'application, celle-ci pourrait lui inspirer que l'Economie islamique autorise la propriété privée et l'activité individuelle libérale, comme l'ont affirmé -très franchement- certains penseurs musulmans lorsqu'ils ont cru constater que certains parmi ceux qui avaient vécu l'expérience de l'Economie islamique étaient libres d'agir à leur guise, qu'ils ne se sentaient l'objet d'aucune pression ni d'aucune limitation, et qu'ils jouissaient du droit de s'approprier toute richesse naturelle dont ils avaient l'occasion de s'emparer, ainsi que du droit de son exploitation et d'y agir à leur guise, et que le capitalisme n'est autre que ce débridement libre que les membres de la société islamique connaissaient dans leur vie économique.
D'autres ajoutent qu'alimenter l'Economie islamique en éléments non capitalistes, et dire que l'Islam est socialiste dans son Economie, ou qu'il porte des germes socialistes, est un manque d'honnêteté de la part de l'opérateur (chercheur) et une tendance à suivre la nouvelle pensée qui commence à se révolter contre le capitalisme, à le refuser et à appeler au développement de l'Islam de telle sorte qu'il puisse être acceptable selon les normes de cette pensée nouvelle..
Pour ma part, je ne nie pas que l'individu exerçait dans la société, à l'époque du Saint Prophète (Ç), une activité, et qu'il jouissait dans une large mesure de sa liberté dans le domaine économique. Je ne nie pas non plus que cela reflète une apparence capitaliste de l'Economie islamique... Mais cette apparence que nous apercevons en regardant de loin certains des aspects de l'application pourrait n'être point perçue à travers l'étude approfondie des théories.
Certes, l'individu qui vivait à l'époque du Saint Prophète (Ç) nous semblerait aujourd'hui avoir joui d'une grande part de liberté -liberté que l'opérateur ne pourrait pas distinguer parfois des libertés du système capitaliste. Mais ce trompe-l'oeil se dissipe lorsque nous confrontons l'application à la théorie et aux textes législatifs.
La raison de cette distinction entre la théorie et l'application, bien que chacun des deux soit d'une façon ou d'une autre l'expression de l'autre, réside dans les circonstances que vivait l'homme à l'époque de l'application, et dans les possibilités qu'il avait. En effet, le contenu non capitaliste de la théorie dans l'Economie islamique était éclipsé dans le domaine de l'application, dans une certaine mesure -autant que les possibilités de l'homme vis-à-vis de la nature, et son pouvoir sur elle, étaient insignifiants. Et ce contenu non capitaliste apparaît régulièrement et il est mis en évidence dans le domaine de l'application fidèle de l'Islam, proportionnellement à l'accroissement de ces possibilités et à l'augmentation de cette capacité. Ainsi, plus la capacité de l'homme se développe et ses moyens de maîtriser la nature se diversifient, plus les possibilités de travail, d'appropriation et d'exploitation se présentent largement à lui, et plus la contradiction de la théorie dans l'Economie islamique avec le capitalisme est mise en évidence, de plus en plus, et son contenu non capitaliste s'éclaire à travers les solutions que l'Islam propose aux nouveaux problèmes qui se posent et avec la capacité grandissante de l'homme de maîtriser la nature.
Oui, l'homme de l'époque de l'application allait par exemple à une mine de sel, ou autre, pour y puiser autant qu'il voulait de minerai sans aucune interdiction de la part de la théorie -laquelle était souveraine- ni aucune opposition de la même théorie à l'appropriation privée qu'il faisait de ces matières. Que peut suggérer ce phénomène dans le domaine de l'application, s'il est séparé de l'étude du texte législatif et jurisprudentiel en général ? Il suggère la souveraineté de la liberté économique dans la société, au point qu'elle ressemble à la position capitaliste vis-à-vis de la liberté de propriété et d'exploitation.
Mais si nous considérons la théorie à travers les textes, nous constaterons qu'elle suscite un sentiment opposé à celui que ledit phénomène nous a inspiré dans le domaine de l'application, car la théorie interdit, dans ces textes, à tout individu de posséder les gisements de sel ou de pétrole, et ne l'autorise pas à en extraire une quantité supérieure à ses besoins desdites matières. Or cela est, à l'évidence, en contradiction avec le capitalisme, lequel adopte le principe de la propriété privée et laisse la porte ouverte devant l'individu pour l'appropriation des sources naturelles des richesses minières et leur exploitation capitaliste en vue de réaliser plus de profits. Peut-on donc appeler "Economie capitaliste" une Economie qui ne reconnaît pas la liberté d'appropriation des gisement de sel ou de pétrole, ni n'autorise qu'on y puise une quantité de matière susceptible de diminuer la part des autres et de les priver de leur droit d'usufruit dans le gisement ? Oui, peut-on appeler cette Economie "capitaliste" ? Ou cette Economie nous donne-t-elle l'impression d'une coloration capitaliste de la Doctrine, à l'instar d'un tel sentiment que l'application a laissé sur certains ?
Il faut savoir que si l'homme de l'époque de l'application avait l'impression de jouir de la liberté du travail et de l'exploitation, et même d'utiliser les gisements de sel et de pétrole, par exemple, c'était tout simplement parce qu'il ne pouvait pas souvent -en raison des conditions de la nature et du niveau bas et de la qualité primitive de ses moyens- travailler hors des limites permises par la théorie. Ainsi, il ne pouvait pas, par exemple, extraire de grandes quantités de minerai -quantités comparables à celles considérables que l'on extrait aujourd'hui- n'étant pas armé des moyens de vaincre la nature dont dispose l'homme contemporain. Et s'il ne se heurtait pas dans la réalité de sa vie à la question de la limitation de la quantité qu'il était autorisé à extraire, c'est parce que quelle que soit la quantité qu'il aurait pu essayer d'extraire avec ses moyens rudimentaires, il ne parvenait pas souvent à en extraire une quantité susceptible de nuire aux parts des autres associés dans l'utilisation du minerai. L'effet de la théorie et sa contradiction avec la pensée capitaliste n'apparaissent de façon criarde que lorsque les possibilités de l'homme croissent, que sa capacité à conquérir la nature se développe, qu'une poignée d'individus parviennent à obtenir l'exclusivité de l'exploitation d'un minerai dans sa totalité, et qu'ils trouvent dans l'ensemble des marchés interconnectés et ouverts du monde entier la possibilité de réaliser davantage de profits.
De même, on voit quelque chose de tout à fait identique dans la théorie, celle-ci n'autorisant l'individu à s'approprier dans les richesses naturelles et les matières premières - telles que le bois par exemple - que la quantité qu'il peut acquérir et produire lui-même. L'homme de l'époque de l'application ne pouvait percevoir l'existence de cette théorie d'une façon claire et profonde dans sa vie pratique tant le travail reposait à cette époque généralement sur l'effort personnel direct et sur ce qui est de son statut. Mais lorsque la quantité qu'on peut extraire et acquérir s'accroît considérablement grâce aux outils et instruments, et qu'on possède suffisamment d'argent pour payer des salaires aux ouvriers, il devient possible pour cet individu de compter sur le travail rétribué pour extraire et acquérir les matières premières des richesses naturelles.
C'est ce qui s'est passé effectivement dans la réalité vécue, où le travail salarié et la production capitaliste deviennent la base de l'extraction et de l'acquisition de ces matières. Et c'est là seulement qu'apparaît clairement la contradiction entre la théorie dans l'Economie islamique et le capitalisme, et que tout opérateur voit, à moins qu'il ne soit aveugle, que la théorie n'est pas de nature capitaliste. Autrement, quelle Economie capitaliste pourrait combattre le mode capitaliste d'acquisition des richesses naturelles ?
Ainsi nous pouvons remarquer que c'est seulement l'homme de l'ère de la production capitaliste -lequel possède les outils nécessaires pour couper des quantités considérables de bois des forêts en une heure, et dispose dans sa bourse de suffisamment d'argent pour convaincre les ouvriers au chômage de travailler pour son compte et d'utiliser ses outils pour couper le bois, ainsi que les moyens nécessaires pour le transport de ces quantités considérables de bois coupé vers les dépôts de vente, où les attendent des marchés pressés de les absorber toutes- qui constaterait, s'il menait une existence islamique, combien la théorie de l'Islam est en contradiction avec le principe capitaliste de la liberté économique -lorsque la théorie ne l'autorise pas à fonder un projet capitaliste visant à couper du bois dans les forêts et à le vendre à des prix très élevés.
La théorie n'a donc pas montré tout son visage à travers l'application qu'elle a vécue, et l'individu qui avait vécu son application n'a pas vu clairement tout son visage à travers les problèmes et les opérations qu'il a vécus dans son existence. Et ce plein visage apparaît seulement à travers les textes dans leurs formules générales déterminées.
Ceux qui ont eu l'impression que l'Economie islamique est capitaliste et qu'elle croit aux libertés capitalistes pourraient avoir une excuse si leur impression a été inspirée par l'étude de l'homme de l'époque de l'application et par la part de liberté dont ce dernier jouissait. Mais cette impression est trompeuse, puisque l'inspiration de l'application ne saurait suppléer aux données des textes législatifs et jurisprudentiels eux-mêmes, lesquels font apparaître un contenu non capitaliste.
En réalité, et à la lumière de ce que nous venons de voir, la croyance à l'existence du contenu non capitaliste de la théorie économique en Islam ne découle pas d'un développement ou d'un métissage de la théorie, ni d'un apport personnel nouveau à celle-ci, comme l'affirment ceux qui accusent la tendance considérant l'Economie islamique comme non capitaliste d'être une tendance hypocrite et une tentative d'introduire en Islam des éléments étrangers par flatterie pour la pensée moderne montante -laquelle a condamné la liberté et la propriété capitalistes.
Nous avons la preuve historique qui réfute cette accusation et établit la véracité de l'interprétation non capitaliste de l'Economie islamique. Cette preuve consiste dans les textes législatifs et jurisprudentiels que nous retrouvons dans des sources anciennes qui datent de plusieurs siècles et qui existaient avant l'avènement du monde moderne et du socialisme moderne dans toutes ses doctrines et idées.
Lorsque nous mettons en évidence le visage non capitaliste de
l'Economie islamique -que le présent ouvrage expose- et lorsque
nous mettons l'accent sur les différences entre elle et la doctrine
capitaliste en Economie, nous ne cherchons pas ce faisant à conférer
un caractère socialiste à l'Economie islamique, en la classant
dans le cadre des doctrines socialistes en tant que contradictoire avec
le capitalisme. Car, en fait, la contradiction bipolarisée entre
capitalisme et socialisme autorise la supposition d'un troisième
pôle dans cette contradiction, et permet à l'Economie islamique
en particulier d'occuper le centre de ce troisième pôle, si
elle fait preuve de propriétés, de traits et de caractéristiques
qui la qualifient pour cette polarisation dans l'arène de la contradiction.
Et si cette contradiction autorise l'arrivée d'un troisième
pôle dans l'arène, c'est parce que le socialisme n'est pas
réduit à une simple négation du capitalisme pour qu'il
suffise de refuser celui-ci pour devenir automatiquement socialiste ! Le
socialisme est une doctrine positive, qui a ses propres idées, ses
propres conceptions, et ses propres théories. Et il n'est pas donné
que ces idées, conceptions et théories soient obligatoirement
justes si le capitalisme ne l'est pas, ni que l'Islam soit socialiste s'il
n'est pas capitaliste. L'authenticité, l'esprit d'indépendance
et l'objectivité dans la recherche n'autorisent pas celui qui pratique
l'opération de la découverte de l'Economie islamique à
restreindre cette opération au cadre de la contradiction spécifique
entre le capitalisme et le socialisme et à l'assimiler à
l'un des deux pôles contradictoires, en concluant hâtivement
que l'Economie islamique est socialiste si elle n'est pas capitaliste,
ou capitaliste si elle n'est pas socialiste !
Aussi, dans les chapitres à venir vont être mises en évidence
l'originalité de l'Economie islamique et sa contradiction avec le
capitalisme en ce qui concerne sa position vis-à-vis de la propriété
privée et son respect pour elle, et sa reconnaissance -dans des
limites tirées de sa théorie générale- de la
légitimité du gain provenant de la possession d'une source
de production autre que le travail, et ce contrairement au socialisme qui
ne reconnaît pas la légitimité du gain provenant de
toute source de production si ce n'est le travail direct. Et c'est là
la vérité de la contradiction entre la théorie islamique
et la théorie socialiste en Economie. Tous les aspects de la contradiction
entre ces deux théories surgissent de ce point de départ
qui va s'éclairer de plus en plus lorsque nous entrerons dans les
détails et que nous mettrons les points sur les "i".
La distribution de la richesse à deux niveaux(45)
La distribution de la richesse se fait à deux niveaux : le premier est la distribution des sources matérielles de la production, le second est la distribution de la richesse produite.
Ainsi, les sources de la production sont : la terre, les matières premières, les outils nécessaires à la production d'articles divers. Car tous ces moyens participent à la production agricole ou industrielle, ou aux deux à la fois.
Quant à la richesse produite, elle consiste dans les articles produits par un travail humain dans la nature, et résultant d'une combinaison entre ces sources matérielles de la production.
Il y a donc une richesse première, qui consiste dans les sources de la production, et une richesse seconde qui consiste dans ce qu'obtient l'homme -en provisions ou en articles- par l'utilisation de ces sources.
Lorsqu'on parle de la distribution, cela doit englober les deux richesses : la richesse mère et la richesse fille, les sources de la production et les articles produits.
Il est évident que la distribution des sources essentielles de la production précède l'opération de la production elle-même, puisque les individus effectuent leur activité productrice selon la façon dont la société répartit les sources de production. En effet, la distribution des sources de la production s'effectue avant la production, alors que la distribution de la richesse produite est liée à l'opération de production et dépend d'elle, car elle traite des résultats qui en découlent.
Lorsque les économistes capitalistes étudient dans leur Economie politique les questions de la distribution dans le cadre capitaliste, ils ne considèrent pas la richesse totale de la société avec toutes les sources de la production qu'elle comprend. Ils étudient seulement la distribution de la richesse produite, c'est-à-dire le revenu des habitants, et non pas l'ensemble de la richesse des habitants. Et par revenu des habitants, ils entendent le total des articles et des services produits ou, en termes plus clairs, la valeur monétaire du total produit au cours d'une année, par exemple. Par conséquent, l'étude de la distribution dans l'Economie politique est l'étude de la distribution de cette valeur monétaire aux éléments qui ont participé à la production, et elle détermine pour chacun d'eux -le capital, la terre, l'organisateur, l'ouvrier, etc.- sa part sous forme d'intérêt, de revenu, de bénéfice ou de salaire.
Aussi était-il naturel que les recherches sur la production précèdent la recherche de la distribution, étant donné que tant que la distribution signifie le partage de la valeur monétaire des articles produits entre les sources et les éléments de la production, elle est une opération postérieure à la production -puisque tant qu'un article n'est pas produit, il serait insensé de le distribuer ou d'en distribuer la valeur. C'est pour cela que nous trouvons que l'Economie politique considère la production comme le premier des sujets de recherche, et qu'elle étudie tout d'abord la production et aborde ensuite les problèmes de la distribution.
Quant à l'Islam, il traite des problèmes de la distribution dans un cadre plus large et avec une plus grande compréhension, car il ne se borne pas à traiter de la distribution de la richesse produite, et il n'évite pas la partie la plus profonde de la distribution -c'est-à-dire la distribution des sources de la production- comme l'a fait le capitalisme doctrinal qui a laissé toujours au plus fort le soin de contrôler les sources de la production sous prétexte de liberté économique -qui sert le plus fort et lui facilite les moyens d'accaparer la nature et ses services. Mieux, l'Islam est intervenu positivement dans la distribution de la nature avec toutes les sources de production qu'elle renferme, et il l'a divisée en plusieurs parts dont chacune a son caractère distinctif de propriété -privée, ou publique, ou propriété d'Etat, ou de "permission générale" (ibâhah 'âmmah).
L'Islam a défini aussi les règles de cette division, ainsi que les bases sur lesquelles se fait la distribution de la richesse produite, et il a tracé les détails dans le cadre de ces bases.
C'est pour cette raison que le point de départ ou la première phase de l'Economie islamique est la distribution au lieu de la production -comme c'est le cas dans l'Economie traditionnelle - étant donné que la distribution des sources-mêmes de la production précède l'opération de la production, et que toute organisation liée à l'opération de la production elle-même ou aux articles produits devient secondaire.
Nous allons commencer à présent à définir la position de l'Islam vis-à-vis de la distribution des sources essentielles, la distribution de la nature, avec les richesses qu'elle renferme.
La source originelle de la production
Avant d'aborder les détails selon lesquels sont distribuées les sources essentielles, il faut déterminer quelles sont ces sources.
En effet, en Economie politique, les sources de la production habituellement mentionnées sont :
1- la nature ;
2- le capital ;
3- le travail, lequel comprend également l'organisation effectuée par l'organisateur d'un projet.
Mais, pour notre part, en traitant de la distribution des sources et des formes de leur propriété en Islam, il nous faut exclure du domaine de la recherche les deux dernières des sources mentionnées ci-dessus, à savoir le capital et le travail.
En effet, le capital est en réalité une richesse produite et non pas une source essentielle de production puisque, économiquement, il exprime toute richesse déjà obtenue et cristallisée à travers un travail humain en vue de participer à nouveau à la production d'une autre richesse. Ainsi, l'instrument qui produit le textile n'est pas une pure richesse naturelle. Il s'agit plutôt d'une matière naturelle que le travail de l'homme a adaptée à travers une opération de production antérieure. Or nous traitons ici des détails qui organisent la distribution de la pré-production, c'est-à-dire la production de la richesse qu'Allah a accordée à la société avant qu'elle n'y exerce une activité économique et un travail producteur. Et étant donné que le capital est engendré par une production antérieure, la question de sa distribution entre dans le cadre de celle de la richesse produite, avec tout ce que celle-ci comprend d'articles de consommation et de production.
Quant au travail, il est un élément moral des sources de la production, et non pas une richesse matérielle entrant dans le cadre de la propriété privée ou publique.
C'est pour cette raison que seule la nature, parmi les sources de la production, fait l'objet de notre étude maintenant, étant donné qu'elle représente l'élément matériel antérieur à la production.
La divergence des positions doctrinales vis-à-vis de la distribution de la nature
L'Islam, dans sa façon de traiter de la distribution de la nature, diffère et du capitalisme et du marxisme, aussi bien dans les détails que dans les généralités.
En effet, le capitalisme lie la propriété des sources de la production et le sort de leur distribution aux membres de la société eux-mêmes, et à toutes les énergies et forces que chacun d'eux déploie -à l'intérieur du cadre de la liberté économique assurée à tous- en vue d'obtenir la plus grande part possible de ces sources ; et il permet ainsi à tout individu de posséder ce que la chance et la réussite lui ont permis d'acquérir dans les richesses de la nature et ses services.
Le marxisme, quant à lui, considère -conformément à sa théorie générale de l'interprétation de l'Histoire- que la propriété des sources de la production a un rapport direct avec la forme de la production en vigueur, et que c'est chacune des formes de la production qui détermine -dans sa phase historique- la méthode de distribution des sources matérielles de la production, et quels individus doivent posséder ces sources. Cette distribution restera en vigueur jusqu'à ce que l'Histoire entre dans une nouvelle phase et que la production y prenne une nouvelle forme, laquelle se trouve gênée par l'ancien système de distribution qui forme un obstacle sur la voie de sa croissance et de son développement. Après qu'il sera entré dans un dur conflit avec la nouvelle forme de production, cet ancien système de distribution éclatera, et une nouvelle distribution des sources de la production naîtra, qui réalisera pour la nouvelle forme de production les conditions sociales aidant à sa croissance et à son développement. Ainsi, la distribution des sources de la production est-elle toujours réglée de façon à servir la production elle-même, et s'adapte-t-elle aux exigences de sa croissance et de son développement.
Dans la phase historique de la production agricole, par exemple, la forme de la production imposait que la distribution des sources soit fondée sur une base féodale, alors que la phase historique de la production industrielle mécanique imposait une redistribution nouvelle fondée sur la propriété par la classe capitaliste de toutes les sources de production, et qu'à un certain degré donné de la production mécanique, il sera inévitable -toujours selon le marxisme- de remplacer la classe capitaliste par la classe ouvrière, et de refaire la distribution selon cette base.
En ce qui concerne l'Islam, il ne s'accorde ni avec le capitalisme ni avec le marxisme quant à sa conception de la distribution de la pré-production. Ainsi, il ne croit ni aux conceptions capitalistes de la liberté économique -comme nous l'avons vu dans le chapitre intitulé "Avec le capitalisme"(46), ni à la corrélation inévitable que le marxisme établit entre la possession des sources et la forme de la production en vigueur, comme nous l'avons vu dans le chapitre "Notre Economie dans ses aspects principaux". Aussi limite-t-il la liberté des individus de posséder les sources de la production d'une part, et sépare-t-il la distribution de ces sources de la forme de la production d'autre part. Car le problème qui se pose ici n'est pas, dans l'optique de l'Islam, le problème de la distribution adaptée à son cheminement et à sa croissance -pour que la distribution change chaque fois que la production a un nouveau besoin, et que la croissance de la production dépende d'une distribution nouvelle. Pour l'Islam, il s'agit du problème d'un homme qui a des besoins et des penchants qu'il faut satisfaire dans un cadre susceptible de préserver et de développer son humanité. En effet, qu'il laboure la terre de ses mains ou qu'il utilise les forces de la vapeur et de l'électricité, l'homme est toujours le même quant à ses besoins généraux et ses penchants originels. C'est pourquoi il faut distribuer les sources naturelles de la production de façon à garantir la satisfaction de tous ces besoins et penchants dans un cadre humain qui permette à l'homme de développer son existence et son humanité à l'intérieur du cadre général.
Ainsi, tout individu, en sa qualité d'homme particulier, a des besoins qu'il faut satisfaire. Aussi l'Islam a-t-il permis aux individus de les satisfaire par le moyen de la propriété privée -qu'il a admise et à laquelle il a donné des justifications et posé des conditions.
De même, lorsque des relations s'établissent entre les individus et que la société se forme, celle-ci aura, elle aussi, des besoins généraux qui concernent tout individu en sa qualité de partie du corps social. L'Islam a garanti à la société la satisfaction de ces besoins par le moyen de la propriété publique de certaines sources de production.
Il arrive souvent que certains individus ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins au moyen de la propriété privée, qu'ils se trouvent ainsi dans le dénuement, et que l'équilibre général se disloque. Dans de tels cas, l'Islam propose la troisième forme de la propriété, la propriété d'Etat, pour que le Tuteur préserve l'équilibre général.
Ainsi, la distribution des sources naturelles de la production s'opère par la division de ces sources en domaines de la propriété privée, de la propriété générale et de la propriété d'Etat.
Les sources naturelles de la production
On peut diviser les sources naturelles de la production, dans le monde musulman, en plusieurs parties.
1- La terre : elle est la plus importante des richesses de la nature, sans laquelle l'homme ne peut presque pratiquer aucune production.
2- Les matières premières que la terre renferme, telles que le charbon, le soufre, le pétrole, l'or, le fer, et toutes les autres sortes de minerais.
3- Les eaux naturelles, lesquelles constituent l'une des conditions de la vie matérielle de l'homme, et qui jouent un rôle important dans la production agricole et les communications.
4- Les autres richesses naturelles : ce sont les contenus des mers et des fleuves en richesses extraites par la plongée ou par d'autres moyens, telles que les perles et le corail ; les richesses naturelles qui vivent sur la surface de la terre, telles que les animaux et les plantes ; les richesses naturelles répandues dans l'air, telles que les oiseaux et l'oxygène ; les forces naturelles à l'état latent dans les diverses parties de l'univers, comme l'énergie des chutes d'eau, que l'on peut transformer en courant électrique transmissible par les fils métalliques en n'importe quel point, ainsi que d'autres ressources et richesses de la nature.
La Charî'ah a appliqué à la terre que contrôle le "Dâr-ul-Islam"(47) les trois formes de la propriété. Elle en a décrété propriété publique une partie, propriété de l'Etat une autre partie, et autorisé la propriété privée dans une troisième partie.
Dans ces statuts juridiques, elle lie le type de la propriété à la cause de sa prise de possession par l'Islam, et à l'état dans lequel elle se trouvait lorsqu'elle est devenue terre islamique. Ainsi, la propriété de la terre en Iraq diffère-t-elle de la propriété de la terre en Indonésie, étant donné que ces deux pays diffèrent par la façon dont ils ont rejoint le Dâr-ul-Islam. De même, à l'intérieur de l'Iraq, par exemple, les terres diffèrent les unes des autres quant au type de propriété selon l'état qui prévalait dans les différentes terres lorsque ce pays a commencé sa vie islamique.
Pour aborder les détails, nous diviserons la terre islamique en plusieurs parties, et nous parlerons de chacune d'entre elles et du type de propriété qui y prévaut.
La terre devenue islamique par la conquête
La terre devenue islamique par la conquête est toute terre entrée dans le Dâr-ul-Islam à la suite d'un combat armé pour l'Appel. Les exemples en sont les territoires iraqien, égyptien, iranien, syrien, et beaucoup d'autres parties du monde musulman. Ces territoires n'étaient pas tous dans un même état au moment de la conquête musulmane. Les uns étaient exploitables, et on y constatait la trace d'efforts humains antérieurement déployés pour exploiter la terre en vue de l'agriculture ou d'autres commodités pour l'homme ; d'autres étaient naturellement exploitables sans intervention humaine directe, telles les forêts regorgeant d'arbres et tirant leur richesse de la nature et non pas de l'homme, au moment de la conquête ; d'autres encore étaient des terres négligées qu'aucune mise en valeur humaine ou naturelle n'avait atteintes jusqu'à l'époque de la conquête, et qui s'appellent de ce fait dans le langage jurisprudentiel des "terres mortes", parce qu'elles étaient sans vie et sans aucune activité.
Ces trois sortes de terres diffèrent selon leur état respectif lors de leur entrée dans l'histoire de l'Islam. L'Islam a décrété certaines d'entre elles propriété publique, et les autres propriété de l'Etat, comme nous le verrons plus loin.
La terre déjà exploitable par suite du travail de l'homme lors de la conquête
Si la terre était déjà exploitable par suite d'efforts humains, lors de sa fusion dans l'histoire de l'Islam, et entrée déjà en la possession de l'homme et dans le cadre de son exploitation, elle devient alors propriété publique de tous les Musulmans déjà existants et existants dans le futur. C'est-à-dire que c'est la Ummah, dans son étendue historique, qui possède cette terre, qu'aucun Musulman n'a plus de privilège qu'un autre Musulman dans cette propriété publique, et qu'aucun individu n'est autorisé à y posséder en propriété privée la "raqabah"(48) de la terre.
Al Muhaqqiq al-Najafî, citant plusieurs sources jurisprudentielles -telles qu'al-Ghoniyah, al-Khilâf, al-Tath-kirah, rapporte dans ses "Jawâhir" que «les faqîh imamites sont unanimement d'accord sur ce statut et sur l'application du principe de la propriété publique sur la terre exploitable lors de la conquête.»(49) De même, al-Mâwerdî, citant l'imam Mâlik, rapporte : «Il est dit que la terre exploitable lors de la conquête est commune aux Musulmans dès sa conquête, sans avoir besoin d'établir la formule de son caractère de communauté par le Tuteur. De même, il n'est pas permis de la partager entre les conquérants.»(50) C'est là une autre expression de la propriété publique de la Ummah.
Les preuves de la propriété publique et ses aspects
Les textes et les applications de la Charî'ah établissent clairement le principe de la propriété publique dans cette catégorie de terres, comme en témoignent les Récits suivants.
1- On rapporte qu'al-Halabî a dit : «Lorsqu'on a interrogé l'Imam Ja'far ibn Muhammad al-Çâdiq (S) sur le statut de Sawâd, il a dit : "Il est à tous les Musulmans, ceux qui le sont déjà, ceux qui le deviendront [à l'avenir], et ceux qui ne sont pas encore nés." Nous lui demandâmes alors : "Et l'achat chez les chefs de canton ?" - "On ne peut leur en acheter que si on la rend [la terre] commune aux Musulmans. Et dans ce cas, si le Tuteur décide de la lui reprendre, il peut le faire" répondit-il. "Et s'il la lui reprenait effectivement ? demandâmes-nous encore". - "On doit lui restituer son capital ; et la récolte dont il a mangé est la rétribution de son travail" répondit-il.»(51)
2- Abû al-Rabi' al-Châmî rapporte le hadith suivant de l'Imam al-Çâdiq (S) : «N'achetez rien de la terre de Sawâd, à moins qu'elle appartienne à un protégé, car cette terre est un "fay'" pour les Musulmans.»
La terre de Sawâd était, selon la norme de cette époque-là, la partie exploitable du territoire iraqien conquis par les Musulmans dans une guerre de Jihâd. Les Musulmans ont donné cette appellation au territoire iraqien parce que, en quittant leur pays désertique de la Péninsule arabique pour porter l'Appel au monde, ils ont découvert la verdure des plantes et des arbres sur le territoire iraqien. Aussi ont-ils appelé la verdure de l'Iraq "Sawâd" (noirceur), car ils désignaient par un même substantif verdure (kudhrah) et noirceur (sawâd).
3- Selon un "khabar"(52) rapporté par Hammâd (Ibn 'Isâ), et attribué à l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S) : «Un combattant n'acquiert rien de la terre [...] Il n'a de droit que sur les biens pris dans le camp de l'ennemi défait. Quant à la terre, conquise par la force et avec la charge des chevaux et des montures, elle est laissée provisoirement à celui qui la mettrait en valeur et la reconstruirait, avec l'accord du Tuteur qui la lui céderait selon un contrat de partage (de moitié-moitié, un tiers-deux tiers, ou deux tiers-un tiers) bénéfique et non préjudiciable à l'exploitant.»
Ce qui veut dire que le Tuteur laisse les terres conquises par la force à ceux, parmi les Musulmans, qui sont capables de les exploiter, et qu'il leur fait payer une rétribution de la terre, celle-ci étant la propriété de l'ensemble de la Ummah. Lorsque ces cultivateurs utilisent la terre en l'exploitant, ils doivent en payer le prix de leur utilisation à la Ummah. Et c'est ce prix ou salaire que le khabar ci-dessus appelle "Kharâj".
4- Selon un hadith, lorsque Abû Bardah interrogea un jour l'Imam Ja'far (S) sur l'achat d'une terre de "kharâj", l'Imam lui répondit : «Et qui vendra une telle terre qui appartient aux Musulmans ?»(53)
La "terre de kharâj" est une expression jurisprudentielle de la terre dont nous parlons ici, car on prélève un "kharâj"(54) sur toute terre conquise exploitable -comme nous l'avons vu dans le précédent khabar- et elle est appelée "terre kharâjite" pour cette raison.
5- Selon un riwâyah(55) de Muhammad ibn Abî Naçr, citant l'Imam 'Alî ibn Mûsâ al-Redhâ (S), qui expliquait les divisions et les statuts de la terre : «Ce qui est pris par l'épée appartient à l'Imam, lequel le concède contre ce qu'il estime convenable.»(56)
6- Nous apprenons de l'histoire des conquêtes musulmanes que lorsqu'on a demandé au deuxième calife de partager la terre conquise entre les combattants de l'armée musulmane sur la base du principe de la propriété privée, et qu'il consulta les Compagnons à ce sujet, l'Imam 'Alî (S) lui conseilla de s'abstenir de partager, et Ma'âd ibn Jibl lui dit : «Si tu partageais entre eux, la grande rente tomberait entre les mains des gens. Lorsque ceux-ci mourront, elle reviendrait à un seul homme ou à une seule femme. Puis lorsque, après eux, d'autres gens viendront qui rendront des services louables à l'Islam, ils ne trouveraient plus rien. Choisis donc une solution qui englobe les premiers et les derniers des Musulmans.» Aussi 'Omar décida-t-il d'appliquer le principe de la propriété publique, et écrivit-il à Sa'd ibn Abî Waqqâç : «J'ai appris par ta lettre que les gens te demandent de partager entre eux leur butin et ce qu'Allah leur a octroyé. Décompte le bétail ou les biens qu'ils t'ont apportés et partage-les entre les Musulmans présents. Laisse en revanche les terres et les fleuves à ceux qui y travaillent, afin qu'ils demeurent la propriété générale des Musulmans. Car si nous les partageons entre les Musulmans présents, ceux à venir n'auront plus rien.»
D'aucuns ont interprété ces mesures prises par le deuxième calife comme suit : le Sawâd serait la propriété de ses détenteurs -comme il en est question dans "Kitâb al-Amwâl", d'Abû 'Obayd- car lorsque 'Omar leur a rendu leur terre, ils seraient devenus propriétaires des "riqâb" (pluriel de raqabah), et les Musulmans auraient eu droit au kharâj. Ainsi, la propriété publique concernerait le kharâj et non pas la raqabah de la terre.
Certains penseurs musulmans contemporains, parmi ceux qui adoptent cette interprétation, ont dit que cela constitue une nationalisation du kharâj, et non pas de la terre.
Mais en vérité, il apparaît très clairement que les mesures de 'Omar reposaient sur la base de la croyance au principe de la propriété publique et son application à la raqabah de la terre. Le fait de laisser la terre à ses détenteurs ne constitue pas une reconnaissance de sa part de leur droit à la propriété privée dans cette terre ; il la leur a laissée à titre de métayage ou de fermage, et pour qu'ils travaillent dans les terres des Musulmans et les utilisent contre paiement, à ces derniers, du kharâj.
La preuve en est ce que rapporte Abû 'Obayd dans son "Kitâb al-Amwâl" : «'Otbah ibn Farqad avait acheté une terre sur la rive de l'Euphrate pour y faire une plantation. Lorsqu'il en fit part à 'Omar, celui-ci lui demanda : "A qui l'as-tu achetée ?" - "A ses propriétaires" répondit-il. 'Omar rassembla alors chez lui les Muhajirîn et les Ançar, et il lui dit : "Voilà ses propriétaires ! Leur as-tu acheté quelque chose ?" - "Non !" répondit 'Otbah. - "Rends-la donc à qui tu l'as achetée, et reprends ton argent" conclut 'Omar.
7- "Kitâb al-Amwâl" rapporte ce témoignage de Abû 'Awn al-Thaqafî : «Un chef de canton s'est converti à l'Islam à l'époque de 'Alî (S). Celui-ci lui dit : "En ce qui te concerne personnellement, tu n'as pas à payer de tribut. Quant à ta terre, elle nous appartient."»
8- Al-Bukhârî rapporte ce témoignage de 'Abdullâh : «Le Prophète a concédé Khaybar aux Juifs pour qu'ils la cultivent et la travaillent contre le prélèvement d'une part de la récolte.» Ce hadith montre l'application par le Messager d'Allah (Ç) du principe de la propriété publique à Khaybar, en tant que terre conquise par le Jihâd -bien qu'il y ait des riwâyah opposées. Car si le Prophète (Ç) avait partagé la terre entre les combattants en propriétés privées, selon le principe de la propriété privée -au lieu d'appliquer celui de la propriété publique- il n'aurait pas conclu en sa qualité de Gouvernant un contrat de métayage avec les Juifs, car en signant le contrat en cette qualité, il montre que le sort de la terre revenait à l'Etat et non pas aux conquérants eux-mêmes.
Selon certains penseurs musulmans, ce traitement accordé à Khaybar constituerait une preuve irréfutable du droit de l'Etat de posséder et de s'approprier les biens des individus, ce qui établirait la permission de la nationalisation en Islam. Car la règle générale du butin (fay') est de le partager entre les combattants. Le fait que l'Etat le garde pour lui sans le partager entre les ayants droit constituerait une autorisation octroyée à l'Etat de mettre la main sur les droits de ses citoyens lorsqu'il l'estime être dans l'intérêt du bonheur de tous. Il serait donc juste de dire que l'Etat a le droit de nationaliser les propriétés privées.
Mais en vérité, le fait que l'Etat conserve les territoires conquis sans les partager entre les combattants, comme cela se fait pour l'ensemble des butins, n'est pas une application du principe de la nationalisation, mais l'application du principe de la propriété publique, car dans la terre conquise le droit de la propriété privée n'est pas décrété, et le partage du butin est un principe que le législateur a institué uniquement pour les butins mobiliers. Par conséquent, la propriété publique de la terre conquise est un caractère originel de celle-ci dans la Législation islamique, et non pas une nationalisation ou un statut juridique secondaire qui viendrait après l'établissement du principe de la propriété privée.
En tout état de cause, la plupart des textes que nous venons d'évoquer stipulent que la raqabah de la terre -c'est-à-dire la terre elle-même- est la propriété de l'ensemble de la Ummah, que c'est l'Imam, en sa qualité de Tuteur, qui en prend la charge et perçoit un kharâj spécial de ceux qui l'utilisent, kharâj que les cultivateurs paient en loyer de leur utilisation de la terre, et que c'est la Ummah qui possède le kharâj, car étant donné qu'elle possède la raqabah de la terre, il est naturel qu'elle en possède les commodités et le kharâj également.
Discussion des arguments en faveur de la propriété privée
Certains parmi les chercheurs musulmans -anciens et modernes- tendent à soumettre la terre conquise par la force au principe du partage entre les combattants, sur la base de la propriété privée, à l'instar du partage entre eux des butins.
Ils se réfèrent, sur le plan jurisprudentiel, pour appuyer leur thèse, à deux sources :
1- le "Verset du Butin" ;
2- La conduite du Saint Prophète (Ç) concernant le partage des butins à Khaybar.
En ce qui concerne le "Verset du Butin", de la Sourate al-Anfâl, (Le Butin), dans lequel Allah dit :
«Sachez que quel que soit le butin que vous preniez, le cinquième appartient à Allah, au Prophète et à ses proches, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur...» (Sourate al-Anfâl, 8 : 41)
Ces chercheurs affirment que ce Verset signifie -dans son sens venant naturellement à l'esprit- que tout ce qui est conquis en butin étant soumis au prélèvement d'un cinquième, le reste doit être partagé entre les conquérants et ce sans distinction entre la terre et les autres formes de butin.
Mais en réalité, le maximum que ce Noble Verset puisse signifier est l'obligation de prélever le cinquième du butin comme impôt que l'Etat perçoit au bénéfice des proches du Prophète (Ç), des pauvres, des orphelins et du voyageur. Et même si l'on suppose que cet impôt est prélevé également sur la terre, cela ne déterminera en aucun cas le sort des quatre autres cinquièmes, ni le type de propriété auquel il doit être appliqué. Car de même que le "Khoms" -en tant qu'impôt au profit de certaines catégories de pauvres et de leurs semblables- peut être prélevé, au profit de ces catégories de personnes, sur les butins mobiliers que les combattants possèdent en propriété privée, de même il peut être prélevé, toujours au profit des mêmes catégories de personnes, sur la terre conquise que la Ummah possède en propriété publique. Il n'y a donc aucun lien entre le prélèvement du cinquième (takhmîs) et le partage. Un bien peut être soumis au principe du prélèvement du cinquième, mais il n'est pas nécessaire qu'il soit partagé entre les combattants sur la base de la propriété privée. Le Verset de "takhmîs" ne signifie donc pas le partage entre les combattants. En d'autres termes, le butin dont parle le Verset en question doit signifier ou bien un butin de guerre, c'est-à-dire ce qui a été pris par la guerre, ou bien le butin légal -c'est-à-dire les biens que l'homme possède selon le législateur. Si nous expliquons le mot par le premier sens, il n'y aura dans le Noble Verset rien qui puisse indiquer que ce qui excède le cinquième du butin doit être considéré comme la propriété des combattants dans tous les cas. Et si nous l'expliquons par le second sens, le Verset lui-même suppose qu'il a pour objet la propriété de ceux qui sont concernés par le bien, comme s'il était formulé de la façon suivante : «Si vous possédez un bien, le cinquième y est fixe» ; et dans ce cas, on ne peut considérer le Verset comme une preuve de la propriété des combattants sur le butin, étant donné qu'il ne réalise pas son objet ni n'établit sa condition(57)
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Quant aux enseignements tirés de la biographie du Saint Prophète (Ç) et de sa Famille (S) concernant le partage des butins de Khaybar, ils constituent le second argument sur lequel se sont fondés ces partisans du partage de la terre entre les combattants en propriétés particulières, croyant que le Prophète (Ç) avait appliqué aux terres de Khaybar le principe de la propriété privée en partageant ces terres entre les combattants qui les ont conquises.
Mais nous mettons absolument en doute la justesse de cette croyance, même si nous supposions la véracité des Récits historiques qui parlent du partage de Khaybar -par le Prophète (Ç)- entre les combattants ; car l'histoire générale qui nous rapporte ceci nous fournit également d'autres indications dans la biographie du Saint Prophète (Ç), qui contribuent à la compréhension des règles qu'il a appliquées aux butins de Khaybar.
Il y a par exemple le phénomène de la conservation par le Prophète (Ç) d'une grande partie des intérêts de la Ummah et de l'Etat. En effet, selon les "Sunan" de Abû Dâwûd, citant Sahl ibn Abî Hachmah : «Le Prophète a divisé Khaybar en deux moitiés, l'une pour subvenir à ses besoins et résoudre les problèmes qui pourraient surgir, l'autre -qu'il a divisée en dix-huit parts- pour les Musulmans.»
Selon Bachîr ibn Yasâr, citant quelques Compagnons du Prophète (Ç) : «Lorsque le Messager d'Allah est venu à Khaybar, il a partagé celle-ci en trente-six parts de cent sous-parts chacune. Il consacra la moitié de tout cela à lui-même et aux Musulmans, et il mit à part l'autre moitié pour couvrir les dépenses occasionnées par les délégations qui se rendaient chez lui, et pour résoudre les problèmes graves qui frapperaient les gens.»
Selon ibn Yasâr : «Lorsque Allah a octroyé Khaybar au Prophète, il l'a divisé en trente-six parts, dont chacune comportait cent sous-parts. Il en a conservé la moitié, à savoir "al-Watîhah", "al-Katîbah" et ce qui avait été acquis avec elles, pour ses besoins et pour ce qui pourrait lui arriver, et il a partagé l'autre moitié -soit "al-Chaq" et "al-Nat'ah" et ce qui avait été acquis avec eux. La part du Prophète était ce qui avait été acquis avec les deux.»(58)
Il y a une autre indication. En effet, le Saint Prophète (Ç) exerçait lui-même le contrôle des terres de Khaybar, bien qu'une partie de celles-ci fût répartie entre les individus. Il avait conclu des accords de fermage avec les Juifs, accords stipulant qu'il se réservait le droit de les expulser quand il le désirerait.
Il est noté dans les "Sunan" d'Abû Dâwûd que : «Le Prophète a voulu un jour faire partir les Juifs de Khaybar. Ceux-ci lui dirent : "O Muhammad ! Laisse-nous travailler sur cette terre, nous aurons une part de la production et vous aurez l'autre part.»
'Abdullâh ibn 'Omar, cité également par les "Sunan" d'Abû Dâwûd, dit : «'Omar dit un jour : "O gens ! Le Messager d'Allah avait traité avec les Juifs sur la base de notre droit de les faire sortir quand nous le voudrions. Aussi, quiconque possède un bien, qu'il le rejoigne, car je vais faire sortir les Juifs de Khaybar." Et il les fit sortir effectivement.»
De même, selon ibn 'Omar : «Lorsque Khaybar fut conquis, les Juifs demandèrent au Messager d'Allah de les laisser (sur place) à condition qu'ils travaillent sur la base du prélèvement de la moitié de sa récolte. Le Messager d'Allah leur dit : "Je vous y laisse sur cette base tant que nous le voudrons." Et il en fut ainsi, les dattes étaient divisées en deux parts dans la moitié de Khaybar. Le Prophète en prenait le cinquième.»
Abû 'Obayd cite, dans son "Kitâb al-Amwâl", ce témoignage d'Ibn 'Abbâs : «Le Prophète a concédé Khaybar -la terre et les dattiers- à ses habitants sur la base d'un partage de moitié-moitié.»
Si nous réunissons ces deux indications de la biographie du Saint Prophète (Ç) (conserver une grande partie de Khaybar pour le service des Musulmans et les affaires de l'Etat, et contrôler -en sa qualité de Tuteur- les affaires de l'autre partie aussi -que nous supposons qu'il a partagée entre les combattants- nous pouvons donner à la biographie du Prophète une interprétation qui concorde avec les précédents textes législatifs qui établissent le principe de la propriété publique dans la terre conquise. Car il est possible que le Messager d'Allah ait appliqué à la terre de Khaybar le principe de la propriété publique qui exige que la Ummah s'approprie la raqabah de la terre, et que celle-ci soit utilisée au bénéfice de la Ummah et de ses besoins généraux.
Ces besoins généraux de la Ummah étaient alors de deux sortes :
1- couvrir les dépenses que le Gouvernement engageait dans l'exercice de son devoir vis-à-vis de la société islamique ;
2- établir l'équilibre social et relever le niveau général qui était si bas que 'A'ïchah en dit, en le décrivant : «Nous n'avions pas assez de dattes jusqu'à ce qu'Allah ait ouvert Khaybar.» Le traitement de ce degré de détérioration du niveau de vie, qui constituait un obstacle au progrès de la jeune société et à la réalisation de ses idéaux dans la vie, est considéré comme un besoin général de la société.
La conduite du Saint Prophète (Ç) a réalisé la satisfaction des deux sortes de besoins généraux de la société. La première sorte , le Prophète (Ç) en a assuré la satisfaction par la moitié dont les Récits précités disent qu'il l'a consacrée aux problèmes graves qui se poseraient, à la réception des délégations, etc. La seconde partie des besoins a été réglée en consacrant le revenu de l'autre moitié de la terre de Khaybar à un grand nombre de Musulmans, afin que cela aide à mobiliser les énergies générales dans la société islamique, et pour leur permettre de réaliser un niveau plus élevé. Le partage de la moitié de Khaybar entre un grand nombre de Musulmans ne signifiait pas qu'on leur accordait la propriété de la raqabah de la terre, ni la soumission de celle-ci au principe de la propriété privée, mais le partage du revenu et de la jouissance de la terre, tout en gardant sa raqabah comme propriété publique.
C'est ce qui nous explique le fait que le Tuteur s'occupe des affaires ayant trait à la terre de Khaybar, y compris les parts des individus, car tant que la raqabah est la propriété de la Ummah, il faut que son Tuteur s'occupe lui-même des affaires de la terre.
Et c'est ce qui explique également pourquoi certains individus, qui n'avaient pas participé à la bataille de Khaybar, étaient compris dans le partage -comme l'ont affirmé de nombreux rapporteurs de hadith et historiens. Ce fait renforce notre point de vue qui consiste à expliquer ce partage comme une tentative de trouver un équilibre dans la société, au lieu de l'expliquer comme une application du principe de la répartition du butin entre les combattants, partage dont auraient été exclus les non-combattants.
Il existe un autre Verset dont ont tiré argument certains de ceux qui penchent pour la thèse de la propriété privée. Dans ce Verset, Allah dit :
«IL vous a donné en héritage leur pays, leurs habitations, leurs biens et une terre que vos pieds n'avaient jamais foulée.» (Sourate al-Naml, 27 : 33).
Selon eux, ce Verset considérerait la terre comme un héritage pour le groupe auquel il s'adresse, à savoir les fidèles contemporains de la Descente dudit Verset, ce qui exclurait sa qualité de propriété de la Ummah tout au long de son étendue historique. Le Verset a traité sur un pied d'égalité terre et biens en leur réservant un seul et même traitement, ce qui signifierait que l'héritier des biens est aussi héritier de la terre ; et étant donné que les biens concernent seulement les combattants, la terre également les concernerait seuls. Il est à noter à cet égard que ce Noble Verset a ajouté par l'emploi d'une conjonction de coordination [et] à "leur terre" et "leurs biens", une terre qu'il a décrite comme "n'ayant jamais été foulée par les Musulmans". La terre visée ici est soit une terre sur laquelle n'avaient été engagés ni chevaux ni chameaux, et dont les habitants avaient fui par peur des Musulmans -c'est-à-dire une terre conquise sans combat-, soit une terre destinée à être conquise ultérieurement, tels les territoires perse et romain, comme l'affirment les livres d'exégèse. Si nous adoptons la première supposition dans l'interprétation de cette phrase -comme c'est le cas apparemment puisque le Verset indique qu'elle a été effectivement rendue comme héritage des Musulmans- cela traduit une sorte de butin dont la propriété revient à Allah et au Prophète (Ç), et non pas aux Musulmans. Auquel cas nous avons là une présomption en faveur de la thèse selon laquelle "l'héritage de ces choses pour les Musulmans" est le transfert du contrôle et de la mainmise vers eux, et non pas le transfert de la propriété au sens juridique ; auquel cas il n'y a pas dans le Verset d'indication concernant le type de propriété de la terre.
Si nous adoptons la seconde hypothèse dans l'interprétation de cette phrase, celle-ci devient une présomption indiquant que le Verset ne visait pas seulement les contemporains de sa Révélation, mais la Ummah dans toute son étendue temporelle, car les contemporains de la Descente de ce Verset pourraient ne pas assister à la conquête de nouveaux territoires à la suite de batailles futures, en tant qu'individus, mais seulement en tant qu'expression de la Ummah dans son étendue historique. Dans cette hypothèse, l'héritage de la terre -mentionné dans le Verset- concorde avec la propriété publique des Musulmans. Quant à se fonder sur l'unité de contexte pour établir que ceux qui possèdent la terre sont ceux-là mêmes qui possèdent les biens -c'est-à-dire exclusivement les combattants- cela n'est pas pertinent, car cela conduirait à considérer que le Verset est adressé exclusivement aux combattants, alors que le sens apparent dudit Verset vise toute la Communauté musulmane contemporaine. Il est donc indispensable de conférer à l'héritage un sens autre que la possession, dans son sens littéral, qui consacre les biens pris en butin de guerre, propriété particulière des combattants. Cet autre sens, c'est leur contrôle de ces biens, ou l'entrée de ces biens en leur possession en tant que propriété privée ou publique. Auquel cas le Noble Verset pourrait être formulé comme suit : «Nous vous avons donné pouvoir sur leur terre et sur leurs biens» ou encore : «Nous avons mis la propriété de leur terre et de leurs biens en votre possession», et par conséquent rien dans ledit Verset n'indique alors que le propriétaire -au sens littéral du terme- est le même en ce qui concerne les biens et en ce qui concerne les terres.
La conclusion que nous tirons de tout ce qui précède est que la terre conquise devient propriété publique des Musulmans si elle était exploitable lors de la conquête(59). Et en tant que propriété publique de la Ummah, et consacrée à ses intérêts généraux, cette terre n'est pas soumise aux statuts de l'héritage, et la part que l'individu musulman en possède -en tant que membre de la Ummah- n'est pas transmissible à ses héritiers. Tout Musulman y a un droit uniquement en tant que Musulman. De même que la terre "kharâjite" n'est pas transmissible par héritage, de même elle ne saurait être vendue -car il n'est pas permis de vendre un bien de mainmorte. En effet, le Chaykh al-Tûsî a écrit dans "al-Mabsût" : «Il n'est pas correct de prendre l'initiative d'y effectuer une opération de vente et d'achat, de don et de compensation, d'appropriation, de louage, d'héritage.» Et selon Mâlik : «La terre ne peut pas être partagée. Elle est bien de mainmorte, dont le kharâj est dépensé dans l'intérêt des Musulmans : les allocations des combattants, la construction de canaux et de Mosquées, et d'autres bonnes oeuvres.»
Lorsque la terre est livrée aux cultivateurs en vue de son exploitation, ceux-ci n'acquièrent pas un droit personnel fixe dans la raqabah de la terre, et ils n'y sont que des locataires qui cultivent la terre et paient en échange le loyer ou le kharâj, selon les conditions convenues dans le contrat. Et lorsque la période prévue pour le louage expire, leur lien avec la terre est interrompu ; ils ne peuvent l'exploiter ni la mettre à leur disposition que s'ils renouvellent le contrat et concluent de nouveau un accord avec le Tuteur.
Cela est nettement confirmé par le faqîh al-Isfahânî dans son commentaire sur les grains, où il dénie la possibilité pour l'individu d'acquérir dans la terre kharâjite tout droit personnel dépassant les limites de l'autorisation accordée par le Tuteur dans le contrat de louage en vue de l'utilisation et de l'exploitation de la terre contre un loyer pendant une période déterminée.
Si la terre kharâjite est négligée jusqu'à ce qu'elle soit tombée en ruine et que sa mise en valeur disparaisse, elle ne perdra pas pour autant sa qualité de propriété publique de la Ummah. Aussi ne permet-on pas à un individu de la remettre en valeur, à moins qu'il n'obtienne une autorisation de la part du Tuteur, auquel cas la remise en valeur de la terre par cet individu ne lui confère pas un droit privé sur la raqabah de la terre, car le droit privé dû à la mise en valeur est acquis seulement dans les terres d'Etat dont nous parlerons par la suite, et non pas dans les terres kharâjites que la Ummah possède en propriété publique, comme l'a affirmé l'auteur d'al-Bolghah dans son livre.
Donc, les superficies ruinées des terres kharâjites demeurent kharâjites et propriété des Musulmans, et ne deviennent pas une propriété privée de l'individu du fait de sa mise en valeur et de son exploitation de ces terres.
Nous pouvons tirer de cet exposé la conclusion suivante : les terres annexées au Dâr-ul-Islam(60) par le Jihâd, et qui sont exploitables grâce à des efforts humains antérieurs à la conquête, sont soumises aux statuts légaux suivants :
1- Elles deviennent propriété publique de la Ummah, et personne n'a le droit de se les approprier ni de se les réserver exclusivement.
2- Tout Musulman a un droit sur ces terres, en sa qualité de membre de la Ummah. Mais il n'en perçoit pas la part de ses proches par héritage.
3- Les individus n'ont pas le droit de conclure sur la terre elle-même des contrats de vente, de don, etc.
4- Le Tuteur est responsable de la conservation et de l'exploitation de ces terres ; de même, il lui incombe la responsabilité d'imposer le montant du kharâj lorsqu'il les confie à des cultivateurs.
5- Le kharâj que le cultivateur paie au Tuteur a le même statut de propriété que la terre. Il est donc propriété de la Ummah, comme la terre elle-même.
6- Le lien du locataire avec la terre est interrompu lors de l'expiration de la période de louage, au-delà de laquelle il n'a pas le droit de l'accaparer.
7- Si la terre kharâjite perd sa mise en valeur et devient terre morte, elle ne perd pas pour autant sa qualité de propriété publique ; et nul n'a le droit de se l'approprier par remise en valeur et restauration.
8- L'exploitabilité de la terre résultant des efforts de ses anciens habitants -lors de la conquête islamique- est une condition essentielle de la propriété publique et des statuts précités. Si donc la terre n'avait pas été mise en valeur par un effort humain précis, elle n'est pas soumise auxdits statuts.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons besoin aujourd'hui, dans le domaine de l'application, de nombreux renseignements historiques sur la terre islamique et le degré de sa mise en valeur, afin de pouvoir distinguer, à leur lumière, les endroits valorisés lors de la conquête, des autres endroits restés incultes. Compte tenu de la difficulté d'obtenir des renseignements déterminants à cet égard, nombre de faqîh se sont contentés de suppositions. Ainsi, toute terre dont on croit qu'elle était probablement mise en valeur lors de la conquête islamique est-elle considérée comme propriété des Musulmans.
Prenons, à titre d'exemple, les tentatives de certains faqîh en vue de déterminer le statut de la terre kharâjite possédée en propriété publique sur le territoire iraqien conquis pendant la deuxième décennie de l'Hégire. En effet, dans son livre "Al-Muntahâ", al-'Allâmah al-Hillî écrit : «La terre de Sawâd est la terre conquise sur les Perses par 'Omar ibn al-Kattâb. Elle est le Sawâd de l'Iraq, et s'étend, en largeur, de l'extrémité des montagnes à Halwân, jusqu'à la bordure de Qâdiciyyah, reliée au 'Othayb du territoire arabe, et en longueur depuis les limites de Mouçil jusqu'à la côte de la mer dans le pays d'Abâdân, à l'est du Tigre. Quant à l'ouest du Tigre, qui est suivi par Baçrah, il est islamique, comme le fleuve de 'Amr ibn al-'Aç... Et toute cette terre ainsi délimitée a été conquise de force par 'Omar ibn al-Khattâb qui y a envoyé par la suite trois personnes : 'Ammâr ibn Yâsir, imam de Prière, Ibn Mas'ûd, juge et responsable du Trésor Public, 'Othmân ibn Honayf, responsable de l'arpentage de la terre. Il leur a alloué (comme impôt prélevé sur les habitants de la terre conquise) une brebis par jour, dont une part avec les parties superflues à 'Ammâr, et l'autre part aux autres, en disant : "Je ne crois pas qu'on puisse prélever dans un village chaque jour une brebis sans qu'il connaisse rapidement la ruine."»
Dans le livre "Al-Ahkâm al-Sultâniyyah" d'Abî Ya'lî, il est écrit : «La frontière de Sawâd est, en longueur de Hadithah de Mouçil jusqu'à Abâdân, et en largeur de 'Othayb d'al-Qâdiciyyah jusqu'à Halwân. Sawâd est ainsi long de cent soixante farsakh, et large de quatre-vingt farsakh, mis à part les villages -nommés par Ahmad et mentionnés par Abû 'Obayd, à savoir al-Hirah, Yaneqyâ, la terre de Banî Çalûbâ et un autre village- qui étaient entrés en Islam par traité de réconciliation.»
'Omar, cité par Abû Bakr, écrit : «Allah -IL est Puissant et Glorifié- a permis la conquête du territoire s'étendant entre al-'Othayb et Halwân.
«Quant à l'Iraq, il comprend, en largeur, la largeur -reconnue par la norme- de Sawâd, et sa largeur est plus courte que sa longueur, car il commence à l'est du Tigre à "al-'Alth" et à l'ouest du Tigre à "Harbi", puis il s'étend jusqu'aux prolongements de Baçrah dans l'île de Abâdân. Il est donc long de cent vingt-cinq farsakh -soit trente-cinq farsakh de moins que la longueur de Sawâd- et large de quatre-vingt farsakh, soit aussi large que le Sawâd.
«Qodâmah ibn Ja'far écrit : "Le total en est de dix mille farsakh, et la longueur de chaque farsakh étant de douze mille bras étendus, cela fait neuf "mille bras de superficie", soit vingt-deux mille et cinq cents jarid, si on le multiplie par le même nombre, c'est-à-dire si on multiplie un farsakh par un farsakh. Et si on multiplie ce nombre par le nombre de farsakh, soit dix mille farsakh, le résultat est de deux cent mille milliers et vingt-cinq mille milliers de jarid, dont on soustrait par forfait les lieux des collines et les plaines de terres, de broussailles, les terres salines, les chemins délaissés et les grandes routes (mahâj), les cours d'eau, les terrains non construits des villes et des villages, les emplacements des moulins et des lacs, des ponts, des fontaines, des fermes, des dépôts de roseaux, des fours à briques, etc. soit soixante quinze mille milliers de jarid, le reste constituant la superficie de l'Iraq, soit mille milliers de jarid et cinquante mille milliers de jarid, dont il faut soustraire la moitié, et l'autre moitié est donc cultivée, avec tout ce qu'elle comprend de dattiers, de vignes et d'arbres." Et si vous ajoutez à ce qu'a mentionné Qodâmah concernant la superficie de l'Iraq, à savoir le reste de Sawâd -soit trente-cinq farsakh- la superficie supplémentaire qu'il faut ajouter à celle de l'Iraq est son quart, et c'est ce nombre qui constitue la superficie de toute la terre de Sawâd qui est apte à la culture et à la plantation, et il est possible qu'une partie illimitée de cette superficie cultivée devienne improductive à cause d'accidents et d'événements.»
La terre morte lors de la conquête
Si la terre n'était déjà exploitable ni naturellement, ni par suite d'un effort humain lors de son entrée en Islam, elle est propriété de l'Imam -et c'est ce que nous appelons "propriété de l'Etat"- et elle n'entre pas dans le cadre de la propriété privée. Aussi a-t-elle ceci de commun avec la terre kharâjite qu'elle n'est pas soumise au principe de la propriété privée, tout en s'en différenciant toutefois quant à la forme de sa propriété. En effet, la terre exploitable lors de la conquête est considérée comme propriété publique de la Ummah lorsqu'elle entre en la possession de l'Islam, alors que la terre morte est considérée comme propriété de l'Etat lors de son entrée dans le Dâr-ul-Islam.
Les preuves de la propriété par l'Etat de la terre morte
La preuve juridique de la propriété par l'Etat de la terre morte lors de la conquête, est qu'elle fait partie des butins, comme en témoigne le Hadith. Les butins sont en effet un groupe de richesses que la Charî'ah a déclarées propriété de l'Etat, puisqu'Allah dit : «Ils t'interrogent au sujet du butin. Dis : "Le butin appartient à Allah et à Son Prophète. Craignez Allah ! Maintenez la concorde entre vous. Obéissez à Allah et à Son Prophète, si vous êtes Croyants !» (Sourate al-Anfâl, 8 : 1)
Selon al-Chaykh al-Tûsî, commentant dans son livre "al-Tah-thîb" les circonstances de la Descente de ce Verset, lorsque d'aucuns demandèrent au Prophète (Ç) de leur donner une partie du butin, ledit Verset descendit pour confirmer le principe de la propriété de l'Etat et récuser le partage du butin entre les individus selon le principe de la propriété privée.
La possession du butin par le Prophète (Ç) traduit la possession de ce butin par la fonction Divine de l'Etat. C'est pourquoi la possession du butin par l'Etat continuera et s'étendra au long de l'étendue de l'Imamat après le Prophète (Ç), comme l'affirme ce hadith attribué à l'Imam 'Alî (S) : «Celui qui se charge des affaires des Musulmans a la charge du butin qui appartenait au Messager d'Allah, puisqu'Allah dit : "Ils t'interrogent au sujet du butin. Dis : Le butin appartient à Allah et à Son Prophète." Or ce qui appartient à Allah et à Son Messager appartient aussi à l'Imam.»(61) Ainsi, si le butin est une propriété de l'Etat -comme le décide le Saint Coran- et que la terre non vivante lors de la conquête fait partie du butin, il est naturel qu'elle soit classée dans le cadre de la propriété de l'Etat. C'est sur cette base que l'Imam al-Çâdiq (S) a dit, à propos de la détermination de la propriété de l'Etat (c'est-à-dire la propriété de l'Imam) : «Toutes les terres mortes lui appartiennent, conformément à la Parole d'Allah : "Ils t'interrogent au sujet du butin [ils te demandent de leur en donner une part]. Dis : le butin appartient à Allah et à Son Prophète."»
Un autre indice de la propriété de l'Etat sur les terres mortes est ce hadith attribué au Saint Prophète (Ç) : «L'homme n'a que ce qui contente l'âme de son Imam.» Abû Hanîfah a déduit de ce hadith qu'il n'est pas permis de mettre en valeur ni de donner en propriété privée les terres mortes sans l'autorisation de l'Imam»(62), ce qui est tout à fait conforme à l'appartenance des terres mortes à l'Imam, ou en d'autres termes à l'Etat(63).
Un autre indice encore, c'est la parole du Prophète (Ç) rapportée par Ibn Tâwûs (citant son père) et cité dans "Kitâb al-Amwâl" d'Abî 'Obayd : «Le Prophète a dit : "L'ordinaire de la terre appartient à Allah et à Son Prophète, puis il est à vous."» Ce texte stipule l'appropriation par le Prophète (Ç) de l'ordinaire de la terre. La dernière partie de la phrase "puis il est à vous" énonce le droit de la mise en valeur dont nous parlerons plus loin.
Il est écrit dans "Kitâb al-Amwâl" : «La terre ordinaire est toute terre qui avait un habitant dans les époques reculées et qui, n'en ayant plus, revient à l'Imam. Il en va de même de toute terre morte que personne n'a mise en valeur et qui n'est possédée ni par un Musulman ni par un allié.»
Selon Ibn 'Abbâs, cité dans "Kitâb al-Amwâl" également, lorsque le Messager d'Allah (Ç) est venu à Médine, on lui a donné toutes les terres auxquelles l'eau était inaccessible, afin qu'il en dispose à sa guise. Or ce texte ne confirme pas seulement le principe de la possession par l'Etat des terres mortes éloignées de l'eau, mais il confirme aussi l'application de ce principe à l'époque du Prophète (Ç). Il y a dans, d'autres références, des textes affirmant que le Prophète (Ç) pratiquait le contrôle effectif des terres mortes, ce qui peut être considéré comme une application pratique du principe de la possession par l'Etat de ces terres. En effet, il est écrit dans le livre de l'imam al-Châfi'î que «Lorsque le Prophète est venu à Médine, il a donné les maisons aux gens. Un groupe de membres des Banî Zohrah, dénommés les Banû 'Abd ibn Zohrah, dirent : "Le Prophète nous a négligés." Le Prophète répliqua : "Pourquoi Allah m'a-t-IL donc envoyé ? Allah ne sanctifie pas une nation dans laquelle on n'obtient pas pour le faible son droit."». Al-Châfi'î a commenté ce hadith de la façon suivante : «Il y a là une indication que les terrains proches de la terre vivante et interférés avec elle, ou loin des terres mortes n'ont pas de propriétaire et doivent être accordés par le Gouvernant aux Musulmans qui lui en font la demande.»(64)
Ainsi, les deux catégories de terres -la terre exploitable et la terre morte, parmi les terres de conquête- sont soumises à l'application de deux formes juridiques parmi les formes de la propriété. Ce sont : la propriété publique de la terre exploitable et la propriété de l'Etat sur les terres mortes.
Conséquence de la différence entre les deux formes de propriété
Ces deux propriétés -la propriété publique de la Ummah et la propriété de l'Etat-, bien que concordantes dans leur signification sociale, constituent deux formes juridiques différentes, car dans l'une c'est la Ummah qui est le propriétaire, alors que dans l'autre le propriétaire est la Fonction chargée par Allah de gouverner la Ummah. La différence entre les deux formes est reflétée dans les points suivants.
1- La façon d'exploiter chacune de ces deux propriétés, et le rôle qu'elles jouent pour contribuer à la construction de la société islamique. Ainsi, les terres et les richesses possédées en propriété publique par l'ensemble de la Ummah doivent être exploitées par le Tuteur pour contribuer à la satisfaction des besoins de l'ensemble de la Ummah et réaliser ses intérêts -qui sont attachés à elle en tant qu'un tout- tels que la construction d'hôpitaux, la préparation des exigences de l'enseignement, ainsi que tous autres établissements sociaux publics qui servent l'ensemble de la Ummah. Il n'est pas permis de se servir de la propriété publique dans l'intérêt d'une partie particulière de la Ummah si son intérêt n'est pas lié à celui de l'ensemble. Il n'est pas permis par exemple d'accorder à certains pauvres des capitaux provenant de la fructification de ladite propriété, si cela ne constitue pas un intérêt et un besoin pour l'ensemble de la Ummah, comme dans le cas où la sauvegarde de l'équilibre social dépendrait de l'utilisation de la propriété publique dans ce sens. De même, il n'est pas permis de dépenser les bénéfices de la propriété publique de la Ummah dans les domaines qui relèvent de la responsabilité du Tuteur et concernant la vie des citoyens de la société islamique. Quant aux propriétés de l'Etat, de même qu'elles peuvent être exploitées dans le domaine des intérêts généraux de l'ensemble de la Ummah, de même elles peuvent être exploitées au bénéfice d'un intérêt particulier légal, tel que la fourniture de capitaux pour ceux, parmi les membres de la société islamique, qui en ont besoin, ainsi que tout autre intérêt parmi ceux dont le Tuteur a la charge.
2- La propriété publique ne permet pas à l'individu l'acquisition d'un droit privé. En effet, nous avons vu précédemment que la terre conquise par la force et dont la propriété appartient à la Ummah n'autorise pas l'individu à y acquérir un droit privé, même s'il y pratique l'opération de la mise en valeur, et ce à la différence de la propriété de l'Etat dans laquelle l'individu peut acquérir un droit privé sur la base du travail si l'Etat l'y autorise. Ainsi, si quelqu'un met en valeur une terre morte de l'Etat, avec l'autorisation de l'Imam, il y acquiert un droit privé, bien qu'il n'en possède pas la raqabah mais seulement un droit qui lui donne la priorité sur les autres, la raqabah restant propriété de l'Etat pour l'avenir.
3- Le Tuteur, ès qualité, n'a pas le droit de transférer aux individus, par vente, don ou autrement, ce qui fait partie de la propriété publique de la Ummah, et ce à la différence de ce qui fait partie de la propriété de l'Etat -dans laquelle un tel transfert est possible lorsque l'Imam y voit un intérêt général. Cette différence entre les deux propriétés rapproche ces deux expressions juridiques de celles des "biens privés de l'Etat" et des "biens publics de l'Etat" utilisées dans le Droit moderne. Ainsi, ce que nous appelons "propriété de l'Etat" correspond de ce côté à ce que l'on appelle dans le langage juridique "les biens privés de l'Etat", alors que la "propriété publique de la Ummah" correspond à ce que le Droit désigne sous l'appellation de "biens publics de l'Etat". Toutefois, l'expression "propriété publique de la Ummah" se distingue de celle de "biens publics de l'Etat" en ceci que le texte laisse entrevoir que les biens publics qu'il comprend sont la propriété de la Ummah et que le rôle de l'Etat y est celui d'un gardien honnête, alors que l'expression juridique de "biens publics de l'Etat" peut désigner aussi bien cette même signification que le fait que ces biens sont la propriété de l'Etat lui-même.
Le rôle de la mise en valeur des terres mortes
De même que la terre morte et la terre cultivable diffèrent quant à la forme de la propriété, de même elles diffèrent quant aux droits que les individus sont autorisés à acquérir sur la terre. En effet, la Charî'ah n'accorde pas à l'individu un droit privé dans la raqabah de la terre exploitée lors de la conquête, même si cet individu renouvelle la mise en valeur de la terre après la ruine qu'elle aurait subie, comme nous l'avons vu plus haut.
Quant à la terre morte lors de la conquête, la Charî'ah a autorisé les individus à la mettre en valeur et à l'aménager, et leur y accorde un droit privé qui est fondé sur les efforts qu'ils déploient en vue de la mise en valeur et de l'aménagement de la terre. Ce point est confirmé par des Récits attribués aux Saints Imams d'Ahl-ul-Bayt (S), tels que celui-ci : «Quiconque met en valeur une terre, celle-ci sera à lui, et il y a un droit prioritaire.» De même, Çahîh al-Bukhârî, citant 'A'ïchah, rapporte ce hadith du Saint Prophète (Ç) : «Celui qui aménage une terre n'appartenant à personne y a le plus droit.»
Ceci nous permet de savoir que la propriété publique de la terre ne s'accorde pas dans la Charî'ah avec le droit privé de l'individu. Celui-ci ne peut obtenir un droit privé sur la terre de la propriété publique, quels que soient les services qu'il y rend, et quand bien même il la remettrait complètement en valeur après sa ruine complète. Alors que la propriété de l'Etat sur la terre s'accorde avec l'acquisition par les individus d'un droit privé sur cette terre.
La source essentielle des droits privés sur les terres de l'Etat est la mise en valeur et l'aménagement. L'accomplissement de cette opération, ou le commencement de ses travaux préliminaires, confère à l'opérateur un droit privé dans la terre ; sans quoi la Charî'ah ne reconnaît guère le droit privé en tant qu'opération indépendante et séparée de la mise en valeur, laquelle opération ne constitue pas un motif d'acquisition d'un droit privé sur la terre(65). Et selon un Récit, 'Omar ibn al-Khattâb a dit : «Personne n'a le droit d'acquérir un droit privé [sur une terre] par la simple pose d'une clôture.»(66)
La question juridiquement importante qui se pose à cet égard est liée à la nature du droit que l'individu tire de l'opération de la mise en valeur : quel est ce droit que l'individu acquiert par suite de son travail dans la terre morte et de sa mise en valeur ?
C'est à cette question que nous devons répondre à la lumière de l'ensemble des textes traitant de l'opération de la mise en valeur et expliquant ses statuts légaux.
La réponse d'un grand nombre de faqîh à cette question est que la conséquence du droit que l'individu tire de la mise en valeur de la terre est sa possession en propriété privée, ladite terre sortant, du fait de sa mise en valeur, du cadre de la propriété d'Etat pour entrer dans le cadre de la propriété privée, et l'individu s'appropriant la terre qu'il a mise en valeur par le travail qu'il y a effectué et qui lui a donné vie.
Il y a un autre point de vue jurisprudentiel, qui semble concorder davantage avec les textes législatifs, et qui dit que l'opération de mise en valeur ne change pas la forme de la propriété de la terre : celle-ci demeure propriété de l'Imam ou de la Fonction de l'Imamat, et l'individu n'est pas autorisé à en posséder la raqabah même s'il la met en valeur ; par cette mise en valeur de la terre, il acquiert sur celle-ci un droit qui est inférieur à la propriété et qui lui permet d'exploiter et d'utiliser cette terre, et d'interdire à tout autre individu n'ayant pas partagé son effort et son travail de rivaliser avec lui et de lui prendre la terre, et ce tant qu'il s'acquitte de son devoir envers la terre. Ce degré de droit ne le dispense pas de ses devoirs envers la Fonction de l'Imamat -en sa qualité de propriétaire légal de la raqabah de la terre- à savoir le paiement du "tasq",comme le stipule le hadith (impôt proportionnel aux bénéfices que l'individu tire de la terre qu'il a mise en valeur).
Le grand faqîh, le Chaykh Muhammad ibn al-Hassan al-Tûsî, adopte cet avis dans son livre "Al-Mabsût fî-l-Fiqh" où il dit : «L'individu n'acquiert pas, par la mise en valeur, la raqabah de la terre, mais seulement le droit de l'utiliser, à condition d'acquitter ce que l'Imam lui impose en contrepartie de cette utilisation.» Voici ce qu'il dit textuellement : «Quant aux "mawât", ils ne peuvent pas être gagnés, car ils appartiennent exclusivement à l'Imam. Si un Musulman les met en valeur, il aura la priorité pour leur utilisation, et l'Imam aura leur "tasq" [le tasq imposé pour l'utilisation de ces mawât].»(67)
Nous retrouvons un avis similaire dans le "Bolghah" d'al-Mohaqqiq al-Faqîh Sayyed Muhammad Bahr al-'Ulûm, lequel était plutôt pour «l'interdiction de faire acquérir par la mise en valeur une appropriation gratuite et sans contrepartie [pour l'Imam]". Ainsi, l'Imam a sur la terre mise en valeur un droit au prélèvement d'un impôt qu'il fixe en accord avec celui qui exploite la terre, lorsqu'il est vivant et qu'il jouit de l'autorité. Et lorsqu'il est absent, le montant de prélèvement qui lui est dû est fixé selon le taux pratiqué couramment. Cela ne contredit pas l'attribution de la propriété à l'exploitant -que nous avons constatée dans les Récits concernant la mise en valeur- à savoir : "Celui qui met une terre en valeur la possède" ; car cette attribution n'a que la valeur des propos tenus par les propriétaires à l'adresse de leurs paysans : "Quiconque met en valeur une terre, y creuse des ruisseaux ou des rivières, la terre lui appartient", propos qui n'équivalent dans la loi coutumière (la norme) qu'à une incitation à la mise en valeur de la terre, incitation qui signifie seulement que le paysan qui met en valeur la terre y a droit plus qu'un autre, y a un droit de priorité par rapport à autrui, sans pour autant que cela renie la possession de la terre par le propriétaire lui-même (l'Imam), ni n'entraîne la perte de la propriété par le propriétaire. La part revenant au propriétaire [l'Imam] -et que l'on désigne sous le nom de "malâkah" [ou part du propriétaire]- demeure la sienne et ne lui est nullement enlevée, même s'il [c'est-à-dire l'Imam] leur a ajouté [aux exploitants] la propriété [de la terre] lorsqu'il leur a accordé la permission générale de l'exploiter.»(68)
Cet avis juridique que le Chaykh al-Tûsî et le faqîh Bahr-al-'Ulûm approuvent se réfère à plusieurs textes prouvés, rapportés par des chaînes saines, des Imams d'Ahl-ul-Bayt, 'Alî et ses descendants (S). Dans ces textes, il est dit en effet : «Quiconque, parmi les Croyants, met en valeur une terre, celle-ci est à lui, mais il doit en acquitter le tasq.»(69) ou encore : «Celui parmi les Musulmans qui met en valeur une terre, qu'il l'aménage et qu'il acquitte son kharâj, il a en contrepartie ce qu'il consomme de sa récolte.»(70) Ainsi, à la lumière de ces textes, la terre ne devient pas propriété privée de celui qui l'a mise en valeur, autrement il serait exorbitant de lui imposer de payer le loyer de la terre à l'Etat. En fait, la raqabah de la terre demeure propriété de l'Imam, et l'individu y jouit d'un droit dans la raqabah lui permettant d'utiliser la terre et d'empêcher les autres de la lui prendre ; en contrepartie de quoi l'Imam doit lui imposer l'acquittement d'un tasq.(71)
Cet avis jurisprudentiel qui donne à la propriété de l'Imam sa signification réelle, et permet à ce dernier d'imposer le tasq sur les terres de l'Etat, n'est pas seulement celui des faqîh partisans de la Ligne d'Ahl-ul-Bayt -tel le Chaykh al-Tûsî- mais il a des développements et des versions variés dans les différentes doctrines jurisprudentielles musulmanes. Ainsi, selon Ahmad ibn Hanbal, la friche morte de la terre de Sawâd aussi est considérée comme terre kharâjite, et l'Etat doit y imposer un kharâj en tant que propriété de tous les Musulmans. Pour ce dire, il s'est référé à ce que 'Omar ibn al-Khattâb a fait lorsqu'il a arpenté le "'Amer" et le "Ghâmer" (la terre cultivée et la terre inculte) de la terre de Sawâd, en leur imposant à tous deux un kharâj.
Certains faqîh ont considéré les mawât conquis par la force comme terre générale de tous les Musulmans. Al-Mâwerdî, citant Abû Hanîfah et Abû Yûsef, écrit que si l'individu met en valeur une terre de mawât et y achemine l'eau de kharâj, cette terre devient terre de kharâj, et l'Etat doit y imposer (à la terre) un kharâj. Par eau de kharâj ils (Abû Hanîfah et Abû Yûsef) entendent les fleuves conquis par la force, tels que le Tigre, l'Euphrate et le Nil. Ainsi, toute terre mise en valeur grâce à l'eau de kharâj devient-elle kharâjite et entre-t-elle dans le cadre de la Tutelle de l'Etat sur la situation de kharâj, même si la terre elle-même n'a pas été conquise par la force. De même, il est écrit dans le livre "Al-Amwâl" d'Abû 'Obayd, qu'Abû Hanîfah disait : "La terre de kharâj est toute terre atteinte par l'eau de kharâj."
Quant à Muhammad ibn al-Hassan al-Chîbânî, il a reconnu lui aussi le principe de l'imposition de kharâj sur les parties mises en valeur de la terre de mawât, mais il a choisi un autre détail, différent de ce qu'ont dit Abû Hanîfah et Abû Yûsef précédemment. Il dit en effet : «Si la terre mise en valeur donne sur des fleuves creusés par des non-Arabes, elle est terre kharâjite, et si elle donne sur des fleuves creusés par Allah, elle est terre de "dixième"»
En tout état de cause, le principe de l'imposition de kharâj sur la terre mise en valeur se trouve sous une forme ou sous une autre dans les différents courants jurisprudentiels.
Nous remarquons que ces dires de faqîh non imamites n'atteignent pas le niveau auquel est parvenue la fatwâ(72) du Chaykh al-Tûsî, ainsi que celles de nombreux autres faqîh imamites, car ces dires ne constituent vraiment que des expressions diverses des limites de la terre kharâjite, limites qui comprennent une partie des terres de mawât, tels que les mawât de Sawâd ou les mawât mis en valeur par l'eau de kharâj. Mais ces dires nous permettent, en tout état de cause, de voir que le principe de l'imposition de kharâj sur la terre mise en valeur figure, sous une forme ou sous une autre, dans des courants jurisprudentiels différents et que rien ne nous empêche de le considérer comme une justification de principe dans la Charî'ah islamique pour l'imposition de kharâj par l'Imam sur les terres mises en valeur.
Parmi les positions jurisprudentielles qui se rapprochent dans une grande mesure de l'avis du Chaykh al-Tûsî et d'autres uléma imamites, figure la position de certains faqîh hanafites, tels que Abû-l-Qâcim al-Balkhî et d'autres, qui ont traité de la terre mise en valeur par une personne, puis tombée en ruine, puis remise en valeur par une autre personne. Ces faqîh ont jugé que la deuxième personne y a la priorité, car la première avait possédé son exploitation et non pas sa raqabah, et de ce fait lorsqu'elle l'a abandonnée, la priorité est revenue à la deuxième(73). Ce jugement, bien qu'il ne mentionne pas la propriété de l'Etat sur la terre morte, et son droit d'imposer un kharâj sur ce qui est mis en valeur, se rapproche néanmoins de la position du Chaykh al-Tûsî et autres uléma imamites lorsqu'ils disent que la terre morte ne peut pas être possédée en propriété privée et que sa raqabah n'entre pas dans le cadre de la propriété de celui qui a mis la main sur elle, même s'il y pratique l'opération de mise en valeur et de l'exploitation.
Lorsque nous empruntons à la jurisprudence du Chaykh al-Tûsî le principe de la propriété de l'Imam (S), dans cette acception qui lui permet d'imposer le kharâj sur ce qui est mis en valeur des terres mortes, nous nous contentons d'étudier la position uniquement sur la plan théorique ; car il y a du point de vue théorique - comme nous l'avons vu- des justifications permettant de déduire ce principe des textes législatifs.
Mais sur le plan de l'application, ce principe ne fut pas appliqué dans la pratique. Il fut plutôt gelé dans le domaine d'application, et dégelé exceptionnellement dans certains cas particuliers à certaines époques, comme l'indiquent les "rapports de légalisation"(74). Le gel de ce principe sur le plan de l'application et dans la conduite du Saint Prophète (Ç) ne saurait constituer une preuve de sa non-véracité théorique. Car il est du droit du Prophète (Ç) d'exonérer du tasq, et l'exercice de ce droit ne signifie pas qu'un futur Imam ne serait pas autorisé à appliquer ce principe ou à s'y référer lorsque les circonstances qui empêchaient cette application auront disparu. De même, les textes qui abolissent exceptionnellement l'application de l'effet de ce principe à certains individus ou cas particuliers n'empêchent pas de le considérer comme une règle générale que l'on peut appliquer en dehors de ces domaines d'exception que les "rapports (akhbâr) de légalisation"(75) ont expliqués.
Et puisque nous essayons dans cette étude de découvrir la théorie économique en Islam, nous avons le droit d'assimiler, chemin faisant, ce principe. Et puisque celui-ci a un fondement islamique sur le plan théorique, il fait partie de l'image intégrale qui reflète la théorie islamique dans le domaine que nous étudions et ce qu'il ait connu une part d'application ou que des circonstances contraignantes ou d'intérêt aient conduit à sa négligence.
A la lumière de ce qui précède apparaît la différence entre le cultivateur qui travaille dans le secteur de la propriété publique, et celui qui travaille dans le secteur de la propriété de l'Etat. Bien qu'aucun des deux ne possède la raqabah de la terre, ils diffèrent quant au degré de leur relation avec la terre: alors que le premier n'en est que le locataire -comme l'a affirmé le faqîh al-Mohaqqiq al-Isfahânî dans son commentaire à propos d'"al-Makâcib"- et que l'Imam ait le droit de lui retirer la terre pour la confier à un autre à l'expiration du bail, le second jouit d'un droit sur la terre, droit qui l'autorise à l'utiliser et à empêcher les autres de la lui reprendre tant qu'il veille sur elle et la maintient en état d'exploitation.
L'opération de mise en valeur dans le secteur de l'Etat est libre, et toute personne peut l'exercer sans autorisation spéciale du Tuteur, car les textes précités ont autorisé la mise en valeur pour tous les individus sans spécification. Cette autorisation demeure valable tant que l'Etat ne voit pas dans des circonstances précises un intérêt pour décréter une interdiction. Certains faqîh considèrent que la mise en valeur n'est pas permise ni ne confère de droit sans l'autorisation du Tuteur, et que l'autorisation donnée par le Prophète (Ç) dans sa proclamation : «Quiconque a mis en valeur une terre, celle-ci lui appartient» n'est pas suffisante, car elle a été prononcée par le Prophète (Ç) non pas en sa qualité de Prophète, mais de Gouvernant et de chef de l'Etat islamique, et par conséquent sa validité ne s'étend pas éternellement, mais a expiré avec la fin de son gouvernement.
La terre naturellement exploitable lors de la conquête
Nombre de faqîh considèrent que les terres naturellement exploitables -y compris les terres naturellement exploitables lors de la conquête- telles que les forêts et autres terres semblables, ont pour point commun avec les terres de mawât dont nous venons de parler, la forme juridique de la propriété. Ils estiment que ces terres sont la propriété de l'Imam, en se référant à un Texte législatif saint attribué à l'Imam 'Alî (S), qui dit : «Toute terre sans maître appartient à l'Imam.» Ce Texte confère à l'Imam la propriété de toute terre sans maître, telles les forêts et leurs semblables, car la terre ne peut avoir de maître que par la mise en valeur. Or les forêts sont naturellement vivantes sans intervention de l'homme dans leur fertilité. Elles sont donc sans maître pour la Charî'ah, et entrent dans le cadre des terres sans propriétaire ; par conséquent, elles sont soumises au principe de la propriété de l'Etat.
On pourrait objecter à cet avis que l'application du principe de la propriété de l'Etat (de l'Imam) sur les forêts et leurs semblables parmi les terres naturellement exploitables est valable dans le cas des forêts entrées dans le Dâr-ul-Islam sans guerre, car elles sont sans propriétaire. Quant aux forêts et aux terres naturellement exploitables conquises par la force et arrachées aux mains des infidèles, elles sont la propriété publique des Musulmans car elles entrent dans le domaine d'application des textes législatifs qui ont accordé aux Musulmans la propriété de la terre conquise par la force. Et si les forêts entrent, conformément à ces textes, dans le cadre de la propriété publique, elles deviennent terres ayant un maître -lequel est l'ensemble de la Ummah- et par conséquent il n'y a plus de justification à leur classement parmi les terres sans propriétaire et leur soumission au texte qui stipule que «Toute terre sans maître appartient à l'Imam.» En d'autres termes, les textes concernant les terres kharâjites en général ont la primauté sur les textes concernant les terres sans propriétaire, et cette primauté est subordonnée au fait que l'objet des textes est la terre kharâjite (la terre sous contrôle des mécréants, enlevée par la force de l'épée), et non pas seulement ce qui constituait une propriété des mécréants, auquel cas son objet ne comprendrait pas les forêts -et ce contrairement au premier cas, comme c'est évident. De même, la primauté est subordonnée aussi au fait que l'absence de propriétaire -dont parle le texte faisant de l'Imam le propriétaire de ces terres- soit explicitée comme étant aussi bien accidentelle que continuelle. Or ce qui ressort des textes qui font de la terre sans propriétaire une propriété de l'Imam, c'est qu'il s'agit de toute terre naturellement sans propriétaire ; par conséquent, il suffit qu'il y ait une absence accidentelle de propriétaire pour que la terre soit la propriété de l'Imam.
Ce qui est correct, c'est que la terre naturellement exploitable est propriété de l'Etat, sans distinguer ce qui en est conquis par la force et ce qui ne l'est pas.
C'est pour cette raison que l'individu n'acquiert pas un droit privé dans la raqabah de la terre conquise par la force et constituée de forêt et ses semblables, tout comme il n'est pas permis d'acquérir un droit privé dans la raqabah de la terre kharâjite exploitable par mise en valeur avant la conquête. On pourrait objecter que la terre naturellement exploitable peut faire l'objet d'appropriation sur la base de son acquisition en ce sens que celle-ci joue dans les terres naturellement exploitables le même rôle que joue la mise en valeur dans les terres naturellement mortes. Cette affirmation faisant de l'acquisition la base de la propriété repose sur les Rapports qui stipulent que "celui qui acquiert possède". Mais cette affirmation appelle les remarques suivantes :
1- Certains de ces Rapports sont faibles sur le plan des transmetteurs (sanad). Aussi perdent-ils leur valeur d'argument. D'autres ne sous-entendent pas cette affirmation, car ils sont énoncés comme indices et pour montrer que l'acquisition est un indice apparent de la propriété, et non pas un motif de cette propriété. D'autres encore se réfèrent à des cas spécifiques, tel cet énoncé : «La main possède ce qu'elle prend, et l'oeil ce qu'il voit.» qui se rapporte à la chasse.
2- Les Rapports relatifs à l'acquisition, même si nous les admettons, ne sont pas absolus, mais concernent les mubâhât primitives qui ne sont pas la propriété d'un groupe ou d'un individu, et par conséquent ils ne comprennent pas cette catégorie de terres.
Partant de là, il convient donc d'appliquer aux forêts et aux terres naturellement exploitables conquises par la force les mêmes statuts qui sont appliqués aux terres de conquête rendues exploitables grâce à la mise en valeur et à l'effort humain.
La terre devenue islamique par l'Appel (la conversion de ses habitants)
Les terres devenues musulmanes par l'Appel sont toutes les terres dont les habitants se sont convertis à l'Islam et ont répondu à l'Appel sans engager contre lui aucune lutte armée, telles la terre de Médine, celle d'Indonésie, et d'autres régions dispersées à travers le monde musulman.
Les terres devenues musulmanes par l'Appel se divisent -tout comme les terres devenues musulmanes par la conquête- en terres exploitables mises en valeur par leurs habitants, lesquels se sont convertis volontairement à l'Islam, les terres naturellement exploitables, telles que les forêts, et les terres mortes entrées en Islam volontairement.
Les mawât de la terre devenue musulmane par l'Appel sont comme les mawât des terres de conquête ; ils sont donc soumis au principe de la propriété de l'Etat et à tous les statuts que nous avons énumérés à propos des mawât de conquête, car la terre morte en général est considérée au nombre des butins (anfâl), lesquels sont propriété de l'Etat.
De même, la terre naturellement exploitable annexée à la possession islamique par une acceptation pacifique de l'Islam est elle aussi propriété de l'Etat, et ce en application du principe jurisprudentiel stipulant que "toute terre sans maître fait partie des butins".
Mais la différence entre ces deux catégories -terre morte et terre exploitable naturellement- et bien que celles-ci soient toutes deux propriété de l'Etat, est que l'individu peut acquérir un droit privé dans la terre morte en la mettant en valeur, et que des statuts juridiques lui sont fixés, que nous avons soulignés dans les détails législatifs relatifs à l'opération de mise en valeur que l'individu exerce dans la friche des terres de conquête ; alors qu'en ce qui concerne les terres exploitables naturellement, entrées en Islam volontairement, l'individu ne peut pas y acquérir un droit par la mise en valeur, car ces terres sont exploitables et vivantes naturellement : les individus ont seulement l'autorisation de les utiliser. Et si quelqu'un l'utilise effectivement, la terre ne lui sera pas retirée au profit d'un autre tant qu'il continuera à l'utiliser, car il n'y a pas de préférence d'un individu par rapport à un autre. Quant à l'autre, on lui accorde l'autorisation d'utiliser aussi la terre mais seulement dans la mesure où son utilisation ne rivalise pas avec celle du premier, ou si le premier cesse d'utiliser et d'exploiter la terre.
Quant à la terre exploitable par suite de l'effort humain et dont les habitants se sont convertis volontairement à l'Islam, elle leur appartient. Car l'Islam accorde à un converti volontaire, sur sa terre et sur son bien, tous les droits dont il jouissait avant sa conversion. Ainsi, les maîtres d'une terre qui se sont convertis volontairement à l'Islam jouissent du droit de conserver leur terre et de la posséder en propriété privée sans payer le kharâj, exactement comme ils faisaient avant leur entrée en Islam(76).
En tout état de cause, le Tuteur a sans aucun doute le droit de mettre en valeur certaines terres de l'Etat, et de fixer la portion de ces terres que chaque individu est autorisé à mettre en valeur, si l'intérêt général l'exige.
Les statuts des terres de mawât se résument ainsi :
1- Ces terres sont la propriété de l'Etat.
2- Leur mise en valeur par les individus est autorisée en principe, si le Tuteur n'y oppose pas une interdiction.
3- Si un individu met en valeur et rend exploitable une terre de l'Etat, il y acquiert un droit qui lui permet de l'utiliser et d'empêcher les autres d'y rivaliser avec lui, mais sans que la terre devienne pour autant sa propriété privée.
4- L'Imam peut exiger de l'individu qui met la terre en valeur le paiement d'un kharâj, étant donné qu'il est le propriétaire de la terre, et imposer le montant de ce kharâj selon l'intérêt général et l'équilibre social. L'Imam peut aussi dispenser du paiement d'un kharâj dans des circonstances particulières et pour des considérations exceptionnelles, comme nous l'avons vu dans la Sunnah du Prophète (Ç).
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons distinguer clairement le droit privé d'utiliser la terre -dont nous avons dit que l'individu l'acquiert par la mise en valeur-, de la propriété privée de la raqabah de la terre -dont nous avons souligné qu'elle ne saurait être acquise par la mise en valeur. Nous pouvons maintenant résumer comme suit les plus importants des points de distinction entre ce droit privé d'utiliser la terre et la propriété de la raqabah de la terre :
a) Le droit privé d'exploiter la terre autorise l'Etat à percevoir un loyer de l'ayant droit en contrepartie de son utilisation de la terre, car la raqabah de celle-ci demeure propriété de l'Etat, alors qu'un tel loyer ne serait pas justifiable dans le cas où l'on possède la raqabah de la terre en propriété privée.
b) Ce droit d'utilisation est un droit de priorité sur autrui, en ce sens que le premier à mettre en valeur la terre y a la priorité sur celui qui ne l'a pas fait, mais cela ne signifie pas qu'il ait priorité sur l'Imam lui-même, car celui-ci est le propriétaire légal. Il s'agit donc d'un droit relatif que celui qui en jouit peut opposer aux autres, mais pas au propriétaire lui-même. C'est pourquoi l'Imam a le droit de le reprendre si l'intérêt général l'exige, comme l'a noté le Récit d'al-Kâbolî.
c) On pourrait dire que ce droit d'utilisation diffère de la propriété par l'objet, car l'objet de la propriété privée de la raqabah de la terre est la terre elle-même, alors que ce droit est le droit de la mise en valeur, et par voie de conséquence un droit sur la vie que l'exploitant a donnée à la terre, et non pas un droit sur la terre elle-même. Il en découle que si la vie de la terre venait à disparaître, et que la terre redevienne une friche, ce droit disparaîtrait naturellement, car son objet aurait disparu. Quant à la propriété rattachée à la raqabah de la terre, sa déchéance nécessite une preuve, car son objet demeure constant.
C'est la terre que les Musulmans ont attaquée en vue de la conquérir, et dont les habitants ne se sont pas convertis à l'Islam sans pour autant résister par les armes à l'Appel. Ils ont conservé leur religion tout en acceptant de vivre pacifiquement au sein de l'Etat islamique. Une telle terre devient "terre de réconciliation" dans la norme juridique, et il faut lui appliquer les accords convenus lors du traité de réconciliation. Si l'acte de réconciliation stipulait que la terre reviendra à ses habitants, elle doit être considérée comme leur propriété, et l'ensemble de la Ummah n'y a pas de droit. Mais si la réconciliation s'est faite sur la base de la possession par la Ummah de cette terre en propriété publique, il faut respecter cette disposition, et la terre est soumise au principe de la propriété publique et au prélèvement du kharâj.
Aussi n'est-il pas permis de s'écarter des stipulations de l'acte de réconciliation, comme en témoigne ce hadith du Prophète (Ç) cité dans "Kitâb al-Amwâl" : «Peut-être serez-vous amenés à combattre un peuple qui vous évitera en vous soumettant ses biens et non pas lui-même et ses enfants, et qui conclura avec vous un traité de réconciliation. Dans ce cas ne lui prenez pas plus que ce qui est convenu, car cela ne serait pas licite pour vous.» De même, les "Sunan" d'Abî Dâwûd rapportent ce hadith du Prophète (Ç) : «Quiconque parmi vous aura été injuste envers ce co-contractant, ou lui aura accordé moins que ce qui est stipulé dans le contrat, ou aura exigé de lui plus qu'il ne pourra, ou lui aura pris quelque chose sans son consentement volontaire, je serai son adversaire le Jour de la Résurrection.»
Quant aux mawât de réconciliation, la règle y est la propriété de l'Etat, comme c'est le cas des mawât des terres de conquête et de ceux des terres devenues musulmanes par l'Appel. De même, la règle de la propriété de l'Etat s'applique aux forêts et leurs semblables parmi les terres de réconciliation naturellement exploitables, à moins que le Prophète (Ç) ne les ait incluses dans le contrat de réconciliation, auquel cas on leur applique les exigences du contrat.
Il existe d'autres sortes de terres, qui sont soumises au principe de la propriété de l'Etat, telles que celles que leurs habitants ont livrées eux-mêmes à l'Etat islamique sans que les Musulmans les attaquent. De telles terres font partie des butins (Anfâl) qui appartiennent exclusivement à l'Etat, ou en d'autres termes au Prophète (Ç) et à l'Imam, comme en décide le Saint Coran : «Vous n'avez fourni ni chevaux ni montures pour vous emparer du butin pris sur eux et qu'Allah destine à Son Prophète. Allah donne pouvoir à Ses Prophètes sur qui IL veut. Allah est Puissant sur toute chose !» (Sourate al-Hachr, 59 : 6) Al-Mâwerdî a souligné que ces terres que les infidèles abandonnent par peur deviennent, lorsque les Musulmans s'en emparent, "waqf", biens de mainmorte(77). Ce qui signifie qu'elles entrent dans le cadre de la propriété publique.
De même, les terres apparues nouvellement dans le Dâr-ul-Islam, comme dans le cas de l'apparition d'une île nouvelle dans la mer ou dans un fleuve, sont classées dans le cadre de la propriété de l'Etat, en application de la règle jurisprudentielle qui stipule que "toute terre sans maître appartient à l'Imam." Al-Kharchî note dans son "Charh al-Mukhtaçar al-Jalîl"(78) que si la terre n'était pas possédée par quelqu'un -comme dans le cas des déserts et des terrains abandonnés par leurs propriétaires- elle revient à l'Imam selon un avis unanime. D'aucuns prétendent que les tenants de l'Ecole juridique à laquelle appartient al-Kharchî entendent par là la terre abandonnée par ses propriétaires incroyants et qu'en ce qui concerne les Musulmans ils ne sont pas déchus de leurs droits sur leurs terres dans le cas où ils les abandonnent.
La limitation du pouvoir privé sur la terre
Nous pouvons déduire des détails qui précèdent que l'appropriation d'une terre par un individu et le droit personnel qu'il y acquiert découlent d'un des trois motifs suivants :
1- la mise en valeur par l'individu d'une terre de l'Etat ;
2- La conversion à l'Islam des habitants de la terre, et leur acceptation volontaire de l'Appel ;
3- l'entrée de la terre dans le Dâr-ul-Islam à la suite de la conclusion d'un contrat accordant la terre aux habitants de la terre de réconciliation.
Le premier motif diffère des deux autres quant au type de relation particulière qui en découle. Ainsi, le premier motif -la mise en valeur par l'individu d'une terre de l'Etat- ne classe pas la terre dans le cadre de la propriété privée, ni ne lui enlève son caractère de propriété de l'Etat, ni n'empêche l'Imam d'imposer le kharâj et le loyer sur la terre. Ce qui résulte de la mise en valeur, c'est seulement un droit qui permet à l'individu d'utiliser la terre et d'empêcher d'autres d'y rivaliser avec lui, comme on l'a vu précédemment. Quant aux deux autres motifs, ils confèrent à l'individu musulman ou à un "Réconcilié" (muçâlih)(79) la propriété de la terre, laquelle terre est classée par conséquent dans le cadre de la propriété privée.
L'appropriation personnelle de la terre par l'individu -que ce soit au niveau du droit ou de la propriété- n'est pas une appropriation absolue sur le plan temporel, mais une appropriation et une autorisation conditionnée par l'acquittement par l'individu de sa responsabilité envers la terre ; et s'il venait à faillir à cette responsabilité de la façon que les Rapports suivants expliqueront, son droit sur la terre serait déchu, et il n'aurait plus le droit de la monopoliser, de la clôturer et d'empêcher les autres de l'aménager et de l'exploiter. C'est pourquoi le concept selon lequel "la propriété est une fonction sociale que l'individu exerce" est devenu l'expression la plus solide de la terre et du droit que les individus y acquièrent.Les preuves que la Charî'ah nous en apporte sont les nombreux textes législatifs que voici :
Selon un hadith rapporté par Ahmad ibn Muhammad ibn Abî Naçr, de l'Imam 'Alî ibn Mûsâ al-Redhâ (S) : «Quiconque se convertit volontairement à l'Islam, on lui laisse sa terre entre ses mains et on lui prélève le dixième de ce qui [la récolte] y est irrigué par le ciel [par la pluie] et les fleuves, et la moitié du dixième de ce qui y est irrigué par arrosage, en ce qui concerne la terre exploitée. Quant à la partie non exploitée, l'Imam la lui retire et l'accorde à celui qui accepte de la mettre en valeur, et les Musulmans prélèveront dans ce cas le dixième ou la moitié du dixième sur les parts de celui-ci.»
Selon "Çahîh" de Mu'âwiyeh ibn Wahab, l'Imam Ja'far (S) a dit : «Tout homme ayant sorti une ruine tombée en friche, y ayant creusé des canaux d'irrigation et l'ayant ainsi mise en valeur, doit en acquitter l'aumône [la Zakât]. Si cette terre appartenait à quelqu'un avant lui, et que celui-ci s'en était absenté, l'avait quittée et l'avait laissé tomber en ruine, et que par la suite il vienne la réclamer, la terre demeure à Allah et à celui qui la remet en valeur.»
Dans "Çahîh al-Kâbolî", on peut voir ce hadith de l'Imam 'Alî (S) :
«Celui parmi les Musulmans qui aura mis en valeur une terre morte, qu'il l'aménage et en paie le kharâj à l'Imam issu de ma descendance, et il aura pour lui tout ce qu'il en aura sorti. S'il la quittait ou la détruisait, et qu'un autre Musulman la reprenne après lui, l'aménage à nouveau et la remette en valeur, ce dernier aura plus de droit sur elle que celui qui l'avait abandonnée. Mais il devra en acquitter le kharâj à l'Imam.»(80)
A la lumière de ces textes, nous apprenons que le droit d'un individu dans une terre, droit qui l'autorise à empêcher autrui de l'exploiter, disparaît avec la destruction de la terre, sa négligence vis-à-vis d'elle et son refus de la remettre en état. Ainsi, ayant négligé la terre de la sorte, il n'a plus le droit d'interdire à d'autres d'en prendre le contrôle et de l'exploiter, tant qu'il persiste dans sa négligence.
Il n'y a pas de différence en cela entre un individu qui a exercé effectivement la mise en valeur de la terre, et un autre qui a obtenu la terre pour d'autres motifs. Ni l'un ni l'autre n'ont le droit d'accaparer la terre après l'avoir négligée et laissé tomber en ruine.
Ainsi, si la terre faisait partie des biens de l'Etat (de l'Imam) et que l'individu qui l'avait mise en valeur l'a négligée jusqu'à ce qu'elle soit retombée en ruine, elle redevient après sa ruine une terre libre sur laquelle on applique les mêmes statuts qui sont appliqués sur toutes les terres mortes que l'Etat possède. De ce fait, on autorise sa remise en valeur, laquelle remise en valeur est soumise aux mêmes statuts qu'on avait appliqués à sa première mise en valeur.
Al-Chahîd al-Thânî ["Le "Deuxième Martyr"](81) -Que la Miséricorde d'Allah soit sur lui- a écrit, dans "Al-Masâlik", un texte qui va dans ce sens : «Cette terre -c'est-à-dire la terre mise en valeur par un individu, puis retombée en ruine- est à l'origine une terre autorisée (mubâh). Donc, lorsque ce dernier [celui qui l'a mise en valeur] l'abandonne, elle redevient ce qu'elle avait été, c'est-à-dire [une terre] autorisée. La cause de la possession de cette terre est la mise en valeur et l'aménagement. Si la cause venait à disparaître, l'effet disparaîtrait aussi.»
Il entend par là que le droit que l'individu obtient sur la terre découle de la mise en valeur et en est le résultat. Son droit demeure tant que l'effet demeure et que la terre reste en état d'exploitation ; mais si les aspects de la vie disparaissent de la terre, l'individu sera déchu de son droit en raison de la disparition de la cause de celui-ci.(82)
Al-Chahîd al-Thânî a mentionné dans "Jami' al-Maqâçid" que c'est la disparition de l'appartenance de l'exploitant de la terre après que celle-ci est tombée en ruine, et la possibilité donnée à autrui de la reprendre et d'en avoir l'exclusivité, qui semble prévaloir chez les confrères(83), et qui constitue l'avis dominant dans leurs dires(84). Quant à l'imam Mâlik, il a dit : «Si un homme met en valeur une terre morte et qu'il vienne à la négliger par la suite jusqu'à ce que ses puits soient détruits et ses arbres morts, et que cela dure si longtemps que toutes les traces de vie en disparaissent pour revenir à son état initial, et qu'un autre individu la remette après lui en valeur, la terre appartiendra à ce dernier avec le même degré d'appartenance qui existait au profit de celui qui l'avait mise en valeur la première fois.»(85)
Certains faqîh hanafites ont soutenu ce même avis en le justifiant par le fait que le premier individu possédait le droit d'exploitation de la terre et non pas sa raqabah, et que s'il venait à la négliger le second y avait la priorité sur lui.(86)
Si la terre négligée par son maître était classée dans la catégorie de la propriété privée, comme c'est le cas des terres dont les habitants se sont convertis volontairement à l'Islam, le fait d'en être le propriétaire n'empêche pas la déchéance du droit de propriété en cas de négligence et de refus d'accomplissement par le propriétaire de ses devoirs envers la terre, comme nous l'avons vu précédemment. Et cette terre ainsi négligée deviendra, selon Ibn al-Barâj, Ibn Hamzah et d'autres, propriété des Musulmans et entrera dans le cadre de la propriété publique.
Ainsi, nous apprenons que l'exclusivité sur la terre -droit ou propriété- est déterminée par l'accomplissement par l'individu de sa fonction sociale sur ladite terre. S'il la néglige et refuse de la réhabiliter jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine, son lien avec elle sera rompu, et la terre sera libérée de ses liens et redeviendra une propriété libre de l'Etat -s'il s'agissait initialement d'une terre morte- ou propriété publique des Musulmans -si celui qui l'a négligée, et qui y a perdu son droit de ce fait, l'avait possédée pour une raison légale, comme c'est le cas des terres dont les habitants se sont convertis volontairement à l'Islam.
La vision générale de l'Islam à propos de la terre
A la lumière des divers statuts que l'Islam a promulgués en ce qui concerne la terre, et dont nous avons déjà appris les détails, nous pouvons maintenant résumer la vision générale de l'Islam à propos de la terre, et de sa situation sous la Législation islamique que le Prophète (Ç) ou son Successeur légitime (S) applique. A présent donc, nous allons déterminer quelle est la vision générale de l'Islam à propos de la terre. Et lorsque nous aurons passé en revue, ensuite, les statuts de l'Islam relatifs à l'ensemble des richesses naturelles et aux sources essentielles de la production, nous reviendrons à cette vision islamique générale de la terre pour la replacer dans une vision plus globale et plus large constituant le fondement et la base doctrinale de la distribution de la pré-production.
Afin de clarifier le problème et d'examiner le contenu économique de la vision islamique de la terre en l'isolant de tous autres facteurs et considérations de caractère politique que nous aborderons par la suite, il est préférable de commencer par une hypothèse qui nous aidera à mettre en évidence le contenu économique de la théorie, indépendamment des considérations politiques.
Supposons qu'un groupe de Musulmans décide d'habiter une terre encore inexploitée, qu'il y instaure une société islamique et y établisse ses relations sur la base de l'Islam. Supposons ensuite que le Gouvernant légal, c'est-à-dire le Prophète (Ç) ou son Successeur (S) se charge d'organiser ces relations et d'y faire incarner l'Islam dans toutes ses caractéristiques et tous ses fondements idéologiques, civilisationnels et législatifs... Dans une telle hypothèse, quelle y serait l'attitude de ce Gouvernant vis-à-vis de la société et de la terre ? Comment la propriété de celle-ci y serait-elle organisée ?
La réponse à cette question est toute prête à la lumière des détails que nous avons déjà fournis : la terre, devenue selon notre hypothèse une patrie pour la société islamique et sur le sol de laquelle une "Civilisation Céleste"(87) se développe, est supposée être naturelle et inexploitée et sans qu'aucun élément humain y soit encore intervenu.Cela signifie donc que cette terre rencontre l'homme et entre dans sa vie pour la première fois à l'époque historique.
Aussi est-il naturel que cette terre se divise très probablement en deux sortes : des terres auxquelles la nature a conféré les conditions nécessaires à la vie et à la production, telles que l'eau, le climat, la nature du sol, etc. et qui sont par conséquent naturellement exploitables, et des terres qui n'ont pas obtenu ces qualités naturelles favorables et qui ont donc besoin, de ce fait, d'un effort humain susceptible de leur fournir ces conditions, et ce sont des terres mortes selon la norme juridique. Par conséquent, la terre dont nous avons supposé ci-dessus qu'elle verrait la naissance d'une société islamique est soit une terre naturellement exploitable, soit une terre morte, et elle ne comprend pas une troisième sorte de terre.
La partie naturellement exploitable de cette terre est propriété de l'Etat ou, en d'autres termes, propriété de la Fonction occupée par le Prophète (Ç) et ses Successeurs légitimes (S), comme nous l'avons déjà vu, et cela conformément aux textes législatifs et jurisprudentiels. Selon al-'Allâmah al-Hillî, dans sa "Tathkirah", les uléma sont unanimes là-dessus.
Il en va de même pour la terre morte, comme nous l'avons déjà appris ; et cela aussi est évident dans les textes législatifs et jurisprudentiels, au point que le novateur Chaykh al-Imam al-Ançârî écrit à ce propos que les textes concernant ce sujet sont répandus et même concordants.
Ainsi donc, l'Islam applique sur toute la terre -lorsqu'il la considère dans sa situation naturelle- le principe de la propriété de l'Imam et la regarde ainsi comme une propriété à caractère public.
Et c'est à la lumière de ce principe que nous pouvons comprendre les textes législatifs rapportés des Saints Imams d'Ahl-ul-Bayt (S) par des chaînes de transmetteurs authentiques et qui affirment que la terre tout entière est la propriété de l'Imam. Et lorsqu'ils affirment ainsi la propriété de l'Imam sur la terre entière, ils considèrent la terre dans sa situation naturelle, comme cela a été dit précédemment.(88)
Voyons maintenant les formes de possession de la terre que l'Islam autorise pour les membres de la société que nous avons supposée. Dans ce domaine, il faut exclure l'acquisition et la simple prise de possession comme justification originelle de la propriété de la terre par un individu qui s'en serait emparé. En effet, il n'existe pas dans la Charî'ah de texte authentique (çahîh) confirmant un tel mode d'acquisition, comme nous l'avons déjà dit. Nous avons appris que la seule chose qui justifie légalement la possession est la mise en valeur, c'est-à-dire l'effort particulier que l'individu fournit sur une terre morte en vue d'y susciter la vie.
L'accomplissement d'un tel travail -ou de travaux préparatoires à un tel travail- est considéré dans la Charî'ah comme un motif d'appropriation. Mais malgré cela, ce motif est insuffisant pour permettre l'appropriation de la raqabah de la terre en propriété privée -ce qui aurait pour conséquence de faire sortir celle-ci de la condition première à laquelle elle est soumise- mais confère seulement à l'individu un droit en vertu duquel il aura priorité sur autrui pour utiliser la terre qu'il a mise en valeur par son travail. Quant à l'Imam, il conserve la propriété de la raqabah et le droit de prélever un impôt sur celui qui a mis la terre en valeur, conformément au texte jurisprudentiel déjà mentionné, écrit par le grand faqîh Muhammad ibn al-Hassan al-Tûsî dans le chapitre "al-Jihâd" de son "Kitâb al-Mabsût" où il dit : «Quant aux mawât, ils ne peuvent pas être acquis. Ils appartiennent à l'Imam. Si quelqu'un les met en valeur, il aura la priorité pour les utiliser, alors que l'Imam en prélève le tasq.»
Le droit accordé à l'individu en contrepartie de son effort de mise en valeur de la terre subsiste tant que le résultat de cet effort demeure tangible. S'il est effacé (usé) et que la terre a besoin d'un nouveau travail pour demeurer exploitable, l'ayant droit ne peut y conserver son droit que s'il continue à la mettre en valeur en y déployant l'effort nécessaire. Mais s'il refuse de pro- céder à cette mise en valeur et néglige la terre jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine, il sera déchu de son droit.
Nous pouvons maintenant comprendre l'idée complète et déterminer la vision générale : la terre appartient naturellement à l'Imam, l'individu ne peut pas en posséder la raqabah, et aucune possession individuelle ne peut y être accordée, si ce n'est sur la base du travail que l'individu y effectue en vue de la mise en état et de l'exploitation. Cette appropriation, ou ce droit que l'individu acquiert en contrepartie de son travail, n'empêche pas l'Imam d'imposer un tasq ou un impôt sur la terre mise en valeur afin que toute l'humanité saine participe à son utilisation. Toutefois ceci ne s'oppose pas à la dispense occasionnelle de tasq dans des circonstances exceptionnelles, comme cela a été indiqué dans les "akhbâr al-tahlîl"(89).
Telle est la vision de l'Islam sur la terre, telle qu'elle nous apparaît -pour l'instant- avant mise en évidence de son élément politique. En réalité, elle est en mesure de résoudre la contradiction qui existe entre les adeptes et les adversaires de l'appropriation de la terre, car cette appropriation de la terre figure parmi les questions sociales qui ont joué un rôle important dans la pensée humaine, proportionnellement à son importance en tant que phénomène présent dans la vie de l'homme depuis des milliers d'années.
Très probablement, ce phénomène est apparu dans l'histoire de l'homme -et s'est développé par la suite- après qu'il a découvert l'agriculture et en a fait dépendre son existence, et qu'il s'est rendu compte qu'il avait besoin de s'établir sur une terre donnée pendant le laps de temps que cette production exige. Il était donc naturel qu'il se sente dans une certaine mesure attaché à une parcelle précise de la terre, qu'il y exerce son travail et y établisse un foyer, une maison dans laquelle il puisse habiter près de son exploitation, afin de pouvoir la surveiller et la protéger. A la fin, cet homme, agriculteur -tout agriculteur-, s'est vu attaché à une parcelle de la terre et lié à elle par plusieurs liens découlant tous en fin de compte du travail qu'il a effectué sur la terre et de son effort -qui s'est combiné au sol et à chacune de ses particules. De là est née l'idée de la possession, car elle reflétait d'une part ce lien que l'agriculteur a découvert entre lui-même et son travail qu'il avait concrétisé dans la terre et mêlé à l'existence de celle-ci, et d'autre part cette idée de possession réalisait la stabilité et aboutissait à la répartition de la terre sur la base de la compétence, chaque individu se réservant la parcelle qu'il avait travaillée et sur laquelle il avait démontré sa compétence relative en l'exploitant.
Pour cela, nous inclinons à penser que très vraisemblablement ces droits privés sur la terre sont nés historiquement du travail et se sont érigés à la longue en propriété.
Les adversaires de la propriété de la terre
Les doutes que les adversaires de la propriété de la terre soulèvent à propos de celle-ci concernent tantôt sa réalité historique et ses racines qui plongent dans les profondeurs du temps, tantôt vont encore plus loin et condamnent l'idée même de la propriété et du droit de l'individu sur la terre, en les considérant comme écartés des principes de la justice sociale.
En ce qui concerne l'accusation portée contre la réalité de la propriété de la terre et son fondement historique, on met en cause la plupart du temps la force et la domination auxquelles on reproche d'avoir joué un rôle principal, au fil de l'Histoire, dans la répartition injuste de la terre et dans l'attribution aux individus des droits privés dans celle-ci. Si la force, l'usurpation et la violence sont les justifications réelles et le fondement historique de la propriété de la terre et des droits privés qu'a connus l'histoire de l'homme, il est naturel que ces droits privés soient condamnés et que la propriété de la terre dans l'Histoire soit considérée comme une forme de vol.
Pour notre part, nous ne nions pas l'existence de facteurs de force et d'usurpation et leur rôle historique. Mais ces facteurs n'expliquent pas l'apparition de la propriété de la terre et des droits privés qui y ont été acquis au long de l'Histoire. En effet, pour s'emparer de la terre par violence et usurpation, il faut qu'il y ait quelqu'un dont nous usurpons la terre et que nous chassons par force pour annexer sa terre aux nôtres, ce qui suppose préalablement que ladite terre -sur laquelle s'exercent violence et usurpation- ait fait l'objet antérieurement d'une prise de possession par une ou plusieurs personnes, et que celles-ci y aient acquis des droits.
Et lorsque nous voulons expliquer ce droit antérieur aux opérations d'usurpation, il faut laisser de côté le facteur de la force et de la violence, pour rechercher son origine dans le type de relation qui s'était établie entre la terre et ses ayants droit. D'autre part, cet usurpateur que nous supposons s'être emparé de la terre par la force, n'était probablement pas un vagabond sans logis ni terre, mais plus vraisemblablement quelqu'un qui avait pu travailler et exploiter une certaine surface de terre et dont les moyens s'étaient accrus progressivement, ce qui l'avait conduit à songer à s'emparer par la force de nouvelles surfaces. Il y aurait donc eu, avant la force et la violence, le travail productif et le droit fondé sur le travail et l'exploitation.
Lorsque nous nous imaginons une communauté primitive s'installant sur une terre et entrant dans le mode de vie agricole, la chose la plus vraisemblable est que chaque membre de cette communauté aura occupé une parcelle de cette terre, proportionnelle à ses possibilités, et se sera employé à l'exploiter. A travers cette division qui inaugure un début de division du travail -étant donné que tous les agriculteurs ne peuvent participer à chaque empan- naissent les droits privés des individus, et tout individu acquiert son droit dans la terre qui lui a coûté des efforts et qui a absorbé son travail et sa peine. C'est par la suite que surgissent les facteurs de force et de violence, lorsque le plus fort et le plus puissant se met à envahir les terres d'autrui et à s'emparer de l'exploitation d'autrui.
Nous ne cherchons pas, à travers cette analyse, à justifier les droits et propriétés privés sur la terre -que l'Histoire a connus- mais à montrer que la mise en valeur, c'est-à-dire le travail de la terre, est très probablement la première et unique raison que les sociétés primitives ont reconnue comme source du droit de l'individu sur la terre qu'il a mise en valeur et sur laquelle il a travaillé, et que les autres raisons sont des facteurs secondaires nés des circonstances et des complications qui écartaient les sociétés primitives de leur situation originelle et de leur inspiration naturelle.
Mais la première raison a perdu sa valeur progressivement à travers l'Histoire et à travers le développement desdits facteurs secondaires et la croissance de l'emprise du désir sur la nature, jusqu'à ce que l'histoire de la propriété privée de la terre regorge d'injustices et d'accaparements et que la terre se rétrécisse pour les masses populaires en même temps qu'elle s'élargissait pour quelques individus plus chanceux et plus favorisés.
Et comme nous l'avons vu, l'Islam a réhabilité cette raison première naturelle en faisant de la mise en valeur la source unique de l'acquisition d'un droit sur la terre, et en condamnant toutes les autres raisons. De cette façon l'Islam a ressuscité la loi de la nature dont les traces ont failli être enterrées par l'homme "artificiel".
Ceci concernant la critique du fondement historique de la propriété de la terre. Mais l'accusation la plus grave et la plus importante est celle portée de façon absolue à l'idée même de la propriété et du droit privé dans la terre, comme l'affirment certaines tendances doctrinales modernes ou semi-modernes -si l'on peut ainsi s'exprimer- telles que le socialisme agricole. Ainsi, on entend souvent dire à ce propos que la terre est une richesse naturelle que l'homme n'a pas produite et qui constitue l'un des dons d'Allah -que personne n'est donc autorisé à accaparer en en excluant les autres.
Quoi que l'on puisse dire à ce propos, l'idée islamique -que nous avons présentée au début de cet exposé- demeurera au-dessus de toute accusation rationnelle, car nous avons pu voir :
a) que la terre, considérée telle qu'elle était à l'état naturel lorsque l'humanité a reçu ce don d'Allah, n'est ni la propriété ni le droit de personne -si ce n'est de l'Imam, en tant que Fonction et non pas à titre personnel- ;
b) que la propriété de l'Imam sur cette terre, selon la théorie économique islamique de la terre, ne saurait être remise en cause ;
c) que la terre ne devient propriété de l'individu ni par la violence ni par la prise de possession, ni même par la mise en valeur, cette dernière ne devenant une source de droit de l'individu sur la terre que lorsqu'il prend légalement l'initiative d'en mettre en valeur une parcelle sur laquelle il déploiera des efforts en raison desquels il deviendrait injuste de le traiter -en ce qui concerne les droits sur cette terre- sur un pied d'égalité avec les autres qui n'ont effectué aucun travail sur elle ; et par suite il faut reconnaître à celui qui a mis en valeur la terre un droit de priorité par rapport à autrui sur cette terre et en vue de son utilisation.
Ainsi, l'Islam accorde à celui qui travaille la terre un droit qui lui donne la priorité sur les autres en vue de l'utilisation de cette terre, et il autorise théoriquement l'Imam à lui imposer une taxe -ou tasq- afin que toute l'humanité saine participe à l'utilisation de la terre en tirant bénéfice de ce tasq.
Et étant donné que le droit, selon l'Islam, est fondé sur le travail que l'individu a effectué sur la terre, ce droit disparaît tout naturellement si la terre consomme ce travail et exige davantage d'efforts pour continuer son activité et sa production, et que le maître de cette terre refuse de la remettre en état ou la néglige jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine. La terre, dans un tel cas, n'aura plus de lien avec l'individu qui la travaillait, en raison de la disparition de la justification légale dont il tirait son droit privé, à savoir son travail concrétisé par le bon état de la terre et la vie de celle-ci.
L'élément politique dans la propriété de la terre
Ayant déjà compris la théorie économique islamique de la terre, nous devons à présent mettre en relief l'élément politique qui réside dans la vision islamique générale de la terre. En effet, l'Islam a reconnu, outre la mise en valeur -laquelle est un travail naturellement économique- l'action politique. Cette action politique qui se concrétise dans la terre et qui confère au travailleur un droit sur celle-ci est l'action par laquelle la terre est annexée aux possessions de l'Islam et amenée à participer effectivement à la vie islamique et à rendre disponible ses possibilités matérielles.
En réalité, la participation effective de la terre dans la vie islamique et la disponibilité de ses possibilités économiques naissent tantôt d'une cause économique, en l'occurrence l'opération de mise en valeur effectuée par l'individu sur une terre entrée en possession de l'Islam, pour activer sa vie et la faire participer à la production, tantôt une cause politique, en l'occurrence l'action par laquelle une terre vivante et en bon état est annexée aux possessions de l'Islam. Chacune de ces deux actions a sa valeur spécifique en Islam.
Quant à cette dernière action qui produit l'annexion d'une terre en bon état aux possessions de l'Islam, elle est de deux sortes, car tantôt la terre est conquise par le Jihâd et par l'armée de l'Appel, tantôt son annexion survient comme suite à la conversion volontaire de ses habitants.
Si l'annexion de la terre aux possessions de l'Islam et sa participation dans la vie islamique résultent de la conquête, l'action politique est considérée ici comme l'action de la Ummah, et non pas d'un individu en particulier. Aussi est-ce la Ummah qui devient propriétaire de la terre et, par voie de conséquence, c'est le principe de la propriété publique qu'on lui applique.
Et si l'annexion de la terre en bon état et sa participation à la vie islamique résultent de la conversion volontaire de ses habitants, l'action politique devient ici celle des individus, et non pas de la Ummah. Aussi l'Islam a-t-il reconnu dans ce cas leur droit sur la terre en bon état sur laquelle ils se sont convertis à l'Islam et que l'Islam leur a permis de conserver.
Nous savons ainsi que l'action politique joue un rôle dans la vision islamique générale de la terre. Mais elle n'efface pas le caractère non individuel de la propriété, au cas où il s'agirait d'une action collective telle que la conquête à laquelle participe la Ummah de façon diverse. Au contraire, en vertu de cette action, la terre devient une propriété publique de la Ummah. La propriété publique de la Ummah coïncide dans l'essence et le sens social avec la propriété de l'Etat, même si celle-ci est plus étendue et plus large, car la propriété de la Ummah -bien qu'elle soit publique à l'intérieur du cadre de la Ummah - est en tout cas un bien propre à la Ummah qu'il n'est permis d'utiliser que dans l'intérêt public. Tandis que la propriété de l'Etat, l'Imam peut l'exploiter dans un cadre plus large. Ainsi, l'action politique collective concernant les terres en bon état conquises par les Musulmans a produit la situation desdites terres dans un cadre islamique au lieu d'un cadre humain plus large, et elle ne les a sorties en aucun cas du caractère non individuel de la propriété, puisque la terre ne sort de ce caractère pour être soumise au principe de la propriété privée que lorsque l'action politique est individuelle, comme la conversion volontaire des individus sur leur terre.
A la lumière de ce qui précède, nous savons que le domaine politique de la propriété privée de la raqabah de la terre dans la législation islamique est cette partie de la terre qui était la propriété de ses maîtres en vertu des règles qu'ils avaient vécues avant l'Islam, et dont les habitants -ses maîtres- ont répondu positivement à l'Appel et sont entrés volontairement en Islam, ou se sont réconciliés avec lui. Dans ce cas, la Charî'ah respecte leurs propriétés et reconnaît la propriété de leurs biens.
Dans tout autre domaine, la terre sera considérée comme une propriété de l'Islam, et la Charî'ah ne reconnaîtra pas la possession de sa raqabah par un individu. Ce dernier pourra seulement y acquérir un droit privé par la mise en état et l'exploitation, comme l'affirme le Chaykh al-Tûsî. Ce droit, bien qu'il ne diffère pas pratiquement dans notre réalité vécue de la propriété, en diffère théoriquement, car tant que l'individu ne possède pas la raqabah de la terre, et tant qu'il n'enlève pas cette raqabah au domaine de la propriété de l'Imam, celui-ci peut lui imposer un kharâj -comme l'a décidé le Chaykh al-Tûsî- et ce bien que nous ne constations pas effectivement le paiement de ce kharâj sur le plan pratique, en raison des akhbâr al-tahlîl (Rapports de légalisation) qui l'ont suspendu exceptionnellement bien qu'ils le reconnaissent théoriquement.
Ainsi donc, la Charî'ah ne reconnaît pas, sur le plan théorique, la possession en propriété privée de la raqabah de la terre, si ce n'est dans les limites de sa reconnaissance des propriétés de la terre déjà établies avant leur entrée en possession de l'Islam volontairement ou par traité de réconciliation.
Il est facile de trouver les justifications politiques de cette reconnaissance si nous lions celle-ci aux considérations de l'Appel et à son intérêt principal, au lieu de la lier au contenu économique de la vision islamique. Il était en effet nécessaire de laisser à ceux qui se sont convertis volontairement à l'Islam sur leurs terres les parcelles qu'ils avaient mises en valeur de leurs propres mains, et de ne pas leur demander de les offrir à l'Etat de l'Appel(90) dans lequel ils sont entrés et sous le Pouvoir duquel ils se sont soumis. Dans le cas contraire, cela aurait constitué un grand obstacle devant l'Appel et son prolongement dans les différentes étapes qu'il a traversées. De même en ce qui concerne les terres entrées par traité de réconciliation en possession de l'Islam.
Bien que l'Islam ait donné à cette catégorie de personnes le droit de propriété privée, cette dernière n'a pas été accordée de façon absolue, mais elle est conditionnée par la poursuite de l'exploitation de leurs terres par ces personnes, et le fait d'y travailler en vue de les faire participer à la vie islamique. Si ces personnes négligeaient la terre jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine, elle (re)deviendrait propriété de la Ummah selon l'avis de nombreux faqîh, tels que Ibn al-Barâj et Ibn Hamzah.
La vision de l'Islam en fonction de nouvelles données
Nous pouvons maintenant dépasser les résultats auxquels nous sommes parvenus jusqu'à présent et préciser la vision de l'Islam dans un cadre plus cohérent, à la lumière de certaines positions particulières vis-à-vis des textes.
Nous venons de voir que lorsqu'on considère la terre dans sa situation naturelle et d'une façon indépendante des considérations politiques, elle est considérée, d'un point de vue islamique, comme une propriété de l'Etat, car elle est naturellement soit morte, soit vivante, et dans les deux cas propriété de l'Imam (S). De même, nous avons vu que la mise en valeur de la terre morte par un individu confère à celui-ci un droit privé en vertu duquel il aura la priorité sur autrui pour l'exploitation de cette terre, et ce tant qu'il la maintiendra vivante, et que l'utilisation par un individu d'une terre en bon état confère à son utilisateur un droit en vertu duquel il a priorité pour l'utiliser tant qu'il continue à la faire.
Maintenant, nous voulons savoir si des correctifs doivent être apportés à cette image législative, et quelles sont les limites de ces correctifs, et ce dans le cadre des points suivants :
1- La terre conquise, exploitable lors de la conquête.
Il a été dit précédemment que cette terre est jugée propriété publique des Musulmans. Aussi avons-nous dit qu'elle entre dans le cadre de la propriété publique de la Ummah et non pas dans celui de la propriété de l'Etat. Mais on peut dire à ce propos que si nous considérons cette terre telle qu'elle était avant la conquête, nous remarquons qu'elle avait été une terre morte qu'un polythéiste a mise en valeur. Dans ce cas, et à la lumière des données précitées, sa raqabah revient à l'Imam (ou l'Etat), alors que le polythéiste ayant mis en valeur la terre -ou celui à qui elle avait été transmise par ce dernier- ont le droit de l'entretenir en bon état. Les Récits rapportés des Saints Imams (S) en ce qui concerne la terre conquise et son appartenance aux Musulmans ne nous apprennent que cette règle : «Tout droit ancien d'un polythéiste sur une terre, doit être transféré à la Ummah après la conquête, et devient un droit public.» Ils n'indiquent pas que le droit de l'Imam serait perdu par la conquête du fait que les Musulmans prennent les butins de leurs ennemis et non pas de leur Imam. C'est pourquoi la raqabah de la terre doit demeurer propriété de l'Imam, et le droit privé qu'elle renferme se transforme en un droit public de la Ummah.
2- La terre dont les habitants se sont convertis volontairement à l'Islam.
Il a été dit précédemment que cette terre est la propriété privée de ses détenteurs. Mais on peut dire que les Récits cités pour définir le statut de cette terre tendaient à ordonner de la laisser à ses possesseurs, symétriquement à la pratique relative à la terre conquise par la force, dont les détenteurs sont dépouillés des droits qu'ils y avaient. Ainsi, le droit que l'on reconnaît à celui qui s'est converti volontairement à l'Islam est le même droit dont est dépouillé celui qui a été vaincu par la force. Et ce droit, c'est le droit privé sans la propriété de la raqabah de la terre. En d'autres termes, la terre, avant la conversion volontaire de ses habitants, était une propriété de l'Etat -en vertu de l'argument des "Butins"(91), et ses habitants y avaient un droit privé, le droit de la mettre en valeur ; ce que fait l'Islam, c'est préserver leurs droits et leurs devoirs, et non pas leur accorder des droits qu'ils n'avaient pas. Ils conserveront ainsi le droit de mettre en valeur la terre, alors que cette dernière demeurera propriété de l'Etat. C'est pourquoi nous remarquons que s'ils venaient à faillir à leur devoir, en omettant de maintenir la terre en bon état et en la négligeant, l'Imam devrait prendre l'initiative d'en prendre possession et de l'exploiter, car sa raqabah fait partie du cadre de la propriété de l'Etat.
3- La terre dont les habitants ont conclu un traité de réconciliation stipulant qu'ils conserveront leurs terres.
Il s'agit ici en réalité d'un contrat en vertu duquel l'Etat transfère la propriété de cette terre aux "réconciliés" (muçâlih)(92), en contrepartie de concessions spécifiques qu'il obtient, comme le paiement d'un tribut par exemple. Il a été dit précédemment que les terres que l'Etat possède sont considérées comme biens privés de l'Etat, à propos desquels celui-ci peut prendre certaines initiatives, comme l'échange à titre de dédommagement mutuel, etc. Mais ce contrat de réconciliation est un contrat politique par nature, et non pas un contrat d'échange. Il ne signifie pas vraiment la déchéance de la propriété de la raqabah de la terre par l'Etat ou le Prophète (Ç) et l'Imam, et son transfert aux "réconciliés", mais seulement la mainlevée de leurs terres, lesquelles leur sont laissées en contrepartie de concessions précises. L'obligation de respecter les termes du contrat contraint l'Imam à ne pas leur imposer un loyer en échange de leur utilisation de la terre, ce qui ne constitue pas un transfert de la propriété de la raqabah. Car ce qui est visé par la "réconciliation emportant conservation de la terre", c'est la signification pratique de cette formule, et non pas sa signification législative. Car la signification pratique est tout ce qui intéresse les mécréants "réconciliés". La "réconciliation" est similaire au contrat de "thimmah"(93) (protection), lequel est un contrat politique en vertu duquel l'Etat renonce à prélever la Zakât et le Khoms sur le "protégé" (thimmî) en contrepartie du paiement d'un tribut. Il ne s'agit pas ici de l'exonération du polythéiste du paiement de la Zakât, mais de l'obligation faite à l'Etat de ne pas prélever cet impôt bien que celui-ci soit législativement établi.
Ces précisions apportées, on peut dire que la terre est entièrement propriété de l'Etat ou de la Fonction que le Prophète (Ç) ou l'Imam représentent, et ce sans aucune exception. Et c'est à la lumière de cette donnée que nous comprenons cette parole de l'Imam 'Alî (S), rapportées dans le Récit d'Abî Khâlid al-Kâbolî, citant Muhammad ibn 'Alî al-Bâqir (S) : «Toute la terre est à nous. Celui, parmi les Musulmans, qui met en valeur une terre, qu'il la mette en état et acquitte entre les mains de l'Imam son kharâj...»(94)
Ainsi, le principe dans la terre est que celle-ci est la propriété de l'Etat. Mais il y a, à côté de ce principe, le droit de la mise en valeur, lequel est un droit qui donne à celui qui l'accomplit une priorité sur autrui. L'individu, qu'il soit ou non Musulman, acquiert ce droit par l'exercice de la mise en valeur non prohibée par l'Imam. Et dès lors, ce droit ainsi acquis devient un droit privé. Mais si cet individu était un polythéiste et que les Musulmans ont occupé sa terre par la force à la suite d'une guerre de Jihâd, ce droit privé devient un droit public appartenant à la Ummah tout entière. Et puisque l'Imam n'a pas le droit d'enlever à la terre kharâjite son caractère "kharâjite" -par le don de la raqabah de la terre- on peut dire que ce droit public, même s'il ne coupe pas le lien de l'Etat avec la raqabah de la terre et sa possession de cette raqabah, transforme la terre de bien privé de l'Etat en bien public de l'Etat, que ce dernier doit exploiter au bénéfice des intérêts qui lui sont fixés, tout en le conservant. C'est ce que confirme l'expression énonçant que "la terre kharâjite est un bien de mainmorte". Aussi allons-nous utiliser le terme de propriété publique chaque fois qu'il s'agira d'un tel cas, et ce afin de la distinguer des cas de la pure propriété de l'Etat, cas dans lesquels la raqabah est propriété de l'Etat, sans l'existence d'un droit général de ce type.
LES MATIERES PREMIERES DANS LA TERRE
Les matières premières contenues dans l'écorce terrestre, et les richesses naturelles qui y sont renfermées, viennent directement après la terre elle-même pour leur importance et le rôle vital qu'elles jouent dans la vie productive et économique de l'homme. Car, en fait, tous les objets et bienfaits matériels dont jouit l'homme tirent leur origine en fin de compte de la terre et des matières et richesses minières dont elle regorge. C'est pourquoi la majeure partie des secteurs de l'industrie dépend essentiellement des industries d'extraction par lesquelles l'homme s'emploie à obtenir ces matières et minerais.
Les faqîh divisent habituellement les minerais en deux catégories : les minerais apparents et les minerais cachés.
Les minerais apparents sont les matières qui n'exigent pas davantage de travail pour laisser apparaître leur substance, comme par exemple le sel et le pétrole. Ainsi, si nous pénétrions dans les puits de pétrole, nous y trouverions ce minerai sous sa forme réelle et nous n'aurions besoin d'aucun effort pour le transformer en pétrole, bien qu'il faille déployer de grands efforts pour découvrir les gisements de pétrole et y forer des puits, et ensuite pour raffiner le pétrole.
Le minerai apparent, selon la norme jurisprudentielle, n'est pas ce que laisse entendre le sens apparent du terme, c'est-à-dire quelque chose qui se trouverait à la surface du sol et qui ne nécessiterait ni creusement, ni équipement pour y parvenir, mais tout minerai dont la nature minérale est apparente, peu importe si pour parvenir à ses gisements dans les profondeurs de la terre l'homme a besoin de creuser et de déployer de grands efforts, ou si on peut le découvrir facilement et sans effort à la surface du sol.
Quant aux minerais cachés, ils comprennent tout minerai nécessitant un travail et un développement pour mettre en évidence ses propriétés minérales, comme c'est le cas pour le fer et l'or. Car les mines de fer et d'or ne contiennent pas ces métaux tout faits et prêts à être exploités par l'homme dès qu'il parvient à leur gisement. Ces mines contiennent des matières minérales qui nécessitent de nombreux efforts et beaucoup de travail pour devenir du fer ou de l'or -au sens où l'entendent les marchands d'or et de fer.
Ainsi, le fait que le minerai soit apparent ou caché est lié, dans la terminologie jurisprudentielle, à la nature de la matière et au degré de son développement naturel, et non pas à l'endroit où elle se trouve, près de la surface du sol ou dans ses profondeurs.
Al-'Allâmah al-Hillî écrit dans "al-Tath-kirah", pour éclairer cette expression que nous venons d'expliquer : «Par apparent, on entend la matière dont la substance apparaît sans l'aide d'un travail propre à cet effet ; et s'il y a travail et effort à faire, ce serait pour parvenir à la matière, laquelle ne nécessite pas pour elle-même une opération de mise en valeur [en évidence]. Les exemples en sont : le sel, le pétrole, le goudron, la poix, la momie, le soufre, les pierres de moulin, le barâm ["pierre à casserole"], le kohl, la hyacinthe, les carrières d'argile, etc. Quant aux minerais cachés, ils n'apparaissent [ne sont mis en évidence] qu'après avoir été travaillés et on n'y parvient qu'en ayant recours à un traitement et à un équipement. Les exemples en sont : l'or, le fer, l'argent, le cuivre, le plomb, etc.»
En ce qui concerne les minerais apparents, tels que le sel et le pétrole, l'avis jurisprudentiel qui prévaut est qu'ils font partie des biens communs à tout le monde. L'Islam ne reconnaît en effet à personne, en ce qui les concerne, ni exclusivité, ni appropriation privée, car il les classe dans le cadre de la propriété publique et les soumet à ce principe. Il autorise les individus à obtenir seulement la part de ces richesses minérales dont ils ont besoin -sans se les réserver exclusivement ni s'approprier leurs sources naturelles.
Partant de là, seul l'Etat -ou l'Imam en sa qualité de Tuteur des gens qui possèdent ces richesses naturelles en propriété publique- a le droit de les exploiter, dans la mesure des possibilités offertes par les conditions matérielles de la production et de l'extraction, et à en mettre le produit au service des gens.
Quant aux projets privés dans lesquels des individus ont le monopole d'exploiter les minerais, ils sont strictement interdits. Si les auteurs de tels projets entreprennent le travail et le creusement pour découvrir ces minerais et y accéder dans les profondeurs de la terre, ils n'auront pas pour autant le droit de se les approprier et de les sortir du cadre de la propriété publique. Toutefois, chaque projet individuel est autorisé à obtenir la quantité dont l'individu a besoin de cette matière minérale.
Al-'Allâmah al-Hillî dit encore dans "al-Tath-kirah"(95), pour expliquer ce principe législatif relatif aux minerais apparents -dont il expose plusieurs exemples : «Ces minerais, on ne peut les posséder à la suite d'une mise en valeur et d'une exploitation, même si l'on parvient à la couche métallifère [nayl].»
Par "nayl", il entend la couche du sol qui renferme le minerai, ce qui veut dire qu'il n'est pas permis à l'individu de posséder ces minerais même s'il creuse jusqu'à ce qu'il parvienne aux gisements de pétrole -par exemple- c'est-à-dire à la couche minérale enfouie dans les profondeurs du sol.
Il a dit également, dans "Al-Qawâ'id", toujours en parlant des minerais apparents : «Les minerais sont de deux catégories : apparents et cachés. Les minerais apparents -lesquels ne nécessitent pas d'équipement (efforts et dépenses) pour y parvenir, comme le sel, le pétrole, le soufre, le goudron, la momie, le kohl, le "barâm" ["pierre à casserole"], la hyacinthe, sont le plus probablement un bien commun à tous les Musulmans, auquel cas ils ne peuvent pas être appropriés par la mise en valeur. Ils n'appartiennent pas en propre à celui qui les entoure d'une clôture. Il n'est pas permis de les concéder, et ils ne sont pas propres à celui à qui ils seraient concédés. Si quelqu'un vous y précède, il n'est pas permis de l'en déranger [de l'écarter de ces minerais] avant qu'il n'en ait satisfait son besoin. Si deux personnes y sont en concurrence, on doit procéder par tirage au sort au cas où on ne peut pas satisfaire les deux concurrents à la fois. Il est possible de partager entre les deux et de donner la priorité à celui d'entre eux qui en a le plus besoin.»(96)
De nombreuses références jurisprudentielles, telles que "Al-Mabsût", "Al-Muhath-thab", "al-Sarâ'ir al-Tahrîr", "al-Dorûs", "Al-Lam'ah", "al-Rawdhah", ont affirmé la soumission des minerais apparents au principe de la propriété publique et l'interdiction de les posséder en propriété privée.(97)
Cette interdiction est confirmée dans "Al-Mabsût", "al-Sarâ'ir", "al-Charâ'i'", "Al-Irchâd", "Al-Lam'ah", où il est dit notamment : «Celui qui devance en prend seulement la quantité dont il a besoin."(98)
Dans le "Jâmi' al-Charâ'i'" et "al-Idhâh", il est dit que : "Si l'individu voulait en prendre [du minerai] plus que son besoin, on le lui interdira."(99)
Al-'Allâmah al-Hillî a dit à ce propos, dans "al-Tath-kirah" : «C'est l'avis de la plupart de nos faqîh, bien qu'ils n'aient pas précisé s'il s'agit du besoin d'un jour ou d'un an.»(100)
Il entend par là que les faqîh ont interdit que l'on prenne plus que ce dont on a besoin de ces minerais, sans déterminer cependant s'il s'agit du besoin d'une seule journée ou de toute une année. On remarque ici que la Charî'ah est on ne peut plus nette quant au soulignement de l'interdiction d'exploiter à titre individuel ces richesses naturelles.
Il est dit dans le texte même de "Nihâyat al-Muhtâj ilâ Charh al-Minhâj" que : «Le minerai apparent est ce qui sort sans traitement, comme le pétrole et le soufre. Il ne peut pas être approprié et il ne peut y avoir d'exclusivité en ce qui le concerne, ni au moyen de clôture, ni par don. Si la quantité en diminue, on en donne en priorité au devancier la quantité dont il a besoin. S'il en demande plus, il est préférable de ne pas lui en donner.»
Expliquant le statut des minerais apparents, al-Châfi'î écrit : «Les minerais sont de deux sortes : les minerais apparents, comme le sel dans les montagnes, que les gens fréquentent [vers lesquelles les gens se dirigent pour s'en approvisionner]. Cette catégorie de minerais, personne n'a le droit de les concéder, en aucun cas. Les gens y ont le même droit. Le fleuve, l'eau de surface et les plantes qui se situent sur des terres non appropriables ont le même statut. Lorsqu'al-Abyadh ibn Hammâl demanda au Prophète (Ç) de lui concéder le sel de Ma'rab, le Prophète le lui concéda, ou voulut le faire. Mais lorsqu'on l'informa que "ce sel est comme l'eau courante ininterrompue", le Prophète dit alors : «Dans ce cas, non !» Et il a dit : «Toute source apparente, comme le pétrole, le goudron, le soufre, la momie, les pierres apparentes, a le même statut. Car c'est comme l'eau et l'herbe : tout le monde y a le même droit.»(101)
Al-Mâwerdî, parlant des minerais apparents, écrit dans "Al-Ahkâm al-Sultâniyyah" : «Quant aux minerais apparents, ce sont ceux dont la substance dont ils sont porteurs est évidente, comme les minerais de kohl, de sel, de goudron, de pétrole. Ils sont comme l'eau qu'il est interdit de concéder, car les gens y ont le même droit : en prend celui qui y parvient. Si ces minerais apparents venaient à être concédés, leur concession serait nulle et sans fondement. Celui qui en aurait la concession y aurait exactement le même droit que tout autre. Tous ceux qui y parviennent y partagent le même droit. Si le concessionnaire les en empêche, il aura commis une transgression par cette interdiction.»(102)
Les minerais apparents sont donc, à la lumière des textes précités, soumis au principe de la propriété publique. Ici, la propriété publique diffère de la propriété publique dans les terres de conquête en bon état dont nous avons parlé précédemment. Car la propriété publique sur ces terres résultait d'une action politique que la Ummah avait accomplie, à savoir la conquête. Ne pouvant pas être reconquises à nouveau, elles sont la propriété publique de la Ummah. Quant aux minerais, tous les gens y ont le même droit selon de nombreuses références jurisprudentielles, lesquelles emploient le terme "gens" au lieu de "Musulmans", comme on le voit dans "Al-Mabsût", "Al-Muhath-thab", "Al-Wasîlah", "al-Sarâ'ir", "Al-Om". Selon les auteurs de ces ouvrages, il n'existe aucune preuve de l'appartenance exclusive de ces minerais aux Musulmans. Aussi sont-ils la propriété publique des Musulmans et de ceux qui vivent sous leur protection.
Quant aux minerais cachés, comme nous l'avons vu, ils consistent -selon la norme jurisprudentielle- en tout minerai qui n'acquiert sa forme définitive que grâce à un travail, comme c'est le cas pour l'or, qui ne devient vraiment "or" qu'à la suite d'une préparation. Mais cette sorte de minerai se divise à son tour en deux catégories, car il peut se trouver parfois près de la surface de la terre, et parfois à une profondeur telle que l'on ne peut l'atteindre sans creuser, et au prix d'un pénible effort.
Les minerais cachés proches de la surface de la terre
Les minerais enfouis près de la surface de la terre sont assimilés aux minerais apparents, dont nous venons d'exposer le statut.
Al-'Allâmah al-Hillî écrit à ce propos dans "al-Tath-kirah" : «Les minerais cachés sont soit apparents, c'est-à-dire proches de la surface de la terre ou à portée de la main, soit non. S'ils sont apparents [proches de la surface] ils ne peuvent pas eux non plus, être appropriés par suite de la mise en valeur, et ils ont donc le même statut, sur ce point, que les minerais apparents, [statut] que nous avons déjà précisé.»(103)
Ibn Qudâmah dit la même chose : «Les minerais apparents auxquels on parvient sans dépenses et que les gens ont l'habitude d'utiliser ne peuvent pas être appropriés par la mise en valeur, et il n'est pas permis d'en concéder l'exploitation à une personne en particulier, ni de se les réserver à l'exclusion des autres Musulmans... Quant aux minerais cachés auxquels on ne parvient que grâce au travail et à des dépenses, tels que l'or, l'argent, le fer, le cuivre, le plomb, les cristaux, la turquoise, ils ne peuvent non plus être appropriés par suite de mise en valeur s'ils sont apparents.»(104)
L'Islam n'autorise donc pas l'appropriation à titre privé de minerais proches de la surface de la terre, alors qu'ils se trouvent sur place. Il autorise seulement l'individu à en posséder la quantité qu'il prend et acquiert, et encore à condition que cette quantité ne dépasse pas une limite raisonnable et ne devienne pas d'une importance telle que sa prise et son acquisition par l'individu constituent une cause de dommage social et de privation pour autrui, comme le note al-faqîh al-Isfahânî dans "Al-Wasîlah".
En fait, nous ne possédons pas de texte authentique dans la Charî'ah indiquant que l'acquisition constitue -toujours et en toutes circonstances- une raison de l'appropriation des richesses minérales acquises, quelles que soient l'importance de ces richesses et les conséquences de leur possession vis-à-vis d'autrui. La seule chose que nous sachions à ce sujet, c'est que les gens avaient l'habitude, à l'époque de la Législation, de satisfaire leurs besoins de matières premières se trouvant à la surface de la terre ou tout près en en acquérant une quantité suffisante pour couvrir ces besoins. Evidemment, en raison du peu de moyens d'extraction et de production dont disposaient les gens, cette quantité était minime. Cette habitude que la Charî'ah avait autorisée à l'époque ne saurait constituer une preuve de l'autorisation qui serait donnée par la Charî'ah aux individus de posséder les quantités qu'ils pourraient en acquérir, même si cette acquisition diffère en quantité (c'est-à-dire la quantité de minerai acquis) et dans son mode (c'est-à-dire les conséquences pour autrui de l'acquisition) de celle à laquelle les gens étaient habitués à l'époque de la Législation. Il convient de remarquer que, jusqu'à présent, les faqîh n'ont pas autorisé la possession à titre privé de la raqabah des minerais apparents -au sens jurisprudentiel du terme- et des minerais cachés proches de la surface de la terre. Ils ont seulement autorisé les individus à en prélever la quantité raisonnable dont ils ont besoin. De cette façon, on a laissé l'exploitation de ces richesses naturelles se faire sur une échelle très large plutôt que la laisser au monopole de projets individuels privés.
Quant aux minerais cachés enfouis dans les profondeurs de la terre, ils nécessitent deux sortes d'efforts :
1- les efforts de recherche et de creusement, en vue de parvenir à leurs gisements dans les profondeurs de la terre ;
2- les efforts dépensés sur la matière elle-même, en vue de la développer et de mettre en évidence ses caractéristiques propres, comme dans le cas de l'or, du fer, etc.
Appelons cette catégorie de minerais les "minerais cachés enfouis". Ces minerais cachés enfouis font l'objet de plusieurs théories dans la Jurisprudence islamique. Il y a des faqîh, tels qu'al-Kulaynî, al-Qommî, al-Mufîd, al-Daylamî, al-Qâdhî, etc. qui les considèrent comme étant propriété de l'Etat ou de l'Imam -en tant que Fonction et non pas de personne-, estimant que ces minerais font partie des Anfâl (butins), lesquels sont la propriété de l'Etat. D'autres pensent qu'ils sont des biens communs publics que l'ensemble des gens possèdent en propriété indivise publique ; c'est le cas de l'imam al-Châfi'î et de nombreux uléma hanbalites. Al-Mâwerdî, le faqîh châfi'îte, souligne cette dernière opinion sur cette question : «Quant aux minerais cachés enfouis, ce sont ceux dont la substance dort dans un endroit auquel on ne peut parvenir qu'à la suite d'un travail ; c'est le cas des minerais tels que l'or, l'argent, le cuivre, le fer. Ces minerais, et d'autres semblables, sont des minerais cachés et ce, que la part qui en est prélevée ait besoin de fonte et de moulage et d'épuration, ou non. En ce qui concerne l'autorisation de les concéder, il y a deux avis : l'un affirme que cela n'est pas autorisé, tout comme pour les minerais apparents, tout le monde y a le même droit.»(105)
De même, il ressort du texte du faqîh hanbalite Ibn Qudâmah que les minerais cachés enfouis font eux aussi partie des biens communs publics, selon ce qui ressort apparemment dans les Ecoles juridico-religieuses hanbalite et châfi'îte, et qu'il n'y a pas de différence, sur ce plan, entre ces minerais et les minerais apparents ou les minerais cachés non enfouis (proches de la surface du sol)(106).
Il n'est effectivement pas important, dans le cadre de l'opération de découverte de la Doctrine économique que nous menons ici, d'étudier la forme juridique de la propriété de ces minerais et de savoir s'il s'agit d'une propriété publique, d'une propriété d'Etat ou de toute autre forme de propriété ; car tant qu'il est évident que ces minerais ont, dans leur forme naturelle, un caractère social général, et qu'ils ne sont pas le domaine particulier d'un individu à l'exclusion d'un autre, l'étude du type de propriété demeure une recherche purement formelle qui n'est en fait pas liée à nos objectifs.
Ce qu'il est important de rechercher, en revanche, c'est de savoir si l'Islam autorise que le minerai d'or ou d'argent, par exemple, sorte du domaine des richesses publiques, et s'il accorde à l'individu qui creuse le sol et découvre une certaine matière la propriété du minerai qu'il a découvert. Nous avons vu que, en ce qui concerne les minerais apparents et les minerais cachés proches de la surface du sol, la Charî'ah - selon l'avis de l'ensemble des faqîh- n'autorise pas leur passage dans le domaine de la propriété privée. Mais elle autorise chaque individu à prélever de ces minerais la quantité nécessaire à la satisfaction de ses besoins sans nuire à autrui. Il faut donc maintenant connaître également la position de la Charî'ah en ce qui concerne les minerais enfouis, et savoir dans quelle mesure elle concorde avec -ou diffère de- sa position vis-à-vis des autres minerais.
La question qui se pose est donc tout d'abord de savoir si l'individu peut posséder, en propriété privée, des mines d'or ou d'argent, par leur découverte et leur creusement. Nombre de faqîh répondent par l'affirmative à cette question, car ils estiment que le minerai est approprié par sa découverte à travers les opérations de creusement. Ils étayent leur avis en arguant que la découverte du minerai par le creusement est une sorte de mise en valeur, que les ressources naturelles sont appropriées par la mise en valeur, que cette opération constitue un mode d'acquisition, et que l'acquisition est considérée comme un fondement de l'appropriation des différentes richesses naturelles.
Quant à nous, lorsque nous étudions cet avis du point de vue doctrinal, nous ne devons pas le séparer des réserves dont il était entouré, ni des limites que les tenants dudit avis ont imposées à l'appropriation du minerai par celui qui le découvre. Ainsi, la propriété du minerai que le découvreur acquiert -selon cet avis- ne s'étend pas aux profondeurs de la terre, aux veines et aux gisements de la matière minérale. Elle comprend seulement la matière que le creusement a permis de découvrir. De même, elle ne s'étend pas horizontalement au-delà des limites de l'excavation creusée par le découvreur, sauf dans la mesure où l'extraction de la matière contenue dans cette excavation l'exige. C'est ce que l'on appelle dans le langage juridique "harîm al-ma'dan" (l'interdit, ou le droit réservé, du minerai).
Il est évident que ces dimensions de la propriété sont très limitées et étroites, et qu'elles permettent à tout autre individu d'effectuer une opération similaire de creusement en un autre point du gisement du même minerai, même s'il puise en réalité dans le même filon que le premier découvreur, lequel n'a pas la propriété du gisement ou du filon.
Cette limitation à la possession du minerai caché enfoui est évidente dans plusieurs textes des tenants de la thèse de l'appropriation de ce type de minerai.
Ainsi, al-'Allâmah al-Hillî écrit-il, dans "Al-Qawâ'id" : «Et s'il creuse jusqu'à ce qu'il découvre le minerai, il n'a pas le droit d'empêcher un autre de creuser en un autre point. Si cet autre parvient au filon, le premier exploitant n'a pas le droit de l'en empêcher, car il ne possède pas l'endroit qu'il a creusé, ni son filon [harîm].»(107)
Et, définissant le cadre de la propriété, il écrit dans "al-Tath-kirah" : «Si le creusement s'élargit et que la couche contenant le minerai ne se trouve qu'au milieu ou à certaines extrémités, la propriété ne se limitera pas à l'endroit où se trouve cette couche, mais elle comprendra également ses environs nécessaires à sa zone d'exclusivité, c'est-à-dire la superficie nécessaire pour le stationnement des ouvriers et des montures.
«Si quelqu'un creuse, il n'a pas le droit d'empêcher un autre de creuser en un autre point, même s'il atteint le filon, et ceci que nous considérions que le minerai est approprié par le creusement ou non, car si celui qui creuse s'approprie quelque chose, c'est l'endroit qu'il a creusé seulement. Quant au filon qui se trouve dans le sol, il ne le possède pas.»(108)
Ainsi, ces textes délimitent la propriété à l'excavation et à ses environs immédiats dont les limites sont fixées au point où il devient possible d'extraire le minerai de l'excavation. Ils ne reconnaissent pas la propriété du prolongement vertical et horizontal de ces limites.
Si nous ajoutons à ces restrictions émises par ceux des faqîh qui sont partisans de la thèse de l'"appropriabilité" du minerai, le principe de l'illégalité de la suspension -qui interdit aux individus pratiquant le creusement et la recherche de geler et suspendre l'utilisation, ou l'enlèvement, du minerai, et qui décide qu'il faut les en déposséder s'ils l'abandonnent et suspendent son utilisation- si nous réunissons toutes ces restrictions, nous remarquerons que la thèse de l'"appropriabilité" du minerai -qui autorise l'individu à s'approprier le minerai dans ces limites- fait apparaître avec force la négation de l'appropriation à titre privé des mines, comme résultat décisif et comme point d'éclaircissement qu'elle apporte à la recherche théorique dans l'économie islamique. Car, en raison de ces restrictions, l'individu n'est autorisé à posséder que la seule matière minérale située dans les limites de son excavation, et il est menacé dès le début des travaux d'être dépossédé du minerai s'il clôture la mine, interrompt le travail, ou gèle la richesse minérale.
Cette forme de propriété diffère très nettement de la propriété des sites naturels dans la doctrine capitaliste, car elle n'est pas très différente d'un mode, parmi d'autres, de répartition du travail entre les gens, et elle ne peut ni conduire à la constitution de projets individuels monopolistiques, tels que ceux qui prévalent dans la société capitaliste, ni devenir un instrument de domination des sites naturels et de monopole des mines et des richesses qu'elles renferment.
A l'opposé de la thèse de l'"appropriabilité", il y a un autre courant jurisprudentiel qui nie la possibilité pour l'individu de s'approprier le minerai dans les limites reconnues par les faqîh qui soutiennent la thèse de l'"appropriabilité".
Dans le texte de "Nihâyat al-Muhtâj ilâ Charh al-Minhâj", on lit : «Le minerai caché, c'est-à-dire celui qui n'apparaît qu'à la suite d'un traitement, comme l'or, l'argent, le fer, le cuivre, ne peut être vraisemblablement approprié par le creusement et le travail.»(109)
De même, il est dit dans "Al-Mughnî" du faqîh hanbalite Ibn Qudâmah, en ce qui concerne les minerais : «S'ils ne sont pas apparents, et qu'un homme creuse le sol et les fait apparaître, ils ne seront pas appropriés pour autant [par ce travail], selon ce qui ressort apparemment de la doctrine [hanbalite] et l'apparence de la doctrine châfi'îte.»(110)
Ce courant jurisprudentiel puise les justifications de sa négation de l'appropriation dans la discussion des arguments de l'"appropriabilité" et des documents de ceux qui la soutiennent. Il n'est pas d'accord avec l'affirmation de ceux-ci, selon laquelle le découvreur du minerai en est le propriétaire sur le fondement de la mise en valeur par lui dudit minerai du fait de sa découverte, ou sur la base de son acquisition et de son contrôle du minerai. Car, selon ce courant, la Charî'ah ne reconnaît explicitement le droit privé consécutif à la mise en valeur que dans le cas de la terre, et ceci conformément au texte législatif stipulant que "celui qui met en valeur une terre la possède". Or, le minerai n'est pas une terre, pour qu'il puisse être concerné par ce texte. La preuve en est que lorsque les faqîh ont discuté des statuts des terres de conquête mises en valeur, et dit "qu'elles sont la propriété publique des Musulmans", ils n'ont pas inclus dans cette propriété les minerais que ces terres renferment, reconnaissant ainsi que le minerai n'est pas une terre. Il en va de même en ce qui concerne l'acquisition, puisqu'il n'y a pas, dans la Charî'ah, de preuve qui en ferait un fondement de l'appropriation des ressources naturelles.
Selon ce courant jurisprudentiel donc, l'individu ne peut rien posséder de la mine tant que le minerai se trouve dans son site naturel. Il ne peut posséder, à titre privé, que le minerai qu'il a extrait. Ce qui ne signifie pas que sa relation avec la mine ne diffère pas, du point de vue juridique, de la relation de tout autre individu avec ladite mine. Au contraire, bien qu'il ne possède pas le minerai, il est considéré d'un point de vue juridique comme ayant priorité sur autrui pour utiliser ce minerai et y exercer son travail par le moyen de l'excavation qu'il a creusée pour le découvrir, car c'est lui qui a créé l'occasion de l'utilisation de ce minerai grâce à son travail de creusement où il a déployé des efforts, et par lequel il est parvenu au minerai dans les profondeurs de la terre. Dès lors, il a le droit d'empêcher autrui d'exploiter cette excavation, dans les limites où une telle exploitation constituerait une concurrence, et nul n'a le droit d'utiliser cette excavation pour obtenir du minerai de façon à en concurrencer l'ayant droit prioritaire.
A la lumière des textes jurisprudentiels et des théories se rapportant aux mines que nous avons vus jusqu'à présent, nous pouvons conclure que les mines -selon l'avis jurisprudentiel dominant- font partie des biens communs publics. Elles sont donc soumises au principe de la propriété publique, et l'individu n'est pas autorisé à en posséder les filons et gisements enfouis dans le sol. Quant à la possession, par l'individu, du minerai lui-même à l'intérieur de la terre et dans les limites horizontales et verticales de l'excavation, elle fait l'objet de désaccord entre un avis jurisprudentiel dominant et un autre courant jurisprudentiel. Selon l'avis dominant, l'individu obtient le droit de posséder le minerai dans les limites précitées, s'il s'agit de minerai caché enfoui. Selon le courant jurisprudentiel opposé, l'individu n'obtient le droit de posséder que le minerai qu'il extrait, et on lui reconnaît un droit de priorité sur quiconque pour bénéficier du minerai et utiliser son excavation à cet effet.
Les minerais sont-ils appropriés avec la terre ?
Par minerai, nous entendions jusqu'à présent les mines situées sur une terre libre n'appartenant à aucun individu en particulier. Notre recherche dans ce domaine a abouti à la conclusion que nous venons d'énoncer (voir à la fin du chapitre précédent). Il faut savoir maintenant si cette conclusion concerne aussi les mines situées dans une terre appartenant à un individu en particulier, ou si ces mines deviennent propriété de cet individu du seul fait qu'elles se trouvent sur son terrain.
En réalité, nous ne voyons pas d'inconvénient à l'application à ces mines de la conclusion à laquelle a abouti notre recherche, s'il n'y a pas un accord unanime sur le plan religieux, car leur présence dans la terre d'un particulier n'est pas une raison suffisante, sur le plan juridique, pour leur appropriation par celui-ci. En effet, nous avons appris dans un précédent chapitre que l'appartenance de la terre à un individu ne peut résulter que de l'une des deux raisons suivantes : la mise en valeur, ou l'entrée de la terre dans le Dâr-ul-Islam à la suite de la conversion volontaire à l'Islam de ses habitants, puisque la conversion à l'Islam d'une personne, sur sa terre, la rend propriétaire de celle-ci. Or l'effet de chacune de ces deux raisons ne s'étend pas aux mines qui existent dans les profondeurs de la terre, mais concerne seulement la terre elle-même, conformément à la preuve légale relative à chacune d'elles.
La preuve légale de la mise en valeur est le texte législatif stipulant que "celui qui met en valeur une terre, celle-ci sera à lui, il y aura la priorité et devra en payer le tasq". Il est évident que ce texte accorde à l'exploitant un droit sur la terre qu'il a mise en valeur, et non pas sur les richesses naturelles qu'elle renferme et qui sont enfouies dans ses profondeurs.
Quant à la preuve légale de la possession par un individu de la terre sur laquelle il s'est converti volontairement à l'Islam, elle réside en ce que l'Islam protège le sang et le bien et, par conséquent, celui qui se convertit à l'Islam, on protège son sang, et les biens qu'il possédait avant sa conversion sont saufs. Ce principe est appliqué à la terre elle-même et non pas aux mines qu'elle peut renfermer, car la personne qui s'est convertie à l'Islam ne possédait pas ces mines et il n'y a donc pas de raison qu'on les lui préserve. En d'autres termes, le principe de la protection du sang et du bien en Islam n'institue pas une nouvelle propriété, mais conserve à la personne, en raison de sa conversion à l'Islam, les biens qu'elle possédait antérieurement. Or les mines ne font pas partie de ces biens, et n'ont donc pas à être appropriées par suite de la conversion. Sa conversion conserve à l'individu seulement la terre qui lui appartenait antérieurement, et il en demeure propriétaire après l'entrée en Islam, il n'en est pas dépossédé.
Il n'existe pas, dans la Charî'ah, de texte stipulant que la propriété de la terre s'étend à toutes les richesses qu'elle renferme. Ainsi, nous savons maintenant qu'il est possible juridiquement -s'il n'y a pas de consensus unanime de nature religieuse- d'affirmer que les mines se trouvant dans des terres appartenant à quelqu'un, ou particulières, ne sont pas la propriété des possesseurs de ces terres, bien que l'on doive lors de leur exploitation tenir compte des droits de ceux-ci sur leurs terres, car la mise en valeur et l'extraction du minerai de ces mines dépendent de la possibilité de disposer de la terre. Il paraît que l'imam Mâlik a décrété que le minerai découvert dans une terre possédée par un individu ne dépend pas de la terre mais appartient à l'Imam. En effet, on peut lire, dans "Mawâhib al-Jalîl" : «Ibn Bachîr a dit : "S'il [le minerai] se trouve dans une terre possédée par une personne donnée, il est soumis à trois avis : le premier, il [le minerai] est à l'Imam ; le deuxième, au propriétaire de la terre ; le troisième, s'il s'agit d'or ou d'argent, il appartient à l'Imam, et s'il s'agit d'autres joyaux, il appartient au propriétaire de la terre." Et al-Lakmî a dit : "Lorsqu'il y eut divergence de vues sur les minerais d'or, d'argent, de fer, de cuivre, de plomb, découverts dans la propriété d'un homme, Mâlik a dit : C'est l'Imam qui en décide. Il l'accorde à qui il estime bon de l'accorder."»(111)
La féodalité (al-iqtâ') en Islam
Il y a, dans la terminologie de la Charî'ah islamique concernant les terres et les minerais, le terme "iqtâ'".
Ainsi, nous pouvons remarquer fréquemment dans le vocabulaire des faqîh cette expression : «L'Imam doit accorder (concéder)(112) en fief cette terre ou ce minerai», malgré leurs divergences sur les limites de la concession en fief que l'Imam peut accorder.
Le terme "iqtâ'" (féodal) est inséparablement lié, dans l'histoire du Moyen Age, notamment dans l'histoire de l'Europe, à des conceptions et des régimes déterminés, au point qu'il évoque dans l'esprit des gens, lorsqu'on l'entend prononcer, tous ces régimes et conceptions qui déterminaient les rapports du cultivateur et du propriétaire, et régissaient leurs droits aux époques où le régime féodal dominait en Europe et dans différentes régions du monde.
En réalité, cette évocation et ce réflexe conditionné étant le produit linguistique de civilisations et de doctrines sociales que l'Islam n'a ni vécues ni connues, peu importe si certains Musulmans les ont connues ou non dans certaines parties de la Nation islamique, lorsqu'ils ont perdu leur spécificité et leurs règles en fusionnant dans les courants du monde athée, et il n'est pas logique de charger le vocabulaire islamique de ce produit qui lui est étranger.
Certes, nous ne voulons pas (et cela ne nous importe pas) parler ici des sédiments historiques du terme, et l'héritage qu'il porte de certaines époques de l'histoire islamique, car il ne s'agit pas ici de comparer entre deux significations de ce mot. Mieux, nous ne voyons absolument aucune justification à une telle comparaison entre le concept de féodalité en Islam et le concept européen qui est reflété par les régimes féodaux, étant donné l'absence de lien aussi bien théorique qu'historique entre les deux.
Ce que nous cherchons, à travers cette étude, c'est à expliquer ce mot du point de vue de la Jurisprudence islamique, afin de déterminer l'image intégrale des statuts de la Charî'ah relatifs à la distribution, qui se cristallisent à travers l'opération de découverte à laquelle nous procédons dans le présent ouvrage. Ainsi, la féodalité, comme la définissent al-Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût", Ibn Qudâmah dans "Al-Mughnî", al-Mâwerdî dans son "Ahkâm", et al-'Allâmah al-Hillî, est en réalité "l'octroi par l'Imam à une personne du droit d'exercer un travail dans une source de richesse naturelle dans laquelle le travail constitue une cause d'appropriation ou d'acquisition d'un droit"(113). Pour comprendre cette définition, nous devons savoir que, pour toutes les sources de la richesse naturelle brute(114), il n'est pas permis, en Islam, à l'individu d'effectuer un travail et une mise en valeur, sans l'autorisation particulière ou générale de l'Imam ou de l'Etat, comme nous le verrons dans un prochain chapitre lorsque nous étudierons le principe de l'intervention de l'Etat, en vertu duquel principe celui-ci a le droit de contrôler la production et de veiller à la répartition saine du travail et des occasions de travail. Donc, partant de ce principe, il est naturel que l'Imam exploite ces sources soit directement, soit par la création de projets collectifs, soit en donnant aux individus l'occasion de les exploiter, selon les conditions objectives et les possibilités de production de la société d'une part, et selon les exigences de la justice sociale du point de vue islamique d'autre part.
Ainsi, en ce qui concerne le minerai brut, comme l'or par exemple, l'Imam pourrait estimer qu'il est préférable que l'Etat se charge de son extraction et de la mise à la disposition des gens de ce qui aurait été extrait. De même, l'Imam pourrait considérer que cette solution n'est pas possible sur le plan pratique, en raison de l'absence initiale des moyens matériels de production nécessaires à l'extraction de grandes quantités par l'Etat, et choisir en conséquence l'autre mode de production, en autorisant des individus ou des groupes à mettre en valeur une mine d'or et à en extraire la richesse, et ce en raison des faibles quantités d'or qu'on peut en tirer. Ainsi, l'Imam décide du mode d'exploitation des ressources naturelles brutes et de la politique générale de la production à la lumière de la réalité objective et des idéaux islamiques de Justice.
Nous pouvons ainsi comprendre, à la lumière de ce qui précède, le rôle de la "féodalité" (la concession) et son sens jurisprudentiel : c'est l'un des modes d'exploitation des matières premières, que l'Imam adopte lorsqu'il estime que l'autorisation donnée à des individus d'exploiter ces richesses est le meilleur moyen d'en profiter dans des circonstances déterminées.
La concession d'une mine, donnée par l'Imam à une personne, signifie l'autorisation de la mettre en valeur et d'en extraire le minerai. C'est pourquoi il n'est pas permis à l'Imam de donner à un individu une concession qui dépasserait ses capacités et qu'il ne pourrait pas exploiter, comme l'affirme al-'Allâmah al-Hillî dans le texte d'"al-Tahrîr" et d'"Al-Tath-kirah"(115), ainsi que certains faqîh châfi'îtes et hanbalites(116) ; car la "concession" islamique est l'auto- risation donnée à un individu d'exploiter la richesse concédée et d'y travailler. Si le concessionnaire s'avère incapable d'effectuer ce travail, la concession aura été illégale. Cette restriction à la concession reflète clairement sa nature, laquelle se veut un des modes de division du travail et d'exploitation de la nature.
L'Islam ne considère pas la concession comme une cause de l'appropriation par le concessionnaire de la source de richesses naturelles que l'Imam lui accorde, car autrement ce serait un détournement de sa fonction de mode d'exploitation et de division des forces de travail. Il a donné au concessionnaire un droit d'exploitation de la source de richesses naturelles, lequel droit signifie que c'est à lui de travailler dans cette source et que nul autre n'a le droit de la lui prendre et d'y travailler à sa place, comme l'ont affirmé al-'Allâmah al-Hillî dans "Al-Qawâ'id" : «La concession produit l'exclusivité»(117), et al-Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût" : «Si le sultan concède une parcelle de mawât à l'un de ses sujets, celui-ci y aura sans conteste la priorité sur autrui du fait de la concession par le sultan.»(118)
Parlant de la concession du minerai, faite par l'Imam, et soulignant que c'est celui-ci qui en a le contrôle et qui décide quelle est la meilleure façon de le gérer -exploitation par l'Etat ou concession- al-Hattâb écrit, dans "Mawâhib al-Jalîl" : «Lorsqu'il le concède, il le fait en vue de son utilisation et non pas de sa possession, car celui qui en a la concession n'a pas le droit de le vendre ; et on ne peut pas l'hériter de celui qui en avait la concession, car ce qui n'est pas appropriable n'est pas transmissible par héritage, bien qu'il existe un avis selon lequel le filon peut être transmis par héritage.»(119)
Par conséquent, la concession n'est pas une opération d'appropriation, mais un droit que l'Imam octroie à un individu sur une source de richesses naturelles à l'état brut, droit en vertu duquel cet individu aura priorité sur quiconque pour exploiter la parcelle de terre concédée, ou le minerai, suivant ses capacités et possibilités.
Il est évident que l'octroi de ce droit est nécessaire tant que la concession, comme nous l'avons vu, est un des modes de répartition des énergies et forces de travail sur les sources de richesses naturelles en vue de les exploiter, car la concession ne peut jouer ce rôle et répartir les forces de travail sur les ressources naturelles, selon un plan général, que si tout individu a le droit d'exploiter ce qui lui a été concédé de ces ressources, droit en vertu duquel il aura priorité sur autrui pour le mettre en valeur et y travailler.
La raison de ce droit est de garantir la maîtrise de la répartition et de faire réussir la concession en tant que mode d'exploitation des ressources naturelles et de leur répartition entre les forces de travail sur la base de la compétence. Ainsi, nous remarquons que depuis que l'individu a obtenu de l'Imam la concession d'une terre ou d'un gisement de minerai jusqu'à ce qu'il exerce le travail, c'est-à-dire pendant la période des préparatifs et de la mise en oeuvre des conditions préalables, qui va de la date de l'octroi de la concession à celle du commencement effectif du travail d'exploitation, il n'a d'autre droit que celui de travailler sur cette parcelle limitée de terre ou cette partie déterminée de la mine, droit qui lui permet la mise en valeur et l'exploitation et qui interdit à quiconque de l'y concurrencer, afin que le mode d'exploitation des ressources naturelles et de répartition des forces de travail selon les compétences ne soit pas perturbé.
Cette période, qui va de l'octroi de la concession jusqu'au commencement du travail ne doit pas se prolonger de manière excessive, car concession ne signifie pas appropriation de la terre ou du minerai par l'individu, mais répartition de l'intégralité du travail aux ressources naturelles sur la base de la compétence. Aussi le concessionnaire n'a-t-il pas le droit d'ajourner sans raison valable le début du travail, car négliger de commencer le travail compromettrait le succès de la concession, en tant qu'exploitation des ressources sur la base de la répartition du travail, au même titre que la concurrence d'un tiers, au détriment du concessionnaire dans son travail après qu'il a été désigné par l'Etat pour exploiter cette parcelle déterminée qui lui a été concédée, aurait empêché elle aussi la concession de remplir son rôle islamique.
C'est pour cela que le Chaykh al-Tûsî écrit, dans "Al-Mabsût", à propos du concessionnaire : «S'il retarde la mise en valeur, le sultan lui dira : "Ou bien tu la mets en valeur [la concession], ou bien tu la laisses à un autre pour qu'il assure cette mise en valeur". Si le concessionnaire invoque une raison valable et demande un délai, le sultan ajourne l'échéance, et s'il n'avait pas de raison valable et que le sultan le somme de choisir entre les deux termes de l'alternative, et s'il ne s'y soumet pas, alors le sultan lui retire la concession.»(120)
De même, il est écrit dans "Miftâh al-Karâmah" : «S'il [le concessionnaire] invoque le prétexte de difficultés financières et demande un délai jusqu'à ce qu'il dispose d'une aisance dans ce domaine, sa demande sera rejetée car, les délais n'ayant pas été déterminés, le retard risquerait de se prolonger de manière excessive et de conduire à l'inexploitation.»(121)
L'Imam al-Châfi'î a dit : «Lorsqu'une personne bénéficie d'une concession sur une terre, ou qu'elle la clôture, sans la mettre en valeur, je pense que le sultan doit la sommer d'effectuer cette mise en valeur sous peine de la remplacer par une autre personne qui procédera à la mise en valeur. Si le concessionnaire défaillant demande un délai, j'estime qu'on doit le lui accorder.»(122)
Selon un récit rapporté par al-Harath ibn Bilâl ibn al-Harath, le Prophète (Ç) avait concédé à Bilâl ibn al-Harath al-'Aqîq(123). Lorsque 'Omar ibn al-Khattâb accéda au califat, il dit à Bilâl ibn al-Harath : "Il ne t'a pas accordé cette concession pour que tu te l'approprie à l'exclusion des gens."»(124)
Tels sont tout le rôle, et tout l'effet, de la concession pendant la période allant de son octroi au commencement du travail, période pendant laquelle la concession produit son effet sur le plan juridique, et cet effet ne va pas, comme nous l'avons vu, au-delà d'un droit de travail qui fait de la concession un moyen auquel l'Etat recourt dans certaines circonstances pour exploiter les ressources naturelles et répartir les forces de travail entre ces ressources en fonction des compétences.
Mais après que l'individu a commencé d'entreprendre le travail sur la terre ou le minerai, la concession cesse d'avoir des effets sur le plan juridique où elle est remplacée par le travail : à partir de ce moment, en effet, les droits de l'individu sur la terre ou le minerai sont déterminés par la nature du travail, selon les modalités de détail que nous avons déjà étudiées. Cette nature véritable de la concession, montrant qu'il s'agit d'un mode islamique de division du travail, est prouvée - outre ce qui précède- par les restrictions que la Charî'ah a mises à la concession. En effet, la Charî'ah l'a limitée aux ressources naturelles sur lesquelles le travail est censé octroyer au travailleur un droit ou une sorte d'exclusivité, à savoir les mawât, dans la norme jurisprudentielle. Ainsi, il n'est pas permis de concéder les sites naturels sur lesquels aucun droit ni exclusivité ne découle du travail (comme l'a noté al-Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût") et qui sont représentés par de larges emplacements sur les routes. L'interdiction de donner en concession cette sorte de sites, et la limitation de la concession aux seuls mawât, montrent clairement la vérité que nous avons soulignée et prouvent que la fonction de la concession, sur le plan juridique, n'est autre que l'octroi d'un droit d'exercer un travail sur une source de richesses naturelles déterminée pour une raison précise, la concession étant considérée comme un des modes de répartition du travail sur les ressources naturelles qui ont besoin de mise en valeur et de travail. Quant aux droits de l'individu sur la source de richesses naturelles elle-même, ils sont fondés sur le travail et non sur la concession.
Si la source de richesses naturelles fait partie des sites qui n'ont pas besoin de mise en valeur et de travail, et sur lesquels le travail n'engendre aucun droit particulier pour celui qui l'effectue, la concession n'est pas autorisée, car elle perd sa signification islamique lorsqu'il s'agit de ce genre de sites qui n'ont pas besoin de travail et sur lesquels il n'y a pas trace de travail pour qu'on y accorde à un individu un droit de travail. L'octroi de concessions sur de tels sites constituerait une forme d'accaparement et de monopole de la nature, ce qui ne s'accorde pas avec la conception islamique de la concession et sa fonction authentique. C'est pour cela que la Charî'ah l'a interdite et a limité la concession légale aux sources de richesses naturelles ayant besoin d'un travail.
La concession (iqtâ') sur la terre kharâjite
Il y a autre chose qu'on pourrait appeler "concession" (iqtâ') dans la norme juridique, et qui ne l'est pas en vérité puisqu'il s'agit de payer la rétribution d'un service.
Le domaine de cette concession est la terre kharâjite, considérée comme propriété de la Ummah. En effet, il arrive que le Gouvernant accorde à un individu une terre kharâjite et l'autorise à en percevoir le kharâj.
Une telle initiative de la part du Gouvernant, bien qu'elle exprime parfois, dans sa signification historique - et à tort- un cas flagrant d'appropriation de la raqabah de la terre, n'a rien de tout cela dans son acception jurisprudentielle et ses limites légales. Elle est, en effet, considérée comme un moyen de payer les salaires et rétributions que l'Etat s'est engagé à verser aux individus en contrepartie de travaux effectués ou de services généraux rendus. Pour comprendre cela, il faut se rappeler que le kharâj -qui est le bien prélevé par l'Etat chez les cultivateurs- est considéré comme une propriété de la Ummah, accessoire de sa propriété de la terre elle-même. C'est pourquoi l'Etat doit dépenser les biens provenant du kharâj pour les besoins généraux de la Ummah, comme le soulignent les faqîh en désignant ces besoins généraux comme étant les provisions de bouche des gouverneurs et des juges, les dépenses de construction de Mosquées et de ponts, etc. Et puisque les gouverneurs et les juges rendent des services à la Ummah, celle-ci doit se charger de leur entretien. Il en va de même des Mosquées et des ponts, qui font partie des besoins généraux de la société dans la vie quotidienne des gens, et qu'il est donc permis de construire avec les biens de la Ummah et les droits prélevés sur le kharâj.
Il est évident que l'Etat peut s'acquitter de la provision de bouche du gouverneur et du juge, ou de la rétribution de tout individu ayant rendu un service général à la Ummah, soit directement par prélèvement sur les biens du Trésor public, soit en autorisant son créancier à percevoir lui-même directement la rente de certaines propriétés d'Etat. En principe, l'Etat recourt à cette dernière formule lorsqu'il ne dispose pas d'une administration centrale solide.
En effet, dans la société islamique, les salaires et les rétributions (indemnités) des individus qui ont rendu des services généraux à la Ummah peuvent être réglés en espèces, mais il arrive également -selon les circonstances de l'administration dans l'Etat islamique- que ces salaires et indemnités soient payés au moyen de l'octroi par l'Etat, à un individu, du droit de prélever pour lui-même le kharâj d'une terre déterminée parmi les terres de la Ummah, et de le toucher directement du cultivateur, et ce à titre de rétribution pour le service rendu à la Ummah. On appelle ce procédé "concession", bien qu'il ne s'agisse pas vraiment d'une concession mais plutôt d'une charge donnée à l'intéressé, par laquelle il perçoit sa rétribution du kharâj prélevé sur une surface déterminée de terre, en l'obtenant directement du cultivateur. Ainsi, le concessionnaire possède-t-il le kharâj en tant que salaire contre un service général qu'il rend à la Ummah. Mais il ne possède pas la terre, et il n'a aucun droit originel dans sa raqabah ni dans ses utilités. De même, cette terre ne perd pas de ce fait son titre de propriété des Musulmans, ni sa qualité de terre kharâjite, et ce conformément à l'avis du faqîh et muhaqqiq, Seyyed Muhammad Bahr al-'Ulûm, lequel, définissant cette sorte de concession -c'est-à-dire la concession de la terre kharâjite - écrivait dans "Bulghat al-faqîh" : «Cette sorte de concession ne fait pas perdre à la terre sa qualité de terre kharâjite, car elle signifie que le kharâj de cette terre appartient au concessionnaire, et non pas son exclusion de la "kharâjité"»(125)
"Al-hemâ" (la terre de protection) en Islam
"Al-hemâ" est un concept ancien chez les Arabes. Il désigne les étendues de terres de mawât que les individus les plus puissants accaparaient, interdisant à autrui de les utiliser, et les considérant, avec tout ce qu'elles renfermaient d'énergies et de richesses, comme leur propriété privée et ce parce qu'ils s'en étaient emparés et en raison de leur capacité d'empêcher quiconque de les utiliser. Al-Muhaqqiq al-Najafî écrit, dans son livre "Al-Jawâhir" : «Il était dans les habitudes de ces gens-là, à l'époque anté-islamique, lorsqu'ils se rendaient sur une terre fertile, de faire aboyer un chien sur une montagne ou dans une plaine, et de proclamer par suite leur appropriation de l'ensemble de la superficie sur laquelle l'aboiement du chien était entendu, de tous les côtés, et leur protection de cette terre contre quiconque. C'est pourquoi on l'appelle "al-hemâ" [la terre protégée, ou réservée].»
Al-Châfi'î écrit dans son livre, après avoir rapporté le hadith du Prophète (Ç) cité par al-Ça'b, "Il n'y a pas de hemâ, si ce n'est pour Allah et Son Messager" : «Lorsqu'un homme puissant parmi les Arabes se rendait sur un territoire fertile, il faisait monter un chien sur une montagne -si montagne il y avait- ou sur un relief -s'il n'y avait pas de montagne- et il le faisait aboyer, après avoir posté quelqu'un qui était chargé de localiser le point extrême auquel parvenaient les aboiements. Le territoire compris entre les divers points extrêmes de la portée des aboiements, dans toutes les directions, constituait désormais son protectorat. Il faisait pâturer son bétail avec les autres en dehors de ce protectorat, qu'il interdisait à ceux-ci et qu'il réservait aux bêtes faibles de son bétail et d'autres bêtes qu'il voulait laisser avec elles. Donc, lorsque le Prophète (Ç) a dit : "Il n'y a pas de hemâ en Islam, si ce n'est pour Allah et pour Son Prophète", il entendait le hemâ dans cette acception particulière. Et lorsqu'il dit : "Tout hemâ et autre appartiennent à Allah et à Son Prophète", c'était parce qu'il faisait le hemâ (protection ou réservation) pour l'intérêt de l'ensemble des Musulmans, et non pas comme le faisait (la protection ou le hemâ) tout autre individu, pour son besoin ou intérêt personnel.»(126)
Il est naturel que l'Islam rejette le hemâ, car le droit personnel y est fondé sur la domination et non pas sur le travail. C'est pourquoi il ne l'autorise à aucun Musulman. Le texte : «Il n'y a pas de protectorat, si ce n'est celui d'Allah et de Son Messager» confirme la condamnation de cette méthode d'appropriation et de monopolisation des ressources naturelles. Et selon certains : «Quelqu'un a demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) : "Si un Musulman possède un terrain contenant une montagne à vendre, et qu'un autre Musulman, qui a besoin de faire pâturer ses moutons, lui demande l'accès de sa montagne, le premier peut-il légalement vendre la montagne au second, comme il vend d'autres choses, ou bien lui en refuser l'accès s'il ne veut pas payer ? Quel est le statut dans un tel cas, et quel est le droit du premier ?" L'Imam al-Çâdiq a répondu : "Non, il n'a pas le droit de vendre la montagne à son frère musulman."»(127)
Ainsi, la simple domination sur une source de richesses naturelles, exercée par un individu, n'est pas considérée en Islam comme une raison d'accorder à cet individu un droit sur ladite source. La seule protection (domination, hemâ) que l'Islam ait autorisée est celle du Prophète (Ç). En effet, le Prophète (Ç) a "protégé" (réservé), pour des motifs d'intérêt général, certains endroits des terres de mawât, tel al-Baqî' qu'il a destiné aux chameaux de l'aumône, au bétail du tribut et aux chevaux des mujahîd (combattants musulmans).
Les eaux naturelles sont de deux sortes, l'une constituée des "sources" découvertes qu'Allah a placées à la surface de la terre pour l'homme, comme c'est le cas des mers, des fleuves et des sources naturelles, l'autre regroupant les sources enfouies dans les profondeurs du sol et dont l'utilisation par l'homme nécessite travail et efforts, l'exemple en étant les eaux de puits creusés par l'homme pour y accéder.
La première catégorie est considérée comme faisant partie des biens communs publics appartenant à tout le monde. Les biens communs publics sont les richesses naturelles que l'Islam n'autorise aucun individu en particulier à s'approprier, tout en permettant à tous de les utiliser, le bien originel et sa raqabah conservant leur qualité de biens communs et publics. Ainsi, la mer ou le fleuve ne peuvent être la propriété privée de personne. Tout le monde est autorisé à les utiliser. C'est sur cette base que nous savons que les sources naturelles découvertes d'eau sont soumises au principe de la propriété publique(128). Si quelqu'un en acquiert une certaine quantité, en n'importe quelle circonstance, il est propriétaire de cette quantité. Qu'il puise l'eau dans le fleuve avec un récipient, un instrument, ou en creusant de manière licite un fossé qu'il relie au fleuve, cette eau puisée grâce au récipient, à l'instrument ou au fossé devient propriété par acquisition. Sans acquisition et travail, on ne peut rien posséder de l'eau. C'est ce qu'a affirmé le Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût" : «L'eau mubâh [permise] est l'eau de mer et l'eau d'un grand fleuve, comme le Tigre ou l'Euphrate, et l'eau des sources jaillissant dans la plaine et la montagne des mawât. Tout cela est mubâh (permis), et toute personne peut en utiliser incontestablement la quantité qu'elle veut, de la façon qu'elle veut, et ce conformément à un hadith du Prophète cité par Ibn 'Abbâs : "Les gens sont associés dans trois choses : l'eau, le feu et l'herbe." Même si cette eau déborde et entre dans les propriétés des gens et s'y accumule, ceux-ci n'en deviennent pas propriétaires.»
Le travail est donc la base de l'appropriation de toute quantité d'eau que l'individu prend à ces sources. Même dans le cas où l'eau provenant de ces sources découvertes entre sous la domination de quelqu'un, en pénétrant dans son domaine, sans que cette personne ait accompli aucun travail pour la faire venir, cela ne justifie pas son appropriation, et l'eau conservera son caractère de bien commun public tant que l'intéressé n'aura effectué aucun travail pour l'acquérir.
La seconde catégorie de sources naturelles de l'eau est l'eau enfouie et cachée à l'intérieur du sol. Cette catégorie d'eau n'appartient en propre à quiconque qu'à partir du moment où il aura accompli un travail pour y parvenir, et creusé pour la découvrir. Si, à la suite de travail et de creusement, quelqu'un découvre une source d'eau enfouie, il aura un droit sur cette source qu'il a découverte, lui permettant de l'utiliser et d'empêcher les autres d'y rivaliser avec lui. Etant donné que c'est lui qui, par son travail, a créé l'occasion d'utiliser cette source, il a le droit de bénéficier de cette occasion, et quiconque n'aurait pas partagé son effort pour la création de cette occasion, ne doit pas venir en concurrence avec lui dans son utilisation. C'est pourquoi il acquiert la priorité sur tout autre dans cette source, et il possède l'eau qui se renouvelle de celle-ci, car il s'agit d'une forme d'acquisition, mais il ne possède pas la source elle-même, qui se trouvait dans les profondeurs de la terre avant son travail. Pour cette raison, il doit offrir le surplus de l'eau aux autres, lorsqu'il aura satisfait son besoin, et il n'a pas le droit de leur demander de payer l'eau qu'ils ont bue ou fait boire à leurs animaux, car la matière reste parmi les biens communs publics. Le découvreur y obtient, par son travail, un droit de priorité. Une fois ses besoins satisfaits, les autres peuvent l'utiliser. En effet, Ibn Baçîr raconte que l'Imam al-Çâdiq (S) a rapporté que le Prophète (Ç) a interdit "al-Nitâf" et "al-Arbi'â'", et qu'il a dit : «Ne la vends pas, mais prête-la à ton voisin ou à ton Frère. Al-Arbi'â' signifie qu'on construit une digue, qu'on y rassemble l'eau qu'on y puise pour arroser sa terre, et qu'on laisse l'eau restant à autrui. A1-Nitâf, c'est l'eau potable dont on consomme la quantité suffisante pour soi, et on doit laisser le reste à autrui.»
Selon un autre hadith, attribué à l'Imam al-Çâdiq (S) : «Al-Nitâf, c'est boire l'eau. Si tu n'en as plus besoin, tu n'as pas le droit de la vendre à ton voisin, mais tu dois la lui laisser. Al-Arbi'â', c'est l'eau d'arrosage (ruisseau), commune à tout le monde ; celui qui y puise ce dont il a besoin doit la laisser à son voisin ; il ne doit pas la lui vendre.»(129)
Al-Chaykh al-Tûsî affirme lui aussi, dans "Al-Mabsût", ce que nous venons de mentionner, et il explique que le rapport de l'individu avec la source de l'eau est un rapport de droit, et non pas de propriété, bien qu'il ait son mot à dire en ce qui concerne le puits, c'est-à-dire l'excavation qu'il a creusée et grâce à laquelle il est parvenu à l'eau. Il dit notamment à ce propos : «Dans tout endroit où un individu possède un puits, il a la priorité dans la quantité de son eau dont il a besoin pour boire lui-même, pour faire boire son troupeau et irriguer ses cultures. S'il en reste un surplus, il doit l'offrir, sans contrepartie, à quiconque en a besoin pour boire lui-même ou pour faire boire son troupeau. Quant à l'eau qu'il a acquise et rassemblée dans sa cruche, sa jarre, son cruchon, son étang, son puits -c'est-à-dire un trou sans contenu-, son atelier, etc. il n'a pas, incontestablement, à en offrir quoi que ce soit, même si cette eau dépasse ses besoins, car elle est sans source.»
Par conséquent, l'individu ne peut pas interdire aux autres l'utilisation -dans des limites compatibles avec ses droits- de la source considérée comme une ressource naturelle. Car, selon cet avis, il ne possède pas la source, mais il a seulement un droit de priorité sur elle par suite de sa création de l'occasion qui lui a permis de l'utiliser. En conséquence, il doit laisser aux autres ce qui, dans la source, ne s'oppose pas à son droit de l'utiliser.
LES AUTRES RICHESSES NATURELLES
Quant aux autres richesses naturelles, elles sont considérées comme biens permis généraux (mubâhât).
Les biens permis généraux sont les richesses que les individus ne sont pas autorisés à utiliser ni à en posséder la raqabah. L'autorisation relative aux biens permis généraux est donc une autorisation d'appropriation et non pas une simple autorisation d'utilisation.
L'Islam a fondé la propriété privée des biens permis généraux sur toute forme de travail effectué en vue de leur acquisition. Ainsi, le travail en vue de l'acquisition de l'oiseau est la chasse ; le travail en vue de l'acquisition du bois est son ramassage ; le travail en vue de l'acquisition des perles et du corail est la plongée au fond de la mer; le travail en vue de l'acquisition de l'énergie électrique latente dans la puissance des chutes d'eau est la transformation de cette puissance en courant électrique, etc.
Ainsi, les richesses sont appropriées par l'accomplissement du travail nécessaire à leur acquisition.
Ces richesses ne peuvent pas être possédées en propriété privée sans travail. Il ne suffit pas qu'elles entrent dans les limites des biens contrôlés par quelqu'un pour devenir sa propriété, sans qu'il ait effectué un travail actif en vue de leur acquisition. Al-'Allâmah al-Hillî a écrit dans "al-Tath-kirah" le texte suivant : «Si l'eau permise déborde [augmente] et qu'une partie entre dans la propriété de quelqu'un [le Chaykh dit que] ce dernier ne la possède pas comme lorsque la pluie ou la neige tombent et demeurent dans la propriété d'un homme, ou comme lorsque le poussin d'un oiseau tombe dans sa ferme, ou comme lorsque le lézard s'embourbe dans sa terre, ou comme lorsqu'un poisson saute dans son bateau. Il ne possède pas l'eau de cette façon. Il la possède seulement par la prise et l'acquisition.»(130)
Al-'Allâmah al-Hillî écrit dans "Al-Qawâ'id" à propos des statuts de la chasse : «L'animal n'est pas approprié tout simplement parce qu'il s'embourbe dans la terre de quelqu'un, ou qu'il nidifie dans sa maison, ou que le poisson saute dans son bateau.»
Ceci est, entre les deux avis, celui qui fait le plus autorité chez les faqîh châfi'îtes, comme le rapporte d'eux al-'Allâmah al-Hillî dans "Al-Tath-kirah"(131).
Nous avons fini de brosser une image précise d'une superstructure complète de la Législation islamique, comprenant une série importante de statuts en vertu desquels la pré-production est répartie, et les droits des individus, de la société et de l'Etat sur les richesses naturelles que renferme l'univers, sont organisés.
En comprenant cette superstructure du projet islamique, nous aurons déjà effectué la moitié du chemin nous conduisant à la découverte de la théorie ; et il ne nous reste que la recherche essentielle sur le plan doctrinal, dans laquelle nous devrons montrer les règles et les théories générales sur lesquelles est fondée la superstructure et s'appuie cette masse de statuts que nous avons déjà passés en revue, et c'est l'objet de la présente seconde moitié de l'opération de découverte, qui part de la superstructure vers la base, et des détails législatifs aux généralités théoriques.
Dans l'exposé de ces règles juridiques et statuts, et pour les exprimer, nous avons toujours suivi une méthode qui reflète constamment et clairement les corrélations théoriques solides entre ces statuts ; ce qui constitue une contribution à cette nouvelle étape de l'opération de la découverte, et aidera à l'utilisation desdits statuts dans la tâche doctrinale que nous essayons d'accomplir maintenant.
Nous allons diviser la théorie doctrinale générale de la distribution de la pré-production, et l'étudier par étapes. Dans chaque étape, nous en aborderons un aspect important, auquel nous rapporterons des recherches précédentes les textes législatifs et jurisprudentiels et les statuts qui démontrent cet aspect et le prouvent.
Après avoir assimilé ces différents aspects de la théorie à la lumière des superstructures dont chacune appartient à l'un de ces aspects, nous rassemblerons à la fin tous les fils de la théorie en une seule combinaison à laquelle nous donnerons sa formulation générale.
L'aspect négatif de la théorie
Commençons par l'aspect négatif de la théorie, aspect dont le contenu consiste, comme nous allons le découvrir, en la croyance à l'inexistence de toute propriété et de tout droit personnel préalables dans les richesses naturelles, sans travail.
La superstructure de cet aspect
1 - L'Islam a aboli la protection (hemâ) en stipulant : "Pas de protection, si ce n'est pour Dieu et pour Son Messager". Ce faisant, il dénie à l'individu tout droit personnel dans la terre qui reposerait sur le seul contrôle de celle-ci et la domination par la force.
2 - Si le Tuteur concède une terre à un individu, celui-ci y acquiert, par voie de conséquence, le droit d'y travailler, sans que cette concession lui confère le droit de s'approprier la terre, ni aucun autre droit s'il n'y effectue aucun travail et n'accomplit pas d'efforts sur son sol.
3 - Les gisements et filons profonds de la mine ne peuvent pas être possédés en propriété privée, et l'individu n'y a aucun droit personnel, comme l'a expliqué al-'Allâmah al-Hillî dans "Al-Tath-kirah", en disant : «Quant au filon qui se trouve enfoui dans le sol, on ne le possède pas par le creusement, et quiconque y parvient à partir d'un autre point peut y puiser.»
4 - Les eaux naturelles découvertes, telles que les fleuves et les mers, ne peuvent être la propriété personnelle de personne, et l'individu n'y a aucun droit exclusif. Le Chaykh al-Tûsî écrit à ce propos dans "Al-Mabsût" : «L'eau de mer et de fleuve, les sources jaillissant dans la plaine et la montagne de la terre de mawât, tout cela est permis, et chacun peut y puiser à volonté, conformément à un hadith du Prophète rapporté par Ibn 'Abbâs et selon lequel : "Les gens sont associés dans trois choses : l'eau, le feu, et l'herbe."»
5 - Si l'eau naturelle déborde et entre dans les propriétés des gens, et s'y accumule, sans que ceux-ci l'aient acquise par un travail personnel, ils n'en sont pas propriétaires, comme l'affirme le Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût".
6 - Si un individu ne fait aucun effort pour chasser et que le gibier entre malgré tout sous son contrôle, il ne le possède pas. En effet, al-'Allâmah al-Hillî écrit dans "Al-Qawâ'id" : «On n'est pas propriétaire du gibier par le simple fait qu'il entre sur sa terre, ou du poisson parce qu'il saute dans son bateau.»
7 - Il en va de même des autres richesses naturelles. Leur entrée sous le contrôle d'un individu sans que celui-ci ait effectué un effort dans ce but ne justifie pas leur appropriation. C'est pourquoi il a été écrit dans "Al-Tath-kirah" : «Une personne ne possède pas la neige qui tombe dans son domaine pour la simple raison qu'elle tombe sur sa terre.»
Ces statuts de la Législation islamique, et ceux qui leur sont semblables, que nous avons déjà vus, nous permettent de savoir que, sur le plan juridique, l'individu n'a pas, initialement, un droit personnel sur les richesses naturelles, droit qui lui permettrait de jouir d'un privilège par rapport à autrui. A moins qu'il ne s'agisse du résultat d'un travail particulier qu'il aurait effectué et qui le distinguerait des autres dans les faits. Ainsi, nul ne peut conserver pour lui-même une terre s'il ne la met pas en valeur, ni un minerai s'il ne le découvre, ni une source d'eau s'il ne la creuse pas, ni des animaux sauvages s'il ne les a pas chassés, ni aucune richesse sur la terre ou dans l'air à moins qu'il ne l'acquière par ses efforts. A travers ces exemples, nous remarquons que le travail, qui est considéré dans la théorie comme la seule base de l'acquisition préalable par l'individu de droits personnels sur les richesses de la nature, diffère dans son acception théorique selon la nature et le type de richesse ; ce qui est considéré comme un travail constituant un fondement suffisant pour l'acquisition de droits personnels sur certaines richesses naturelles, ne l'est pas en ce qui concerne d'autres sortes de richesses. Ainsi, vous pouvez devenir propriétaire en les ramassant de pierres dans le désert, et la théorie reconnaît comme travail le ramassage de la pierre, et autorise la constitution de droits personnels sur ce fondement. Mais elle ne reconnaît pas la prise de possession comme un travail et refuse la constitution de droits personnels sur ce fondement lorsqu'il s'agit de la terre morte, de la mine, et des sources naturelles de l'eau. Aussi ne vous suffira-t-il pas, pour vous approprier une terre, une mine, ou une source d'eau enfouie dans les profondeurs de la terre, de mettre la main sur de telles richesses et d'exercer votre domination dessus. Pour y acquérir un droit personnel, il vous faut concrétiser vos efforts dans la terre, la mine et la source d'eau en mettant la terre en valeur, en découvrant la mine, et en puisant l'eau. Nous déterminerons, dans les aspects positifs de la théorie, la conception que celle-ci adopte pour définir le travail et les critères qu'elle retient pour qualifier de travail les différents efforts accomplis par l'homme dans le domaine des richesses de la nature. Et lorsque nous aurons compris ce critère, nous pourrons alors réaliser pourquoi la prise de possession de la pierre constitue un fondement suffisant pour en devenir propriétaire, alors que la prise de possession de la terre ne constitue ni un travail, ni un fondement à l'acquisition de quelque droit personnel que ce soit sur cette terre.
L'aspect positif de la théorie
L'aspect positif de la théorie est symétrique de son aspect négatif et le complète, car il considère que le travail est une base légitime pour l'acquisition de droits et de propriété personnels sur les richesses naturelles. Ainsi donc, le refus de tout droit préexistant, dissocié du travail, sur les richesses naturelles est l'aspect négatif de la théorie, et l'autorisation d'un droit personnel fondé sur le travail en est l'aspect positif symétrique.
La superstructure de cet aspect
1 - Celui qui met en valeur une terre se l'approprie, comme le stipule le hadith.
2 - Celui qui creuse le sol jusqu'à ce qu'il découvre un minerai a un droit de priorité sur ce minerai, et il sera propriétaire de la quantité qu'il extraira de son excavation, ainsi que de toute la matière qui se trouve dans celle-ci.
3 - Celui qui, en creusant, découvre une source d'eau, a la priorité pour son utilisation.
4 - Celui qui acquiert un animal sauvage par la chasse, du bois en le ramassant, une pierre en la portant, l'eau d'un fleuve en la puisant au moyen d'un récipient ou de toute autre façon, devient propriétaire de ce qu'il a ainsi acquis par le fait même de la prise de possession, et ce, conformément aux avis de tous les faqîh.
Tous ces statuts ont pour dénominateur commun un même fait, à savoir que le travail est la source de tous les droits et propriété personnels sur les richesses naturelles qui environnent l'homme. Et bien que cet élément juridique se retrouve dans tous les statuts considérés, nous pouvons y découvrir un sous-élément constant, et deux sous-éléments variables qui diffèrent suivant les diverses catégories et parties des richesses, lorsque nous examinons minutieusement ces statuts, leurs textes législatifs et leurs preuves. L'élément cons- tant est le fait que le droit particulier acquis par un indi- vidu sur les richesses naturelles brutes est lié au travail ; sans l'accomplissement d'un travail, il n'obtient rien. Mais si son travail s'exerce sur une richesse naturelle dans une quelconque opération, il peut y acquérir un droit particulier. La relation entre le travail et les droits personnels en général est donc le contenu commun et l'élément constant dans tous ces statuts.
Quant aux deux éléments variables, ce sont le type de travail, et le type de droits particuliers que le travail engendre. Ainsi, nous remarquons que les statuts qui ont fondé les droits personnels sur la base du travail diffèrent les uns des autres quant au genre de travail dont ils ont fait la source du droit personnel, et quant au genre de droits particuliers qui découlent du travail. En effet, alors que la prise de possession de la terre n'est pas considérée comme un travail, le travail en vue de la prise de possession de pierres dans le désert, ou du puisage d'eau dans le fleuve, constitue, sur le plan juridique, une raison suffisante non seulement pour acquérir un droit de priorité dans l'utilisation des pierres et de l'eau, mais également pour en être propriétaire à titre personnel.
Il y a donc une différence dans les statuts qui ont lié les droits personnels de l'individu à son travail et à ses efforts, en ce qui concerne la détermination du type de travail qui est à l'origine de ces droits, et la nature de ces droits fondés sur le travail. Aussi cette différence soulèvera-t-elle des interrogations auxquelles il nous faut apporter des réponses. Pourquoi, par exemple, le travail en vue de la prise de possession de la pierre ou de l'eau du fleuve est-il suffisant pour que celui qui l'accomplit acquière un droit, alors que le même genre de travail, exercé sur la terre ou le minerai, par exemple, n'y ferait naître aucun droit personnel ? Pourquoi le droit que l'individu a acquis sur l'eau en la prenant dans le fleuve est-il élevé au niveau de la propriété, alors que celui qui a mis en valeur une terre, ou découvert une mine, ne possède ni celle-ci, ni celle-là, mais n'obtient qu'un simple droit de priorité pour l'exploitation du site naturel qu'il a mis en valeur ? Et si le travail est une raison suffisante pour l'acquisition de droits personnels, pourquoi celui qui découvre une terre naturellement exploitable, qui saisit cette occasion qui lui est offerte par la nature, qui la cultive et déploie pour cela des efforts, pourquoi n'obtient-il pas des droits similaires à ceux que permet la mise en valeur, bien qu'il ait fourni beaucoup d'efforts et effectué de nombreux travaux sur son sol ? Comment la mise en valeur d'une terre morte est-elle devenue un fondement pour l'acquisition par l'individu d'un droit dans la raqabah de la terre, alors que l'exploitation de la terre exploitable et le fait de la cultiver ne constituent pas une justification de l'octroi d'un droit similaire ? La réponse à toutes ces questions, qu'a soulevées la différence dans les statuts islamiques relatifs au travail et aux droits auxquels il donne naissance, dépend de la détermination du troisième aspect de la théorie, lequel explique le fondement général de l'appréciation du travail dans la théorie. Pour déterminer cet espace, il nous faut réunir les différents statuts relatifs au travail et à ses droits, qui sont à l'origine de ces questions, et y ajouter les statuts semblables, afin d'en constituer une superstructure grâce à laquelle nous nous acheminerons vers la détermination claire des aspects de la théorie ; car l'ensemble de ces statuts différents les uns des autres reflète en réalité les aspects déterminés de cette théorie ; c'est ce à quoi nous allons procéder tout de suite.
L'évaluation du travail dans la théorie
1 - Si un individu a mis en valeur une terre morte, il y possède un droit, et doit en payer l'impôt à l'Imam, à moins que celui-ci ne l'en dispense. C'est ce que le Chaykh al-Tûsî explique dans "Al-Mabsût" (Kitâb al-Jihâd), en se référant à des textes "sains"(132) qui précisent que «celui qui met en valeur une terre y a prioritairement un droit, et doit en payer l'impôt», et en vertu de ce droit qu'il acquiert, personne ne peut lui prendre cette terre tant qu'il y accomplit son devoir, et ce bien qu'il ne possède pas la raqabah de la terre elle-même.
2 - Si un individu cultive et exploite une terre naturellement exploitable, il aura le droit de la conserver et d'empêcher quiconque d'y rivaliser avec lui, tant qu'il continuera de l'exploiter. Mais il n'y obtient pas un droit plus large l'autorisant à en prendre possession et à empêcher autrui de l'utiliser au cas où lui-même ne le ferait pas.
C'est pourquoi le droit résultant de l'exploitation d'une terre naturellement exploitable diffère du droit résultant de la mise en valeur d'une terre morte. En effet, le droit résultant de la mise en valeur interdit à quiconque de s'emparer de la terre (mise en valeur) sans l'autorisation de l'exploitant tant que les aspects de la mise en valeur y sont apparents, et ce sans avoir à s'occuper du point de savoir si l'exploitant utilise effectivement la terre ou non. Tandis que le droit que l'on acquiert par suite de l'exploitation d'une terre naturellement exploitable n'est rien d'autre qu'un droit de priorité sur la terre tant qu'on l'utilise effectivement ; et si on cesse de l'utiliser, n'importe qui peut saisir l'occasion naturellement offerte à la terre et y jouer le rôle du premier exploitant.
3 - Si quelqu'un creuse le sol pour y découvrir un gisement, et qu'il y parvienne, un autre peut utiliser ce même gisement -à condition de ne pas concurrencer le premier, et (afin d'éviter de le concurrencer) en creusant en un autre endroit- et en extraire tout ce qu'il veut de minerai, conformément au texte d'al-'Allâmah al-Hillî, dans "Al-Qawâ'id" : «S'il creuse et qu'il parvienne au minerai, il ne peut pourtant pas empêcher un autre de creuser en un autre endroit. Si ce dernier parvient lui aussi au filon, le premier n'a pas le droit de l'en empêcher.»
4 - Al-Chahîd al-Thânî, 'Alî ibn Ahmad al-'Amilî, écrit dans "Al-Masâlik", à propos de la terre mise en valeur par quelqu'un puis tombée en ruine : «Si cette terre était à l'origine permise (mubâh), et que son exploitant l'abandonne, elle retourne à ce qu'elle était, et redevient permise, exactement comme si on puisait de l'eau dans le Tigre, puis qu'on l'y rejette ; car la cause de l'appropriation de cette terre est sa mise en valeur et sa mise en état ; si la cause disparaît, l'effet, qui est l'appropriation, la suit.»(133) Cela veut dire que si quelqu'un met en valeur une terre, elle lui revient de droit, et son droit subsiste tant que la mise en valeur demeure concrétisée. Et si la mise en valeur disparait, l'individu perd son droit.
5 - A la lumière de ce qui précède, si quelqu'un creuse le sol pour découvrir un gisement ou une source d'eau, et qu'il y parvienne, et que par la suite il néglige sa découverte jusqu'à ce que l'excavation soit recouverte, ou que le terrain soit remblayé pour une cause naturelle, et que plus tard une autre personne vienne et recommence le travail jusqu'à la redécouverte du gisement, elle y aura un droit exclusif, et le premier ne saurait l'en empêcher(134).
6 - La prise de possession n'est pas, en soi, une cause de l'appropriation ou du droit sur les sources de richesses naturelles de la terre, des gisements, des sources d'eau, lesquels constituent une sorte de biens protégés. Or, "Pas de protection (hemâ), si ce n'est pour Dieu et Son Messager".
7 - Les bêtes sauvages qui résistent à l'homme s'approprient par leur soumission ou leur capture, même si le chasseur ne les attrape ni par la main, ni par le piège, car l'appropriation du gibier ne nécessite pas la prise effective. En effet, al-'Allâmah al-Hillî écrit dans son livre "Al-Qawâ'id" : «Les causes de l'appropriation du gibier sont au nombre de quatre : vaincre sa résistance, fixer la main sur lui, le frapper jusqu'à l'affaiblissement, l'attirer dans un piège. Quiconque tire sur un gibier qui n'appartient à personne, et qui ne porte pas la marque d'une propriété, se l'approprie s'il l'apprivoise, et ce même s'il ne l'attrape pas.»(135)
Ibn Qudâmah écrit : «Si quelqu'un tire sur un oiseau qui est juché sur un arbre situé dans la maison d'un autre, et que cet autre le ramasse, le gibier revient au tireur et non pas au propriétaire de la maison, car c'est de celui qui vainc sa résistance qu'il devient la propriété.»(136)
Ja'far ibn al-Hassan, al-Muhaqqiq al-Hillî écrit la même chose dans "Charâ'i' al-Islâm"(137)
8 - Celui qui creuse un puits jusqu'à ce qu'il parvienne à l'eau y a un droit de priorité pour la quantité dont il a besoin pour boire lui-même, faire boire son troupeau, et irriguer ses cultures. S'il en reste un surplus, il doit l'offrir, sans contrepartie, à qui en a besoin, et ce conformément au texte du Chaykh al-Tûsî dans "Al-Mabsût", que nous avons déjà vu.
9 - Si un individu possède un bien par suite de sa prise de possession, et qu'ensuite il le néglige, son droit y disparaît et le bien redevient libre et permis (mubâh) comme il l'était avant sa prise de possession, et un autre peut se l'approprier ; en effet, le fait que son propriétaire néglige de l'utiliser et l'abandonne coupe le lien qui le rattachait à lui, et ce comme le précise un hadith "sain" attribué à Ahl-ul-Bayt (S), rapporté par 'Abdullâh ibn Sanân : «Si quelqu'un tombe sur un bien ou un chameau fugueur, égaré, et abandonné par son maître, et qu'il y mette la main, s'en charge et consente pour lui à des dépenses jusqu'à ce qu'il le sauve de l'épuisement et de la mort, celui-ci lui revient, et son ancien propriétaire n'a aucun droit sur lui. Il devient comme une chose permise.»(138) Bien que le hadith concerne un chameau abandonné, le fait que le "cha- meau" soit coordonné au "bien" indique que la portée de ce hadith est générale, et s'applique à tous les cas.
10 - L'individu n'a pas de droit sur la raqabah de la terre sur laquelle il fait paître ses moutons, et il ne possède pas le pâturage par le simple fait qu'il y fait paître son troupeau. Il y acquiert un simple droit par la mise en valeur. C'est pourquoi, celui qui n'a pas, antérieurement, acquis un droit par la mise en valeur, ou par héritage reçu du metteur en valeur, ou d'une autre façon, n'a pas le droit de vendre le pâturage.
On dit que Zayd ibn Idrîs a posé un jour la question suivante à l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S) : «Nous avons des terres qui ont des frontières ; nous avons des montures et des pâturages. Chacun d'entre nous a des moutons et des chameaux, et a besoin de ces pâturages pour ses moutons et ses chameaux. A-t-on le droit de se servir de ces pâturages du fait qu'on en a besoin ? L'Imam lui répondit : «Celui à qui la terre appartenait déjà auparavant peut la protéger et la réserver pour ses besoins.»
Puis Zayd ibn Idrîs demanda à l'Imam ce qu'il en est de la vente des pâturages. L'Imam dit : «Pour celui à qui appartenait la terre, il n'y a pas d'inconvénient.»(139) Cette réponse indique que le fait de faire paître son troupeau sur une terre ne donne pas naissance, pour le berger, à un droit qui lui permettrait de transférer ce même droit à un autre par la vente.
A la lumière de cette superstructure, et son éclairage spécifique par la base doctrinale, nous pouvons comprendre les aspects de la théorie et, par conséquent, répondre aux questions déjà soulevées.
L'action économique, fondement des droits dans la théorie
La théorie distingue deux sortes de travaux : d'une part, l'utilisation et l'exploitation, et d'autre part, le monopole et l'accaparement. Les travaux d'utilisation sont, de par leur nature, de caractère économique, alors que les travaux de monopole et d'accaparement sont fondés sur la force et ne réalisent ni utilisation, ni exploitation directes.
La source des droits personnels, dans la théorie, est le travail appartenant à la première catégorie, comme le ramassage du bois dans la forêt, le transport des pierres du désert, la mise en valeur de la terre morte. Quant à la seconde catégorie, elle est sans valeur, car c'est une forme de manifestation de la force, et non pas une activité économique parmi celles de jouissance et d'exploitation de la nature et de ses richesses. La force ne peut être une source de droits personnels, ni n'en constitue une justification suffisante. C'est pour cela que la théorie générale a aboli le travail en vue d'acquérir la terre et de s'en emparer, et elle n'accorde aucun droit particulier sur la base d'un tel travail, lequel est, en réalité, une action de force, et non de jouissance et d'exploitation.
L'acquisition a un double caractère
Lorsque nous formulons cette affirmation, une question peut être soulevée, à savoir quelle est la différence entre l'acquisition de la terre, d'une part, et celle de la pierre dans le désert, du bois que l'on ramasse dans la forêt, de l'eau qu'on puise dans le fleuve, d'autre part. Si cette acquisition est une manifestation de force, et n'a pas un caractère économique, comme les travaux de jouissance et d'exploitation, comment peut-on distinguer entre l'acquisition de la terre et celle du bois, et accorder des droits personnels pour celle-ci alors qu'on les refuse pour celle-là ? La réponse à cette question est que la distinction entre les travaux de jouissance et d'exploitation, et ceux d'accaparement et de monopole, n'est pas fondée, dans la théorie islamique, sur la forme du travail. Mieux même, une même forme de travail pourrait revêtir tantôt un caractère de jouissance et d'exploitation, et tantôt un caractère d'accaparement et de monopole, et ce en fonction de la nature du domaine dans lequel oeuvre le travailleur, et le type de richesse sur lequel il travaille. Ainsi, la prise de possession, par exemple, même si sur le plan de la forme elle constitue une seule forme de travail, diffère dans l'optique de la théorie suivant le type de richesse que l'individu contrôle ; car la prise de possession du bois par le ramassage, de la pierre par son transport du désert, par exemple, est un travail de jouissance et d'exploitation. En revanche, la prise de possession de la terre, ou d'un gisement de minerai, ou d'une source d'eau, ne font pas partie de tels travaux, mais sont une forme d'exercice de la force et de contrôle d'autrui. Pour le prouver, supposons l'existence d'un homme, vivant seul sur une terre très étendue, riche en sources, en gisements minéraux et en ressources naturelles de toutes sortes, loin de toute rivalité et de toute concurrence ; appliquons-nous maintenant à étudier son comportement et les différentes formes de prises de possession qu'il exerce.
Un tel homme ne pensera pas à s'emparer d'une grande superficie de terre, avec tous les gisements et les sources qu'elle renferme, pour la protéger, car il n'en voit pas la nécessité et n'y trouverait aucune utilité de son vivant, tant que cette terre se trouve à tout moment à sa disposition sans aucune concurrence. Il s'appliquera donc à mettre en valeur une partie de cette terre proportionnelle à sa capacité d'exploitation.
Mais, bien qu'il ne songe pas à acquérir de grandes superficies de terre, il s'emploiera toujours à se procurer de l'eau en la transportant dans sa jarre, des pierres qu'il apportera à son habitation, et le bois dont il a besoin pour faire du feu, car il ne peut utiliser ces choses dans sa vie quotidienne qu'en en prenant possession et en les mettant à portée de sa main. Ainsi donc, la prise de possession de la terre et d'autres ressources de la nature n'a pas de sens lorsqu'il n'y a pas de concurrence. Seule la mise en valeur attire l'intérêt de l'homme et constitue le travail qu'il exerce dans la nature pour utiliser et exploiter celle-ci. La prise de possession de la terre ne représente d'intérêt que lorsqu'il y a concurrence pour celle-ci, que cette concurrence devient plus vive, et que chaque individu cherche à s'emparer de la plus grande superficie possible de terre et à la protéger contre les autres. Cela signifie que la prise de possession de la terre, et d'autres ressources semblables dans la nature n'est pas un travail à caractère économique, du type des travaux de jouissance et d'exploitation, mais un acte de protection d'une source de richesses naturelles pour la garantir contre les autres. Tout au contraire, l'acquisition du bois, de l'eau, de la pierre, n'est pas un acte d'usage de la force. C'est un travail économique, de par sa nature, parmi les travaux d'exploitation et de jouissance.
C'est pourquoi nous avons vu que l'homme vivant seul exerce cette catégorie de prise de possession malgré son affranchissement de toute impulsion tendant au recours à la force ou à l'utilisation de la violence. Ainsi, nous savons que la prise de possession de biens mobiliers parmi les richesses naturelles n'est pas un simple acte de force, mais un travail, originellement, de jouissance et d'exploitation, que l'homme exerce même quand il n'a aucune raison de recourir à la force.
Et c'est pourquoi nous pouvons classer la prise de possession des sources de richesses naturelles, telles que la terre, les gisements minéraux, et les sources, dans les travaux de monopole et de force, qui n'ont pas de valeur dans la théorie, et classer la prise de possession des richesses mobilières et transportables dans les travaux de jouissance et d'exploitation, lesquels constituent la seule source de droits personnels dans les richesses naturelles ; et de tout cela, nous pouvons tirer la conclusion suivante : le caractère économique du travail est nécessaire pour que celui-ci donne naissance à des droits personnels, et le travail ne peut donc pas constituer le fondement de l'appropriation d'un bien s'il n'est pas, de par sa nature, un travail de jouissance et d'exploitation.
La théorie distingue les uns des autres les travaux à caractère économique
Prenons à présent les travaux de jouissance et d'exploitation, qui ont un caractère économique, pour étudier la position de la théorie vis-à-vis de leur appréciation, et le type de droits qu'elle reconnaît sur leur base. Pour ce faire, il nous suffit de nous référer aux deuxième et dixième alinéas de la superstructure précédente, et de nous souvenir que la Charî'ah n'accorde pas à l'individu le droit et la propriété sur les sources d'eau simplement du seul fait que l'intéressé y exerce un travail de jouissance et d'exploitation. Ainsi, nous remarquons, par exemple, dans le deuxième alinéa, que la pratique de la mise en culture d'une terre naturellement exploitable ne confère pas au cultivateur les mêmes droits qu'elle lui accorderait sur une terre morte. Nous remarquons également, au dixième alinéa, que l'utilisation de la terre par l'exercice du pâturage ne confère pas au pasteur le droit de s'approprier la terre, et ce bien que l'utilisation sous forme de pâturage constitue un travail de jouissance et d'exploitation. Il y a donc une différence, qu'il faut découvrir, entre la mise en valeur de la terre et autres travaux semblables, et l'exploitation de la terre exploitable par la culture ou par le pâturage, bien que ces travaux semblent tous revêtir un caractère économique et constituer des formes de jouissance et d'exploitation des sources de richesses naturelles. En découvrant cette différence, nous aurons progressé d'un nouveau pas dans la détermination et la compréhension de la théorie générale.
Comment les droits personnels sont-ils fondés sur la base du travail ?
En réalité, cette différence est très liée aux justifications qu'invoque la théorie pour l'octroi à l'individu de droits personnels, fondés sur le travail, dans les richesses naturelles.
Pour bien comprendre la différence théorique entre les travaux de jouissance et d'exploitation que nous avons passés en revue, il faut connaître l'adaptation théorique des droits personnels qui sont liés au travail, et comment, et jusqu'à quel point, le travail remplit son rôle positif dans la théorie. Et quel est le principe sur le fondement duquel le travail donne naissance à des droits personnels pour le travailleur dans les richesses qui font l'objet de son travail. Lorsque nous aurons découvert ce principe, nous pourrons distinguer, à sa lumière, les divers travaux d'utilisation énumérés plus haut.
Nous pouvons, à la lumière de la superstructure complète de la théorie, résumer ce principe dans les termes suivants : le travailleur possède le résultat de son travail, résultat qu'il crée par ses efforts et son énergie appliqués à des matières naturelles brutes. Ce principe est valable pour tous les travaux d'utilisation et d'exploitation que l'individu exerce dans la nature et sur les sources de richesses naturelles brutes, sans opérer de distinction entre une opération de mise en valeur d'une terre morte, de découverte d'un gisement de minéraux, de recherche d'eau, de labourage d'une terre naturellement exploitable ou de son utilisation pour l'élevage et le pâturage du bétail. Tout cela constitue un travail, et tout travail sur une matière brute donne au travailleur le droit d'en récolter les fruits et d'en posséder le résultat. Mais le droit pour le travailleur de posséder le résultat de son travail sur une source de richesses naturelles ne signifie pas forcément que tous ces travaux se recoupent dans leurs résultats pour se recouper ensuite et par voie de conséquence dans les droits auxquels ils donnent naissance. Au contraire, ils diffèrent dans leurs résultats, et par conséquent diffèrent aussi dans les droits personnels qu'ils engendrent. Ainsi, par exemple, la mise en valeur est une opération qui s'exerce sur une terre morte, c'est-à-dire qui n'est ni productive ni utilisable, et qui consiste à la défricher, à la débarrasser des rochers qui l'encombrent, et à y créer toutes les conditions nécessaires à la rendre apte à la production et à l'utilisation ; de ce fait, un résultat important est obtenu, qui n'existait pas avant cette mise en valeur. Ce résultat n'est pas l'existence de la terre elle-même, car l'opération de mise en valeur ne crée pas la terre, mais l'occasion que l'individu a créée par son travail et ses efforts, étant donné que la mise en valeur de la terre morte conduit à la création de l'occasion d'utiliser et d'exploiter la terre, occasion qui n'existait pas avant cette mise en valeur et qui en est la conséquence. Le travailleur possède, selon cette théorie générale, cette occasion en tant que résultat de son travail, et sa possession de l'occasion conduit à l'interdiction à quiconque de lui ravir cette occasion et de la lui faire perdre en lui arrachant la terre et en l'utilisant à sa place ; car lui arracher la terre, c'est le priver de l'occasion qu'il a créée avec ses efforts déployés dans l'opération de mise en valeur et qu'il possède par un travail licite. C'est pourquoi, par la mise en valeur de la terre morte, l'individu obtient la priorité sur autrui afin d'avoir la possibilité d'utiliser l'occasion qu'il a créée, et cette priorité est tout son droit sur la terre. Nous voyons ainsi que le droit de l'individu sur la terre qu'il a mise en valeur se justifie dans la théorie par l'interdiction faite à autrui de lui voler les fruits de son travail en lui faisant perdre l'occasion qu'il a créée par son travail licite.
La mise en valeur d'un gisement ou d'une source d'eau enfouie dans les profondeurs de la terre est, de ce point de vue, exactement semblable à la mise en valeur de la terre morte. Le travailleur qui exerce l'opération de mise en valeur crée l'occasion d'utiliser le site naturel mis en valeur par lui-même, et il possède cette occasion en tant que fruit de ses efforts. Aussi, un autre n'a-t-il pas le droit de lui faire perdre cette occasion, et le travailleur a le droit d'empêcher les autres de lui arracher le site. Ceci est considéré comme un droit sur la terre, le gisement ou la source, avec des différences que nous étudierons plus loin.
Quant à la pratique de la culture sur une terre naturellement exploitable, ou l'utilisation d'une terre pour le pâturage d'animaux, de tels travaux, bien qu'il s'agisse de travaux d'utilisation et d'exploitation de ressources naturelles, ne justifient pas qu'un droit sur la terre soit accordé au cultivateur ou au pasteur, puisqu'il ne produit pas la terre elle-même, ni une occasion générale telle celle produite par la mise en valeur de la terre morte. Certes, le cultivateur ou le pasteur ont produit une culture, ou procédé à l'élevage d'une richesse animale, par leur travail dans la terre, mais cela ne justifie que l'appropriation par eux de la culture qu'ils ont produite ou du bétail dont ils se sont occupés, mais pas l'appropriation de la terre elle-même ni d'un droit sur celle-ci.
La différence entre ces travaux et les opérations de mise en valeur consiste en ceci que les secondes créent une occasion d'utiliser la terre, le gisement ou la source, occasion qui n'existait pas avant la mise en valeur et que le travailleur possède de ce fait, possession qui lui fait acquérir un droit sur la source de richesses naturelles qu'il a mise en valeur, tandis que dans le cas de la terre naturellement exploitable ou arable, sur laquelle l'individu exerce une activité de culture ou de pâturage, l'occasion d'utilisation pour la culture ou le pâturage préexistait et ne résulte pas d'un travail particulier de l'intéressé ; la seule chose qui résulte du travail du cultivateur, par exemple, est la culture, laquelle est sans conteste son droit personnel, puisque constituant le résultat de son travail.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons déduire une nouvelle condition du travail donnant naissance à un droit personnel sur les sources de richesses naturelles. Nous avons déjà découvert une première condition, à savoir que le travail doit avoir un caractère d'activité économique, et nous déduisons maintenant une deuxième condition : ce travail doit créer un cas ou une nouvelle occasion d'activité économique, occasion que le travailleur possède, et grâce à laquelle il acquiert son droit sur la source de richesses naturelles. C'est à cette vérité que faisait allusion l'imam al-Chafi'î lorsqu'il induisait que si le minerai intérieur caché ne peut pas être approprié par la mise en valeur, c'est parce qu'on appelle un objet "mis en valeur" celui qui peut être réutilisé après avoir été rendu exploitable par la mise en valeur, sans remise en état, ce qui n'est pas le cas pour les minerais. C'est dire que l'occasion que la mise en valeur crée dans le minerai est limitée, et que le droit qui en découle l'est aussi, par voie de conséquence.
Cette découverte d'une corrélation entre le droit du travailleur sur la source de ressources naturelles et l'occasion que le travail fait naître dans cette source, a pour conséquence logique la disparition du droit de l'individu dans la source si l'occasion qui l'a engendré disparaît ; car son droit sur la source de ressources naturelles reposait, comme nous l'avons vu, sur la base de sa possession de cette occasion, et si celle-ci disparaît, ce droit disparaît, par voie de conséquence. C'est ce que nous retrouvons exactement dans les quatrième et cinquième alinéas de la superstructure présentée plus haut.
Prenons à présent ces travaux de mise en valeur qui octroient au travailleur un droit personnel sur la source de richesses naturelles, tels que la mise en valeur de la terre, l'extraction du minerai du gisement, la mise en évidence de la source d'eau, pour étudier minutieusement la position de la théorie vis-à-vis de ces travaux, et découvrir si ces mêmes travaux diffèrent dans les droits auxquels ils donnent naissance, après avoir étudié la différence entre eux et l'ensemble des travaux d'utilisation et d'exploitation, et après avoir appris, auparavant, en quoi consiste la différence entre les travaux d'utilisation et d'exploitation en général, et les travaux de monopolisation et d'accaparement.
Si nous passons en revue les droits fondés sur la base des travaux de mise en valeur, recensés dans la superstructure, nous remarquons qu'ils diffèrent d'un travail à l'autre. Ainsi, la terre qu'une personne a mise en valeur ne peut être exploitée par une autre, tant que celle qui a procédé à la mise en valeur y jouit de son droit, tandis que lorsque quelqu'un met en évidence une source d'eau, le droit qu'il acquiert sur cette eau est limité à ses besoins, et tout le monde peut bénéficier de la matière de la source qui excède les besoins du titulaire du droit.
C'est pourquoi la théorie a dû expliquer les raisons qui ont conduit à faire une différence entre le droit du travailleur sur la terre qu'il a mise en valeur, et le droit du travailleur sur la source qu'il a mise en valeur, et pourquoi l'autorisation a été donnée à toute personne d'utiliser l'eau de la source qui dépasse les besoins de celui qui l'a mise en valeur, alors que personne n'est autorisé à cultiver la terre qu'un travailleur a mise en valeur sans sa permission, et ce quand bien même il ne l'exploiterait pas de manière effective pour l'agriculture.
En réalité, la réponse à cette interrogation est déjà prête à la lumière des connaissances que nous avons déjà de la théorie. En effet, le travailleur possède, avant tout, le résultat de son travail, à savoir l'occasion d'utiliser la source de richesses naturelles. Sa possession de cette occasion oblige les autres à s'abstenir de la lui ravir et de la lui faire perdre. Il en résulte qu'il acquiert un droit personnel sur la source de richesses qu'il a mise en valeur. Ceci est valable pour toutes les sources de richesses naturelles, sans distinguer la terre, les gisements de minerais, ou les sources d'eau. Les droits résultant de la mise en valeur de ces sources naturelles sont égaux. L'autorisation donnée à un tiers d'utiliser l'eau de source qui dépasse les besoins du travailleur, et non pas d'utiliser la terre, ne découle pas d'une différence dans les droits, mais de la nature de l'assiette de ces droits, car l'occasion que l'individu possède du fait du creusement de la source et de la découverte de l'eau n'est pas perdue pour lui à la suite de la participation d'un tiers à l'utilisation de cette eau, tant que la source a un débit abondant dépassant ses besoins. En effet, la source abondante ne saurait souffrir habituellement de fournir de l'eau à deux personnes et de satisfaire leurs besoins. Ainsi, le travailleur conserve l'occasion qu'il a créée, sans que l'utilisation de la source par une autre personne pour y boire et faire boire son troupeau conduise à la perte de cette occasion par l'ayant droit à cette occasion.
C'est le contraire qui se passe pour la terre qu'une personne a mise en valeur et dans laquelle elle a créé une occasion de l'utiliser en la mettant en valeur. En effet, la terre, de par sa nature, ne supporte pas deux exploitations en même temps. Si quelqu'un exploite une terre mise en valeur, il enlève au travailleur qui avait procédé à la mise en valeur l'occasion qu'il a créée, car si la terre est affectée à une production agricole déterminée, elle ne peut pas remplir en même temps une autre fois le même rôle et être exploitée simultanément pour la production par un autre.
Nous voyons ainsi qu'en ce qui concerne la terre mise en valeur on ne peut autoriser quelqu'un qui n'est pas celui qui l'a mise en valeur à l'exploiter et à l'utiliser, afin d'éviter qu'il ne fasse perdre à celui-ci l'occasion qu'il possède grâce à son travail. Ainsi donc, pour que le travailleur conserve cette occasion pour lui, on n'autorise pas autrui à exploiter sa terre, et ce sans tenir compte du fait de savoir s'il pense exploiter effectivement cette occasion ou non car, en tout état de cause, il s'agit de sa propre occasion, qu'il a créée lui-même, et il a le droit de la conserver tant que les efforts qu'il a consacrés à la mise en valeur y demeurent concrétisés de manière apparente. A l'opposé, on permet à quelqu'un qui n'est pas le travailleur qui a découvert une source d'eau d'utiliser celle-ci dans le surplus qui excède les besoins du "metteur en valeur", car cette permission ne dépouille pas le découvreur de l'occasion qu'il a créée, étant donné la capacité de la source à satisfaire les exigences du travailleur qui l'a découverte en même temps que les besoins des tiers. C'est donc une différence dans la nature et le mode d'exploitation de la terre d'une part, et de la source d'eau d'autre part, qui explique pourquoi les tiers sont autorisés à utiliser celle-ci et pas celle-là.
Quant au gisement de minerai découvert, l'Islam autorise tout un chacun à l'utiliser d'une façon qui ne conduise pas à priver le découvreur de l'occasion qu'il a créée, en creusant en un autre point du filon, ou en utilisant la même excavation, creusée par le premier découvreur, si celle-ci est assez vaste pour permettre à un autre de l'utiliser sans dépouiller le découvreur de l'occasion d'utilisation.
Le critère général de l'autorisation accordée au non-travailleur, ou de l'interdiction qui lui est faite d'utiliser le site naturel mis en valeur par le travailleur, et dans lequel celui-ci a créé l'occasion d'utilisation, est l'effet que pourraient avoir cette autorisation ou cette interdiction sur l'occasion créée par le travailleur grâce à la mise en valeur.
Le fondement de l'appropriation dans les richesses mobilières
Jusqu'à présent, nous avons limité notre recherche presque uniquement au travail sur les sources de richesses naturelles, telles que la terre, les gisements et les sources d'eau. Pour comprendre le contenu intégral de la théorie, il nous faut examiner minutieusement les applications de la théorie sur les richesses mobilières qui ne font pas partie des ressources naturelles, ainsi que les points de différence entre celles-ci et celles-là, et les justifications théoriques de ces points de différence.
La seule chose, que nous avons abordée, concernant la position de la théorie vis-à-vis des richesses mobilières, est que la prise de possession de ces richesses est considérée, théoriquement, comme un travail à caractère économique parmi les travaux de jouissance et d'exploitation, contrairement à la prise de possession des sources de richesses naturelles qui revêt un caractère d'accaparement et de monopolisation, et qui n'a pas un caractère économique. Nous avons recouru à la supposition de l'existence d'un homme seul pour en faire l'argument de cette différence entre la prise de possession des sources de richesses naturelles et la prise de possession des richesses mobilières. Ainsi, la prise de possession d'une quantité d'eau, ou de bois, ou de toute autre richesse naturelle transportable est considérée avant tout comme un travail d'utilisation et d'exploitation. C'est pourquoi la prise de possession de richesses mobilières entre dans le cadre de la théorie, laquelle ne reconnaît comme travail que les travaux d'utilisation à caractère économique.
Mais la prise de possession n'est pas le seul travail que la théorie reconnaisse et prenne en considération dans le domaine des richesses mobilières. Il y a, dans ce domaine, une autre forme de travail qui ressemble aux travaux de mise en valeur sur les ressources naturelles, à savoir le travail en vue de trouver l'occasion d'utiliser la richesse naturelle mobilière, si celle-ci porte en elle un facteur de résistance à son utilisation, comme dans le cas de l'animal sauvage. Car le travail par lequel le chasseur annihile la résistance de l'animal qu'il chasse crée une occasion d'utiliser cet animal par l'élimination de sa résistance, tout comme le travailleur crée l'occasion d'utiliser la terre morte par sa mise en valeur, l'élimination de sa résistance et la soumission de son sol.
Ainsi, la prise de possession et le travail en vue de trouver une occasion d'utilisation sont deux catégories de travaux revêtant ensemble un caractère économique dans le domaine des richesses mobilières, mais le travail en vue de trouver une nouvelle occasion d'utiliser la richesse, comme la chasse, se distingue de la prise de possession par son rôle positif dans la création de cette occasion, alors que la prise de possession a un aspect passif sur ce plan car, en tant que simple opération de prise de la richesse, elle ne crée pas, dans celle-ci, une nouvelle occasion de l'utiliser en général. En effet, lorsque vous prenez possession d'une pierre sur un chemin public, ou d'eau dans un puits, vous ne créez pas dans la pierre ou l'eau une nouvelle occasion de les utiliser qui n'aurait pas existé auparavant, car la pierre et l'eau se trouvaient à la disposition de tout le monde, et tout ce que vous avez fait, c'est de vous en emparer et de les garder pour vos besoins. Certes, vous avez transporté la pierre à votre maison, et l'eau dans votre récipient, mais cela ne crée pas une occasion qui n'existait pas d'utiliser le bien en général, car ce transport prépare pour vous l'utilisation de la pierre ou de l'eau, mais ne vient pas à bout d'une entrave générale sur cette voie, ni ne confère au bien une qualité qui le rendrait plus apte ou plus approprié à l'utilisation en général, comme la mise en valeur de la terre, qui élimine la résistance de celle-ci à son utilisation en général, et lui confère une nouvelle compétence lui permettant de remplir son rôle général dans la vie de l'homme.
C'est sur cette base que nous pouvons comparer la chasse et d'autres travaux semblables de création d'une nouvelle occasion dans les richesses mobilières avec l'opération de mise en valeur de la terre, car la chasse et la mise en valeur de la terre se recoupent dans la création d'une nouvelle occasion générale qui n'existait pas auparavant, et faire une comparaison entre l'acquisition de la richesse mobilière et l'opération de la plantation d'une terre naturellement exploitable. Ainsi, de même que la plantation de la terre naturellement exploitable ne crée pas dans la terre une nouvelle occasion d'utilisation, mais constitue un travail d'utilisation et d'exploitation, de même l'acquisition de l'eau aux sources naturelles l'est aussi(140).
Cette distinction entre l'acquisition des richesses mobilières et le travail dans ces richesses en vue de trouver une occasion d'utilisation, telle que la chasse, ou d'autres travaux de ce genre, ne signifie pas que ces deux choses soient toujours séparées l'une de l'autre, car l'acquisition est souvent accompagnée de la création d'une nouvelle occasion dans la richesse, et elle se mélange à celle-ci (la création d'une nouvelle occasion) dans une seule et même opération. De même, l'une et l'autre peuvent se trouver pratiquement séparées l'une de l'autre.
Il y a des richesses qui portent en elles un certain degré de résistance naturelle à leur utilisation, comme le poisson dans la mer, et le surplus de l'eau du fleuve qui court naturellement pour se jeter en fin de parcours dans la mer. Donc, lorsque le pêcheur vient à bout de la résistance du poisson en l'attirant vers son filet avec lequel il pêche, il l'acquiert et y crée en même temps une occasion d'utilisation en mettant fin à sa résistance, en une seule opération. De même, la rétention du surplus de l'eau du fleuve est considérée comme une acquisition de ce surplus, en même temps qu'elle crée une occasion d'utilisation, en l'empêchant de se perdre dans la mer.
D'un autre côté, l'individu pourrait exercer un travail en vue de créer une nouvelle richesse dans la richesse, et de venir à bout de sa résistance, sans que l'acquisition de la richesse se réalise à travers ce travail, comme c'est le cas pour un chasseur qui jette une pierre contre un oiseau volant dans l'air, l'atteint et le paralyse ; l'oiseau tombe en un endroit éloigné de celui où le chasseur se trouve, et sa paralysie l'empêche de reprendre l'air et l'oblige à marcher comme un oiseau de basse-cour. Dans un tel cas, la nouvelle occasion d'utilisation est réalisée dans cette opération par la chasse de l'oiseau et l'élimination de sa résistance au moyen du jet de la pierre. Mais l'oiseau qui se met à marcher loin de l'endroit où se trouve le chasseur n'est pas considéré comme étant en la possession de ce dernier, ni à la portée de sa main, car il n'entrera en sa possession que lorsqu'il l'aura suivi et attrapé.
De même, un individu pourrait acquérir une richesse sans exercer aucun travail en vue d'y créer une nouvelle occasion, comme c'est le cas d'une richesse naturellement prête à l'utilisation et ne comportant pas de résistance de nature à empêcher son utilisation, comme c'est le cas de l'acquisition de l'eau aux sources et des pierres sur le sol.
Ainsi, la prise de possession et la création sont deux sortes de travail, qui pourraient se confondre dans une seule et même opération, tout comme elles peuvent être distinctes l'une de l'autre.
Disons que la deuxième sorte de travail qui crée une nouvelle occasion est représentée par la chasse, laquelle constitue l'exemple marquant d'un travail producteur d'une nouvelle occasion dans les richesses mobilières.
Pour étudier ces deux sortes de travail sur le plan de la théorie, nous aborderons séparément la prise de possession et la chasse, afin de découvrir les statuts relatifs à chacune d'elles, ainsi que la nature et le fondement théorique des droits résultant de chacune d'elles.
Le rôle des travaux productifs dans la théorie
Si nous étudions la chasse d'une façon séparée de la prise de possession, nous remarquerons qu'elle produit une occasion déterminée. Il est donc naturel qu'elle confère au travailleur le droit de posséder l'occasion qui résulte de son travail, tout comme le travailleur de la terre possède l'occasion d'utilisation résultant de sa mise en valeur de la terre, ceci conformément au principe précité de la théorie, qui accorde à tout travailleur dans une richesse naturelle brute le droit de posséder le résultat auquel aboutit son travail.
En possédant cette occasion, le chasseur acquiert un droit privé dans l'oiseau qu'il a chassé et obligé à tomber, et à marcher sur le sol, même s'il ne l'a pas acquis - et c'est ce qu'indiquent tous les textes juridiques(141) -, et un autre individu n'a pas le droit de s'emparer de l'oiseau, ni de profiter du fait que le chasseur, continuant la chasse, tarde à en prendre possession, pour l'y devancer, ceci afin de ne pas priver le travailleur de l'occasion qu'il a créée par la chasse.
Le droit du chasseur dans l'oiseau qu'il a chassé ne dépend donc pas de son acquisition effective de l'animal ou du début de son utilisation effective. Le seul fait d'avoir créé l'occasion par son travail lui donne un droit sur lui, car cette occasion est la propriété du travailleur qui l'a créée, peu importe qu'il pense effectivement à utiliser son gibier et à l'attraper ou non.
En cela, le chasseur est semblable au travailleur qui met en valeur la terre. De même qu'un autre individu n'a pas le droit de cultiver et d'exploiter la terre d'un exploitant même si celui-ci ne l'a pas utilisée effectivement, de même un autre que celui qui a soumis le gibier et éliminé sa résistance n'a pas le droit de s'en emparer tant que le chasseur conserve son droit, même s'il n'a pas pris effectivement possession du gibier. Mais si l'oiseau paralysé par le coup tiré sur lui reprend ses forces, ou surmonte le choc, et s'envole à nouveau avant que le chasseur ait pu en prendre possession, le droit de ce dernier sur l'oiseau disparaît, car ce droit découlait de la possession par le travailleur de l'occasion qu'il avait créée par la chasse, et cette occasion s'est dissipée avec la fuite de l'oiseau en l'air ; et, par conséquent, il ne reste au chasseur aucun droit sur l'oiseau(142). Le cas du chasseur ressemble ici aussi à celui du travailleur qui met la terre en valeur et y acquiert de ce fait un droit, qu'il perd si la vie disparaît de cette terre et que celle-ci redevient terre morte. La raison en est la même, théoriquement, dans les deux cas : le droit de l'individu dans la richesse est lié à sa possession de l'occasion qui résulte de son travail ; si cette occasion disparaît, et que la trace de ce travail s'annihile, son droit sur la richesse disparaît aussi.
Ainsi donc, lorsqu'on considère les statuts de la chasse indépendamment de la prise de possession, on constate qu'ils ressemblent à ceux de la mise en valeur des ressources naturelles. Cette ressemblance provient, comme nous l'avons remarqué, de l'unité de l'interprétation théorique du droit du travailleur sur son gibier et du droit du travailleur sur la terre morte qu'il a mise en valeur.
Le rôle de la prise de possession des richesses mobilières
Quant à la prise de possession, elle diffère, quant à ses statuts, de la chasse proprement dite. C'est pourquoi on peut remarquer que si l'individu possède par suite de sa prise de possession un oiseau, il a le droit de le reprendre s'il s'envole... et qu'un autre le rattrape. Cet autre n'a pas le droit de garder pour lui l'oiseau. Il doit le restituer à celui qui en avait pris possession. Car le droit résultant de la possession est un droit direct, c'est-à-dire que la prise de possession est une cause directe de la possession de l'oiseau ; et parce que la possession de l'oiseau n'est pas liée à la possession d'une occasion déterminée pour qu'elle (cette possession) disparaisse avec sa disparition (de l'occasion).
Telle est la différence entre la prise de possession et les autres opérations que nous avons passées en revue. En effet, la chasse était la cause de la possession par le chasseur de l'occasion qu'il avait produite ; et c'est sur cette base qu'était fondé son droit sur l'oiseau. De même, la mise en valeur était la cause de la possession par le travailleur de l'occasion résultant de cette mise en valeur, et c'est sur cette base qu'il a acquis son droit sur le site qu'il a mis en valeur. Quant à la prise de possession des richesses mobilières, elle constitue, en soi, une cause originelle et directe de la possession de la richesse.
Cette différence entre la prise de possession et les autres travaux (actes) nous impose d'envisager la question suivante sur le plan théorique : si le droit de l'individu dans la ressource naturelle qu'il a mise en valeur ou dans le gibier qu'il a chassé se fonde sur sa possession du résultat de son travail, c'est-à-dire de l'occasion d'utiliser la ressource en question, sur quelle base le droit de l'individu sur la pierre qu'il rencontre sur son chemin et dont il s'empare se fonde-t-il ? Ou sur l'eau stagnante qu'il acquiert dans un lac naturel ? Bien que la prise de possession de cette pierre ou de cette eau ne produise pas une occasion générale dans le bien, comme cela se passe avec la chasse et la mise en valeur de la terre ?
La réponse à cette question est que ce droit de l'individu ne tire pas sa justification de la possession par l'individu d'une occasion qui serait résultée de son travail, mais de son utilisation de ce bien. En effet, de même que tout individu a le droit de posséder l'occasion qui résulte de son travail, de même il a le droit d'utiliser l'occasion que la nature lui a trouvée par le soin d'Allah. Ainsi, si l'eau, par exemple, se trouve dans les profondeurs de la terre, et qu'un individu la découvre par forage, il y aura créé l'occasion de l'utiliser et aura mérité la possession de cette occasion. Mais si l'eau s'était accumulée naturellement à la surface de la terre, et que l'occasion de l'utiliser était prête sans effort humain, il faut permettre à tout individu d'utiliser cette eau, étant donné que la nature les a dispensés du travail et leur a offert l'occasion de l'utilisation.
Comme cela a été dit au début de ce chapitre, si nous supposons qu'un individu puise de l'eau avec un récipient dans un étang formé naturellement à la surface de la terre, il aura exercé un travail d'utilisation et d'exploitation selon l'optique de la théorie. Etant donné que tout individu a le droit d'utiliser la richesse que la nature met à la disposition de l'homme, il est naturel qu'il soit permis à l'individu de prendre possession de l'eau découverte à la surface de la terre dans ses sources naturelles, car cette prise de possession constitue un travail d'utilisation et d'exploitation et non pas un travail de monopole et de force.
Si l'individu conserve l'eau dont il a pris possession, elle lui appartient, et personne d'autre ne peut y rivaliser avec lui, ni la lui arracher pour l'utiliser, car la théorie considère que la prise de possession de l'eau et des autres richesses mobilières semblables est un travail d'utilisation. Etant donné que la prise de possession continue, l'utilisation par celui qui a opéré cette prise de possession continue elle aussi. Et étant donné que celui-ci poursuit son utilisation de la richesse, rien ne justifie qu'on donne la priorité à un autre de l'utiliser s'il le demande.
Ainsi, l'individu continue à jouir de son droit sur la richesse mobilière dont il a pris possession tant que la possession dure de fait ou de droit.(143) Si l'individu renonce à sa possession en négligeant le bien ou en l'abandonnant, son utilisation de ce bien s'interrompt et son droit sur le bien disparaît, par voie de conséquence, et tout autre individu pourra s'en emparer et l'utiliser.
Ainsi, il apparaît clairement que le droit de l'individu sur l'eau dont il a pris possession dans le lac, ou sur la pierre qu'il a ramassée sur la voie publique, n'est pas fondé sur sa possession d'une occasion générale résultant de son travail, mais sur l'exercice par l'individu de l'utilisation de la richesse naturelle du fait de sa prise de possession de celle-ci.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons ajouter au principe précité de la théorie selon lequel "tout individu possède le résultat de son travail" un nouveau principe : "l'exercice par l'individu de l'utilisation d'une richesse naturelle lui confère un droit sur celle-ci tant qu'il continue à utiliser cette richesse". Et étant donné que la prise de possession dans le domaine des richesses mobilières est un travail d'utilisation, le principe l'inclut et confère sur sa base un droit à l'individu sur la richesse dont il a pris possession.
La généralisation du principe théorique de la prise de possession
Ce principe ne s'applique pas seulement aux richesses mobilières, mais aussi aux ressources naturelles si l'individu y exerce un travail d'utilisation. Par exemple, si l'individu cultive une terre naturellement exploitable, sa culture constitue un travail d'utilisation qui lui confère un droit sur la terre, qui lui permet d'empêcher autrui de rivaliser avec lui et de lui arracher la terre tant qu'il continue à l'utiliser. Mais cela ne signifie pas que la simple prise de possession de la terre par exemple suffise pour y acquérir ce droit, comme pour la prise de possession de l'eau. Car la prise de possession de la terre n'est pas un travail d'utilisation et d'exploitation, mais on utilise la terre cultivable en la cultivant par exemple. Si le travailleur entreprend de cultiver une terre naturellement cultivable, et qu'il y continue cette sorte d'utilisation, un autre n'a pas le droit de lui arracher la terre tant qu'il continue à la cultiver, car cet autre n'y a pas la priorité par rapport à celui qui l'utilise effectivement. Mais si le travailleur cesse de la cultiver et de l'utiliser, il n'a plus le droit de la conserver, et un autre individu peut alors y exercer un travail d'utilisation et d'exploitation.
La différence entre les deux principes se remarque dans le cas où l'individu cesse d'utiliser la terre. En effet, le droit de l'individu fondé sur la continuation de l'utilisation d'une richesse naturelle disparaît dès qu'il cesse d'utiliser la terre et la poursuite de cette utilisation, alors que le droit fondé sur la possession par le travailleur de l'occasion qu'il crée demeure intact tant que cette occasion demeure et que les efforts du travailleur demeurent concrétisés dans la terre, et ce, même s'il n'a pas utilisé la terre de manière effective.
Résumé des résultats théoriques
Nous pouvons déduire, à présent, de l'étude de la théorie générale de la distribution de la pré-production deux principes essentiels dans ladite théorie :
1 - Le travailleur qui exploite une richesse naturelle brute possède le résultat de son travail, à savoir l'occasion générale d'utiliser cette richesse. Et, comme conséquence de la possession par le travailleur de cette occasion, celui-ci a un droit sur le bien lui-même, imposé par le fait de sa possession de l'occasion que son travail a produite, et son droit sur le bien est lié à la possession de cette occasion. Si l'occasion qu'il a créée s'efface et disparaît, son droit sur le bien s'éteint.
2 - Le fait d'exploiter toute richesse naturelle confère à l'individu exploitant un droit qui empêche les autres de lui arracher la richesse tant qu'il continue d'en bénéficier et d'y exercer un travail d'utilisation et d'exploitation, car nul autre n'a de priorité par rapport à lui sur cette richesse qu'il exploite pour qu'on puisse la lui arracher et l'accorder à cet autre.
C'est sur le premier principe que se fondent les statuts régissant les droits dans les opérations de mise en valeur et de chasse, et c'est sur le second principe que se fondent les statuts de la prise de possession des richesses mobilières dont l'occasion d'utilisation est offerte par la nature à l'homme.
Ainsi, la création d'une nouvelle occasion dans une richesse naturelle, et l'utilisation continuelle d'une richesse qui porte en elle-même naturellement l'occasion de son utilisation, sont les deux sources fondamentales du droit individuel dans les richesses naturelles.
Le caractère commun à ces deux sources est la qualité économique. En effet, aussi bien le fait de créer une nouvelle occasion que celui d'utiliser une richesse sur la base de l'occasion offerte naturellement, constituent une qualité économique et non pas un travail de force et d'accaparement.
Etude comparée de la théorie islamique
Nous avons vu que la Charî'ah permet aux individus d'acquérir des droits particuliers dans les sources naturelles de richesses, dans les limites déterminées par la théorie générale de la distribution de la pré-production. Le plan théorique de ces droits diffère de leur plan dans les théories capitaliste et marxiste.
En effet, dans la doctrine capitaliste, tout individu est autorisé à posséder les ressources naturelles sur la base du principe de la liberté économique. Ainsi, l'individu peut considérer toute richesse qu'il contrôle comme sa propriété, tant que cela ne s'oppose pas à la liberté de propriété accordée aux autres. Le domaine autorisé de la propriété privée de tout individu n'est restreint que par la protection du droit des autres à la liberté de possession. Ainsi, l'individu puise la justification de sa propriété dans le fait qu'il est libre et qu'il ne concurrence pas les autres quant à leur liberté.
Quant à la théorie générale de la distribution que nous avons étudiée, elle ne reconnaît pas la liberté de propriété dans sa conception capitaliste. Elle considère que le droit de l'individu sur la source naturelle brute est lié à sa possession résultant de son travail ou de son utilisation directe et continuelle de cette source. C'est pourquoi le droit disparaît s'il perd ces deux fondements.
Alors que les droits personnels dans les sources naturelles de richesses sont considérés, dans le capitalisme, comme un aspect de la liberté de l'homme dont celui-ci jouit sous ledit régime, l'Islam les considère comme un aspect de l'activité de l'homme et de son exercice de travaux d'utilisation et d'exploitation.
En ce qui concerne le marxisme, il croit qu'il faut abolir toutes les formes de la propriété privée dans les sources naturelles des richesses ainsi que dans tous les moyens de production, et appelle à la libération de ces moyens des droits particuliers, estimant qu'ils ne se justifient plus depuis que l'Histoire est entrée dans la phase déterminée que l'industrie mécanique a annoncée à l'époque de l'homme capitaliste moderne.
La croyance du marxisme à la nécessité de cette abolition ne signifie pas, sur le plan théorique analytique, que la propriété privée n'ait absolument pas de justifications dans la conception marxiste, mais exprime sa croyance doctrinale que la propriété privée a épuisé tous ses buts dans le mouvement de l'Histoire, et qu'elle n'a plus de place dans le courant de l'Histoire moderne après avoir perdu ses justifications et être devenue une force opposée à ce courant.
Pour comparer la théorie marxiste et l'Islam, il faut savoir quelles sont les justifications de la propriété privée dans la théorie marxiste, et comment cette propriété a perdu ces justifications à l'époque de la production capitaliste(144). Le marxisme estime que toutes les richesses naturelles brutes n'ont pas, de par leur nature, une valeur d'échange, mais qu'elles offrent beaucoup d'utilité de consommation, car la valeur d'échange ne se trouve dans une richesse qu'à la suite d'un travail humain concrétisé en elle. C'est donc le travail qui crée la valeur d'échange dans les choses. Or, les richesses brutes, dans leur état naturel, ne sont pas mélangées à un travail humain déterminé. Donc, elles n'ont pas de valeur, sur le plan de l'échange. C'est ainsi que le marxisme lie la valeur de l'échange au travail, et qu'il décide que c'est le travailleur exploitant une source naturelle ou une richesse de la nature, qui confère à ce qu'il exploite une valeur d'échange égale à la quantité de travail qu'il y dépense.
De même que le marxisme lie la valeur d'échange au travail, il lie aussi la valeur d'échange à la propriété en accordant à l'individu qui crée par son travail une valeur d'échange dans le bien, le droit de posséder ce bien et de jouir de cette valeur qu'il y a créée. La possession par l'individu de la richesse tire donc sa justification théorique, dans le marxisme, de sa qualité de créateur de la valeur d'échange dans cette richesse, résultant du travail qu'il y a dépensé. Ainsi, en vertu de cette théorie, l'individu acquiert le droit de posséder la source naturelle et les moyens de production naturels, s'il a pu y dépenser un effort et leur conférer une certaine valeur d'échange. Cette possession apparaît en réalité, à la lumière de la théorie marxiste, comme la possession du résultat donné par le travail, et non pas la possession de la source naturelle séparée de ce résultat. Mais ce résultat que le travailleur possède n'est pas l'occasion d'utilisation en tant qu'état résultant du travail, comme nous l'avons vu dans la théorie générale de l'Islam relative à la distribution de la pré-production, mais la valeur d'échange engendrée par le travail, selon l'optique marxiste. Ainsi, le travailleur confère à la source naturelle une valeur déterminée et possède cette valeur qu'il a conférée au bien.
Partant de ce fondement marxiste justifiant la propriété privée, le marxisme décide que cette propriété demeure légitime tant qu'elle n'entre pas dans l'époque de la production capitaliste, où les propriétaires laissent les moyens et les sources qu'ils possèdent à ceux qui ne possèdent rien afin que ces derniers y travaillent et leur en payent les bénéfices dont la valeur équivaudra, en un laps de temps relativement court, à la valeur d'échange de ces sources et moyens. De cette façon, le propriétaire aura épuisé tout son droit dans ces sources et moyens, car son droit était lié à la valeur qui était résultée de son travail dans ces sources. Et puisqu'il a obtenu cette valeur, représentée dans les bénéfices qu'il a touchés, son lien avec les sources et les moyens qu'il possédait n'a plus de fondement. C'est ainsi que la propriété privée perd ses justifications et devient illégitime dans la théorie marxiste avec l'arrivée de l'époque de la production capitaliste ou du travail salarial.
C'est en se fondant sur ce principe qui lie la propriété du travailleur à la valeur d'échange que le marxisme autorise un autre travailleur (s'il exploite une richesse) à posséder la nouvelle valeur qui résulte de son travail. Ainsi, si un individu va dans la forêt, y coupe du bois, dépense sur ce bois un effort pour le transformer en planches, et qu'un autre transforme celles-ci en lit, chacun des deux devient propriétaire de la valeur d'échange que son travail a produite. C'est pourquoi le marxisme considère que c'est le salarié qui, dans le système capitaliste, est le propriétaire de la valeur d'échange que la matière acquiert par son travail, et que le fait que le propriétaire de la matière prélève une partie de cette valeur sous forme de bénéfices est un vol commis au détriment du salarié.
La valeur est donc liée au travail, et la propriété n'existe que dans les limites de la valeur qui résulte du travail du propriétaire.
Telles sont les justifications marxistes de la propriété privée ; elles peuvent être résumées dans les deux points suivants :
1 - La valeur d'échange est liée au travail, et en résulte ;
2 - La propriété du travailleur est liée à la valeur d'échange qu'engendre son travail.
Pour notre part, nous divergeons d'avec le marxisme sur les deux points.
En ce qui concerne le premier point, qui lie la valeur d'échange au travail, et qui fait de celui-ci le seul critère fondamental de celle-là, nous l'avons étudié dans tous ses détails dans nos chapitres d'"Avec le marxisme"(145), et nous avons pu démontrer que la valeur d'échange ne découle pas essentiellement du travail, et par voie de conséquence, toutes les briques de l'édifice que le marxisme avait dressé sur ce fondement se sont écroulées.Quant à l'autre point, qui lie la propriété de l'individu à la valeur d'échange engendrée par le travail, il s'oppose à la tendance de la théorie générale de l'Islam sur la distribution de la pré-production, car les droits particuliers des individus dans les sources naturelles de richesses, bien qu'ils reposent, en Islam, sur la possession par l'individu du résultat de son travail, le résultat du travail que possède le travailleur qui a mis en valeur un lopin de terre par un travail d'une semaine par exemple n'est pas lui-même la valeur d'échange que produit le travail d'une semaine, comme le conçoit le marxisme ; le résultat que possède le travailleur dans la terre qu'il a mise en valeur, est l'occasion d'utiliser cette terre. Et c'est de la possession de cette occasion que naît son droit dans la terre elle-même. Et tant que cette occasion demeure, son droit dans la terre demeure constant, et aucun autre n'a le droit de posséder la terre en y dépensant un nouveau travail, même si ce nouveau travail redoublait sa valeur d'échange, car l'occasion d'utiliser la terre est la propriété du premier travailleur, et nul autre ne saurait y rivaliser avec lui.
Telle est la différence essentielle, sur le plan théorique, entre le fondement marxiste propre à la source naturelle, et le fondement islamique. L'origine du droit particulier dans le premier fondement se trouve dans la possession par le travailleur de la valeur d'échange que la terre a acquise uniquement grâce à son travail, alors que son origine, dans le second, est dans la possession par le travailleur de l'occasion réelle que le travail dans la terre a produite.
Ainsi, le principe selon lequel les droits particuliers dans les sources naturelles de richesses reposent sur le travail, et que le travailleur possède le résultat réel de son travail, reflète la théorie islamique, et le principe selon lequel la valeur d'échange des sources naturelles de richesses repose sur le travail, et que la propriété du travailleur est déterminée par la valeur d'échange qu'il a créée, reflète la théorie marxiste.
La principale différence entre ces deux principes est la source de toutes les autres différences que nous rencontrerons, entre l'Islam et le marxisme, pour ce qui concerne la distribution de la post-production.
Le phénomène de "tasq" (impôt sur la mise en valeur d'une terre morte) et son explication théorique.
Nous remarquons dans la superstructure qui régit la distribution de la pré-production en Islam, un phénomène particulier qui pourrait paraître vouloir distinguer entre la terre et les autres sources naturelles de richesses. Il faut donc étudier ce phénomène d'une façon particulière, et l'expliquer à la lumière de la théorie générale de la distribution, ou le lier à une autre théorie de la doctrine économique en Islam.
Ce phénomène est le "tasq", que la Charî'ah a autorisé l'Imam a prélever sur un individu qui met en valeur une terre et l'utilise. En effet, il est dit, dans le hadith authentique et dans certains textes jurisprudentiels du Chaykh al-Tûsî que «l'individu peut mettre en valeur une terre morte, et il doit en acquitter le tasq [la rétribution] à l'Imam».
Quelle est donc la justification théorique de ce "tasq" ? Pourquoi concerne-t-il uniquement la terre, à l'exclusion des autres sources de richesses, et pourquoi ceux qui mettent en valeur ces autres sources ne sont-ils pas tenus de payer une part de leur récolte ?
En réalité, ce tasq, qu'on a permis à l'Imam d'imposer à la terre morte lorsqu'un individu la met en valeur, peut être adopté doctrinalement et expliqué théoriquement sur deux bases :
1- Sur la base de la théorie générale de la distribution elle-même. En effet, si nous remarquons que le tasq est un loyer que l'Imam prélève sur la terre parce qu'elle fait partie des butins (anfâl), et si nous savons en outre que l'Imam utilise les anfâl dans l'intérêt de la Communauté, comme nous le verrons dans un prochain chapitre, et si nous comparons enfin entre l'obligation faite au maître de la terre de payer le tasq et l'obligation faite au maître de la source ou de la mine de permettre à autrui d'utiliser ce qui excède son besoin de la source et ce qui ne s'oppose pas à son droit sur la mine, si nous additionnons tout cela, nous aurons complété une superstructure juridique nous permettant de déduire un nouveau principe pour la théorie, principe accordant à la Communauté un droit général d'utiliser les sources de richesses naturelles, parce qu'elles sont mises au service de l'humanité en général [«C'est Lui Qui a créé pour vous tout ce qui est sur la terre» (Sourate al-Baqarah, 2 : 29)]. Ce droit général de la Communauté ne disparaît pas avec l'acquisition des sources de richesses naturelles et la jouissance de droits privatifs sur celles-ci, mais la Charî'ah détermine seulement le mode d'exercice de ces droits de la Communauté, d'une façon qui ne s'oppose pas à ces droits individuels. Ainsi, en ce qui concerne les sources et les mines que les individus mettent en valeur, tout le monde est autorisé à les utiliser directement, car tout individu peut utiliser le gisement de minerai de la mine s'il creuse à partir d'un autre point de ce gisement. De même, tout individu peut se servir de la source d'eau si l'eau dépasse les besoins de celui qui a mis en évidence la source. Quant à la terre, étant donné qu'elle ne peut, de par sa nature, être utilisable par deux individus en même temps, on y a instauré le tasq, que l'Imam dépense pour les intérêts de la Communauté, afin que les autres personnes en tirent bénéfice de cette façon, étant donné que le droit privatif du maître de la terre, celui qui l'a mise en valeur, a empêché les autres de l'utiliser directement.
2 - On peut expliquer le tasq d'une façon indépendante de la théorie générale de la distribution, en le considérant comme un impôt que l'Etat prélève dans l'intérêt de la justice sociale. Car nous allons voir, lorsque nous étudierons les "anfâl" et leur fonction dans l'Economie islamique, que l'un des plus importants des buts des "anfâl" dans la Charî'ah est la sécurité sociale et la protection de l'équilibre général. Et, étant donné que le tasq est considéré juridiquement comme faisant partie des "anfâl", il est raisonnable de le considérer comme un impôt découlant de la théorie générale de la justice sociale et de ce qu'elle comprend de principes d'assurance et d'équilibre généraux. Si c'est seulement la terre qui supporte cet impôt important, c'est en raison de son importance et du poids de son rôle dans la vie économique. Et c'est pour cela que cet impôt a été créé, afin de protéger la société islamique contre les maux de la propriété privée de la terre dont souffrent les sociétés non-islamiques, et de résister aux drames de la rente des biens fonciers qui a tant troublé l'histoire des régimes de l'humanité, et qui a joué un rôle important dans la création des inégalités et des contradictions et dans leur aggravation. En cela, le tasq ressemble au khoms, qui grève d'un impôt les minerais extraits du sol.
En fin de compte, et après avoir présenté ces deux explications théoriques du tasq, nous pouvons les expliquer l'une part rapport à l'autre dans une vision plus globale et plus large, en expliquant le tasq comme un impôt qu'on a permis à l'Imam de prélever dans des buts d'assurance, d'équilibre et de protection des individus faibles de la Communauté, et en expliquant ces buts eux-mêmes, et la nécessité de les imposer aux individus puissants, par le droit général prioritaire qu'a la Communauté dans les sources naturelles de richesses, droit qui lui accorde celui d'intervenir auprès des individus qui mettent en valeur et exploitent cette terre, afin de protéger ses intérêts (de la Communauté), et de sauver les faibles parmi ses membres.
L'explication morale de la propriété en Islam
Nous avons étudié, jusqu'à présent, la propriété et les droits individuels à la lumière de la théorie générale de la distribution de la pré-production, car la recherche reposait sur la doctrine économique. A travers cette recherche, nous avons pu donner à la propriété et aux droits individuels une interprétation théorique qui reflète le point de vue de la doctrine économique en Islam. Maintenant, nous voudrions présenter l'explication morale de ces droits et propriétés privés en Islam.
Par explication morale de la propriété privée, nous entendons le fait de passer en revue les conceptions morales que l'Islam a présentées de la propriété, de son rôle et de ses buts, et qu'il a fait en sorte de répandre parmi les gens afin qu'elles constituent des forces qui orientent la conduite humaine et influencent les comportements des individus en ce qui concerne leurs propriétés privées et leurs droits individuels.
Mais, avant d'entrer dans le détail de l'explication théorique de la propriété, il faut distinguer clairement cette explication de l'explication doctrinale de la propriété, dont nous avons traité précédemment du point de vue économique. Pour parvenir à une telle distinction, nous pouvons emprunter aux détails de l'explication éthique le concept de la "khilâfah", afin de le comparer avec la théorie générale de la distribution sur la base de laquelle nous avons expliqué les droits individuels du point de vue de la doctrine économique.
La "khilâfah" confère le caractère de représentation à la propriété privée, et fait du propriétaire un secrétaire de la richesse et le représentant de cette richesse, désigné par Allah Qui possède l'univers et toutes les richesses qu'il renferme. Lorsque cette conception islamique particulière de l'essence de la propriété marque et imprègne la mentalité du propriétaire musulman, elle devient une force d'orientation dans le domaine de la conduite, et une réglementation rigoureuse qui impose au propriétaire de respecter les instructions et les limites définies par Allah, tout comme le représentant et le mandataire respectent toujours la volonté du représenté et du mandant.
Si nous examinons cette conception, nous remarquons qu'elle n'explique pas les justifications de la propriété privée d'un point de vue doctrinal dans l'Economie, car la propriété privée, qu'elle soit représentation ou toute autre chose, soulève la question de ses justifications doctrinales, à savoir pourquoi cette représentation, ou ce mandat, est-il confié à tel individu plutôt qu'à tel autre ? Le simple fait qu'elle soit un mandat ne constitue pas une réponse suffisante à cette question. La réponse se trouve en réalité dans l'explication théorique de la propriété privée, fondée sur des bases spécifiques, comme le travail et le lien du travailleur avec les résultats de son travail.
Ainsi, nous savons donc que conférer le caractère de mandat et de représentation (khilâfah) à la propriété privée, par exemple, ne suffit pas pour formuler une théorie générale de la distribution, car cela n'explique pas économiquement ce phénomène ; mais ce caractère crée seulement une vision particulière de la propriété, faisant de celle-ci une simple représentation ou khilâfah. Si cette vision se développe, prévaut et se généralise chez tous les membres de la Communauté islamique, elle devient suffisamment puissante pour déterminer la conduite des individus, réajuster les réflexions psychologiques sur la propriété, et faire évoluer les sentiments que la richesse inspire aux nantis. De cette façon, la conception de la khilâfah devient une force motrice et conductrice dans la vie économique et sociale.
L'explication éthique de la propriété justifie donc ces conceptions de la propriété, que tout Musulman apprend habituellement de l'Islam, et auxquelles il s'adapte psychologiquement et spirituellement, et conformément auxquelles il détermine ses sentiments et ses activités.
La base de ces conceptions est le concept de la khilâfah dont nous avons parlé. En effet, le bien est à Allah, Qui est Le Vrai Propriétaire, et les gens sont Ses représentants sur la terre, et Ses secrétaires auprès d'elle et de ce qu'elle renferme de biens et de richesses. En effet, Allah dit : «C'est Lui Qui vous a choisis pour que vous soyez Ses lieutenants sur la terre. Celui qui est incrédule est incrédule à son détriment. L'incrédulité des incrédules ne fait qu'accroître la réprobation de leur Seigneur.» (Sourate al-Malâ'ikah, 35 : 39)
C'est Allah Lui-même Qui a assigné cette khilâfah à l'homme, et s'IL le veut, IL la lui retire : «IL vous supprimera, s'IL le veut, puis IL vous remplacera par ce qu'IL voudra...» (Sourate al-An'âm, 6 : 133)
La nature de la khilâfah impose à l'homme de recevoir les instructions relatives à la richesse qu'il représente de Celui Qui lui a confié cette représentation. En effet, Allah dit : «Croyez en Allah et en Son Prophète. Donnez en aumônes ce dont IL vous a fait les dispensateurs. Ceux qui, parmi vous, auront cru et qui auront fait l'aumône, recevront une grande récompense.» (Sourate al-Anfâl, 8 : 7). De même, l'un des résultats de cette khilâfah est que l'homme devient responsable devant Celui Qui l'a désigné pour cette représentation, soumis à Son contrôle dans tous ses comportements et actes. Allah dit, en effet : «Nous vous avons établis sur terre, après eux, comme leurs successeurs, afin de voir comment vous agiriez.» (Sourate Yûnus, 10 : 14)La khilâfah appartient à l'origine à toute la Communauté, car elle se traduit pratiquement par la création par Allah des richesses de l'univers et leur mise à la disposition de l'homme. L'homme est pris ici au sens général, qui comprend tous les individus. Aussi Allah dit-IL : «C'est Lui Qui a créé pour vous tout ce qui est sur la terre.» (Sourate al-Baqarah, 2 : 29)
Les formes de la propriété, y compris la propriété et les droits privés, sont des modalités qui permettent à la Communauté, en les suivant, d'accomplir sa mission de construire et d'exploiter l'univers. Allah dit, en effet : «C'est Lui Qui a fait de vous Ses lieutenants sur la terre. IL a élevé certains d'entre vous de plusieurs degrés au-dessus des autres pour vous éprouver en ce qu'IL vous a donné» (Sourate al-An'âm, 6 : 166) La propriété et les droits privés qui sont accordés aux uns à l'exclusion des autres -ce qui entraîne une différence dans leur degré de représentation (khilâfah)- constituent donc une sorte d'épreuve à laquelle est soumise la Communauté pour voir quelle est sa capacité de supporter les charges, et une force qui la pousse à accomplir les tâches de la khilâfah et à rivaliser dans ce domaine. Ainsi, à la lumière de cette observation, la propriété privée devient un des moyens pour la Communauté d'accomplir ses tâches de khilâfah, et revêt le caractère d'une fonction sociale, laquelle se présente comme un des aspects de la khilâfah générale, et non pas le caractère d'un droit absolu et d'un contrôle originel. On attribue à l'Imam al-Çâdiq (S), à ce propos, le hadith suivant : «Si Allah vous a gratifiés de ces biens abondants, c'est pour que vous les utilisiez dans la voie qu'Allah leur a tracée ; IL ne vous les a pas donnés pour que vous les thésaurisiez.»
Et étant donné que la khilâfah appartient à l'origine à la Communauté, et que la propriété privée est un moyen par lequel la Communauté accomplit les buts et la mission de cette khilâfah, le lien de la Communauté avec le bien et sa responsabilité envers lui ne disparaissent pas du simple fait que l'individu en aurait pris possession. Non. La Communauté doit protéger ce bien contre l'incompétence du propriétaire s'il n'est pas raisonnable, car l'insensé ne peut jouer un rôle sain dans la khilâfah. Aussi Allah a-t-IL dit à ce propos : «Ne confiez pas aux insensés les biens qu'Allah vous a donnés pour vous permettre de subsister. Donnez-leur le nécessaire, prélevé sur ces biens ; donnez-leur de quoi se vêtir et adressez-leur des paroles convenables.» (Sourate al-Nisâ', 4 : 5) Allah s'adresse ici à la Communauté, car la khilâfah lui appartient à l'origine, IL lui interdit de laisser aux insensés leurs biens, et IL lui ordonne de protéger ces biens et d'en dépenser ce qui est nécessaire pour leur propriétaire. Et bien qu'IL parle à la Communauté des biens des insensés, IL a attribué les biens à la Communauté elle-même lorsqu'IL dit : «Ne confiez pas aux insensés vos biens» (Sourate al-Nisâ', 4 : 5) Ceci est une indication que la khilâfah appartient originellement à la Communauté et que les biens sont les siens du fait de la khilâfah, même s'ils appartiennent aux individus du fait de la propriété privée. Le Verset commente cette indication par une allusion aux buts et au message de la khilâfah, en décrivant les biens ainsi : «Vos biens qu'Allah vous a donnés pour vous permettre de subsister». Ainsi, Allah a fait appartenir ces biens à la Communauté, c'est-à-dire qu'IL a mandaté la Communauté sur ces biens, non pas pour qu'elle les dilapide ni qu'elle les gèle, mais pour qu'elle les utilise à bon escient, les exploite et les protège. Si cela ne peut être réalisé par l'individu, c'est à la Communauté alors d'en prendre la responsabilité(146).
De cette façon, l'individu se sent responsable dans sa conduite financière devant Allah, Lequel est Le vrai propriétaire de tous les biens. De même, il se sent responsable devant la Communauté également, car c'est elle qui possède, à l'origine, la khilâfah, et la possession du bien n'est qu'un aspect et un moyen de cette khilâfah. C'est pourquoi la Communauté a le droit de l'empêcher d'agir s'il n'est pas digne de disposer de son bien en raison de son âge trop jeune ou de sa prodigalité, et de l'empêcher de disposer de son bien de façon à nuire gravement à autrui. De même, elle a le droit de le punir s'il fait de son bien un moyen de corrompre autrui et de se corrompre soi-même, comme fit le Prophète (Ç) avec Samrah ibn Jandab, en ordonnant d'arracher son dattier et de le jeter lorsque son propriétaire en a fait un objet de corruption, et en lui disant : «Tu es un homme nuisible».
Lorsque l'Islam a conféré à la propriété privée le concept de khilâfah, il l'a dépouillée de tous les privilèges moraux qui s'étaient attachés à son existence à la longue, et il n'a pas permis aux Musulmans de la considérer comme un critère de respect et d'estime dans la société islamique, ni de l'associer à une sorte de valeur sociale dans les relations mutuelles, et ce à un point tel que l'Imam al-Redhâ (S) a dit : «Celui qui rencontre un Musulman pauvre et le salue différemment d'un riche, Allah le recevra avec colère le Jour de la Résurrection». De même, le Coran a dénoncé avec sévérité ceux qui prennent pour critère de respect et d'égards pour les autres la richesse et la fortune : «Il s'est renfrogné et il s'est détourné parce que l'aveugle est venu à lui. Qui te fera savoir si, peut-être, celui-ci se purifie ou s'il réfléchit de telle sorte que le Rappel lui soit profitable ? Quant à celui qui est riche, tu l'abordes avec empressement ; peu t'importe s'il ne se purifie pas. Mais de celui qui vient à toi, rempli de zèle et de crainte, toi tu te désintéresses !» (Sourate 'Abasa, 80 : 1-10) Ainsi, l'Islam a remis la propriété dans sa place naturelle et son domaine originel, en tant qu'une sorte de khilâfah, et l'a planifiée dans le cadre islamique général, de telle sorte qu'elle ne puisse refléter son existence sur autre chose que son champ propre ou créer des critères matérialistes de respect et d'estime, car elle est khilâfah et non pas un droit personnel.
Il y a dans les images que nous présente le Coran en ce qui concerne les sentiments que crée la propriété privée et les reflets de celle-ci sur l'âme de l'homme de quoi montrer clairement la croyance de l'Islam dans le fait que les sentiments de privilège issus de la propriété privée et les tentatives pour prolonger celle-ci au-delà de son domaine originel naissent en fin de compte d'une erreur dans le concept de propriété, consistant à la considérer comme un droit individuel et non pas comme une khilâfah qui a ses propres responsabilités et utilités.
Sans doute, la plus merveilleuse de ces images est-elle celle qui raconte l'histoire de deux hommes dont l'un, favorisé par Allah Qui lui avait donné deux jardins parmi les jardins de la nature «dit alors à son compagnon, avec qui il conversait : Je suis plus riche que toi, et plus puissant aussi, grâce à mon clan.» (Sourate al-Kahf, 18 : 34), croyant que sa propriété justifierait cette sorte de fierté et d'exaltation avec lesquelles il s'adressait à son compagnon. Mais «il entra dans son jardin en étant coupable envers lui-même...» (Sourate al-Kahf, 18 : 34), car par cette déviation du concept de la fonction et de la nature de sa propriété, il préparait, en fait, les facteurs de son anéantissement et de sa destruction. «... et il dit : Je ne pense pas que ceci périsse jamais ; je ne pense pas que l'Heure arrive ; et si je suis ramené vers mon Seigneur, je ne trouverai rien, en échange, qui soit préférable à ce jardin. Son compagnon avec qui il conversait dit : Serais-tu ingrat envers Celui Qui t'a créé de poussière, puis d'une goutte de sperme, et qui, ensuite, t'a donné une forme humaine ? Mais lui, IL est Allah, mon Seigneur ! Je n'associe personne à mon Seigneur ! Si tu avais dit, en entrant dans ton jardin : "telle est la Volonté d'Allah ! Il n'y a de puissance qu'en Allah !.." et si tu sentais que c'est une khilâfah qu'Allah t'a confiée pour que tu t'acquittes de tes devoirs envers elle, tu n'aurais pas éprouvé un sentiment d'exaltation et de fierté, ni cette sensation d'orgueil et de vanité. «Si tu me vois moins bien pourvu que toi en richesses et en enfants, mon Seigneur me donnera peut-être bientôt quelque chose de meilleur que ton jardin contre lequel il enverra les foudres du ciel. Ton jardin deviendra alors un sol dénudé, ou bien encore l'eau qui l'arrose disparaîtra dans la terre et tu ne pourras plus la retrouver.» Sa récolte fut ravagée, et le lendemain matin, il se tordait les mains en songeant aux dépenses qu'il avait faites : les treillis qui soutenaient les vignes étaient détruits. Il dit : «Malheur à moi ! Je n'aurais jamais dû associer personne à mon Seigneur !» (Sourate al-Kahf, 18 : 34 - 42)
En réduisant de la sorte l'existence de la propriété privée, et en la contenant dans son champ originel, sur la base du concept de khilâfah, la propriété en Islam s'est transformée en instrument et non pas en but. En effet, le Musulman dont l'entité spirituelle et psychologique a fusionné dans l'Islam considère la propriété comme un moyen de réaliser le but de la khilâfah générale et de satisfaire les différents besoins humains, et non pas comme un but recherché en soi, en tant qu'accumulation et amoncellement avide, insatiable et inassouvissable. On peut retrouver l'image de cette vision instrumentale de la propriété -la propriété en tant qu'instrument- dans ce hadith attribué au Prophète : «De ton bien tu n'as que ce que tu as mangé et fait disparaître de la sorte, ce que tu as porté et usé, ce que tu as offert en aumône et conservé.»(147) Dans un autre texte, il dit : «Le serviteur répète : Mon bien ! Mon bien ! Or, il n'a de son bien que ce qu'il a mangé et fait disparaître, ce qu'il a porté et usé, ce qu'il a donné et obtenu en échange. A part cela, il est partant, et il laissera tout ce qui reste aux gens.»
L'Islam a résisté à la vision finaliste de la propriété -la vision de la propriété en tant que but- non seulement en rectifiant son concept et en la dépouillant de ses privilèges attachés à des domaines extérieurs à son domaine originel, mais aussi en y ajoutant une action positive -dans la voie de la résistance à cette vision- lorsqu'il a ouvert devant le Musulman un horizon plus large que le champ limité et le point de départ matérialiste éphémère, et une ligne plus longue que l'étape courte de la propriété privée qui prend fin avec la mort, et qu'il a promis au Musulman d'autres sortes de profits, plus durables, plus alléchants, et plus avantageux pour celui qui y croit.
Sur la base de ces profits éternels de l'Au-delà, la propriété privée pourrait devenir tantôt une privation et une perte -si elle constituait une barrière devant l'obtention de ces profits- et tantôt une opération profitable, la renonciation à cette propriété conduisant à une compensation plus grande promise dans les profits de l'Au-delà. Il est évident que la croyance à cette compensation, et ce point de départ plus large, à cet horizon plus ouvert de profits et d'avantages joue un grand rôle positif dans l'extinction des causes égoïstes de la propriété, et le développement de la vision finaliste vers une vision instrumentaliste. Allah dit, en effet : «IL vous rendra tout ce que vous avez donné en aumônes. IL est le meilleur des dispensateurs de tous les biens.» (Sourate Sabâ', 34 : 39)
«Ce que vous dépensez en aumônes est à votre avantage. Ne donnez que poussés par le désir de la Face d'Allah. Ce que vous dépensez en aumônes vous sera exactement rendu ; vous ne serez pas lésés.» (Sourate al-Baqarah, 2 : 272)
«Vous retrouverez auprès d'Allah le bien que vous aurez acquis à l'avance, pour vous-mêmes.» (Sourate al-Baqarah, 2 : 110)
«Le jour où chaque homme trouvera présent devant lui ce qu'il aura fait de bien...» (Sourate Âl 'Imrân, 3 : 30)
«Quelque bien qu'ils accomplissent, il ne leur sera pas dénié, car Allah connaît ceux qui le craignent.» (Sourate Âl 'Imrân, 3 : 115)
Le Coran a comparé la vision ouverte de gains et de pertes, qui ne mesure pas ceux-ci seulement avec le critère de la sensibilité éphémère, et la vision capitaliste étroite qui n'a que ces critères, et qui se trouve ainsi toujours exposée au spectre de la pauvreté, tremblant à la seule pensée d'une utilisation de la propriété pour des buts plus larges et plus généraux que ceux avides et égoïstes, car le spectre terrifiant de la pauvreté et de la perte matérielle lui apparaît derrière cette sorte de pensée. Le Coran attribue cette vision capitaliste étroite à Satan : «Le Démon vous menace de la pauvreté ; il vous ordonne des turpitudes. Allah vous promet un pardon et une grâce. Allah est présent partout et IL sait.» (Sourate al-Baqarah, 2 : 268)
La limitation temporelle des droits privés
La théorie générale de la distribution qui a stipulé les droits individuels de la façon que nous avons vue, impose à ces droits une limitation temporelle en général. Ainsi, toute propriété et tout droit en Islam sont limités dans le temps à la vie du propriétaire, et il n'est pas permis qu'ils s'étendent d'une manière absolue. C'est pourquoi l'individu n'a pas, en Islam, le droit de décider du sort de la richesse qu'il possède après sa mort. C'est la Loi qui décide initialement de ce sort dans le cadre des statuts de l'héritage et de la législation relative à la répartition de la succession entre les ayants droit. En cela l'Islam diffère des sociétés capitalistes qui croient habituellement à la prolongation du pouvoir du propriétaire sur ses biens aussi loin que possible, et qui lui laissent le droit de décider de l'avenir de ses richesses après sa mort, et de les donner à qui il veut, et de la façon qui lui plaît.
Cette limitation temporelle des droits privés est en réalité l'un des résultats de la théorie générale de la distribution de la pré-production, laquelle théorie est le fondement de la législation de ces droits individuels. En effet, nous avons déjà appris à la lumière de la théorie que les droits privés sont fondés sur deux bases : l'une est le fait que l'individu crée, par la mise en valeur, l'occasion d'utilisation d'une source naturelle de richesse, et qu'il s'approprie cette occasion en tant que résultat de son travail, ce qui lui confère un droit dans le bien interdisant à quiconque de lui arracher cette occasion ; l'autre base des droits privés est le fait que l'utilisation continuelle d'une richesse donnée confère à l'utilisateur le droit de priorité sur cette richesse, par rapport à quiconque, tant qu'il continue à l'utiliser. Ces deux bases ne demeurent pas fixes après le décès, car l'occasion d'utilisation que possède celui qui, par exemple, a mis la terre en valeur, disparaît naturellement avec sa mort, puisqu'il perd définitivement l'occasion d'utilisation, et que le fait qu'un autre en profite ne constitue pas un vol à ses dépens, étant donné qu'il a perdu, en mourant, et l'occasion, et l'utilisation continuelle, ce qui entraîne la disparition des justifications des droits individuels stipulés par la théorie générale.
Ainsi, la limitation temporelle des droits et propriété privés, conformément aux statuts de la législation relative à l'héritage, est une partie de la structure de la doctrine économique, et elle est liée à la théorie générale de la distribution.
Cette limitation temporelle exprime le côté négatif des statuts de l'héritage, qui stipule la rupture du lien entre le propriétaire et sa propriété lors de sa mort. Quant au côté positif des statuts de l'héritage, qui détermine les nouveaux propriétaires et régit le mode de distribution de la propriété entre eux, il n'est pas le résultat de la théorie générale de la pré-production, mais est lié à d'autres théories de l'Economie islamique, comme nous le verrons dans de prochains chapitres.
En limitant temporellement la propriété privée à la vie du propriétaire, et en interdisant à celui-ci de tester (pour ce qui concerne son bien) et de décider du sort de sa richesse après sa mort, l'Islam a excepté (de cette propriété) le tiers du legs en autorisant le propriétaire à décider lui-même du sort du tiers de ses biens. Cette exception ne s'oppose pas à la vérité dont nous avons pris connaissance, concernant la limitation temporelle et son lien avec la théorie générale, car les textes législatifs qui montrent l'autorisation donnée au propriétaire de disposer du tiers de son legs, indiquent clairement que cette autorisation a un caractère exceptionnel fondé sur la base d'intérêts spécifiques. En effet, on rapporte que lorsque 'Alî ibn Yaqtîn a demandé à l'Imam Mûsâ al-Kâdhim (S) «ce qui appartient à l'homme de son bien», l'Imam lui a répondu : «Le tiers, et le tiers c'est beaucoup.». De même, on rapporte que l'Imam al-Çâdiq (S) a dit : «Tester(148) pour le quart ou le cinquième est mieux que tester pour le tiers.» Il est dit également dans le hadith qu'Allah dit au fils d'Adam : «Je t'ai fait trois faveurs : J'ai couvert en toi des défauts tels que, si ta famille les avait connus, elle aurait refusé de t'enterrer ; et Je t'ai octroyé une fortune, en te demandant d'en offrir en aumônes, mais tu n'as pas fait ce bien ; et Je t'ai donné l'occasion, lors de ta mort, d'utiliser le tiers qui t'appartient pour faire le bien, mais tu n'as pas saisi cette occasion.»
Le tiers est donc, à la lumière de ces hadith, un droit qu'il est préférable que le propriétaire n'utilise pas, étant considéré comme un surplus pour lui, et un don concédé par Allah à Son serviteur lors de sa mort, et non pas un prolongement naturel de ses droits qu'il a acquis de son vivant. Tout ceci indique donc que l'autorisation donnée au testateur de décider de l'utilisation du tiers de son bien est un statut exceptionnel, ce qui constitue une reconnaissance tacite de la vérité que nous avons soulignée concernant la limitation temporelle et son lien avec la théorie générale.
En promulguant ce statut exceptionnel, la Charî'ah visait l'obtention de nouveaux gains pour la justice sociale, car cette promulgation (statut exceptionnel) permet à l'individu, lorsqu'il fait ses adieux à toute la vie et qu'il entre dans un monde nouveau, de profiter de sa richesse dans ce nouveau monde. Il arrive fréquemment que, dans les moments décisifs de transition de la vie du Musulman, la flamme des motivations matérialistes et des désirs éphémères s'éteigne, ce qui l'aide (l'homme) à penser à de nouvelles sortes de dépenses, qui ont trait à son Avenir et à la vie vers laquelle il se prépare à se transférer. Ces sortes de dépenses nouvelles sont celles qu'on a appelées "le bien" dans le hadith précité, et pour lesquelles l'individu qui n'a pas profité de son droit de tester est blâmé de n'avoir pas réalisé le but pour lequel ce droit lui a été conféré.
L'Islam, en même temps qu'il a autorisé le "tiers", a encouragé
l'individu à exploiter cette dernière occasion qui lui est
offerte pour préserver son avenir et sa vie de l'Au-delà,
en consacrant le "tiers" aux différentes voies du Bien et des intérêts
généraux qui contribuent au renforcement de la justice sociale.
La limitation temporelle de la propriété est donc la
règle, alors que le "tiers" est une exception imposée pour
des raisons liées à d'autres aspects de l'Economie islamique.
1 - Al-Muhaqqiq al-Hillî écrit, dans son livre "al-Charâ'i'", chapitre "al-Wikâlah" : «Le ramassage du bois, et d'autres travaux similaires dans la nature, n'autorisent pas le mandat. Ainsi, si un individu donne mandat à une autre personne de ramasser du bois dans la forêt, ce mandat est nul, et le mandant ne possède pas le bois que le travailleur a ramassé, car le ramassage du bois et les autres travaux semblables dans la nature ne produisent aucun effet, ni droit privé pour l'individu si celui-ci n'effectue pas le travail lui-même et ne dépense pas un effort direct dans les opérations de ramassage du bois, d'herbes, etc.»
Voici le texte de son exposé :
« Concernant les domaines où le mandat n'est pas valable, ils ont pour critère tout ce qui doit se faire, selon l'esprit du législateur, par la personne concernée [mukallaf] elle-même (sans intermédiaire ou mandataire), tels que la purification, la Prière obligatoire (tant que la personne est vivante), le Jeûne, la retraite spirituelle [i'tikâf], le Pèlerinage obligatoire (lorsque toutes les conditions requises sont réunies), le serment [aymân], le voeu [nithr], l'usurpation [al-ghaçb], le partage entre les femmes [al-qism bayn-al-zawjât] - car il implique une jouissance- la formule de la séparation [dhehâr], la malédiction réciproque [li'ân], l'écoulement du délai de viduité [qadhâ' al-'iddah], le crime [jinâyah], le ramassage d'un objet trouvé [iltiqât], le ramassage du bois [ihtitâb], la récolte d'herbes sèches [ihtichâch].»(150) - Il est dit, dans le livre "Al-Tath-kirah", d'al-'Allâmah al-Hillî, à propos du mandat :
«Il y a des doutes concernant la légalité du mandat dans les choses autorisées [mubâhât] telles que la chasse, le ramassage du bois, la récolte d'herbes sèches, la mise en valeur des terres mortes, l'acquisition de l'eau, etc. Nos juristes ont rapporté que certains Juirsconsultes châfi'ites ont affirmé l'invalidité du mandat dans de tels cas.»(151)
3 - Dans "Al-Qawâ'id", il est dit que «la question de la validité du mandat en vue de la constatation de l'acquisition des choses autorisées [mubâhât] telles que le ramassage du bois, la chasse, la récolte d'herbes sèches, le ramassage d'un objet trouvé, est sujette à caution»(152). (152)
4 - De nombreuses autres sources doctrinales, telles "Al-Tahrîr", "Al-Irchâd", "Al-Idhâh", etc. partagent cette réticence(153).
5 - De nombreuses autres sources doctrinales encore, telles que "Al-Jâmi' fîl Fiqh", ne se contentent pas d'émettre des réticences et des doutes, mais affirment franchement l'illégalité du mandat conformément aux législations. "Al-Sarâ'ir" dit la même chose à propos de la chasse. De même, on rapporte du Chaykh al-Tûsî, dans le livre "Al-Mabsût" (certains exemplaires), l'interdiction du mandat dans la mise en valeur. On rapporte de lui également l'interdiction du mandat dans le coupage du bois et d'herbes(154).
Quant à Abû Hanîfah, il déduit l'illégalité du partage dans l'acquisition du "mubâh" (ce qui est permis, autorisé), tel que le ramassage d'herbes, du fait que le partage exige le mandat, et celui-ci n'est pas permis dans ces choses-là (Mubâhât), puisque celui qui les prend les possède(155).
6 - Al-'Allâmah al-Hillî a lié le mandat et le louage, en rappelant que si le mandat dans ces travaux est improductif (le mandant y est improductif, puisqu'il n'y effectue aucun travail), le louage l'est aussi. Donc, de même que le mandant ne possède pas ce que le mandataire obtient par le ramassage de bois, la chasse, la mise en valeur du mawât, etc. de même le loueur ne possède pas les gains du travail du salarié dans la nature(156). On trouve le texte de cette affirmation dans son livre "Al-Tath-kirah", où il est écrit :
«Si nous autorisons le mandat dans un tel domaine, nous y aurons autorisé par là-même le louage, ce qui signifierait que si un homme loue les services d'un autre homme pour qu'il ramasse du bois, fasse l'arrosage ou mette en valeur une terre pour lui, cela serait légal et le loueur posséderait le produit de ces travaux. Et si nous interdisons le mandat, nous aurons interdit par là-même le louage, et le produit en question reviendra au salarié.»(157)
Al-Muhaqqiq al-Içfahânî affirme dans le livre "Al-Ajârah" que «le louage n'a pas d'effet sur la possession du loueur, c'est-à-dire celui qui paie le salaire de ce qu'acquiert le salarié et qu'il obtient par son travail dans la nature. Si le salarié acquiert quelque chose pour lui, il possède le bien acquis, et le loueur n'en aura rien.»(158)
Al-Chahîd al-Thânî écrit la même chose dans ses "Masâlik" :
«Il reste à préciser que même si l'on se réfère (parmi les deux avis concernant la validité ou la non-validité du contrat de louage en vue du coupage de bois, du ramassage d'herbe, de la chasse, etc.), à celui qui affirme cette validité, il le fait en soulignant que la propriété du produit ne revient au loueur (le commanditaire ou mandant) que si le salarié (le mandataire) accomplit le travail avec l'intention préalable de le faire pour le compte du mandant. Mais s'il le fait dans l'intention d'en obtenir le résultat pour lui-même, dans ce cas-là il lui appartiendra, selon tous les avis, car il aura rempli la condition requise pour l'appropriation ; et ceci ne s'oppose pas au fait que le loueur aura droit au loyer de ses biens pendant toute la période de l'exploitation.»(159)
7 - Al-'Allâmah al-Hillî écrit dans ses "Qawâ'id" :
«Si un homme chasse, ramasse du bois ou des herbes, et acquiert avec l'intention que son acquisition est pour lui et d'autres, cette intention n'a pas d'effet, toute l'acquisition sera pour lui.»(160)
8 - Il est écrit dans "Miftâh al-Karâmah", que le Chaykh al-Tûsî, le Muhaqqiq (al-Hillî)(161) et al-'Allâmah (al-Hillî)(162), ont décidé tous que «Si un individu acquiert une richesse naturelle avec l'intention de s'en servir lui et les autres, elle sera entièrement à lui.»(163)
9 - Il est dit dans "Al-Qawâ'id" d'al-'Allâmah (al-Hillî), que si un individu donne un filet au pêcheur contre une part de sa pêche, celle-ci reviendra au pêcheur, lequel doit payer le loyer du filet(164)
D'autres sources, telles que "Al-Mabsût", "Al-Muhath-thab", "Al-Jamî'", "Al-Charâ'i'", ont confirmé cet avis(165)
10 - Al-Muhaqqiq al-Hillî écrit, dans "Al-Charâ'i'" :
«La chasse avec un instrument usurpé est illicite, mais le gibier n'est pas illicite ; le chasseur le possède et non pas le propriétaire de l'instrument ; celui-là doit payer à celui-ci le loyer de l'instrument.»(166)
Commentant ce jugement qui stipule que c'est le chasseur qui possède le produit de la chasse, et non pas le propriétaire de l'instrument, al-Muhaqqiq al-Najafî écrit :
«Car la chasse fait partie des "mubâhât" que l'on possède par le travail direct réalisé par l'usurpateur, même si son utilisation de l'outil de chasse est illégale. Certes, il (le chasseur) doit en payer le loyer au propriétaire (de l'outil), comme on le fait pour tout instrument usurpé. D'autre part, même s'il n'a rien chassé avec l'outil, il doit quand même en payer le loyer, car son usurpation de l'outil constitue un manque à gagner pour le propriétaire de l'outil.»(167)
Al-Faqîh al-Hanafî al-Sarkhacî écrit quelque chose de similaire dans son "Al-Mabsût" :
«Si quelqu'un donne au pêcheur un filet pour qu'il pêche des poissons à partager avec lui-même (celui qui a fourni le filet), et que le pêcheur pêche beaucoup de poissons, ceux-ci reviennent tous au pêcheur, car c'est celui qui les a attrapés qui en est l'acquéreur, et non pas l'instrument (qui a servi à les attraper) ; aussi sera-t-il propriétaire de ce qu'il a acquis, même s'il a utilisé pour cela l'instrument d'un autre, mais à condition de l'en indemniser. Et étant donné que le montant de l'indemnisation est indéterminé, le pêcheur doit payer au propriétaire du filet le loyer courant.»(168) Cela signifie que l'outil (le filet) n'a pas de part dans l'article produit.
11 - Al-Chaykh al-Tûsî écrit le texte suivant sur le partage, dans "Kitâb al-Mabsût" :
«Si un homme demande à un autre de chasser un gibier pour lui, et que le second chasse avec l'intention que le gibier soit pour le premier, à qui reviendra le gibier ? On a répondu que le gibier aura, ici, le même statut que l'eau permise (mubâh), statut selon lequel si le preneur d'eau puise avec l'intention de la partager avec le propriétaire de l'instrument, la valeur de l'eau reviendra à celui qui l'aura puisée, et non pas à son associé. Ici aussi, le produit de la chasse revient au chasseur et non pas au commanditaire, car il est le seul acquéreur. Mais on dit aussi qu'il revient au commanditaire, car le chasseur l'a obtenu avec l'intention de le faire pour le commanditaire, et c'est l'intention qui est prise en considération. Toutefois, c'est le premier avis qui est le plus juste.»(169)
12 - Al-Muhaqqiq al-Hillî écrit dans "Al-Charâ'i'" :
«Si un homme donne une monture, et un autre une outre, à un porteur d'eau pour former une association dont les trois partagent les résultats, l'association n'est pas valable : le porteur d'eau possède ce qu'il a obtenu, et il doit payer l'équivalent du loyer de la monture et de l'outre.»(170)
Al-'Allâmah al-Hillî dit la même chose dans al-Qawâ'id.(171)
La même question est évoquée dans "Kitâb al-Mughnî" d'Ibn Qudâmah, et l'on rapporte d'al-Qâdhi et d'al-Châfi'î le même jugement que précité, à savoir que le porteur d'eau possède ce qu'il gagne, et qu'il doit payer à son partenaire l'équivalent du loyer(172).
De même, le Chaykh al-Tûsî a avancé le même statut tout en indiquant un avis opposé selon lequel le gain doit être partagé en trois parts entre le propriétaire de la monture, celui de l'outre, et le porteur d'eau, et qu'il n'approuve pas ce dernier avis(173).
Tout cela signifie que les moyens de production que le porteur d'eau utilise n'ont pas de part dans le produit de l'opération, mais nécessitent l'équivalent d'un loyer de la part du travailleur.
Toute cette superstructure montre la vérité fondamentale de la théorie générale de la post-production, et par conséquent les différences essentielles entre la théorie islamique et la théorie générale de la distribution dans l'Economie doctrinale du capitalisme.
Avant de commencer à déduire la théorie à partir de la superstructure précitée, peut-être est-il préférable de nous faire une idée sur la nature de la théorie de la distribution de la post-production, et d'en tracer un portrait général en présentant un exemple dans la doctrine capitaliste, afin que nous puissions connaître le type de domaine sur lequel toute théorie doctrinale de la distribution de la post-production doit s'exercer.
Après que nous aurons présenté la théorie dans son cadre capitaliste, nous passerons en revue la théorie islamique de la distribution de la post-production, telle que nous y croyons. Et lorsque nous en aurons donné le portrait déterminé et que nous aurons mis en évidence les différences entre les deux théories, nous reviendrons à la superstructure précitée pour appuyer notre supposition de la théorie islamique, et expliquer notre méthode de sa déduction à partir de cette superstructure dans laquelle se reflètent ses aspects fondamentaux. Cette recherche comportera donc trois étapes.
Exemple de la théorie dans l'Economie capitaliste
Habituellement, on décompose l'opération de la production dans la doctrine capitaliste traditionnelle en ses éléments originels imbriqués dans l'opération. L'idée générale dans la distribution de la richesse produite repose sur la participation de ces éléments à la richesse qu'ils ont produite. Chaque élément a une part de la production proportionnelle à son rôle dans l'opération.
Sur cette base, le capitalisme divise la richesse produite ou sa contre-valeur monétaire en quatre parts que voici :
1 - l'intérêt
2 - les salaires
3 - le revenu
4 - les bénéfices
Les salaires sont la part du travail humain ou du travailleur en tant qu'élément important dans l'opération de la production capitaliste. L'intérêt est la part du capital prêteur. Les bénéfices sont la part du capital participant effectivement à la production. Le revenu traduit la part de la nature, ou en termes plus spécialisés, la part de la terre.
Beaucoup de modifications formelles ont été apportées à ce mode capitaliste de distribution. Les bénéfices et les salaires ont été regroupés en une seule catégorie, parce qu'on estimait que les bénéfices sont, en réalité, une sorte de salaire d'un travail spécifique, à savoir le travail d'organisation que le promoteur effectue en préparant les différents éléments de la production, tels que le capital et la nature du travail, et en les faisant concorder, et en les organisant dans l'opération de la production.
D'un autre côté, la théorie moderne de la distribution a conféré au revenu un concept plus large dépassant les limites de la terre et découvrant de nombreuses sortes de revenus dans les différents domaines. De même, d'aucuns ont préféré considérer le capital dans une acception globale comprenant toutes les forces de la nature, y compris la terre.
Malgré ces modifications formelles, la vision essentielle de la distribution capitaliste est restée immuable à travers toutes les modifications et n'a pas changé sur le plan doctrinal. Cette vision consiste à considérer tous les éléments de la production sur un même niveau, et à donner à chacun de ces éléments sa part de la richesse produite en sa qualité de participant à l'opération, et dans les limites de sa participation avec tous les éléments à la réalisation de cette richesse et sa production. Ainsi, l'ouvrier, par exemple, obtient son salaire de la même façon et sur la même base que celle sur laquelle le capital obtient l'intérêt, car chacun d'eux est, selon la norme capitaliste, un facteur de production et une force participant à la composition organique de l'opération ; et il est naturel que les produits soient répartis entre les éléments de la production à des taux que détermineront la loi de l'offre et de la demande, et d'autres forces qui régissent la distribution.
La théorie islamique et sa comparaison avec le capitalisme
Quant à l'Islam, il refuse catégoriquement cette vision essentielle de la doctrine capitaliste, et en diffère fondamentalement, car il ne met pas les différents éléments de la production sur un même niveau, ni ne les considère également pour qu'il admette la distribution de la richesse produite à ces éléments aux taux que déterminent les lois de l'offre et de la demande, comme le fait le capitalisme. Loin de là, la théorie islamique générale de la distribution de la post-production considère que la richesse produite par la nature brute est la propriété du seul homme producteur -le travailleur. Quant aux moyens matériels de la production, tels que le capital et les différents instruments et outils, ils n'ont pas de part dans la richesse produite elle-même. Ce sont tout simplement des moyens qui fournissent à l'Islam des services nécessaires pour asservir la nature et la soumettre dans un but de production. Si ces moyens sont la propriété d'une personne autre que le travailleur-producteur, celui-ci doit récompenser la personne qui possède lesdits moyens des services qu'il (le producteur) a obtenus grâce à eux. Ainsi, le bien donné au propriétaire de la terre, de l'instrument ou de l'outil qui contribue aux travaux de la production, ne traduit pas la part de la terre, de l'instrument ou de l'outil eux-mêmes dans le produit, en tant qu'un des éléments de sa production, mais représente une récompense -pour le propriétaire des moyens- des services qu'il a rendus en permettant au travailleur-producteur d'utiliser ces moyens. Mais si les moyens n'ont pour propriétaire que l'homme producteur, la récompense n'a plus de raison d'être, car dans un tel cas elle constituerait un don pour la nature et non pas pour un autre homme. Ainsi, l'homme producteur, dans la théorie islamique de la distribution de la post-production, est le propriétaire réel de la richesse produite de la nature brute ; les éléments matériels de la production n'ont pas de part dans cette richesse ; mais l'homme producteur étant considéré comme ayant une dette envers les propriétaires des moyens qu'il utilise dans sa production, il est tenu de s'acquitter de sa dette et de récompenser ces derniers pour les services rendus par leurs moyens. La part des moyens matériels participant à l'opération de production revêt donc un caractère de récompense pour un service rendu, et traduit une dette contractée par l'homme producteur. Elle ne signifie pas une égalisation entre le moyen matériel et le travail humain, ni une association entre eux, à parts égales, dans la richesse produite.
En poursuivant notre opération de découverte de la théorie générale de la distribution de la post-production, nous apprendrons la justification théorique de cette récompense que les propriétaires des moyens matériels obtiennent de l'homme producteur contre son utilisation des moyens qu'ils possèdent, dans l'opération de la production.
La différence est donc grande entre la théorie islamique de la distribution de la post-production, et la théorie capitaliste sur ce sujet.
La raison de cette différence tient à la divergence entre les deux théories, capitaliste et islamique, dans la détermination de la place de l'homme et de son rôle dans l'opération de la production. Dans la vision capitaliste, le rôle de l'homme équivaut au rôle de l'instrument qui sert à la production, et non pas au but que la production poursuit ; il est donc placé au même rang que toutes les autres forces participant à la production : la nature, le capital, etc. C'est pourquoi l'homme producteur obtient sa part de la richesse naturelle en tant que participant à la production et serviteur de celle-ci. Par conséquent, la base théorique de répartition entre l'homme producteur et les moyens matériels qui participent avec lui à l'opération de la production devient la même.
En revanche, la place que la vision islamique assigne à l'homme se situe au niveau du but, et non pas de l'instrument. L'homme n'est pas au niveau des autres moyens matériels pour que la distribution de la richesse produite soit effectuée entre lui et ceux-ci d'une façon égale. Les moyens matériels sont considérés comme serviteurs de l'homme dans la réalisation de l'opération de production, car celle-ci est elle-même destinée à l'homme. C'est pourquoi la part de l'homme producteur diffère de celle des moyens matériels dans le fondement théorique. Si les moyens matériels sont la propriété d'un autre que le travailleur, et que cet autre propriétaire les mette au service de la production, il a un droit sur l'homme producteur, celui d'être récompensé de son service. La récompense est ici une dette contractée par le producteur, lequel doit régler cette dette en contrepartie du service rendu ; cela ne signifie pas théoriquement une participation des moyens matériels dans la richesse produite.
Ainsi, la place des moyens matériels, dans la vision islamique, impose à ceux-ci, en leur qualité de serviteurs de l'homme producteur, d'obtenir de celui-ci une récompense, et non pas une part de la richesse produite et en tant que participant dans sa production. De même, la place de l'homme dans l'opération de la production impose à celui-ci, en tant que but de cette opération, d'être le seul ayant droit dans la richesse naturelle qu'Allah a créée pour le service de l'homme.
Parmi les plus importants phénomènes que reflète cette différence essentielle entre les deux théories, islamique et capitaliste, figure la position des deux doctrines vis-à-vis de la production capitaliste dans les domaines de la richesse naturelle brute. En effet, le capitalisme doctrinal autorise le capital à exercer cette sorte de production. Il peut, par exemple, louer des ouvriers pour couper le bois des arbres de la forêt ou extraire le pétrole de ses puits, et leur payer leurs salaires -et c'est tout le dû du travailleur dans la théorie capitaliste de la distribution- et le capital devient ainsi le propriétaire de tout ce que les salariés apportent -bois ou minerais de la nature- et acquiert le droit de les vendre au prix qu'il veut.
En revanche, dans la théorie islamique de la distribution, il n'y a pas de place pour cette sorte de production(174), car le capital n'y obtient rien par l'emploi des salariés pour couper le bois et extraire les minerais et la fourniture des instruments nécessaires, étant donné que la théorie islamique fait de l'accomplissement du travail la condition de l'appropriation de la richesse naturelle, et accorde au seul travailleur le droit de s'approprier le bois qu'il coupe ou le minerai qu'il extrait. C'est de cette façon que l'Islam abolit la possession des richesses naturelles brutes par le travail payé, et fait disparaître le contrôle du capital sur ces richesses qu'il s'approprie dans le système capitaliste, par le simple fait de sa capacité à payer les salaires des ouvriers et à leur fournir les outils nécessaires, et le fait remplacer par le contrôle de l'homme sur les richesses naturelles.
La disparition de ce mode de production capitaliste dans le domaine des richesses naturelles brutes n'est pas un événement accidentel, ni un phénomène passager ou une différence secondaire entre la théorie islamique et la doctrine capitaliste, mais traduit d'une façon claire et sur une base théorique - comme nous l'avons vu - la contradiction polarisée entre eux, et l'originalité du contenu théorique de l'Economie islamique.
La déduction de la théorie à partir de la superstructure
Nous avons examiné jusqu'à présent la théorie islamique de la post-production, théorie que nous posons simplement en postulat dans la mesure où l'exige sa comparaison avec la théorie capitaliste quant à son fondement théorique de la distribution de la richesse sur les éléments de la production.
Pour démontrer le bien-fondé de notre conception de la théorie, nous revenons à présent à la superstructure évoquée au début de notre recherche, afin d'en déduire l'aspect que nous avons supposé de la théorie islamique, et mettre en évidence la signification de cet aspect et le degré de sa concordance avec l'image que nous avons présentée.
Les statuts que nous avons passés en revue dans la superstructure décident que :
1 - Le mandant n'a pas le droit de récolter le fruit du travail de son mandataire dans les richesses naturelles brutes. Ainsi, si une personne en mandate une autre pour lui couper du bois de la forêt, par exemple, elle n'aura pas le droit de s'approprier le bois obtenu par son mandataire, tant qu'elle n'effectue pas le travail et le coupage du bois elle-même ; car la propriété résultant du travail appartient uniquement au travailleur. Ceci est évident dans les huit premiers articles de la superstructure.
2 - Le contrat de louage est comme le contrat de mandat. De même que le mandant ne possède pas les richesses qu'obtient de la nature son mandataire, de même le loueur ne possède pas les richesses naturelles qu'acquiert son salarié du simple fait qu'il lui a payé un salaire, car lesdites richesses ne peuvent être possédées que par le travail directement effectué. Ceci est clair à l'article 6.
3 - Si l'individu producteur, exploitant les richesses naturelles, utilise pour cette exploitation un instrument ou un outil qui appartient à un tiers, l'instrument en question n'a pas de part dans la richesse obtenue de la nature par le travailleur. Toutefois, l'homme producteur devient redevable au propriétaire de l'instrument d'une récompense pour le service qu'il lui a rendu dans l'opération de la production. Quant au produit, il est entièrement la propriété du travailleur. Ceci ressort à l'évidence dans les articles 9, 10 et 12.
Ces trois points suffisent pour découvrir la théorie générale de la post-production, sur laquelle se fonde la superstructure de tous ces statuts. De même, ils suffisent pour montrer le bien-fondé de notre découverte de la théorie et lui conférer le contenu et les traits que nous avons définis.
L'homme producteur possède donc la richesse produite de la nature brute, non pas en sa qualité de participant à la production et de son serviteur, mais parce qu'il est lui-même le but que poursuit la production. C'est à ce titre qu'il fait sienne toute la richesse produite qu'il n'a pas à partager avec les autres forces et instruments qui ont servi la production et y ont participé.
Quant à ces moyens matériels, ils toucheront leur salaire pour les services qu'ils ont rendu, de l'homme travailleur qui accomplit la production, car ils sont considérés comme son serviteur et non pas comme son égal(175)
.
C'est de cette façon que nous obtenons, par l'utilisation de la superstructure précitée, le fondement islamique de la distribution de la post-production, et que nous prouvons à sa lumière la véracité de l'image que nous avons présentée de la théorie islamique, lorsque nous l'avons comparée avec la théorie capitaliste.
Continuons à présent notre découverte et entamons l'étude d'un autre aspect de la théorie pour le mettre en évidence, en comparant celle-ci avec le marxisme, et en déterminant les aspects de la différence entre les deux.
2- LES ASPECTS DE LA DIFFERENCE ENTRE LA THEORIE ISLAMIQUE ET LE MARXISME
1 - Dans le chapitre du "Louage" de son livre "Charâ'i' al-Islam", al-Muhaqqiq al-Hillî écrit :
«Si quelqu'un confie à un autre un article pour qu'il y effectue un travail donné, ce dernier (le travailleur) a droit à un salaire correspondant à son travail s'il est habituellement payé pour ce genre de travail (s'il est teinturier de son état, par exemple). Mais s'il s'agit de quelqu'un qui ne reçoit pas normalement un salaire pour ce travail, deux cas de figure se présentent : a- le travail qu'il a fait est quand même généralement payant, auquel cas il a droit à un salaire correspondant au travail qu'il a effectué, car c'est celui qui est censé savoir qu'il a fait le travail dans l'intention d'être payé ; b- le travail n'est pas habituellement payant, auquel cas sa revendication d'un salaire est négligeable.»(176)
Les commentateurs ont expliqué et justifié ceci par le fait que si quelqu'un laisse entendre qu'il fait un travail donné gratuitement, il n'a pas le droit d'exiger par la suite d'être payé pour le travail qu'il a effectué.
2 - Al-Muhaqqiq al-Najafî écrit, dans le chapitre de "l'Usurpation" (al-Ghaçb) de son livre "Jawâhir al-Kalâm..." :
«Si quelqu'un usurpe des grains qu'il sème, ou des oeufs qu'il transforme en poussins [faire couver], le produit en reviendra, selon la plupart des Jurisconsultes (faqîh), à la victime de l'usurpation (le propriétaire des grains ou des oeufs). Et selon le livre "Al-Naçiriyyah", il n'y a même pas divergence de vue sur ce point ; et, encore mieux, selon "Al-Sarâ'ir", tous les Jurisconsultes sont unanimement de cet avis, ce qui correspond vraisemblablement le mieux aux fondements et aux règles de notre doctrine.»(177)
Et il a mentionné un autre avis jurisprudentiel prétendant que : «Les plantes et les poussins produits appartiendront à l'usurpateur, car les grains et les oeufs qui appartenaient à la victime de l'usurpation sont considérés comme étant dissipés et détériorés, ce qui amène à considérer les plantes et les poussins comme un nouveau produit que possède l'usurpateur par la faveur du travail qu'il y a effectué.
Al-Mirghinânî est de cet avis, puisqu'il écrit :
«Si les aspects d'une chose usurpée changent tellement, grâce au travail de l'usurpateur, que le nom de cette chose disparaît et que son utilité augmente, le titre de propriété de la victime de l'usurpation en disparaît par là-même pour passer à l'usurpateur.»(178)
Et selon al-Sarkhacî :
«Si quelqu'un usurpe du blé et le sème, et que le propriétaire légitime se présente alors que son blé est déjà transformé en plante ou en blé encore vert, pour réclamer son bien usurpé, il n'a droit qu'à l'équivalent de son blé ; il n'a pas droit à la plante. Tandis que pour moi et pour al-Châfi'î, la plante lui appartient, car elle émane de sa propriété.»(179)
3 - Dans le même livre, il est écrit :
«Si quelqu'un usurpe une terre et qu'il la cultive ou y plante des arbres, la production en est sans conteste au cultivateur (usurpateur), lequel doit toutefois payer au propriétaire de la terre le loyer courant.»
De nombreux hadith ont confirmé cet avis. Ainsi, 'Oqbah ibn Khâlid raconte qu'il a demandé un jour à l'Imam al-Çâdiq (S) quel est son jugement dans le cas de figure suivant :
«Supposons qu'un homme cultive une terre appartenant à un autre, sans sa permission, et que lorsque la terre commence à produire, son propriétaire se présente et dise au cultivateur : "Tu as cultivé ma terre sans ma permission, cette production m'appartient donc, et j'ai à te payer les dépenses que tu as faites." A-t-il raison ou tort ?» L'Imam al-Çâdiq (S) a répondu: «La production revient au cultivateur, et le propriétaire de la terre doit toucher le loyer de sa terre.»(180)
Selon Ibn Qudâmah :
«Si quelqu'un usurpe une terre, qu'il y plante des arbres et que ces arbres commencent à produire ; si le propriétaire se présente alors que l'usurpateur a déjà récolté le produit, celui-ci appartient à ce dernier ; et même s'il se présente alors que le produit est encore sur les arbres, celui-ci (le produit) revient à l'usurpateur (cultivateur), car il est le produit de ses arbres et il est considéré comme s'il se trouvait sur sa propre terre.»(181)
4 - Dans le chapitre "al-Muzâra'ah" de "Jawâhir al-Kalâm", il est dit :
«Dans chaque cas où le métayage est déclaré illicite, le propriétaire de la terre a droit au loyer, et la culture deviendrait propriété du cultivateur lui-même, si les grains lui appartenaient ; mais si c'est le propriétaire de la terre qui a fourni les graines, la culture lui appartiendra et il devra payer le salaire du cultivateur ainsi que le loyer des outils. Si les graines appartenaient à tous les deux (le propriétaire de la terre et le cultivateur), la récolte doit être partagée entre eux proportionnellement.»(182)
On peut déduire de cette explication que la culture appartient au propriétaire des graines -qu'il soit le cultivateur ou le propriétaire de la terre- car les graines constituent la matière essentielle de la culture. Au cas où les graines appartiennent au cultivateur, la terre n'a pas de droit sur la culture, mais son propriétaire a droit à un loyer que le cultivateur doit lui payer pour avoir utilisé sa terre pour le semis de ses graines.
La jurisprudence d'"Al-Mabsût" d'al-Sarkhacî dit la même chose, puisque ce dernier lie la possession de toute la culture par le propriétaire de la terre en cas de résiliation du contrat de métayage au fait du développement des graines : le maître de la terre possède la récolte en sa qualité de propriétaire des graines et non pas de propriétaire de la terre(183).
Al-Chaykh al-Tûsî déclare que, dans le cas d'un métayage résilié, la culture revient au propriétaire des graines, car la culture n'est autre que les graines développées et augmentées. Le cultivateur doit payer au propriétaire de la terre le loyer de sa terre(184).
5 - Dans le chapitre "al-Musâqât" d'al-Jawâhir, il est dit que, dans le cas d'un contrat d'arrosage résilié, le travailleur doit recevoir son salaire et le fruit revient au propriétaire de "l'origine" (l'arbre), car la propriété du développement suit celle de l'origine(185).
L'explication en est que si un individu possède des arbres qui ont besoin d'arrosage et de surveillance pour porter leurs fruits, il peut les confier à un travailleur en signant avec lui un contrat aux termes duquel ce dernier s'engage à les soigner et à les arroser en contrepartie du partage, avec le propriétaire des arbres, des fruits, dans une proportion déterminée audit contrat. Ce type d'accord entre le propriétaire des arbres et le travailleur est appelé en jurisprudence "Musâqât". Les faqîh insistent sur la nécessité du respect par les deux contractants du contenu du contrat, au cas où les conditions y sont complètement indiquées. Mais si un point fondamental, ou une condition du contrat, disparaissent, le contrat n'a plus de valeur sur le plan juridique, auquel cas le texte jurisprudentiel que nous avons présenté stipule qu'en cas de résiliation du contrat, la récolte devient en totalité propriété du propriétaire des arbres, le travailleur n'ayant que le salaire convenable qu'on appelle jurisprudentiellement "le salaire du pareil" (ojrat al-mithl), comme récompense des services et des efforts qu'il a faits pour faire fructifier les arbres.
6 - Le contrat de spéculation est un contrat particulier par lequel le travailleur conclut avec le propriétaire du bien un accord pour l'exploitation com- merciale dudit bien contre partage des bénéfices. Si le contrat ne remplit pas les conditions de sa licéité, pour quelque raison que ce soit, tous les bénéfices iront au propriétaire, selon le jugement des jurisconsultes dans "Al-Jawâhir", et d'autres références, et le travailleur n'aura que le salaire convenable dans certains cas(186).
Nous avons, jusqu'à présent, découvert une partie de la théorie générale de la distribution de la post-production en Islam, la partie qu'a exigée la comparaison entre ladite théorie et la théorie capitaliste concernant le fondement théorique de la distribution. Nous voulons maintenant poursuivre notre découverte des aspects et des caractéristiques de la théorie islamique, en la comparant à la théorie marxiste de la distribution de la post-production, et en déterminant les points de différences entre les deux théories.
Nous allons commencer -comme nous l'avons fait lors de l'étape précédente- par la présentation du portrait et la mise en évidence des points de divergence entre les deux théories comme nous y croyons, avant d'aborder dans un deuxième temps la superstructure. Et lorsque nous aurons pu nous faire clairement une idée des points de divergence et de la signification doctrinale de cette différence, nous reviendront à l'examen de la superstructure pour en déduire les arguments qui appuient notre conception et prouvent jurisprudentiellement sa justesse.
Le phénomène de la constance de la propriété dans la théorie
Nous pouvons résumer la différence entre la théorie islamique et la théorie marxiste en deux points essentiels :
Le premier point est que la théorie islamique de la distribution de la post-production accorde à l'homme-travailleur toute la richesse qu'il a produite, si la matière essentielle dont le travailleur s'est servi dans l'opération de production est une richesse naturelle qui ne soit la propriété de personne d'autre, comme c'est le cas du bois que le travailleur coupe dans la forêt, des poissons dans la mer, qu'il pêche, des oiseaux en vol, qu'il chasse dans la nature, des minerais qu'il extrait de leurs gisements, de la terre morte qu'il met en valeur et qu'il rend propre à produire, de la source d'eau qu'il découvre dans les profondeurs du sol, etc. Ainsi, toutes ces richesses, lorsqu'elles se trouvent dans leur emplacement naturel, n'appartiennent à personne. C'est l'opération de production qui confère un droit personnel sur elles, et les moyens matériels de la production ne partagent pas avec le travailleur, comme nous l'avons déjà indiqué, la possession de ces richesses.
Mais si la matière essentielle que l'ouvrier travaille dans l'opération de production est la propriété ou le droit d'autrui, droit ou propriété fondés sur l'une des bases que nous avons passées en revue dans la théorie de la distribution de la pré-production, cela signifie que ladite matière a déjà été possédée ou appropriée lors d'une distribution antérieure. Aussi n'est-il plus possible de l'accorder en vertu de la production nouvelle au travailleur, ni à aucun des moyens qu'il a utilisés dans l'opération. Ainsi, celui qui file et tisse une certaine quantité de laine appartenant au berger n'a pas le droit de prendre possession de la laine qu'il tisse, ni de partager avec le berger sa propriété sur la base du travail qu'il y a dépensé. La totalité de la laine est considérée comme la propriété du berger étant donné que c'est lui qui en possède la matière essentielle, à savoir la laine brute. Donc, la propriété du berger sur la laine qu'il a produite demeure valable et ne disparaît ni ne diminue du fait qu'un nouveau travail a été effectué par un autre individu, qui a par exemple filé et tissé la laine. C'est ce que nous appelons le phénomène de "la constance dans la propriété".
Tout au contraire, le marxisme estime que l'ouvrier qui reçoit du capitaliste les matières premières, et qui y dépense son effort, possède de celles-ci l'équivalent de la nouvelle valeur d'échange que son travail a conféré à ces matières. C'est pourquoi le travailleur est, selon le marxisme, l'ayant droit légitime de l'article produit, à l'exception de la valeur de la matière première qu'il a reçue du capitaliste avant l'opération de production.
La raison de cette différence entre le point de vue de l'Islam et celui du marxisme tient au fait que ce dernier lie d'une part la propriété à la valeur d'échange, et d'autre part la valeur d'échange au travail. En effet, le marxisme croit -sur le plan scientifique- que la valeur d'échange est née du travail(187), et justifie -sur le plan doctrinal- que l'ouvrier s'approprie la matière qu'il travaille par la valeur d'échange que produit son travail dans la matière. Par conséquent, tout ouvrier qui confère à une matière une nouvelle valeur d'échange aura le droit de posséder cette valeur qu'il a incorporée dans ladite matière.
En revanche, à la différence du marxisme, l'Islam sépare la propriété de la valeur d'échange et ne confère pas à l'ouvrier le droit de s'approprier la matière sur la base de la nouvelle valeur qu'il lui a conférée. Il fait du travail une base directe de la propriété, comme nous l'avons vu dans la recherche sur la théorie de la distribution de la pré-production. Dans le cas où un individu possède la matière sur la base d'un travail, et que cette base demeure valable, il n'est pas permis à autrui d'obtenir un nouveau droit de propriété sur cette matière, quand bien même il lui conférerait, par son travail, une nouvelle valeur.
Ainsi, nous pouvons résumer la théorie islamique de la façon suivante :
Si la matière que l'homme-producteur travaille n'était pas, antérieurement, l'objet d'un droit de propriété, la richesse produite revient entièrement à cet homme ; toutes les autres forces participant à la production sont considérées comme des serviteurs de cet homme, dont elles doivent recevoir une récompense, et non pas comme ses associés dans la production sur la base de leur participation au même titre que l'homme.
Mais si la matière était déjà la propriété d'un autre individu en particulier, elle demeure sa propriété quel que soit le développement qu'elle ait subi, et ce conformément au phénomène de la constance, comme nous l'avons vu dans l'exemple de la laine.
D'aucuns pourraient s'imaginer que cette propriété, c'est-à-dire l'appropriation par le propriétaire de la laine du tissu fabriqué à partir de cette laine, et la conservation par le propriétaire de la matière de sa propriété, quel que soit le développement qu'elle subit par suite du travail qu'un tiers y effectue, signifie que la richesse produite devient l'exclusivité du capital et des forces matérielles de la production du fait que la matière de base de la marchandise, la laine dans notre exemple, est considérée du point de vue économique comme une sorte de capital dans l'opération de filage et de tissage, étant donné que la matière brute de tout article produit constitue une sorte de capital dans l'opération de sa production. Mais l'explication du phénomène de la constance sur une base capitaliste est erronée, car conférer au propriétaire de la laine la propriété du tissu que le travailleur a tissé à partir de sa laine, ne se fait pas sur la base du caractère capitaliste de la laine, ni ne signifie que le capital ait le droit de posséder l'article produit -le tissu- en sa qualité de participant ou de fondement dans l'opération de production du tissu.
En effet, la laine, bien qu'elle soit un capital dans l'opération de production du filage et du tissage, en tant que matière première de cette opération, les outils utilisés dans son filage et son tissage ont eux aussi un caractère capitaliste et participent à l'opération en tant qu'une autre sorte de capital, bien qu'ils ne confèrent pas à leur propriétaire la propriété de la richesse produite, ni ne lui permettent de partager avec le propriétaire de la laine la propriété du tissu. Ceci prouve que la théorie islamique, lorsqu'elle conserve au berger la propriété de la laine après que le travailleur en a produit un tissu, ne vise pas, par là, à accorder au seul capital l'exclusivité du droit de prendre possession de la richesse produite -la preuve en est qu'elle n'accorde pas ce droit au capital représenté par les instruments et les outils- mais montre le respect qu'elle a pour la propriété privée déjà acquise dans la matière avant le filage et le tissage. En effet, la théorie considère que le simple fait de développer le bien ne fait pas perdre à celui-ci sa qualité de propriété de son premier propriétaire, même si ce développement conduit à y créer une nouvelle valeur. C'est ce que nous avons appelé le phénomène de la constance dans la propriété.
Donc, le capital et les forces matérielles participant à la production ne confèrent pas, en tant que tels, dans la théorie islamique, le droit dans la richesse produite, car en tant que capital et forces matérielles participant à la production, ils ne sont considérés que comme serviteurs de l'homme, lequel est le pôle principal dans l'opération de la production, et ils reçoivent de lui, à ce titre, leur récompense. Si le berger qui est propriétaire de la laine obtient, dans notre exemple, le droit de propriété du tissu, c'est parce que le tissu est cette même laine qu'il possédait déjà, et non parce que la laine serait un capital dans l'opération de production du tissu.
La séparation, par la théorie, entre la propriété et la valeur d'échange
Quant à l'autre point sur lequel la théorie islamique diffère de la théorie marxiste, c'est le fait que le marxisme, qui accorde à tout individu le droit de s'approprier l'équivalent de la valeur d'échange qu'il a incorporée dans la richesse, croit -du fait qu'il lie la propriété à la valeur d'échange- que le propriétaire des forces et des moyens matériels de la production jouit d'une part dans la richesse produite, étant donné que ces forces et moyens entrent dans la formation de la valeur de l'article produit proportionnellement à ce qui en est consommé pendant l'opération de production, et que le propriétaire de l'instrument consommé devient ainsi propriétaire dans la richesse produite pour laquelle cet instrument a été consommé, proportionnellement à la participation de son instrument dans la formation de la valeur de ladite richesse.
Quant à l'Islam, il sépare, comme nous l'avons déjà appris, la propriété de la valeur d'échange. Ainsi, même si nous supposons scientifiquement que l'instrument de la production entre dans la formation de la valeur du produit proportionnellement à ce qui en est consommé, cela ne signifie pas nécessairement qu'il faille accorder au propriétaire de l'instrument un droit de propriété dans la richesse produite, car l'instrument n'est considéré toujours, dans la théorie islamique, que comme le serviteur de l'homme dans l'opération de la production, et il n'acquiert de droit qu'à ce titre. Tout cela découle de la séparation entre la propriété et la valeur d'échange. Les forces matérielles qui participent à la production reçoivent toujours -sur la base de cette séparation- leur récompense de l'homme, en tant que serviteurs de celui-ci, et non pas de la richesse produite elle-même, en tant que faisant partie de la formation de sa valeur d'échange.
La déduction de la théorie à partir de la superstructure
Ayant passé en revue les divers points de différences entre la théorie islamique et la théorie marxiste, telles que nous les imaginons et les supposons, nous pouvons à présent déterminer les arguments et les justifications de ces différences, à partir de la superstructure que nous avons déjà présentée, et ceci conformément à notre méthode pour découvrir la théorie à partir de sa citadelle législative supérieure.
Tous les points mentionnés dans la superstructure ont en commun un seul phénomène : la matière qui entre dans l'opération de production était antérieurement la propriété d'un individu donné. C'est pourquoi tous ces points affirment qu'elle demeure, après son développement lors de l'opération de production, la propriété de son ancien propriétaire.
Ainsi, l'article que le propriétaire confie à un salarié pour le travailler et le développer, dans le pre- mier point, demeure sa propriété, et le salarié n'a pas le droit de se l'approprier sur la base de son travail, et ce même s'il l'a développé et y a créé une nouvelle valeur, car il faisait déjà, auparavant, l'objet d'une propriété.
Dans le troisième point, le travailleur qui usurpe la terre d'autrui et y plante ses graines, possède la culture produite ; le propriétaire de la terre n'a pas de part dans cette culture, car c'est le cultivateur qui possédait les graines, lesquelles constituent l'élément essentiel de la matière qui s'est développée, à travers la production agricole, en culture. Quant à la terre, en tant que force matérielle participant à la production, elle est considérée, dans la théorie islamique, comme un serviteur du cultivateur, lequel doit lui attribuer -à son propriétaire- une récompense. L'Islam distingue donc entre les graines et la terre, en accordant le droit de propriété au propriétaire des graines sans faire de même pour celui de la terre, bien que toutes deux constituent un capital au sens économique et une force matérielle participant à la production.
Cela nous confirme clairement la vérité que nous avons déjà montrée, à savoir que si le propriétaire de la matière brute que la production travaille et développe possède cette matière après son développement, c'est parce qu'il s'agit de la même matière qu'il possédait déjà, et non pas parce que la matière brute porte le caractère capitaliste dans l'opération de production. Autrement, l'Islam n'aurait pas distingué entre la graine et la terre, ni n'aurait privé le propriétaire de la terre de la propriété de la culture tout en l'accordant au propriétaire des graines, bien que les graines et la terre aient en commun leur caractère capitaliste au sens général du capital, qui comprend toutes les forces matérielles de la production.
Les quatrième et cinquième points s'accordent tous deux sur le principe stipulé par le troisième point, à savoir que la propriété de la culture ou de la récolte est accordée à celui qui possède la matière développée en culture ou récolte lors de la production, à l'exclusion du propriétaire de la terre et du propriétaire de toute autre force parmi celles qui participent à l'opération de la production agricole et qui ont un caractère capitaliste dans l'opération.
Le dernier point accorde la propriété du bénéfice au propriétaire du bien si le contrat de spéculation venait à être résilié, et il n'autorise pas le travailleur à en prendre possession ou à en partager la propriété, car ce bénéfice, bien qu'il soit -le plus souvent- le résultat de l'effort que déploie le travailleur en achetant un article et en le mettant à la disposition des consommateurs, ce qui justifie sa vente à un prix plus élevé, toutefois cet effort n'est que l'équivalent de l'effort du travailleur dans le filage ou le tissage de la laine que possède le berger, et n'a pas d'effet dans la théorie, étant donné que la matière - l'argent de la spéculation ou la laine - est possédé par une propriété antérieure.
Quant au deuxième point, nous l'abordons à part. Il s'agit de ce point qui stipule que si un individu usurpe les oeufs ou les graines d'un autre et qu'il les exploite dans une production animale ou agricole, le produit -poussin ou culture- est, selon l'avis jurisprudentiel dominant, propriété du propriétaire des oeufs ou des graines, et selon un autre avis jurisprudentiel, il devient propriété de l'usurpateur qui a effectué l'opération de la production.
Nous avons vu dans ce point qui expose ces deux avis que leur explication jurisprudentielle tient à la convergence des faqîh quant à la détermination du type de rapport entre les oeufs et l'oiseau des entrailles duquel ils sont sortis, ainsi qu'entre les graines et la culture qui en est résultée. Les uns, croyant à leur unité, et estimant que leur différence est une différence de degré, telle celle entre les planches de bois et le lit qui en sort, adoptent le premier avis, et considèrent la personne dont on a usurpé les oeufs ou les graines comme propriétaire du produit ; les autres, estimant que la matière -les oeufs ou les graines- a disparu dans l'opération de la production et que le produit est une chose nouvelle, selon la norme générale, fondée sur les débris de la première matière grâce au travail de l'usurpateur et à l'effort qu'il a dépensé lors de l'opération de la production, pensent que le propriétaire du produit est l'usurpateur, étant donné que ce produit est une chose nouvelle que le propriétaire des oeufs ou des graines ne possédait pas antérieurement et que, par conséquent, le travailleur, même s'il était usurpateur, a le droit de le posséder sur la base de son travail.
Il ne nous importe pas ici de résoudre jurisprudentiellement cette contradiction entre les deux avis, ni d'examiner les points de vue les concernant. Nous visons seulement à utiliser la signification théorique de cette contradiction pour notre position doctrinale vis-à-vis de la théorie, car ce conflit jurisprudentiel montre avec plus de clarté la vérité que d'autres points de la superstructure ont déjà montrée, à savoir que le fait d'ac- corder au propriétaire de la laine la propriété du tissu, et à celui de toute autre matière la propriété de celle-ci après qu'elle a été utilisée dans l'opération de la pro- duction, n'a nullement pour fondement le fait que la laine ou toute autre matière première soit une sorte de capital dans l'opération de filage ou de tissage, etc. mais la "constance de la propriété" qui stipule que celui qui possède une matière conserve sa propriété tant que cette matière demeure, et que les justifications islamiques de la propriété demeurent. En effet, lorsque les faqîh ont divergé quant à la propriété du produit des oeufs ou des graines, ils ont lié leur position jurisprudentielle vis-à-vis de cette question à leur point de vue sur la nature du lien entre la matière et le résultat. Cela signifie que celui qui accorde à "l'usurpé" la propriété du produit ne le fait pas sur la base d'une conception capitaliste, et que s'il opte pour l'appropriation du produit par le propriétaire des oeufs ou des graines, ce n'est pas parce que celui-ci est le propriétaire du capital ou d'une sorte de capital dans l'opération de la production ; car si tel était le fondement de son option, le résultat jurisprudentiel n'aurait pas différé, pour les faqîh, selon l'unité de la matière et du résultat et de leur multiplication. En effet, la matière est un capital dans l'opération de la production dans tous les cas : qu'elle soit consommée dans l'opération, ou incorporée dans le produit auquel a abouti le travail. Aussi aurait-il été obligatoire pour les faqîh, du point de vue capitaliste, d'accorder au propriétaire de la matière - les oeufs ou les graines- le droit de propriété du produit, quelle que soit la relation entre celui-ci et la matière. Or, contrairement à ce point de vue, ils n'ont accordé au propriétaire de cette matière -les graines par exemple- le droit de propriété sur la culture que s'il était prouvé, dans la norme générale, que le produit est la matière elle-même, à un stade précis de l'évolution. Cela montre clairement que le fait d'accorder la propriété de l'article produit au propriétaire de cette matière et non pas au travailleur s'explique par ce que nous avons appelé "le phénomène de la constance dans la propriété", et ne tire nullement sa justification islamique du point de vue capitaliste stipulant que l'article produit est la propriété du capital, le travailleur étant un salarié du capital, et recevant de celui-ci le salaire de son travail.
Ainsi, nous percevons avec clarté le degré de la différence théorique entre l'explication islamique du fait d'accorder au propriétaire de la matière première de la production la propriété de la richesse produite, et l'expli- cation de ce fait sur la base du point de vue capitaliste.
3- LA LOI GENERALE DE REMUNERATION DES SOURCES MATERIELLES DE LA PRODUCTION
1 - L'homme-producteur peut légalement louer un instrument ou un outil de production à un autre pour s'en servir dans ses opérations, et payer au propriétaire de l'outil une récompense fixée d'accord avec lui. Cette récompense est considérée comme le salaire du propriétaire de l'outil pour le rôle que celui-ci joue dans l'opé- ration de production, et comme une dette que l'homme-producteur doit acquitter, abstraction faite de l'ampleur et de la nature des gains qu'il réalise par l'opération de production. Tout ceci est confirmé par les faqîh.
2 - De même qu'il peut louer un outil de production, tel que charrue, atelier de tissage, etc., de même l'homme-producteur peut louer, contre une indemnité fixée, une terre à son maître qui en a l'usage exclusif en tant que droit ou propriété. Si vous êtes cultivateur, par exemple, vous pouvez utiliser la terre d'autrui, avec son accord, contre paiement d'une indemnité pour le récompenser du service que sa terre vous a rendu dans l'opération de production.
Ce statut a l'aval de la plupart des faqîh musulmans. Il n'y a pas, sur ce point, de désaccord, si ce n'est chez certains Compagnons et un nombre limité de penseurs musulmans qui ont nié la licéité du louage de la terre, invoquant quelque hadith attribués au Prophète (Ç), et que nous étudierons dans un prochain chapitre pour montrer qu'ils ne contredisent pas l'avis jurisprudentiel dominant.
De même, il est permis de louer les services d'un ouvrier pour la couture de vêtements, le tissage de laine, la vente de livres, l'achat de marchandises commerciales. Si le salarié accomplit la mission qui lui est confiée, celui qui loue ses services doit lui payer le salaire convenu.
3 - L'Islam a institué le bail à métayage comme moyen d'organiser une association déterminée entre le propriétaire de la terre et le cultivateur, bail en vertu duquel le cultivateur s'engage à cultiver la terre et à partager avec le propriétaire de la terre le produit de son travail, et dans lequel la part de chacune des deux parties contractantes est fixée par un pourcentage du total du produit.
Faisons notre idée du bail à métayage à partir d'un texte du Chaykh al-Tûsî, dans son livre "Al-Khilâf", dans lequel texte il explique le concept de métayage et ses limites légales :
«Le propriétaire de la terre peut légalement fournir celle-ci à un tiers contre une partie de ce qui y pousse. Il fournit la terre et les graines, alors que le preneur(188) doit la cultiver, l'arroser, et en prendre soin.»(189)
A la lumière de ce texte, nous apprenons que le bail à métayage est une association entre deux parties : l'une, le travail accompli par le travailleur-cultivateur, l'autre, la terre et les graines fournies par le propriétaire de la terre. En vertu de cette précision apportée par le Chaykh al-Tûsî, il est illicite de conclure le bail à métayage en convenant que le propriétaire de la terre fournit sa terre, et qu'il charge le travailleur à la fois du travail et des graines, étant donné que la fourniture des graines par le propriétaire de la terre est une condition essentielle du bail à métayage, mentionnée dans le texte précité. La question des graines étant soulignée dans ce texte, nous pouvons comprendre maintenant -à sa lumière- l'interdiction de la "mukhâbarah" (fermage) faite par le Prophète (Ç). En effet, la "mukhâbarah" est une sorte de métayage dans lequel le propriétaire de la terre est tenu de fournir la terre sans les graines. Ainsi, nous savons, d'après les limites du texte du Chaykh al-Tûsî, que l'engagement du propriétaire de la terre de fournir les graines au travailleur est un élément essentiel dans le bail à métayage, élément à défaut duquel le bail n'est pas valable.
Ce point de vue est également partagé par de nombreux faqîh. Ainsi, Ibn Qudâmah écrit :
«Il apparaît de la doctrine (math-hab) que le bail à métayage est valable si les graines sont fournies par le propriétaire de la terre, et le travail par le travailleur. C'est ce que Ahmad(190) a ressorti d'après un groupe, et c'est ce qu'ont choisi l'ensemble des Compagnons, et c'est enfin la doctrine d'Ibn Sîrîn, de Châfi'î et de Ishâq.»(191)
4 - Le bail à arrosage (musâqât) est un autre contrat similaire au bail à métayage. Il s'agit d'une sorte de convention entre deux personnes, l'une possédant des arbres ou des plantations, l'autre prête à effectuer leur arrosage jusqu'à ce qu'ils portent leurs fruits.
Dans ce contrat, le travailleur s'engage à arroser ces arbres et plantations jusqu'à ce qu'ils fructifient, contre le partage des fruits avec le propriétaire, selon un pourcentage déterminé dans le contrat.
L'Islam a autorisé cette sorte de contrat, dans de nombreux textes jurisprudentiels.
5 - La responsabilité du propriétaire de la terre ne se limite pas à la fourniture de la terre seulement. Il doit aussi fournir les dépenses nécessaires pour fumer la terre, si celle-ci en a besoin. Al-'Allâmah al-Hillî écrit, dans "Al-Qawâ'id" :
«Si la terre a besoin de fumier, le propriétaire doit l'acheter, et l'ouvrier le répandre.»(192)
Plusieurs autres sources jurisprudentielles, telles que "Al-Tath-kirah", "Al-Tahrîr", "Jâmi' al-Maqâçid", ont confirmé cet avis.
6 - La spéculation (mudhârabah), en Islam, est un contrat légal, dans lequel le travailleur conclut, avec le capitaliste, un accord pour commercer avec son argent, moyennant le partage des bénéfices selon un pourcentage déterminé. Si le travailleur réalise des bénéfices dans son commerce, il les partage avec le capitaliste, conformément à l'accord intervenu dans le contrat. Mais s'il perd, c'est le capitaliste qui supporte tout seul la perte, alors que le travailleur accepte la perte de ses efforts et de ses peines qui n'ont abouti à rien. Le propriétaire capitaliste n'a pas le droit de faire supporter au travailleur cette perte. Toutefois, si le travailleur se porte garant contre toute perte dans un cas donné, le capitaliste n'a pas droit aux bénéfices, comme le précise l'Imam 'Alî (S) :
«Si quelqu'un garantit un commerçant [du remboursement de son capital en cas de perte], celui-ci n'a droit qu'à son capital, et rien dans les bénéfices.»
Dans un autre hadith, il est précisé que :
«Celui qui obtient la garantie d'une spéculation [c'est-à-dire le capitaliste qui obtient du travailleur-spéculateur la garantie du remboursement de son capital] n'aura que le capital, et rien dans les bénéfices.»
Par conséquent, l'existence du risque pour le capitaliste, et le fait que le travailleur ne lui garantisse pas le remboursement de son capital, est une condition fondamentale de validité du contrat de spéculation, condition à défaut de laquelle l'opération devient un prêt, et non pas une spéculation, et le bénéfice dans sa totalité en revient au travailleur.
De même, il n'est pas permis au travailleur ayant déjà conclu un contrat de spéculation avec un capitaliste, de confier son travail à un autre travailleur qui accepterait de recevoir un pourcentage moindre que le bénéfice devant revenir au premier, et d'obtenir, en fin de compte, la différence entre les deux pourcentages (le bénéfice réalisé qui devrait revenir au travailleur, et la part qu'il donne effectivement à celui qui s'est chargé de la spéculation), sans qu'il travaille lui-même ; c'est-à-dire, par exemple, s'il s'était mis d'accord avec le capitaliste sur le partage à cinquante-cinquante des bénéfices réalisés, et que le second travailleur se contente de vingt-cinq pour cent, et qu'il obtienne lui-même, en fin de compte, vingt-cinq pour cent des bénéfices, de cette façon, sans avoir déployé aucun effort.
Al-Muhaqqiq al-Hillî souligne, dans le chapitre de la spéculation du livre "Al-Charâ'i'", l'illicéité d'une telle pratique :
«Si le travailleur conclut un accord de prêt [c'est-à-dire de spéculation] avec un autre travailleur, et que cet accord soit conclu avec le consentement du propriétaire, et à la condition que le bénéfice soit partagé entre le second travailleur et le propriétaire, le contrat est valable. Mais s'il met comme condition, une part pour lui-même dans le bénéfice, le contrat ne sera pas valable, étant donné qu'il n'effectue aucun travail dans l'opération.»(193)
Selon un hadith, lorsqu'on a demandé à l'Imam 'Alî (S) si un homme qui emprunte de l'argent en vue d'une spéculation, a le droit de charger un autre de faire le travail, avec une part dans le bénéfice inférieure à la part qui devait revenir initialement à celui qui effectue le travail, il a répondu que non(194).De même, il est dit dans le livre "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, à ce propos :
«Si le capitaliste autorise le premier travailleur à confier l'argent de la spéculation à un tiers, cela est licite. Si le premier travailleur confie le capital à un autre travailleur sans demander une part de bénéfice pour lui-même, le contrat est valable. Mais s'il exige une part du bénéfice pour lui-même, le contrat n'est pas valable, étant donné qu'il ne fournit ni le capital, ni le travail, et que le bénéfice n'est mérité que par l'un de ces deux travailleurs.»(195)
7 - L'intérêt usuraire sur le prêt est interdit en Islam. L'intérêt usuraire consiste à prêter à autrui une somme d'argent pour une certaine échéance, à condition que l'emprunteur paie un intérêt lorsqu'il règle la somme à l'échéance convenue. Le prêt n'est permis que s'il est consenti sans intérêt. Le prêteur n'aura que la restitution de la somme prêtée, sans aucune augmentation, si insignifiante soit-elle. Ce statut est considéré, islamiquement, quant au degré de son évidence, au même rang que les nécessités dans la Législation islamique.
Les Versets coraniques suivants suffisent pour prouver ce statut :
«Ceux qui se nourrissent de l'usure ne se dresseront au Jour du Jugement que comme se dresse celui que le démon a violemment frappé. Il en sera ainsi parce qu'ils disent : La vente est semblable à l'usure. Mais Allah a permis la vente, et IL a interdit l'usure. Celui qui renonce au profit de l'usure, dès qu'une exhortation de son Seigneur lui parvient, gardera ce qu'il a gagné. Son cas relève d'Allah. Mais ceux qui retournent à l'usure seront les hôtes du Feu, où ils demeureront immortels.» (Sourate al-Baqarah, 2 : 175)
«O vous qui croyez ! Craignez Allah ! Renoncez, si vous êtes croyants, à ce qui vous reste des profits de l'usure !» (Sourate al-Baqarah, 2 : 178)
8 - Ce dernier Verset coranique limite le droit du prêteur au capital qu'il a prêté, et ne l'autorise, s'il se repent, qu'à récupérer son bien originel ; c'est une preuve évidente de l'interdiction de prêter avec intérêt, et de la prohibition de l'intérêt sous toutes ses formes, et si insignifiant et si dérisoire soit-il, car il est considéré comme une sorte d'injustice faite par le prêteur à l'emprunteur, selon la conception coranique. Tous les faqîh de la Ummah sont d'accord sur ce statut, si l'on en croit leurs sources jurisprudentielles.
Ainsi, al-Jazîrî rapporte, en se référant aux faqîh mâlikites, qu'il est interdit au prêteur d'assortir le prêt d'une condition entraînant un profit, et en se référant aux faqîh châfi'ites, que le prêt est rendu caduc s'il est assorti d'une condition de profit pour le prêteur, et en se référant aux hanafites, qu'il n'est pas autorisé d'assortir le contrat de prêt d'une condition entraînant un profit pour le prêteur(196).
Selon Ibn Qudâmah :
«Il n'est autorisé en aucun cas que le prêteur consente un prêt sous la condition que l'emprunteur accepte de lui louer sa maison, ou de lui vendre quelque chose, ou de lui consentir à son tour un prêt [dans l'avenir]. Abû Mûsâ, cité par Abî Bardah, cité par al-Bukhârî, raconte : "Je suis allé à Médine, et je me suis rendu chez 'Abdullâh ibn Salam, lequel m'a cité un hadith et m'a dit : Tu es sur une terre dans laquelle l'usure est répandue. Si quelqu'un a une dette envers toi, et qu'il t'offre un chargement de figues, d'orge ou de qât(197), refuse-le, car c'est de l'usure."»(198)
9 - Selon un hadith du Prophète (Ç), le pire du gain est l'usure. Celui qui en mange, Allah remplit son ventre d'une quantité de feu de la Géhenne équivalente à celle qu'il a mangée, et s'il gagne un bien de cette façon, Allah n'acceptera rien de son action (d'adoration), et tant qu'il en possède un carat, il sera l'objet de l'anathème d'Allah et des Anges.
10 - L'indemnité (al-Ju'âlah) est autorisée par la Charî'ah. Elle consiste en un engagement par lequel quelqu'un promet de récompenser un travail licite. L'exemple en est lorsqu'on annonce une récompense d'un dinar pour celui qui retrouve le livre que l'on a perdu, ou quand un homme alloue un dirham pour quiconque raccommode son vêtement. Ici, le dinar ou le dirham est une compensation que le propriétaire du livre ou du vêtement s'est engagé à payer à celui qui accomplit un travail concernant son bien. Il n'est pas obligatoire que la compensation soit déterminée, comme le dirham ou le dinar. On peut annoncer une compensation dont la nature n'est pas déterminée, et sous cette forme : "Celui qui accepte de planter ma terre que voici, aura la moitié de la récolte" ; ou encore : "Celui qui me rapportera mon stylo que j'ai perdu aura une part de cinquante pour cent". C'est du moins ce qu'ont expliqué al-'Allâmah al-Hillî dans "Al-Tath-kirah"(199), son fils dans "Al-Îdhâh", al-Chahîd dans "Al-Masâlik", al-Muhaqqiq al-Najafî dans "Al-Jawâhir".
La différence entre l'indemnité (ju'âlah) et le louage (ajârah), du point de vue jurisprudentiel, réside en ceci que si vous louez les services d'une personne pour recoudre votre vêtement, par exemple, vous devenez, en vertu du contrat de louage, propriétaire de l'un des services de la personne dont vous avez loué les services, en l'occurrence son travail de couture de votre vêtement ; alors que la personne dont les services ont été loués possède la rétribution précisée dans le contrat. Tandis que lorsque vous allouez un dirham à celui qui recoud votre vêtement, vous ne possédez rien du travail de couture, et le couturier ne pourra rien vous réclamer tant qu'il n'aura pas commencé le travail. Mais lorsqu'il aura terminé la couture, vous lui devrez le dirham que vous avez annoncé comme récompense du travail de couture.
11 - La spéculation dont il a été question au point n° 6 est définie législativement dans le cadre des opérations de vente et d'achat : quiconque possède un article, ou de l'argent, a la possibilité de conclure un accord avec un travailleur, qui se charge de commercer avec son argent, de vendre son article, ou d'acheter avec cet argent un article pour le revendre ensuite. Dans cette opération, le propriétaire partage, selon un pourcentage déterminé, le bénéfice réalisé par le travailleur, comme cela a été indiqué au paragraphe 6.
Mais, en dehors du cadre commercial limité jurisprudentiellement aux opérations de vente et d'achat, la spéculation n'est pas admise. Ainsi, celui qui possède un outil de production, par exemple, ne pourra pas conclure un contrat de spéculation avec un travailleur sur la base de cet outil. S'il le met à la disposition du travailleur pour qu'il l'exploite, il n'a pas le droit d'en exiger une part des bénéfices résultant de l'opération de production, ni un pourcentage dans la production.
C'est pour cette raison qu'al-Muhaqqiq al-Hillî écrit, dans le chapitre de la "spéculation" de son livre "Al-Charâ'i'" :
«Si un propriétaire met à la disposition d'un travailleur un outil de chasse, contre une participation au tiers du produit, par exemple, et que le travailleur ait une prise, cela ne constituera pas un contrat valable de spéculation. La prise devra légalement revenir dans sa totalité au chasseur, le propriétaire de l'outil n'y aura aucune part. Mais le chasseur devra lui payer le loyer de l'outil qu'il a utilisé.»(200)
Le faqîh al-Hanafî al-Sarkhacî a mentionné le même statut :
«Si quelqu'un prête, sur une base de partage de la prise, à autrui un filet, en vue de pêcher des poissons, et que ce dernier attrape une grande quantité de poissons, toute la prise reviendra à celui qui a pêché, car l'acquéreur est celui qui réalise la prise, et non pas l'outil. En conséquence, la prise sera à lui, et comme il a utilisé l'outil d'autrui, il devra en indemniser le propriétaire, et le montant de l'indemnité n'étant pas préalablement fixé, il devra payer le prix courant.»(201)
Ainsi, il ressort que la simple participation par un outil à l'opération de production ne justifie pas la participation du propriétaire de l'outil aux bénéfices. Le propriétaire est autorisé à partager le bénéfice du travailleur seulement lorsqu'il lui fournit un article ou de l'argent en le chargeant de l'utiliser en vue d'en faire un moyen de commerce consistant en achat et vente, et fondé sur le partage des bénéfices.
Et, de même qu'il n'est pas permis de fonder la spéculation et le partage des bénéfices sur l'outil de production, de même il n'est pas permis d'établir un contrat de métayage (contrat dont nous avons parlé au paragraphe 3) sur cette même base. Ainsi, le propriétaire d'outils de production n'a-t-il pas le droit de partager avec le travailleur sa production agricole au motif qu'il lui aurait seulement fourni les outils de production, tels que charrue, boeufs, outils. Un tel partage est possible seulement pour celui qui participe à la fois par la terre et les graines, comme cela a été indiqué dans le texte du Chaykh al-Tûsî cité précédemment.
12 - On n'a pas le droit de louer une terre ou un outil de production à un prix donné, pour le sous-louer à un prix supérieur sans avoir apporté à la terre ou à l'outil un travail qui justifie la hausse que l'on demande. Ainsi, si vous louez une terre pour dix dinars, vous n'avez pas le droit de la sous-louer à un tiers avec un loyer supérieur à celui que vous avez payé initialement au propriétaire de cette terre, si vous n'avez pas dépensé sur cette terre un effort -pour la bonifier et fertiliser son sol- qui justifie la différence de prix que vous prélevez.
Ce statut est formulé d'une façon ou d'une autre par un groupe de grands faqîh, tels que al-Sayyed al-Murtadhâ, al-Halûb, al-Çadûq, Ibn al-Barrâj, al-Chaykh al-Mufîd et al-Chaykh al-Tûsî, qui se réfèrent à de nombreux hadith dont nous soulignons ci-après quelques-uns.
a) Le hadith de l'Imam al-Çâdiq (S), rapporté par Sulaymân ibn Khâlid :
«Je déteste de louer le moulin à bras uniquement dans le but de le sous-louer ensuite à un prix supérieur au prix que je l'ai loué, sans y effectuer quelque chose.»(202)
b) Al-Halabî rapporte :
«J'ai demandé à al-Çâdiq (S) :
Acceptes-tu la terre sur la base [d'une participation] du tiers ou du quart [de la production] pour me la consentir sur la base de moitié-moitié ?
Pourquoi pas, répondit-il ?
Je lui dis alors :
L'acceptes-tu contre mille dirham, pour me la consentir contre deux mille [dirham] ?
Non, cela n'est pas licite, répondit-il.
Pourquoi cela, lui dis-je ?
Parce que le premier cas est garanti, et le second n'est pas garanti.»(203)
c) Le hadith de l'Imam al-Çâdiq (S), rapporté par Ishâq ibn 'Ammâr :
«Si vous louez une terre contre (paiement d'une quantité) de l'or ou de l'argent, ne la sous-louez pas contre une quantité supérieure d'or ou d'argent. Mais si vous la louez sur la base du partage (de la production) à cinquante-cinquante ou un tiers-deux tiers, vous pouvez la sous-louer pour plus que ce pour quoi vous l'avez louée, car l'or et l'argent constituent une garantie.»
d) Ismâ'îl ibn al-Fadhl al-Hâchimî raconte :
«J'ai demandé à Ja'far ibn Muhammad al-Çâdiq (S) s'il est permis que quelqu'un loue du sultan une terre "kharâjite" en échange d'une quantité donnée de dirham ou de denrées alimentaires, et qu'il la sous-loue ensuite à la condition de partager avec celui qui la cultivera [la récolte] à raison de moitié-moitié, ou un peu plus, ou un peu moins, et de lui laisser ensuite le reste. Oui, s'il a creusé une rivière, ou fait quelque chose par quoi il l'aide [le sous-locataire](204).
Et je lui ai demandé :
Si quelqu'un loue une terre kharâjite contre une quantité donnée de dirham ou une denrée alimentaire donnée, et qu'il la sous-loue ensuite, entièrement ou par parcelles, contre quelque chose, et qu'il obtienne de ce fait un surplus par rapport au prix payé au sultan, et ce sans qu'il n'y dépense rien, ou bien s'il sous-loue cette terre par parcelles en fournissant [aux travailleurs] les graines et les frais, et que de ce fait il aura un surplus par rapport au loyer qu'il a payé, dans tous ces cas, le sol de la terre lui appartient-il, ou non ?
Si tu loues une terre et que tu y consentes des dépenses, ou que tu y effectues des réparations, dans de tels cas ce que tu viens de soulever est valable, répondit l'Imam al-Çâdiq (S).»
e) Le hadith de l'Imam al-Çâdiq (S) rapporté par Abî Baçîr, et selon lequel :
«Si vous louez une terre contre (paiement d'une quantité) de l'or ou de l'argent, ne la sous-louez pas contre une quantité supérieure d'or ou d'argent. Mais si vous la louez sur la base du partage (de la production) à cinquante-cinquante ou un tiers-deux tiers, vous pouvez la sous-louer pour plus que ce pour quoi vous l'avez louée, car l'or et l'argent constituent une garantie.»
f) Le hadith de l'Imam al-Çâdiq (S) rapporté par al-Halabî, concernant le statut d'un homme qui loue une maison pour la sous-louer ensuite à un prix supérieur. L'Imam al-Çâdiq (S) dit à ce propos :
«Cela n'est licite que si le premier locataire opère quelque chose [dans la maison louée].»
g) Selon Ishâq ibn 'Ammâr, l'Imam Muhammad al-Bâqir (S) a dit :
«On peut louer une maison, une terre ou un bateau, pour les sous-louer ensuite à un prix supérieur au loyer originel, après y avoir effectué des réparations.»
h) Selon Somâ'ah :
«Lorsque j'ai demandé à l'Imam al-Bâqir (S) le statut d'un homme qui loue un pâturage à cinquante dirham ou plus ou moins, en vue de s'en servir comme pâturage, et qui accepte que d'autres l'exploitent avec lui à condition de payer le prix qu'il a lui-même payé, l'Imam a répondu :
Il peut amener qui il veut contre une partie du prix qu'il a payé. Il peut par exemple s'associer avec d'autres contre quarante-neuf dirham, et il aura payé ainsi un dirham pour le pâturage de son bétail, même s'il a déjà exploité la prairie pendant un ou deux mois ou davantage, à condition qu'il en informe ses futurs associés. Mais il n'a pas le droit de revendre(205) sa concession à cinquante dirham tout en partageant l'exploitation du pâturage avec les sous-locataires, ni à plus de cinquante dirham, même sans partager l'exploitation, à moins qu'il n'ait effectué un travail dans la prairie -creusement d'un puits, ou d'un ruisseau, par exemple- avec le consentement des propriétaires de la prairie ; dans ce cas, il peut la revendre à un prix supérieur à celui auquel il l'a achetée.»(206)
Al-Jazîrî a rapporté des faqîh hanafites que si quelqu'un loue une maison ou une boutique à un prix donné, par exemple une livre par mois, il n'a pas le droit de les sous-louer à autrui à un prix supérieur(207) ; ceci est identique au jugement des faqîh imamites, comme nous l'avons déjà vu.
Selon al-Sarkhacî al-Hanafî, citant dans son "Al-Mabsût", al-Cha'bî :
«On peut louer une maison et la sous-louer ensuite à un prix supérieur au loyer initial, si le premier locataire en ouvre et referme la porte pour en sortir les meubles. Ici, l'augmentation est licite.»
Al-Sarkhacî commente cet avis pour justifier l'augmentation comme suit :
«Il a le droit d'augmenter le prix s'il y effectue un travail, tel que l'ouverture de la porte, l'enlèvement des meubles, l'augmentation étant ici justifiée par son travail. Mais c'est une augmentation au sujet de laquelle nos prédécesseurs étaient en désaccord. Ainsi, Ibrâhîm détestait [considérait comme répréhensible] l'augmentation, sauf si on ajoute quelque chose [dans l'immeuble loué]. Donc, si on ajoute quelque chose, l'augmentation est licite. Aussi nous en tenons-nous à l'avis d'Ibrâhîm.»(208)
De même qu'il n'est pas permis à celui qui loue une terre ou un outil de production de le sous-louer plus cher, de même il ne lui est pas permis de se mettre d'accord avec un autre pour accomplir un travail contre un salaire déterminé, et de confier ce travail à un autre travailleur contre un salaire inférieur à celui qu'il a touché dans le contrat initial, dans le but de conserver pour lui-même la différence entre les deux salaires.
En effet, selon le témoignage de Muhammad ibn Muslim, il a demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) s'il était admis qu'un homme accepte d'accomplir un travail mais le confie ensuite à un tiers pour réaliser de cette façon un profit. L'Imam al-Çâdiq a répondu :
Non, sauf s'il accomplit une partie du travail.
Selon un autre récit, l'Imam al-Bâqir (S) a répondu par la négative à la question de savoir «s'il est permis à un homme d'accepter un travail, mais d'en confier l'accomplissement à un tiers pour réaliser un profit [de cette opération]», que lui avait posée Abû Hamzah.
Selon un troisième texte, quelqu'un a demandé à cet Imam «s'il est permis à un tailleur d'accepter un travail, mais qu'il se contente de couper le tissu pour le confier ensuite à quelqu'un d'autre qui le coudra, et réaliser ainsi un surplus», et l'Imam a répondu :
Oui, c'est possible, puisqu'il y a accompli un travail.
Selon Mujma' :
«J'ai demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) :
J'accepte les tissus pour les coudre, mais je les confie à des garçons contre les deux tiers de la somme reçue.
Il m'a demandé :
N'y effectues-tu pas un travail ?
J'ai répondu :
Je les coupe, et j'achète les fils.
Dans ce cas, c'est possible.»
Selon un autre récit :
«Un orfèvre a demandé à Abî 'Abdullâh al-Çâdiq (S) :
J'accepte un travail, puis je le confie à des garçons qui travaillent avec moi pour les deux tiers du salaire.
L'Imam a répondu :
Cela n'est permis que si tu y travailles avec eux.»(209)
Nous avons déjà étudié sur le plan théorique le statut d'un travail qui exploite une matière qui ne constituait pas antérieurement la possession d'une autre personne, et nous avons pu constater clairement que la théorie islamique de la distribution de la post-production accorde au travailleur dans ce cas toute la richesse qu'il a réalisée à travers l'opération de la production, et n'y associe pas les éléments matériels, lesquels sont des forces qui servent l'homme-producteur et ne s'élèvent pas à son niveau ; c'est pourquoi ils reçoivent de l'homme leur récompense, et ne partagent pas avec lui la production.
Nous avons étudié également le statut du travail d'une matière qui constitue la propriété d'un tiers, tel le cas du filage d'une laine appartenant au berger, et nous avons appris que, selon la théorie, la matière demeure dans ce cas la propriété de son propriétaire, et que ni le travail, ni les éléments matériels qui participent à l'opération de la production n'y ont de part. Toutefois, le propriétaire de cette matière doit récompenser ces éléments pour les services qu'ils lui ont rendus pour développer et améliorer la matière.
Nous voudrions à présent étudier, à travers la nouvelle superstructure, cette récompense qu'obtiennent les éléments ou les sources de la production dans ce cas, et découvrir ses limites et sa nature (de la récompense), et par conséquent son fondement théorique.
C'est en déterminant la nature de la récompense à laquelle ont droit les sources de la production (travail, terre, outil de production, capital) que nous saurons les limites du gain que l'Islam a autorisé à la suite de l'appropriation d'une source de production, et quelles sont les justifications théoriques en Islam de ce gain fondé sur la propriété de ces sources.
La coordination de la superstructure
Tirons à présent, par une opération de coordination de la nouvelle superstructure, les résultats généraux auxquels celle-ci aboutit, puis nous essaierons d'unir ces résultats dans un ensemble théorique cohérent.
Le travail accepte, selon cette superstructure de la législation islamique, deux procédés pour déterminer la récompense qu'il mérite, et le travailleur a le droit de choisir l'un de ces deux procédés :
a) le procédé du salaire ;
b) le procédé de la participation aux bénéfices ou au produit.
Ainsi, le travailleur peut demander comme récompense de son travail un bien déterminé quantitativement et qualitativement. Il peut également demander qu'on l'associe au bénéfice et au produit, et se mettre d'accord avec le propriétaire du capital sur un pourcentage déterminé dans le bénéfice ou le résultat, constituant la récompense de son travail. Le premier procédé a l'avantage de l'élément de garantie, car si le travailleur est d'accord pour être récompensé par une somme d'argent déterminée, ce que nous appelons salaire ou loyer, le propriétaire du capital doit lui payer cette somme déterminée, abstraction faite des résultats du travail ou des éventuels bénéfices ou pertes auxquels aboutit la production. Mais si le travailleur propose de participer avec le propriétaire du capital à la production ou aux bénéfices selon un pourcentage déterminé, dans l'espoir d'obtenir de cette façon une plus grande récompense, il aura lié son sort à l'opération qu'il exerce et perd ainsi la garantie, car il est possible qu'il n'obtienne rien s'il n'y a pas de bénéfice, mais il est possible aussi qu'il obtienne une récompense ouverte et non limitée qui dépasse dans la plupart des cas le salaire fixe, puisque le bénéfice ou le produit est, ici, une quantité qui peut diminuer ou augmenter, et lier la récompense du travail au bénéfice ou au produit, selon un pourcentage déterminé, signifie que la récompense peut elle aussi diminuer ou augmenter par voie de conséquence. Chacun des deux procédés a donc ses avantages.
L'Islam a soumis le premier procédé -le salaire- à la législation du louage, comme nous l'avons vu dans le premier paragraphe, et le second, à la législation du statut du fermage, du contrat d'arrosage, de la spéculation et de la prime, comme nous l'avons vu dans les paragraphes 3, 5, 8, 6. Ainsi, dans le contrat de fermage, le travailleur peut se mettre d'accord avec le propriétaire de la terre et des graines pour utiliser la terre en vue de la plantation des graines, et partager le produit entre eux. Dans le contrat d'arrosage, le travailleur peut conclure avec le propriétaire d'arbres un contrat aux termes duquel il s'engage à arroser ces arbres contre un pourcentage des fruits qu'ils portent. Dans le contrat de spéculation, le travailleur a l'autorisation de faire le commerce d'un article pour le compte du capitaliste et de partager avec lui les bénéfices. Dans le contrat de prime, un commerçant de bois, par exemple, peut se déclarer disposé à offrir à toute personne qui lui fabriquerait un lit avec le bois qu'il lui fournit, la moitié du prix du lit. De cette façon, la récompense du travailleur est liée au sort de l'opération qu'il effectue.
Dans les deux procédés de détermination de la récompense du travailleur, le propriétaire du capital n'a pas le droit de faire supporter au travailleur une partie de la perte. Il doit assumer lui-même toute la perte. La part du travailleur dans la perte se limite à celle de ses efforts lorsqu'il s'associe avec le capitaliste par un contrat de spéculation.
Quant aux outils de production, c'est-à-dire le matériel et les instruments utilisés dans l'opération, tels que le fuseau, la charrue, qui sont utilisés dans le filage de la laine et dans le labourage de la terre, leur récompense se limite légalement à un seul procédé : le loyer. Ainsi, si vous désirez utiliser une charrue appartenant à autrui, ou un filet que possède un particulier, vous pouvez les louer à leurs propriétaires, comme nous l'avons vu au paragraphe 2 de la superstructure. Le propriétaire n'a pas le droit de réclamer une récompense consistant en sa participation aux bénéfices, car le pourcentage du bénéfice autorisé pour le travail est interdit pour les outils de production. Le propriétaire de l'outil n'a pas le droit de faire de son outil un objet de spéculation avec un travailleur, c'est-à-dire de confier à ce dernier un filet en vue de la pêche, par exemple, dans le but de partager avec lui les bénéfices qu'il réalise, comme nous l'avons vu au paragraphe 10 de la superstructure. De même, il n'est pas permis à quelqu'un qui possède une charrue, des boeufs ou un outil agricole, de faire de son outil la base d'un contrat de fermage, en le confiant à un agriculteur dans le but de l'utiliser dans son travail et de partager avec lui le produit, comme cela a été expliqué au paragraphe 3 de la superstructure. Car nous avons appris d'un texte jurisprudentiel du Chaykh al-Tûsî que le contrat de fermage s'établit entre deux individus, dont l'un fournit la terre et les graines, l'autre le travail, et il ne suffit pas, pour être valable, que le premier fournisse seulement l'outil de production. Il en va de même pour le contrat de prime, qui permet au fabricant de lits de bois de partager les bénéfices avec le propriétaire du bois, comme cela a été dit dans le paragraphe 8, puisque ce dernier (le propriétaire du bois) peut promettre la moitié du bénéfice à quiconque accepte de fabriquer des lits avec son bois, mais il ne lui est pas permis d'établir un contrat de prime dans lequel il accorderait la moitié des bénéfices à quiconque lui fournirait les outils de production dont il a besoin pour couper le bois et en fabriquer un lit, étant donné qu'en Islam, l'indemnité (Ju'âlah) consiste en une récompense qu'une personne désirant accomplir un travail, fixe préalablement, et non pas une récompense pour un service quelconque.
En tout état de cause, l'outil de production ne participe pas aux bénéfices ; il perçoit seulement le loyer. Le gain résultant de la possession de l'outil est plus limité que le gain résultant du travail, car alors que celui-là n'a qu'une seule forme, celui-ci en a deux.
A l'opposé des outils de production, le capital commercial n'autorise pas le gain sur la base des salaires. Ainsi, le propriétaire d'un fonds n'a pas le droit de prêter ce fonds pour en obtenir des intérêts ; c'est-à-dire qu'il n'a pas le droit de confier son argent à un tiers pour qu'il s'en serve dans un projet commercial, et d'en percevoir un loyer pour l'argent prêté, car le loyer jouit de l'avantage de la garantie et n'est pas lié aux résultats de l'opération (gain ou perte). La perception d'un tel loyer n'est rien d'autre que de l'usure, légalement interdite selon le paragraphe 7. Le propriétaire de l'argent ou de l'outil peut confier son bien au travailleur pour en commercer. En cas de perte, c'est lui seul qui assume la perte, alors que le travailleur participe aux bénéfices selon un pourcentage déterminé au cas de bénéfice. La participation aux bénéfices et l'acceptation de la totalité de la perte constituent le seul statut du capital.
Ainsi, nous savons maintenant que l'outil de production et le capital commercial sont à l'opposé en ce qui concerne la façon légale de gagner. Chacun d'eux a sa façon propre, alors que le travailleur, lui, réunit les deux façons.
Quant à la terre, elle est comme l'outil de production. Il lui est permis de réaliser un gain sur la base du loyer, et il lui est interdit de participer au produit et aux bénéfices de l'opération agricole.
Certes, dans un contrat de fermage, le propriétaire de la terre participe aux bénéfices selon un pourcentage ; mais nous avons appris du texte jurisprudentiel du Chaykh al-Tûsî (paragraphe 3) que le contrat de fermage est valable lorsqu'il est conclu entre deux personnes dont l'une est le travailleur, l'autre celle qui fournit la terre et les graines. Ainsi, le propriétaire de la terre, dans le contrat de fermage, est aussi le propriétaire des graines selon l'avis du Chaykh al-Tûsî -comme cela ressort dudit texte. Donc, sa participation au produit n'a pas pour fondement la terre, mais sa possession de la matière, en l'occurrence les graines.
Le gain est fondé sur la base du travail effectué
Ayant coordonné la superstructure, et résumé ses phénomènes généraux, il nous est facile de parvenir à l'aspect doctrinal de la théorie, lequel lie ces phénomènes les uns aux autres et les unifie, et de connaître la base qui explique la diversité du gain résultant de la propriété des sources de la production et qui justifie l'autorisation de certaines catégories de ces gains, et l'interdiction d'autres.
La base que toutes les législations de la superstructure s'accordent pour souligner ou suivre est le gain qui ne se fonde que sur la base de l'accomplissement d'un travail dans le projet, et dans ce cas le travail effectué est la seule justification essentielle qui permet au travailleur d'obtenir une récompense du propriétaire du projet pour le compte duquel il a effectué le travail ; et sans une participation par un travail effectué, il n'y a pas de justification pour un gain.
Cette base a une signification positive, et une autre négative. Positive, elle postule que le gain à base de travail effectué est autorisé. Négative, elle stipule l'abolition du gain non fondé sur la base du travail effectué dans un projet.
L'aspect positif de la
base
L'aspect positif se reflète dans les statuts de l'Ajârah,
du louage (paragraphes 1 et 2). En effet, il est permis au salarié,
embauché pour travailler dans le cadre d'un projet donné,
d'obtenir un salaire en récompense de son travail effectué
dans ledit projet.
Il est permis aussi à quiconque possède un outil de production de donner celui-ci à une autre personne pour qu'elle l'utilise dans son projet, contre une indemnité qu'elle paie au propriétaire de l'outil, étant donné que l'outil incarne un travail emmagasiné qui se dissipe et se disloque lors de son utilisation dans l'opération productive. Ainsi, le fuseau incarne, par exemple, un travail transformant un morceau de bois ordinaire en un instrument de filage, et ce travail qui y est emmagasiné, se dépense et se consume progressivement lors des opérations de filature, ce qui procure au propriétaire du fuseau le droit d'obtenir un gain résultant de la consommation du travail emmagasiné dans l'instrument. Le salaire qu'obtient le propriétaire de l'outil est du type du salaire qu'obtient le salarié. L'origine des deux salaires à la fois est le gain à base d'un travail effectué dans le projet, avec toutefois une différence dans le type de travail, car le travail que le salarié dépense dans le projet est un travail direct ayant trait audit projet au moment où il est dépensé, puisqu'il accomplit et dépense en même temps ; tandis que le travail consommé et dépensé dans l'utilisation de l'outil de production est un travail séparé du propriétaire de l'outil, un travail accompli et préparé antérieurement pour être dépensé et consommé par la suite dans des opérations de production. Ainsi, nous apprenons que le travail dépensé que la théorie a considéré comme la seule source du gain n'est pas seulement le travail direct, mais englobe aussi le travail emmagasiné ; car tant qu'il y a dépense et consommation du travail, le propriétaire de ce travail dépensé a le droit d'obtenir la récompense sur laquelle il s'accorde avec le propriétaire du projet, et ce, que le travail consommé par le projet soit direct ou séparé.
Et c'est sur la base de cette détermination du travail dépensé et comprenant les deux types (de travail) que nous pouvons ajouter aux outils de production la maison, au propriétaire de laquelle l'Islam a donné l'autorisation de la louer et d'en tirer un gain en contrepartie de son utilisation par autrui. Car la maison est, elle aussi, l'emmagasinage d'un travail antérieur accompli que l'utilisation de la maison consomme et dissipe, même si c'est à long terme ; de là, le propriétaire de la maison acquiert le droit d'obtenir une récompense pour le travail emmagasiné dans la maison, et que le locataire consomme lors de l'utilisation de celle-ci.
De même, dans la terre cultivable que son propriétaire remet à un agriculteur contre un salaire, celui-là tire son droit dans cette terre du travail qu'il y a effectué pour la mettre en valeur, la préparer et la rendre fertile. Son droit disparaît dès que ce travail aura été consommé et que ses traces se seront effacées, et ce conformément aux textes jurisprudentiels que nous avons eu l'occasion d'examiner. Donc, tant qu'il y a un travail incorporé et un effort emmagasiné dans la terre, il a droit à un salaire que le cultivateur doit lui payer en contrepartie de l'utilisation de sa terre, car cette exploitation faite par le cultivateur consomme une partie du travail effectué lors des travaux de la mise en valeur.
Ainsi, le salaire, dans les limites autorisées par la théorie, se fonde toujours sur le travail d'un individu, consommé par un autre lors de l'exécution d'un projet, celui-ci devant payer à celui-là un salaire. Sur cette base, il n'y a pas de différence entre le salaire d'un travail et celui des outils de production, des biens immobiliers, et de la terre agricole, même si la nature du lien qui lie le salarié au travail diffère ; car le travail salarial est un effort direct que le salarié retrouve et consomme pour le compte du promoteur du projet lors de l'opération de production ; tandis que le travail emmagasiné dans un outil de production par exemple est un effort qui a été séparé du travailleur et emmagasiné dans l'outil antérieurement ; c'est pourquoi quelqu'un d'autre que le travailleur commence à le consommer à travers l'exécution du projet. Ainsi, le salaire que le salarié touche est un salaire payé pour un travail immédiat, effectué et consommé par le salarié lui-même, alors que le salaire que touche le propriétaire de l'outil est en réalité un salaire pour un travail antérieur que le propriétaire de l'outil a emmagasiné dans son outil et que le propriétaire du projet a consommé dans l'exécution de son projet.
Telle est la signification positive de la base qui explique le gain résultant de la propriété des sources de production. Nous avons appris que cette signification est reflétée dans tous les domaines où le salaire et le gain résultant de la possession de sources de production sont autorisés.
L'aspect négatif
de la base
Quant à la signification négative qui abolit tout gain
non justifié par un travail effectué au cours de l'opération,
elle est claire dans les textes et les statuts. Ainsi, on a vu dans le
texte législatif (c) de l'alinéa (10) que si le berger achète
un pâturage à cinquante dirham, il n'a pas le droit de le
revendre à plus de cinquante dirham, à moins qu'il n'ait
effectué dans le pâturage un travail, tel que le creusage
d'un puits ou d'une rivière, ou une amélioration générale
réalisée avec l'autorisation des propriétaires du
pâturage ; et dans un tel cas, il pourrait le revendre à un
prix supérieur au montant de l'achat, augmentation justifiée
par le travail effectué.
Ce texte indique clairement la signification négative de la base, car il interdit au berger de réaliser un gain résultant de la revente du pâturage ou de sa sous-location à un prix supérieur à celui qu'il a payé aux premiers propriétaires du pâturage, sans avoir effectué un travail dans celui-ci ; et il ne l'autorise à réaliser un tel gain ou salaire que s'il consent un effort -le creusage d'un puits ou d'une rivière ou tout autre travail de ce genre- qui justifierait ce gain.
Le texte affirme à la fin que si quelqu'un fait dans le pâturage un travail, il justifie alors son gain ou la différence ainsi gagnée du travail qu'il a fourni (car il aurait effectué un travail qui le justifie).
On dirait que le texte voulait affirmer par cette association entre le gain et le travail, la signification négative de la base ; car c'est par le travail que le berger peut réaliser un nouveau gain dans son pâturage, et sans ce travail, il ne le peut pas. Il est clair que cette argumentation donne au texte le sens de règle générale, et dépasse le cadre d'un jugement limité au berger et au pâturage. Il étend sa signification pour en faire une base générale du gain(210)
Le gain selon ce texte n'est donc pas autorisé sans un travail direct, tel que le travail du salarié, ou un travail séparé et emmagasiné, tel celui emmagasiné dans les outils de production, les biens immobiliers et autres...
Cette même vérité apparaît dans le texte (b) de l'alinéa (10), puisque la personne qui loue une terre contre mille dirham n'est pas autorisée à la sous-louer contre deux mille sans y avoir effectué un travail. Le texte a fait suivre l'interdiction de la règle qui l'explique et du motif général sur lequel se fonde l'interdiction en disant : «car cela est garanti.»(211)
Conformément à cette argumentation et cette interprétation qui relève le jugement en tant que jugement d'un cas particulier au niveau d'une règle générale, personne n'est autorisé à s'assurer un gain sans travail, car le travail est la justification essentielle du gain dans la théorie(212).Ainsi, la signification négative de la règle est définie directement par les textes, et plusieurs jugements de la superstructure précitée sont liés à cette signification.
Parmi ces jugements figure celui qui interdit au locataire d'une terre, d'une maison ou de tout outil de production de le sous-louer à un prix supérieur au coût de sa location sans y avoir effectué un travail, car sans cette interdiction, il pourrait gagner une différence (de loyer) sans travail effectué, direct ou séparé. Ainsi, quelqu'un pourrait louer une maison à dix dinar et la sous-louer à vingt, réalisant de cette façon dix dinar de gain net sans aucun travail effectué. Il était donc naturel qu'on interdise ce gain conformément à la règle que nous avons relevée.
Parmi les jugements qui ont trait à la règle figure aussi celui qui interdit au salarié de louer les services d'un autre salarié pour effectuer à sa place et contre un salaire inférieur à celui qu'il a touché, un travail pour lequel il est payé, comme nous l'avons vu à l'alinéa 12. Ainsi, quelqu'un qui est payé dix dirham par exemple pour coudre un vêtement n'a pas le droit de louer les services d'une autre personne pour faire ce travail contre un salaire de huit dirham, car cette pratique lui permettrait de garder la différence entre les deux salaires et de gagner deux dirham sans travail. C'est pourquoi la Charî'ah a interdit ladite pratique en application de la règle dans sa signification négative qui refuse toute sorte de salaire non basé sur le travail. Le couturier loué par le propriétaire du vêtement est autorisé dans un seul cas à sous-louer les services d'un tiers pour effectuer le travail contre huit dirham et garder pour lui deux dirham : s'il fait lui-même une partie du travail et accomplit une étape de la couture pour laquelle il a été payé, afin que le gain de deux dirham soit consécutif à un travail fait sur le vêtement.
Il y a un troisième statut dans la superstructure, lié aussi à la règle et à sa signification négative. Il s'agit de ce que nous avons déjà vu dans l'alinéa 6, concernant l'interdiction faite au capitaliste d'exiger du travailleur une assurance dans le contrat de spéculation, c'est-à-dire que si un commerçant veut confier son capital commercial (argent ou marchandises) à un travailleur pour qu'il en fasse un fonds de commerce sur la base d'un partage des bénéfices, il n'a pas le droit d'exiger du travailleur qu'il compense une perte éventuelle dans les résultats.
L'explication de ce statut réside dans le fait que le capitaliste a le choix entre deux façons de traiter avec le travailleur :
1 - accorder la propriété du capital commercial au travailleur contre une indemnité que ce dernier s'engage à payer au terme de l'opération commerciale. Dans ce cas, le travailleur devient le garant de l'indemnité convenue et responsable de son paiement -lorsque toutes les conditions légales sont remplies- quel que soit le résultat de son opération commerciale, gain ou perte. Mais, dans ce cas, le capitaliste ne partage pas les bénéfices et n'a droit qu'à l'indemnité convenue, car le capital commercial est devenu la propriété du travailleur, et il a tous les bénéfices pour lui, car c'est lui qui possède la matière. C'est pourquoi il est dit dans le hadith que nous avons vu dans l'alinéa 12 que quiconque garantit un commerçant -c'est-à-dire un travailleur qui fait commerce d'un bien- n'a droit qu'à son capital.
2 - Le capitaliste conserve pour lui la propriété du bien commercial et emploie un travailleur pour faire du commerce avec ce bien sur la base du partage des bénéfices. Dans ce cas, le propriétaire du bien a droit aux bénéfices, car le bien lui appartient ; mais il n'a pas le droit d'exiger du travailleur, dans le contrat, qu'il compense la perte éventuelle. C'est de ce jugement que nous avons dit qu'il a trait à la règle que nous sommes en train d'établir à partir de la superstructure. Car dans le commerce, la perte ne signifie pas que le travailleur consomme, pendant l'opération commerciale, un travail séparé du propriétaire du bien, emmagasiné dans son bien, comme cela a été le cas pour le propriétaire de la maison ou de l'outil de production, qui a le droit de vous autoriser à utiliser sa maison ou ses outils dont vous garantissez tout ce qui en est consommé pendant l'utilisation. Car lorsque vous utilisez la maison ou les outils d'un autre pendant un certain temps, vous en aurez consommé une partie et par conséquent vous aurez une partie du travail qui y est investi. Dès lors, le propriétaire de la maison ou des outils a le droit d'être indemnisé de ce que vous aurez consommé, et cette indemnisation qu'il obtient de vous a pour base un travail dépensé. Mais lorsque vous recevez cent dinars d'un capitaliste pour en faire un fonds de commerce sur la base du partage des bénéfices, et que vous achetez avec cet argent cent stylos que vous serez obligé par la suite de revendre à quatre-vingt-dix dinars pour une raison quelconque, vous ne serez pas responsable de cette perte, ni obligé d'indemniser la part perdue du capital, car cette perte n'est pas le résultat de votre consommation d'une partie du capital et du travail qu'il renfermait au cours de l'opération commerciale ; mais elle résulte de la dépréciation de la valeur d'échange des stylos ou de la baisse de son prix dans le marché. Il ne s'agit donc pas là d'une question de travail emmagasiné de quelqu'un, que vous auriez consommé et dépensé lors de votre utilisation de ce travail pour que vous deviez l'indemniser. Au contraire, le travail emmagasiné dans le capital commercial est encore intact ; il n'est ni dissipé, ni consommé ; seulement sa valeur s'est dépréciée ou son prix a baissé. Dès lors, vous n'avez pas à indemniser le propriétaire, car s'il obtenait de vous quelque chose à ce titre, cela constituerait un gain sans travail effectué, et son obtention d'un gain de vous sans que vous ayez consommé une partie de son travail lors de l'utilisation est ce que refuse la règle dans sa signification négative.
Le rattachement de l'interdiction de l'usure à l'aspect négatif
De même que l'interdiction d'imposer au travailleur une garantie est liée à la signification négative de la règle que nous étudions, de même nous pouvons considérer aussi l'interdiction de l'usure comme une brique de la superstructure qui repose sur cette signi- fication négative de la règle. On peut dire même que l'interdiction de l'usure est l'une des parties les plus importantes de cette structure. Nous avons déjà parlé de l'interdiction de l'usure à l'alinéa 9 de la superstructure précitée, lequel stipulait que l'Islam prohibe toutes les formes de prêt à intérêt. L'intérêt est considéré dans la norme capitaliste qui l'autorise comme le salaire du capital monétaire que les capitalistes prêtent aux projets commerciaux et autres contre un salaire annuel déterminé par un pourcentage précis de l'argent prêté. Et c'est ce salaire qu'on appelle intérêt. Celui-ci ne diffère pas beaucoup dans son acception juridique du salaire que les propriétaires fonciers et les propriétaires d'outils de production obtiennent de la location de leurs biens immobiliers ou de leurs outils de production. Ainsi, de même que vous pouvez louer une maison pour y habiter pendant un certain temps, et puis vous la rendez à son propriétaire en lui payant un loyer donné, de même il vous est permis selon la norme qui autorise l'intérêt, d'emprunter une somme d'argent pour l'utiliser dans un dessein commercial ou de consommation, puis de rendre la même somme ou une somme identique avec un salaire donné à la personne à qui vous l'avez empruntée.
Lorsque l'Islam interdit les prêts à intérêt et autorise le gain résultant du louage des biens immobiliers et des outils de production, il nous montre une différence théorique entre le capital monétaire d'une part, les outils de production et les biens fonciers de l'autre. Et c'est cette différence que nous devons expliquer à la lumière de la théorie et sur la base de la règle que nous essayons de définir, pour comprendre la raison qui a conduit la doctrine économique à abolir le loyer du capital, ou en d'autres termes à abolir le gain résultant de la possession du capital monétaire, tout en autorisant le loyer des outils de production et le gain garanti résultant de la possession de ces outils. Pourquoi donc a-t-il permis au propriétaire de l'outil d'en tirer en le louant un gain garanti sans peine, et pourquoi n'a-t-il pas permis au capitaliste d'obtenir de son capital, en le prêtant, un gain garanti, sans peine ? C'est à cette question que nous devons répondre effectivement.
Il suffit, en réalité, de retourner à la règle dans sa formule que nous avons découverte et dans sa signification positive et négative. En effet, le gain garanti -le salaire- résultant de la possession des outils de production se classe dans la signification positive de la règle, car l'outil est l'emmagasinage d'un travail antérieur dont une partie seulement peut être consommée par le locataire dans l'utilisation de l'outil lors de l'opération productrice qu'il entreprend. Le salaire qu'il paie au propriétaire de l'outil est en réalité le salaire d'un travail antérieur et est considéré par conséquent comme un gain à base de travail dépensé, c'est pourquoi il est autorisé selon la signification positive de la règle. Quant au gain garanti, résultant de la possession du capital monétaire -l'intérêt- il n'a pas de justification théorique, car le commerçant qui emprunte mille dinar en vue d'un projet commercial, avec un intérêt déterminé, paiera au créancier à l'échéance prévue mille dinar sans qu'il en consomme un atome. C'est pourquoi l'intérêt devient un gain illicite, car non fondé sur aucun travail dépensé, et il est classé ainsi dans la signification négative de la règle.
Ainsi, nous savons maintenant que la différence entre l'intérêt sur le capital monétaire et le salaire des outils de production résulte dans la législation islamique de la différence entre la nature de l'utilisation du capital prêté et la nature de l'utilisation des outils de production loués. L'utilisation par l'emprunteur du capital ne conduit pas naturellement à la consommation d'une partie de ce capital ou du travail qui y serait incarné, car il est tenu aux termes du contrat de prêt de rendre la somme à l'échéance prévue et l'argent rendu par acquittement du prêt est égal à la valeur de l'argent emprunté sans aucune différence de valeur.
En revanche, l'utilisation par le locataire de l'outil qu'il a loué lors de l'opération de production, par exemple, conduit à la consommation partielle de l'outil et à la consommation du travail qui y est incorporé. C'est pourquoi le propriétaire de l'outil a le droit d'obtenir un gain de la location de l'outil, à cause du travail dépensé et de l'effort consommé lors de l'utilisation de l'outil, alors que le capitaliste n'avait pas à obtenir un tel gain, étant donné qu'il récupère son capital intact sans aucune consommation.
Nous pouvons ajouter à la série des statuts que nous avons présentés en vue de trouver la corrélation entre la structure et la théorie, un autre statut que nous avons déjà vu dans l'alinéa 9, et qui stipule l'interdiction pour le travailleur lié par un contrat de spéculation de se mettre d'accord avec un autre travailleur pour qu'il effectue à sa place le travail (convenu dans le contrat) contre un pourcentage des bénéfices inférieur à celui qu'il (le premier travailleur) doit toucher lui-même. Il est clair que l'interdiction d'une telle opération concorde parfaitement avec la signification négative de la règle que nous sommes en train de chercher, à savoir le refus du gain non fondé sur le travail dépensé, car lorsque le premier travailleur se livre à une telle opération, il aura gardé pour lui la différence entre les deux pourcentages, et cette différence aura constitué un gain sans travail dépensé qu'il est normal d'abolir selon la règle générale.
Pourquoi les moyens de production ne participent-ils pas au bénéfice ?
Il nous reste à envisager une dernière question concernant les statuts de la participation aux bénéfices dans la superstructure précitée. Entreprenons une introduction à cette question en résumant les renseignements que nous avons découverts jusqu'à présent. Ainsi, nous avons déjà appris que le gain n'est permis dans la théorie de la distribution de la post-production en Islam que sur la base du travail dépensé, et que le travail dépensé est de deux sortes : un travail direct qu'on trouve et qu'on dépense en même temps, comme le travail du salarié, et un travail séparé, emmagasiné, qui se trouve antérieurement et qui est dépensé lorsque le locataire l'utilise, comme c'est le cas dans le travail emmagasiné dans la maison ou dans l'outil de production, que l'on dépense et consomme lors de l'utilisation de la maison et de son habitation par le locataire. Nous avons aussi appris que la propriété du capital monétaire n'est pas une source de gain et que c'est pour cette raison que le prêt à intérêt est prohibé, étant donné que l'intérêt n'a pas pour base un travail dépensé. Nous avons pu comprendre toutes ces sortes de salaires fixes -ceux autorisés, comme le loyer de la maison, et ceux interdits, comme l'intérêt usuraire- et leur appliquer avec succès la règle dans ses significations positive et négative. Toutefois, nous n'avons rien dit jusqu'à présent à propos de l'explication d'autres choses que les salaires fixes, à savoir les différentes sortes de gains que nous avons passés en revue dans la superstructure précitée. J'entends par là, la participation au gain et la subordination du sort aux résultats de l'opération : bénéfice ou perte. Ainsi, le travailleur n'a pas, dans le contrat de spéculation, un salaire fixe qu'il percevrait dans tous les cas du capitaliste, il est seulement associé dans les bénéfices. Son gain se limite ou s'étend selon les résultats de l'opération. Il en va de même pour le travailleur dans le contrat de fermage ou d'arrosage : il est autorisé à réaliser des gains sur la base d'une participation aux bénéfices ou aux résultats, comme nous l'avons vu dans les alinéas 3, 6 et 8. C'est pourquoi nous avons dit au début de notre recherche que l'on a autorisé le travail à permettre deux sortes de gains : le salaire, et la participation aux bénéfices.
De même que le propriétaire du capital dans le contrat de spéculation, celui de la terre dans le contrat de fermage, et celui des arbres et des plantations dans le contrat d'arrosage ont été autorisés, eux aussi, à réaliser un gain ayant pour base le bénéfice. Chacun d'eux a, en effet, une part dans le bénéfice, convenue préalablement dans leurs contrats respectifs, comme cela a été mentionné dans les alinéas précités.
En revanche, les outils de production ont été interdits de participation aux bénéfices et ils n'ont pas été autorisés à réaliser des gains sur cette base ; mais on leur a offert la possibilité de réaliser des gains sur la base d'un salaire fixe. Ainsi, celui qui possède un outil de production n'a pas le droit de le fournir à un travailleur contre une participation dans le produit ou le bénéfice, comme nous l'avons déjà vu dans l'alinéa 11 de la superstructure précitée, lequel alinéa stipule que celui qui possède un filet ou tout autre outil n'a pas le droit de le fournir à un travailleur contre une participation à la prise, et que si le travailleur obtient une prise, il la garde pour lui entièrement, et le propriétaire du filet n'y a aucune part.
Ces stipulations sont clairement indiquées dans la superstructure, et notre recherche nous conduit naturellement à poser à leur propos la question suivante : pourquoi a-t-on autorisé au travail la réalisation d'un gain sur la base de la participation aux bénéfices, alors que cette autorisation n'a pas été accordée aux outils de production ? Comment a-t-on interdit aux outils de production cette sorte de gain, alors qu'on a permis au propriétaire du capital commercial, ou au propriétaire de la terre, ou au propriétaire d'arbres, de l'avoir ?
En vérité, la différence entre le travail et les outils de production, différence qui fait qu'on autorise le travail à participer au produit, mais non pas les outils de production, découle de la théorie de la distribution de l'anté-production. Nous avons appris, dans cette théorie, que le travail -la pratique des travaux d'utilisation et d'exploitation- est la cause générale des droits individuels dans la richesse brute de la nature, et qu'il n'y a pas, du point de vue de la doctrine économique, d'autre raison à la propriété et à l'acquisition d'un droit sur elle. De même, nous avons appris aussi que si un individu acquiert un droit individuel dans la richesse naturelle par l'accomplissement d'un travail, son droit reste intact tant que le type de travail sur la base duquel il a acquis ce droit y demeure. Dans un tel cas, il n'est pas permis à un autre d'acquérir un droit individuel dans cette richesse en y effectuant un nouveau travail, comme cela a été expliqué en détail par la théorie de la distribution de l'anté-production. Mais cela ne signifie pas que le nouveau travail soit différent, de par sa nature, du premier. Non, chacun des deux travaux est considéré à lui seul comme une raison suffisante pour l'appropriation par le travailleur de cette matière dans laquelle il a travaillé. Si le second travail est privé d'effet, c'est à cause de l'antériorité du premier travail dont l'effet a déjà conduit le premier travailleur à s'approprier la matière. Donc, c'est le droit du premier travailleur, dû à l'antériorité, qui empêche le second travail de produire son effet. C'est pourquoi il devient naturel que le second travail recouvre son effet et produise son influence si le (premier) travailleur renonce à son droit ; et c'est exactement ce qui se passe dans les contrats de fermage, d'arrosage, de spéculation, et de prime (Ja'âlah). Ainsi, dans le contrat de fermage par exemple, le travailleur déploie un effort et exerce un travail lorsqu'il exploite les graines et les transforme en plantes. Si ce travail qu'il exerce ne lui donne pas le droit à la propriété sur les plantes, c'est parce que la matière dans laquelle il exerce son travail -les graines- est déjà la propriété d'un autre, à savoir le propriétaire de la terre. Si le propriétaire de la terre autorise le travailleur, dans le contrat de fermage, à cueillir les fruits de son travail, et renonce à son droit à la moitié de la matière par exemple, il ne reste plus rien qui puisse empêcher le travailleur de s'approprier la moitié des plantes.
De là, nous apprenons que la participation du travailleur au produit traduit en réalité le rôle du travail qu'il exerce dans la matière -les graines, les arbres, ou le capital commercial, par exemple- et du droit résultant de l'accomplissement de ce travail, et ce selon la théorie générale de la distribution de l'anté-production. Si ce rôle ou ce droit est parfois suspendu, c'est à cause d'un rôle ou d'un droit antérieur dont jouit une autre personne. Si cette personne renonce à son droit dans un contrat, tel le contrat de fermage ou d'autres contrats d'association entre le travailleur et le propriétaire du capital, il n'y a plus rien qui puisse empêcher d'accorder au travailleur son droit dans la matière -et dans les limites du renoncement de son ancien propriétaire- comme conséquence du travail qu'il y a accompli.
Quant aux outils de production, ils diffèrent fondamentalement du travail accompli par un travailleur en vertu desdits contrats. Car l'agriculteur qui est lié au propriétaire de la terre et des graines par un contrat de fermage, accomplit un travail et fait un effort au cours de l'opération agricole, et a de ce fait le droit de posséder le produit dans les limites autorisées par le contrat, alors que le propriétaire du filet, qui fournit celui-ci au chasseur, n'accomplit pas un travail dans l'opération de la chasse, ni ne dépense un effort pour s'emparer du gibier : c'est le chasseur tout seul qui accomplit le travail et dépense un effort. Dès lors, rien ne justifie que le propriétaire du filet acquière le droit de posséder la prise, étant donné que la justification en est le travail, et que le propriétaire du filet n'accomplit pas ce travail qui justifierait l'obtention de ce droit. Le fait que le chasseur lui concède ce droit ne suffit pas pour qu'on le lui accorde, étant donné que ce n'est pas conforme à la théorie générale de la distribution. Donc, ce n'est pas le droit du chasseur qui empêche le propriétaire du filet de s'approprier la prise, mais l'absence d'une justification théorique.
Ainsi, nous apprenons la différence, sur ce plan, entre le travail direct et le travail emmagasiné. Le travail direct est un travail fait sur la matière, et qui justifie qu'il s'en approprie une partie, si son précédent propriétaire renonce à son droit d'antériorité. Quant au travail emmagasiné dans l'outil de production, il ne constitue pas un travail accompli par le propriétaire de l'outil dans l'opération, c'est pourquoi il n'a pas de droit sur la matière, et ce, que le travailleur -le chasseur par exemple- renonce ou non à son droit. Il a seulement droit à un loyer en tant que récompense et compensation de la part dissipée de son travail emmagasiné, pendant l'opération.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons aussi apprendre la différence entre les propriétaires des outils de production, qu'on n'a pas autorisés à participer au produit, et le propriétaire de la terre dans un contrat de fermage, le propriétaire du capital commercial dans un contrat de spéculation, ainsi que d'autres semblables à qui il est permis d'avoir une part dans le bénéfice ; car ces propriétaires à qui on a permis d'avoir une partie du bénéfice ou du produit possèdent en réalité la matière sur laquelle travaille le travailleur. Ainsi, le propriétaire de la terre possède les graines que sème le travailleur, le propriétaire du capital commercial possède l'article mis en commerce par le travailleur. Or nous avons appris, de la théorie de la distribution de la pré-production, que la possession d'une matière par quelqu'un ne disparaît pas à la suite du développement de cette matière par un tiers, ni de son acquisition de nouvelles utilités. Car il est naturel que le propriétaire des graines ou du capital obtienne un droit sur le produit ou le bénéfice tant qu'il possède la matière sur laquelle le travailleur effectue un travail.
L'examen des cas dans lesquels le propriétaire est autorisé à posséder le produit ou le bénéfice -comme c'est le cas dans le fermage, la spéculation, l'arrosage, etc.- corrobore la justesse de l'interprétation que nous avançons de cette propriété, car tous ces cas ont pour point commun un seul phénomène, à savoir que la matière sur laquelle le travailleur travaille est antérieurement la propriété du propriétaire du bien.
Le rôle du risque dans l'Economie islamique
Les découvertes que nous avons faites concernant la théorie de l'après-production indiquent clairement que cette théorie ne reconnaît pas au risque la qualité de facteur de gain, et qu'aucune d'entre les sortes de gains qu'elle a autorisées ne puise sa justification théorique dans l'élément "risque".
Car le risque n'est pas, en réalité, un article que celui qui le prend fournit à un autre pour qu'il puisse lui en demander le prix. Il n'est pas non plus un travail que celui qui prend le risque effectue sur une matière pour qu'il ait le droit de se l'approprier ou en réclamer un salaire de son propriétaire. Le risque est un état de sentiment particulier que l'homme éprouve lorsqu'il s'apprête à entreprendre une affaire dont il craint les conséquences ; auquel cas, ou bien il recule cédant à sa crainte, ou bien il surpasse les facteurs de crainte et poursuit sa détermination. C'est donc lui-même qui trace son chemin et choisit tout volontairement de supporter les problèmes de la peur en entreprenant un projet qui risquerait probablement une perte. Dès lors il n'a pas le droit de réclamer une indemnité matérielle pour cette peur, tant que celle-ci est un sentiment personnel et non pas un travail investi dans une matière ni un article produit.
Certes, vaincre la peur pourrait avoir parfois une grande importance sur le plan psychologique et moral, mais l'appréciation morale est une chose, l'appréciation économique en est une autre.
Beaucoup ont commis une erreur sous l'influence de la pensée capitaliste dogmatique qui tend à expliquer et justifier le gain par le risque, en disant : le gain autorisé au capitaliste dans le contrat de spéculation est fondé en théorie sur le risque ; car même si le capitaliste ne dépense pas un travail, il supporte tout de même le fardeau du risque et s'expose à la perte en payant au travailleur un bien pour qu'il le mette en commerce ; et par conséquent le travailleur doit l'indemniser pour le risque qu'il a pris, par un pourcentage du gain, sur lequel ils se mettent d'accord lors de la conclusion de l'accord de spéculation.
Mais la vérité telle qu'elle est apparue dans les chapitres précédents est que le gain obtenu par le propriétaire comme conséquence de la commercialisation de ses biens par un travailleur n'est pas fondé sur le risque. Il tire sa justification de la possession par le propriétaire du capital de l'article mis en commerce par le travailleur. Cet article, bien que sa valeur augmente souvent par le travail commercial qu'y dépense le travailleur en le transportant au marché et en le mettant à la disposition des consommateurs, reste cependant propriété du propriétaire du capital, car toute matière ne perd pas sa qualité de propriété de son propriétaire à la suite de son développement par une autre personne. C'est ce que nous avons appelé le phénomène de constance dans la propriété.
Ainsi, le droit du propriétaire du capital dans le gain, résulte de sa possession de la matière dont le travailleur a fait son objet de travail et de commerce et dont il a réalisé un gain en le vendant. Ce droit est, en cela, similaire au droit du propriétaire des planches dans le lit fabriqué avec ses planches.
C'est pourquoi le propriétaire du capital a droit au gain même s'il n'éprouve aucune sorte de sentiment de risque. De même, si une personne met en commerce les biens d'une autre personne à son insu, et qu'elle réalise un gain dans cette opération, le propriétaire de ces biens peut, dans ce cas, aussi bien donner son consentement et s'approprier les gains, que s'y opposer et obtenir du travailleur la restitution de ses biens ou de leur équivalent.
Ainsi, la prise des gains par le propriétaire dans cet exemple ne se fonde pas sur la base du risque, étant donné que son bien est garanti dans tous les cas, mais c'est le travailleur qui a pris le risque en acceptant de garantir le bien et de le rembourser en cas de perte.
Cela signifie que le droit du propriétaire du capital dans le gain ne résulte pas, sur le plan théorique, du risque ni ne représente une indemnité de risque ou une récompense au propriétaire du bien pour avoir vaincu ses craintes, comme nous le lisons habituellement chez les écrivains du capitalisme traditionnel, qui s'efforcent de conférer au risque les traits de l'héroïsme et d'en faire (de ces traits) une raison justificative de l'obtention d'un gain proportionnel à cet héroïsme.
Il y a plusieurs indices dans la Charî'ah, qui montrent sa position négative à l'égard du risque et son refus de lui reconnaître un rôle positif dans la justification du gain.
Ainsi, beaucoup ont eu l'habitude de justifier et d'expliquer l'intérêt usuraire, par exemple, par l'élément de risque que comporte l'emprunt -comme nous allons l'aborder dans la note suivante- car le prêt que fait le prêteur de son bien est considéré comme une sorte de risque qui pourrait conduire à la perte de son bien, si le débiteur se trouvait dans l'avenir dans l'impossibilité de s'acquitter au cas de malchance, auquel cas donc le créancier n'aurait rien. C'est pourquoi il a le droit d'obtenir un salaire ou une indemnité pour avoir risqué son bien pour le débiteur. Cette indemnité est l'intérêt.
L'Islam ne reconnaît pas cette façon de penser et n'a pas trouvé dans ce prétendu risque une justification de l'intérêt qu'obtient le créancier du débiteur. C'est pourquoi il l'a interdit formellement.
La prohibition des paris et l'interdiction du gain obtenu sur cette base constituent un autre des aspects de la Charî'ah, qui prouvent la position négative de celle-ci vis-à-vis de l'élément risque. Car le gain résultant d'un pari n'est pas fondé sur la base d'un travail d'utilisation ou d'investissement, mais sur le seul risque. Le gagnant dans ce cas obtient la mise pour avoir risqué son argent et accepté de laisser sa mise à son adversaire s'il perdait le pari.
Nous pouvons ajouter à l'abolition des paris, l'abolition de l'association d'"abdân". En effet, beaucoup de faqîh, tels que al-Muhaqqiq al-Hillî, dans "Al-Charâ'i'", et Ibn Hazm, dans "Al-Muhallâ", se sont prononcés pour son abolition.
Ils entendent, par cette association (d'abdân), un accord conclu entre deux personnes ou plus, selon lequel chacun d'eux exerce son propre travail, et le partage entre eux de l'ensemble des gains qu'ils ont réalisés. Comme dans le cas, par exemple, de deux médecins qui décident de travailler chacun dans son cabinet, et d'obtenir à la fin du mois la moitié de la totalité des honoraires qu'ils ont obtenus tous les deux pendant un mois.
L'abolition d'une telle association concorde avec la position négative générale de la Charî'ah vis-à-vis de l'élément risque, car le gain y est fondé sur le risque et non pas sur le travail. Ainsi, si les deux médecins dans l'exemple susmentionné établissent cette sorte d'association, c'est parce qu'ils ne savent pas au préalable le montant des honoraires qu'ils vont toucher. Chacun d'eux envisage aussi bien la possibilité que son associé gagne plus que lui que la possibilité inverse. C'est pourquoi chacun d'eux recourt à l'association, se résignant à céder une partie de ses honoraires s'ils sont supérieurs à ceux de son associé, dans la perspective d'obtenir, en contrepartie, une partie des honoraires de son associé au cas où celui-ci gagnerait plus que lui. Il en résulte que le médecin qui gagne le moins a le droit d'obtenir une partie du gain et les fruits du travail de l'autre, car il a pris préalablement un risque en acceptant de payer une partie de son propre gain si le résultat était le contraire. Cela signifie que le gain du médecin au revenu inférieur découle de l'élément risque, et ne se fonde pas sur un travail dépensé. D'où le fait que la Charî'ah l'a invalidé et qu'elle s'est prononcée pour l'abolition de l'association d'"abdân" confirme sa conception négative du risque.
Les justifications capitalistes de l'intérêt et la critique de ces justifications
Nous venons de voir que le risque vis-à-vis duquel l'Islam adopte une attitude négative est l'une des justifications sur lesquelles s'est appuyé le capitalisme pour expliquer l'intérêt et le droit du capitaliste de l'imposer au débiteur.
Nous avons appris également que la justification de l'intérêt par l'élément risque est fondamentalement erronée aux yeux de l'Islam, car il ne considère pas le risque comme une base légale du gain, mais il lie le gain au travail direct ou emmagasiné.
En avançant cette justification de l'intérêt, le capitalisme oublie le rôle du gage dans la garantie du bien du créancier et la disparition de l'élément risque de l'opération de prêt. Que pense-t-il donc des prêts assortis de gage et de garanties suffisantes ?
Les penseurs capitalistes ne se sont pas contentés de lier l'intérêt à l'élément risque et de l'expliquer de la sorte, mais ils ont avancé plusieurs explications pour le justifier sur le plan doctrinal.
Ainsi, certains penseurs capitalistes ont énoncé que l'intérêt que paie le débiteur au capitaliste est à titre d'indemnisation de sa non-utilisation de l'argent prêté, et de récompense pour son attente tout au long du temps convenu, ou d'un salaire que perçoit le capitaliste en contrepartie de l'utilisation par le débiteur de l'argent qu'il lui a emprunté, à l'instar du salaire qu'obtient le propriétaire de la maison du locataire contre son utilisation comme logement.
Nous réalisons, à la lumière de la théorie islamique -telle que nous l'avons définie- la contradiction entre cette tentative (de justification) et le mode de penser islamique concernant la distribution. Car nous avons appris que l'Islam ne reconnaît le gain sous l'appellation de salaire ou de récompense que sur la base de la dépense d'un travail direct ou emmagasiné. Or, le capitaliste ne dépense pas un travail direct ou emmagasiné qu'absorbe le débiteur pour qu'on lui en paye un salaire, tant que le bien emprunté sera restitué au capitaliste sans qu'il ait subi aucune consommation ni aucun effritement. C'est pourquoi, du point de vue islamique, il n'y a pas de justification pour la reconnaissance de l'intérêt, vu que le gain sans travail s'oppose aux conceptions islamiques de la justice.
D'aucuns justifient l'intérêt en le considérant comme l'expression du droit du capitaliste à une partie des gains réalisés par l'emprunteur grâce à l'argent qu'il lui a fourni.
Cette affirmation n'a pas de place dans les emprunts que les débiteurs font pour satisfaire leurs besoins personnels et sur lesquels ils ne réalisent donc aucun gain, mais elle justifie l'obtention par le capitaliste d'un peu de gain lorsqu'il offre son argent à quelqu'un qui le met en commerce et le fait fructifier. Dans un tel cas, l'Islam reconnaît ce droit au capitaliste, mais ce droit signifie le partage des gains entre le capitaliste et le travailleur et la subordination du droit du capitaliste aux résultats de l'opération, et ceci est la signification de la spéculation en Islam, dans laquelle le capitaliste seul supporte la perte, et il partage avec le travailleur le gain -si gain il y a- selon un pourcentage déterminé dans le contrat.
Or ceci diffère essentiellement de l'intérêt dans son acception capitaliste, lequel lui garantit un salaire fixe indépendant des résultats de l'opération commerciale.
Le capitalisme a enfin présenté, sous la plume de certains de ses tenants, ses plus solides justifications de l'intérêt, en l'expliquant comme étant l'expression de la différence entre la valeur actuelle des marchandises et leur valeur dans l'avenir, croyant que le temps joue un rôle actif dans la formation de la valeur. Ainsi, la valeur d'échange du dinar aujourd'hui serait supérieure à la valeur d'échange du dinar futur. Si vous prêtez donc à quelqu'un un dinar pour une période d'un an, vous auriez droit à plus d'un dinar à la fin de l'année pour que vous retrouviez la valeur d'échange du dinar que vous avez prêté. Et plus l'échéance d'acquittement est longue, plus l'intérêt auquel aurait droit le capitaliste augmente suivant l'augmentation de la différence entre la valeur présente et la valeur future, résultant de la prolongation et de l'éloignement de l'échéance (distance temporelle).
L'idée de cette justification capitaliste se fonde sur une base erronée, à savoir le rattachement de la distribution de l'après production à la théorie de la valeur. Car, en Islam, la théorie de la distribution de l'après-production est distincte de la théorie de la valeur. C'est pourquoi nous avons remarqué que beaucoup d'éléments qui entrent dans la formation de la valeur d'échange de l'article produit n'ont pas de part dans cet article dans la distribution islamique, mais ont droit à des salaires (loyers) payés par le propriétaire de l'article en échange des services qu'ils lui ont rendus dans l'opération de production.
La distribution aux individus ne se fonde pas en Islam sur la valeur d'échange, pour que chacun des éléments de la production obtienne une part du produit équivalant à son rôle dans la formation de la valeur d'échange. La distribution de la richesse produite est liée en Islam à ses concepts doctrinaux et à ses conceptions de la justice.
Ainsi, du point de vue islamique, il ne faut pas payer au capitaliste un intérêt sur le prêt, même s'il est vrai que les articles aujourd'hui ont une valeur supérieure à celle qu'ils auront dans l'avenir, car cela ne suffit pas doctrinalement à justifier l'intérêt usuraire qui traduit la différence entre les deux valeurs, tant que l'intérêt ne concorde pas avec les conceptions de la justice que la doctrine adopte.
Nous avons appris précédemment que l'Islam ne reconnaît pas, du point de vue doctrinal, un gain qui ne soit pas justifié par la dépense d'un travail direct ou emmagasiné. Etant donné que ce genre d'intérêt résulte, d'après la dernière explication capitaliste, uniquement du facteur de temps, et sans travail dépensé, la doctrine a le droit d'interdire au capitaliste d'exploiter le temps pour obtenir un gain usuraire, même si la doctrine reconnaît le rôle positif du facteur temps dans la formation de la valeur.
De là, nous apprenons que le rattachement de la justice de la distribution à la théorie de la valeur est une erreur, et que celle-ci traduit la non-distinction entre la recherche doctrinale et la recherche scientifique.
La limitation du contrôle du propriétaire sur l'utilisation
Il y a en Islam de nombreuses restrictions au contrôle du propriétaire sur l'utilisation de son bien. Ces restrictions ont des sources théoriques différentes. Les unes découlent de la théorie de la pré-production, telle la restriction temporelle qui limite le contrôle du propriétaire sur son bien à la durée de sa vie, et lui interdit de décréter du sort de la fortune qu'il possède après sa mort, comme nous l'avons vu lors de nos recherches sur cette théorie. D'autres résultent de la théorie de la distribution de l'après-production, telle la limitation du contrôle du capitaliste sur le capital qu'il possède, par l'interdiction de réaliser un gain usuraire de son capital, et de consentir des prêts à intérêt. Cette limitation résulte de la théorie de la distribution de l'après-production qui, comme nous l'avons vu, a lié le gain au travail dépensé -direct ou emmagasiné.
Il y a aussi, dans l'Economie islamique, des restrictions qui ont trait au concept religieux et moral de la propriété privée. En effet, le droit de l'individu à la propriété est regardé religieusement et moralement comme le résultat de sa qualité de membre d'un groupe auquel et au service duquel Allah a préparé la nature et ses richesses. C'est pourquoi la propriété privée ne doit pas être abolie et devenir de ce fait un facteur de nuisance et de malheur pour le groupe, sinon elle perdrait sa qualité d'un des aspects de l'utilisation du groupe et d'un droit de l'individu en tant que membre du groupe à l'utilisation duquel les richesses de l'univers ont été préparées. Partant de cette base, il est naturel que le contrôle du propriétaire sur l'emploi de son bien soit assorti d'une restriction : ne pas l'exploiter de telle sorte que cette utilisation porterait atteinte et préjudice au groupe.
Contrairement à cela, dans le droit à la propriété sur la base capitaliste, ce droit n'est pas considéré comme un aspect de l'utilisation du groupe, mais comme le droit de l'individu d'avoir la plus grande part de liberté possible dans tous les domaines. Il est donc naturel que ce droit ne soit limité que par la liberté d'autrui. L'individu peut ainsi exploiter ses biens à sa guise tant qu'il n'usurpe pas aux autres leur liberté formelle(213).
Ainsi, si vous possédez par exemple un projet colossal, vous pouvez, selon la conception capitaliste de la propriété privée, adopter, dans ce projet, tous les procédés qui vous permettront de venir à bout des petits projets et de les rejeter hors du marché de telle sorte qu'ils soient conduits à la destruction et au dommage de leurs propriétaires, car cela ne s'oppose pas à leur liberté formelle, liberté formelle que le capitalisme tient à assurer à tout le monde(214).
Le principe législatif qui limite islamiquement la liberté du propriétaire de disposer à sa guise de son bien par l'obligation de ne pas porter préjudice aux autres figure dans une série de Récits et de hadith dont nous mentionnons les suivants :
1 - Selon plusieurs récits, Samrah ibn Jandab avait un palmier dont l'accès se trouvait dans la cour de la maison d'un homme des Ançâr. Il avait l'habitude d'entrer dans la maison pour se rendre à son palmier sans demander la permission d'entrer à cet homme. Celui-ci lui dit un jour :
-O Samrah ! Tu continues à nous surprendre dans des situations où nous n'aimerions pas être surpris de la sorte ! Quand tu entres, demande donc la permission !
Samrah rétorqua :
-Je ne demande pas la permission pour un chemin qui conduit à mon palmier.
L'homme des Ançâr se plaignit alors au Prophète (Ç). Celui-ci convoqua Samrah et lui dit :
-Untel s'est plaint de toi, et a prétendu que tu entres chez lui et sa famille sans permission. Demande-lui désormais la permission quand tu veux entrer !
Samrah répondit :
-O Messager d'Allah ! Comment ? Je dois demander la permission pour prendre le chemin conduisant à mon palmier !
Le Prophète lui dit alors :
-Renonce à ton palmier. Tu en auras un autre dans tel ou tel endroit.
Et d'ajouter (en constatant le refus de Samrah de tout compromis) :
-Tu es un homme nuisible ! Or, le dommage et l'endommagement sont interdits à un Croyant [Lâ Dharar wa lâ Dherâr].
Puis le Messager d'Allah ordonna qu'on arrachât le palmier, qu'il donna à Samrah(215).
2 - Selon al-Çâdiq (S), le Prophète (Ç) a jugé entre les gens de Médine en ce qui concerne les terres de dattiers qu'il ne faut pas interdire l'utilité d'une chose, et il a jugé entre les gens de Bâdiyah qu'il ne faut pas interdire le surplus d'eau afin de ne pas interdire le surplus de l'herbe, et il a dit :
«Ni dommage, ni endommagement.»(216)
Selon al-Châfi'î, citant Abû Hurayrah :
«Le Messager d'Allah (Ç) a dit :
"Quiconque interdit les surplus d'eau au fourrage, Allah lui interdira la grâce de Sa Miséricorde le Jour de la Résurrection."»
Commentant ce hadith, al-Châfi'î a écrit :
«Ce hadith nous montre que personne n'a le droit d'interdire le surplus de son eau. Car Allah interdit la grâce de Sa Miséricorde à celui qui Lui désobéit. Et étant donné que l'interdiction du surplus de l'eau est une désobéissance (péché), personne ne doit interdire le surplus de l'eau.»(217)
3 - Lorsqu'on a demandé à al-Çâdiq (S) son jugement dans le cas d'un homme qui refuse de reconstruire son mur qui constitue le voile de séparation entre lui et son voisin, lorsqu'il tombe, il a dit :
«Il ne peut pas être contraint de le faire, sauf s'il doit cela au propriétaire de l'autre maison selon un droit ou une condition inscrits dans l'acte originel de propriété. Mais on dira au propriétaire de la maison : protège ton intimité dans ton droit (ta maison) si tu veux.»
On a demandé alors à al-Çâdiq (S) :
Et si le mur n'est pas tombé tout seul, mais que c'est lui qui le démolit ou veut le démolir pour nuire à son voisin et sans avoir besoin de le démolir ?
Il a répondu :
Non, on ne le laisse pas faire, car le Messager d'Allah (Ç) a dit : "Ni dommage, ni endommagement." Par conséquent, s'il le détruit, il doit le reconstruire.
4 - Et selon 'Obâdah, cité dans "Musnad" de l'imam Ahmad :
«Le Messager d'Allah (Ç) a jugé que : "ni dommage, ni endommagement", et "le travail d'un homme injuste n'engendre pas un droit." Et il a jugé entre les gens de Médine en ce qui concerne les dattiers :
L'opération de production a deux aspects :
1 - L'aspect objectif, représenté par le moyen utilisé, la nature exercée et le travail dépensé au cours de la production.
2 - L'aspect subjectif, représenté par la motivation psychologique, le but recherché dans cette opération et l'appréciation de celle-ci selon les conceptions de la justice adoptées.
C'est l'aspect objectif de l'opération qui constitue le sujet qu'étudie la science économique toute seule ou avec la participation des sciences naturelles, en vue de découvrir les lois générales qui régissent le moyen et la nature, afin que l'homme puisse maîtriser ces lois après leur découverte, et organiser l'aspect objectif de l'opération de production d'une façon meilleure et plus réussie.
Ainsi, la science économique découvre par exemple la loi de la récolte régressive dans l'agriculture, loi qui stipule que l'ajout d'unités supplémentaires de travail et de capital à un taux précis a pour contrepartie une augmentation d'un taux inférieur dans les résultats, et que cette différence entre le taux d'augmentation des unités et le taux d'augmentation des résultats continue, entraînant une diminution continuelle de l'augmentation de la récolte jusqu'à ce qu'elle tombe au niveau de l'augmentation des unités de travail et de capital. Dès lors, le cultivateur n'a plus intérêt à accroître encore la dépense dans la terre. Cette loi jette une lumière sur l'opération, et en la découvrant, le producteur peut éviter de gaspiller le travail et le capital, et déterminer les éléments de la production de façon qu'ils lui assurent la plus grande production possible.
Pareille à cette loi est la vérité selon laquelle la division du travail conduit à l'amélioration et à l'abondance de la production. C'est là une vérité objective que la science a le droit de découvrir et de mettre au service des producteurs afin qu'elle serve à améliorer et à développer la production.
Ainsi, la fonction que la science économique remplit pour la production est la découverte de ces lois qui permettent au producteur, en les connaissant, d'organiser l'aspect objectif de l'opération de production de telle sorte que cela aboutisse à un résultat plus grand et à une production plus abondante et de meilleure qualité.
Dans ce domaine, la doctrine économique, quelle qu'elle soit, n'a aucun rôle positif, car la découverte des lois générales et des relations objectives entre les phénomènes cosmiques ou sociaux relève de la fonction de la science, et n'entre nullement dans les compétences de la doctrine économique. C'est pourquoi, des sociétés qui divergeaient quant à leur doctrine économique pouvaient converger sur le plan scientifique et se mettre d'accord pour utiliser les données de la science économique et de toutes les sciences, et s'orienter à leur lumière dans les domaines de la production.
Le rôle positif de la doctrine apparaît seulement dans l'aspect subjectif de l'opération. Dans cet aspect se reflète en effet la contradiction doctrinale entre les sociétés qui divergent quant à leur doctrine économique. Car là, chaque société a son point de vue spécifique sur l'opération de production, son appréciation propre de cette opération, fondée sur ses conceptions générales, ainsi que sa méthode doctrinale pour définir les motivations et présenter les idéaux sublimes dans la vie.
Pourquoi produire ? Jusqu'à quelle limite ? Quels sont les buts recherchés de la production ? Quelles sortes d'articles produire ? Y a-t-il une force centrale qui supervise et planifie la production ? C'est à ces questions que la doctrine économique doit répondre.
2- LE DEVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION
Peut-être le seul point sur lequel sont d'accord, au plan doctrinal, toutes les doctrines, islamique, capitaliste et marxiste, est le développement de la production et l'utilisation de la nature au maximum dans le cadre général de la doctrine.
Toutes ces doctrines s'accordent pour reconnaître l'importance de ce but et la nécessité de le réaliser par tous les moyens et façons qui concordent avec le cadre général de la doctrine, et elles refusent ce qui n'est pas conforme à leurs propres cadres respectifs, pour des raisons de cohésion interne de chaque doctrine. Car le principe du développement de la production et de l'utilisation de la nature au maximum est une partie d'un tout, et c'est pourquoi il est en corrélation avec les autres parties dans chaque doctrine, et s'adapte selon sa position dans le complexe et ses relations avec les autres parties. Ainsi, le capitalisme par exemple refuse les moyens de développement de la production et d'augmentation de la richesse qui s'opposent au principe de la liberté économique, tandis que l'Islam refuse ceux qui ne concordent pas avec ses théories de la distribution et ses idéaux de justice, et le marxisme quant à lui croit que la doctrine ne s'oppose pas au développement de la production, mais qu'elle marche avec elle côte à côte, et ce conformément à son optique de la corrélation inévitable entre les rapports de production et la forme de la distribution, comme nous le verrons plus loin.
En tout état de cause, nous allons prendre pour point de départ de l'étude de la théorie islamique de la production le principe du développement de la production auquel l'Islam a cru, et qu'il a imposé à la société islamique de cheminer conformément à lui. C'est en vertu de ce principe que l'Islam a fixé comme objectif pour tout le monde le développement de la richesse et l'utilisation de la nature jusqu'au maximum doctrinalement possible. C'est à la lumière de ce principe que l'Islam définit sa politique économique, déterminée d'une part par le cadre doctrinal général, par les conditions et les circonstances objectives de la société de l'autre, et que l'Etat applique cette politique dans le cadre de ces limites.
Ce principe du développement de la production, nous pouvons l'apercevoir clairement à travers son application à l'époque de l'Etat islamique et à travers les Enseignements islamiques officiels dont l'Histoire garde encore de nos jours quelques traces. Citons parmi ces Enseignements, le programme que l'Imam 'Alî (S) a préparé à son gouverneur d'Egypte, Muhammad ibn Abî Bakr, en lui ordonnant de le suivre et de l'appliquer. En effet, selon al Chaykh al-Tûsî, lorsque l'Imam 'Alî (S) nomma Muhammad ibn Abî Bakr gouverneur d'Egypte, il lui écrivit une lettre en lui ordonnant de la lire aux Egyptiens, et de se conduire selon son contenu. Dans cette lettre, l'Imam 'Alî (S) écrivait notamment :
«O serviteurs d'Allah ! Les gens pieux ont obtenu le Bienfait présent et à venir : ils ont partagé avec les gens de ce monde leur vie présente, alors que ces derniers n'ont pas partagé avec eux l'Autre Monde. Allah leur a offert ce qui leur suffit et les satisfait totalement dans ce bas-monde. Allah, IL est Puissant et Glorifié, a dit en effet(218):
"Qui donc a déclaré illicites les parures qu'Allah a produites pour Ses serviteurs, et les excellentes nourritures qu'IL vous a accordées ? Dis : Ceci appartient aux Croyants durant leur vie de ce monde, mais surtout le Jour de la Résurrection ! Voilà com- ment nous expliquons les Signes à un peuple qui sait."
«Ils ont vécu ce bas-monde de la meilleure façon qu'il peut être vécu, et ils l'ont quitté de la meilleure façon qu'il peut être quitté. Ils ont ainsi partagé avec les gens de ce bas-monde celui-ci, en mangeant avec eux les excellentes nourritures qu'ils mangent, et en buvant les excellentes boissons qu'ils boivent, et ils ont porté les meilleurs vêtements qu'ils portent, habité les meilleurs logements qu'ils habitent, utilisé les meilleures montures qu'ils utilisent. Ils ont atteint les plaisirs de ce bas-monde avec les gens de ce bas-monde. Ils seront demain les voisins d'Allah : ils Lui exprimeront leurs voeux et IL les exauce. Rien ne leur sera refusé, et il ne leur manquera rien dans leur part au plaisir. A tout ceci, aspire donc, ô serviteurs d'Allah, tout homme sain d'esprit, et en vue de ceci on oeuvre en craignant Allah. Car il n'y a ni puissance ni force qui ne soient accordées par Allah.»
Cette lettre historique merveilleuse ne racontait pas une histoire dans laquelle l'Imam eût parlé de la réalité des hommes pieux sur la terre ou dans l'Histoire. Il visait à exprimer la théorie de la vie chez les gens pieux, et l'idéal que doit réaliser la société des gens pieux sur cette terre. C'est pourquoi il a ordonné qu'on applique ce qu'il y a dans la lettre et qu'on suive une politique conforme aux recommandations et aux instructions qui y figurent. La lettre indique donc très clairement que l'aisance matérielle que réalisent le développement de la production et l'exploitation maximale de la nature est un but que recherche la société des gens pieux et qu'impose la théorie que cette société adopte et à la lumière de laquelle elle s'achemine dans la vie.
Le but est en même temps revêtu du cadre doctrinal et déterminé par les limites de la doctrine comme le décide le Coran :
«O vous qui croyez ! Ne déclarez pas illicites les excellentes nourritures qu'Allah vous a permises. Ne soyez pas des transgresseurs. Allah n'aime pas les transgresseurs.»(219)
La prohibition de la transgression dans le domaine de l'utilisation et de l'exploitation de la nature est une expression coranique de ce cadre doctrinal général.
Les moyens islamiques du développement de la production
Lorsque l'Islam a adopté ce principe et fixé pour but à la société islamique le développement de la richesse et l'exploitation de la nature, il a mobilisé tous ses moyens doctrinaux pour réaliser ce but et pour trouver les fondements et les moyens dont il dépend.
Les moyens de la réalisation de ce but sont de deux sortes : des moyens doctrinaux, qu'il incombe à la doctrine sociale de trouver et d'assurer, d'une part, et des moyens purement applicatifs que l'Etat adoptant cette doctrine sociale exerce en définissant une politique pratique qui suit la tendance doctrinale générale.
L'Islam a fourni les moyens qui entrent dans son cadre, en sa qualité de doctrine sociale et d'un complexe civilisationnel global.
Les moyens de l'Islam sur le plan idéologique
Sur le plan idéologique, l'Islam a encouragé le travail et la production. Il l'a beaucoup valorisé et lui a lié la dignité de l'homme, son affaire auprès d'Allah et même sa raison. De cette façon, il a créé une base humaine propice à la propulsion de la production et au développement de la richesse, il a présenté des critères moraux et des appréciations spécifiques du travail et du chômage qui n'étaient pas connus avant lui. A la lumière de ces critères et appréciations, le travail est devenu un acte de piété pour lequel l'homme est récompensé, celui qui travaille pour gagner sa vie est préféré par Allah à l'adorateur qui ne travaille pas, et la paresse ou le refus du travail marque une imperfection dans l'humanité de l'homme et une cause de son insignifiance.
Selon un récit, l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) demanda un jour des nouvelles de quelqu'un. On lui répondit :
Il est dans le besoin alors qu'il reste à la maison pour adorer son Seigneur, et ce sont ses frères qui le nourrissent.
L'Imam dit :
Celui qui le nourrit est meilleur adorateur que lui.
Selon un autre récit, le Prophète (Ç) prit un jour la main d'un travailleur, abîmée par le travail, et l'embrassa en disant :
La recherche d'un gain licite est une obligation pour tout Musulman et toute Musulmane. Celui qui se nourrit du fruit du travail de sa main traverse le Çirât(220) comme un éclair. Celui qui mange le fruit du travail de sa main, Allah le regarde avec Miséricorde et ne le tourmente jamais. Celui qui mange le fruit du travail de sa main, d'une façon licite, Allah lui ouvre les portes du Paradis, et il peut y entrer par la porte de son choix.
Selon un autre récit, un homme passa un jour près de l'Imam Mohammad ibn 'Alî al-Bâqir (S) alors qu'il travaillait une terre lui appartenant. Il travaillait si dur qu'il transpirait. L'homme lui dit :
Qu'Allah te réforme ! Et si tu mourais dans cet état ?
L'Imam lui répondit par une formule qui traduit la conception du travail en Islam :
"Si la mort venait vers moi alors que je suis dans cet état, elle m'emporterait alors que je suis dans un état d'obéissance à Allah -IL est Puissant et Glorifié !"
Selon sa noble biographie, le Messager d'Allah avait coutume de se renseigner sur quelqu'un dont l'apparence lui plaisait. Si on lui disait que la personne en question était sans profession et n'exerçait pas de travail, elle se dépréciait à ses yeux, et le Prophète (Ç) commentait :
Si un Croyant n'a pas de profession, il vit de sa Religion.
Selon plusieurs hadith, le travail est considéré comme une partie de la Foi. Dans un hadith, il est dit :
«Travailler en vue d'améliorer ses conditions de vie fait partie de la Foi.»
Selon un autre hadith du Prophète (Ç) :
«Chaque fois qu'un Musulman plante une plante ou repique un plant, et qu'un homme ou une bête en mange, Allah inscrit à son crédit une aumône donnée.»
Selon une "information" (khabar), l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) dit à Ma'âth -un de ses compagnons, qui avait renoncé au travail :
O Ma'âth ! T'es-tu fatigué du commerce, ou l'as-tu déprécié ?
Ma'âth répondit :
Je n'en suis pas devenu incapable, ni ne l'ai déprécié ! J'ai beaucoup d'argent. Il est à ma disposition et je ne dois rien à personne. Je ne crois pas que je puisse l'épuiser avant de mourir !
L'Imam lui dit alors :
Ne le quitte pas, car l'abandonner c'est perdre la raison !
Dans un autre dialogue, l'Imam Ja'far (S) a répliqué à quelqu'un qui lui avait demandé de prier Allah pour qu'il gagne sa vie sans effort :
Je ne prie pas pour toi. Demande ce qu'Allah -IL est Puissant et Glorifié- t'a ordonné de faire.
Selon un récit, un groupe de compagnons se sont cloîtrés dans leurs maisons pour s'adonner exclusivement aux actes d'adoration, à la suite de la Révélation de ces Versets :
«... Quant à celui qui craint Allah, Allah donnera une issue favorable à ses affaires ; IL lui accordera Ses Dons par des moyens sur lesquels il ne comptait pas.»(221)
Et ils disaient : "Cela nous suffit".
Le Prophète (Ç) leur fit parvenir ceci :
«Quiconque agit de la sorte, Allah n'exauce pas ses voeux. Vous devez gagner votre subsistance par le travail.»
De même que l'Islam a résisté à l'idée du chômage, et a incité au travail, de même il a résisté à l'idée de la mise en suspens de certaines richesses naturelles et du gel de certains biens et de leur retrait du domaine de l'utilisation et de la fructification, et il a incité à mettre le plus grand nombre possible de forces et de richesses de la nature au service de la production et de l'homme dans les différents domaines de l'utilisation et de l'exploitation. L'Islam a considéré l'idée de la mise en suspens ou de la négligence de certaines ressources ou richesses de la nature comme une sorte d'ingratitude et de reniement du Bienfait qu'Allah -IL est Exalté- a accordé à Ses serviteurs.
En effet, Allah -IL est Exalté- a dit :
«Dis : Qui donc a déclarés illicites les parures qu'Allah a produites pour Ses serviteurs, et les excellentes nourritures qu'IL vous a accordées ? Dis : Ceci appartient aux Croyants durant leur vie de ce monde, mais surtout le Jour de la Résurrection. Voilà comment nous expliquons les Signes à un peuple qui sait.»(222)
Condamnant le mythe de la prohibition de certaines richesses animales, Allah a dit également :
«Allah n'a institué ni Bahîrah, ni Sâ'ibah, ni Waçîlah, ni Hâmi. Les incrédules ont forgé des mensonges contre Allah. Beaucoup d'entre eux ne comprennent rien.»(223)
Invitant l'homme à exploiter tous les domaines, Allah a dit aussi :
«C'est Lui Qui a fait pour vous la terre très soumise. Parcourez donc ses grandes étendues ! Mangez de ce qu'Allah vous accorde pour votre subsistance. La Résurrection se fera vers Lui.»(224)
L'Islam a préféré les dépenses de production aux dépenses de consommation par souci du développement de la production et de la croissance de la richesse, comme cela apparaît dans les textes transcrits d'après les dires du Prophète (Ç) et des Imams (S), et interdisant la vente du mobilier et de la maison en vue de la consommation
Les moyens de l'Islam sur le plan législatif
Sur le plan législatif, les législations de l'Islam concordent dans beaucoup de domaines avec le principe du développement de la production, auquel croit l'Economie islamique, et aident à son application.
Ci-après, nous passons en revue quelques-unes de ces législations.
1 - L'Islam a statué que si le propriétaire d'une terre suspend l'utilisation de celle-ci et la néglige jusqu'à ce qu'elle tombe en ruine, et qu'il refuse de la remettre en état, on doit l'en déposséder. Dans un tel cas, le Tuteur la met sous son contrôle et l'exploite de la manière qu'il estime bonne, car on n'a pas le droit de suspendre le rôle positif de la terre dans la production. La terre doit rester toujours un facteur solide qui contribue au bien-être de l'homme et à l'aisance de la vie. Si le droit individuel l'empêche de jouer ce rôle, on abolit ce droit, et on adapte la terre de façon à ce qu'elle soit productive(225).
2 - L'Islam a interdit le "hemâ" (la protection) -lequel consiste à contrôler une étendue de terre exploitable, et à la protéger par la force, sans y pratiquer aucun travail en vue de sa mise en valeur et de son exploitation- et il a lié le droit sur la terre au travail de la mise en valeur ou d'autres opérations semblables, en en excluant tous actes de force qui n'ont rien à voir avec la production et l'exploitation de la terre en faveur de l'homme(226).
3 - L'Islam n'a pas donné à l'individu qui commence une opération de mise en valeur d'une source de richesse naturelle, le droit de geler cette source et de suspendre le travail de sa mise en valeur. Il ne lui permet pas non plus de la garder au cas où il cesse de poursuivre le travail dans ce but ; car continuer à la contrôler dans ce cas conduirait à priver la production des énergies et des possibilités de cette source.
C'est pourquoi, en Islam, le Tuteur est chargé de confisquer ces sources à leurs propriétaires, s'ils suspendent leurs travaux de mise en valeur et qu'on ne parvient pas à les amener à y continuer le travail.
4 - L'Islam n'a autorisé le Tuteur à concéder à l'individu, dans les sources de richesse naturelle, que la portion qu'il est capable d'exploiter et de travailler(227), car une concession qui dépasserait sa capacité conduit à dissiper les richesses de la nature et ses possibilités de production.
5 - L'Islam a prohibé le gain sans travail, comme dans le cas d'un individu qui loue une terre contre une somme donnée, et qui la sous-loue ensuite contre un loyer supérieur, afin de gagner la différence entre les deux loyers, et dans d'autres hypothèses semblables dont nous avons parlé précédemment.
Il est évident que l'abolition du rôle de cet intermédiaire entre le propriétaire de la terre et l'agriculteur qui la cultive permet à la production d'économiser, car ledit intermédiaire ne joue aucun rôle positif dans la production, mais vit au détriment de la production sans lui rendre aucun service.
6 - L'Islam a prohibé l'intérêt et aboli le capital usuraire. Ce faisant, il s'assure de la conversion de ce capital dans la société islamique en un capital productif qui participe au projet industriel et commercial.
Cette conversion apporte deux avantages à la production :
a) Elle met fin à la contradiction amère entre les intérêts du commerce et de l'industrie d'une part, du capital usuraire de l'autre ; car dans les sociétés qui croient à l'intérêt usuraire, les capitalistes guettent toujours leur occasion en or -lorsque le besoin de capitaux chez les hommes d'affaires du commerce et de l'industrie se fait de plus en plus sentir, et que leur demande de capitaux augmente- pour rehausser les taux d'intérêts et ne prêter qu'avec un maximum d'intérêts
Mais lorsque la demande de capitaux venant des hommes d'affaires baisse, et que leur besoin de capitaux décroît, et que par conséquent les taux d'intérêts baissent aussi, les capitalistes offrent généreusement et au plus bas loyer leurs capitaux. Il est donc évident que l'abolition de l'intérêt met fin à cette contradiction que vit la classe des usuriers et la classe des commerçants dans la société capitaliste ; car l'abolition de l'intérêt aboutit naturellement à la conversion des capitalistes qui prêtaient leurs capitaux contre des intérêts usuraires en spéculateurs qui participent à des projets industriels et commerciaux sur la base du partage des bénéfices. De cette façon, les choses se précisent et le capital se met au service du commerce et de l'industrie, satisfaisant leurs besoins et suivant leur activité.
b) Elle permet à ces capitaux transférés vers l'industrie et le commerce d'être employés avec détermination et tranquillité dans de grands projets, et des travaux à long terme, étant donné qu'après l'abolition de l'intérêt, le capitaliste n'a d'autre espoir (de faire fructifier son capital) que le gain, lequel espoir le pousse à s'engager dans de grands projets alléchants par la perspective de leurs gains et de leurs résultats, et ce contrairement à ce qui se passe dans une société où prévaut le système d'intérêts et où le capitaliste préfère le prêt à intérêts à l'investissement dans lesdits projets, étant donné que l'intérêt est garanti dans tous les cas. Dans cette société, le capitaliste préfère également prêter à court terme et éviter le prêt à long terme qui pourrait le conduire à un manque à gagner dans les taux d'intérêts dans le cas où ceux-ci augmenteraient dans l'avenir. Cette préférence pour le prêt à court terme oblige donc les emprunteurs à employer leurs capitaux dans des projets à court terme afin de pouvoir rembourser au capitaliste prêteur à l'échéance la somme prêtée et l'intérêt convenu avec lui sur le prêt. En outre, dans un système d'intérêts, les hommes d'affaires ne prennent pas le risque d'emprunter aux capitalistes pour investir dans un projet industriel et commercial si la conjoncture ne leur permet pas la réalisation d'un gain supérieur au montant de l'intérêt exigé par le capitaliste. Ceci les empêche donc d'exercer un tas d'activités dans beaucoup de circonstances, et conduit les capitaux à dormir dans les caisses des capitalistes, les privant de participer au circuit économique et les empêchant de servir dans aucune sorte de dépense productive ou de consommation ; ce qui rend difficile l'écoulement de tous les produits, conduit au marasme du marché, à l'apparition de crises, à l'ébranlement de la vie économique. Par contre, lorsque l'intérêt est aboli et que les usuriers capitalistes se convertissent en commerçants participant directement aux différents projets commerciaux et industriels, ils constatent qu'il est de leur intérêt d'accepter de gagner un peu moins étant donné qu'ils n'ont pas à prélever une partie des gains à titre d'intérêts. Ils constatent également qu'il est aussi de leur intérêt d'investir le surplus de leurs gains dans des projets de production et de commerce, ce qui conduit à dépenser tout le produit dans la consommation et la production et à empêcher qu'une partie de ce produit ne dorme dans la poche des usuriers alors que le commerce et l'industrie en ont besoin et que l'écoulement d'une partie de la production dépend de sa dépense (de son utilisation).
7 - L'Islam a prohibé certaines activités stériles sur le plan de la production, telles que les paris, la magie, l'escamotage, et n'a pas autorisé qu'on gagne sa vie à travers de telles activités.
«Ne mangez pas injustement vos biens entre vous.»(228)
Car ces activités constituent une dilapidation des énergies saines et productives de l'homme, et les salaires injustes que l'on paie à ceux qui s'y adonnent sont une perte d'argent que l'on pourrait convertir en un facteur de développement et de production. Un coup d'oeil global sur l'Histoire et la réalité vécue suffit pour nous convaincre de la dilapidation qui résulte de ce genre d'activités et du fait qu'on en fait un moyen de gagner sa vie, et de la perte énorme que subissent la production et tous les buts bénéfiques à cause de la dilapidation de ces énergies, de ces efforts, et de cet argent.
8 - L'Islam a empêché la thésaurisation de l'argent et son retrait de la circulation et son gel en prélevant un impôt sur la monnaie en or et en argent qu'on thésaurise, et qui constituait la monnaie de l'Etat islamique. Il s'agit de l'impôt de la Zakât, qui absorbe à la longue la monnaie épargnée puisqu'il est renouvelable tous les ans et qu'il prélève chaque fois (chaque année) le quart du dixième de l'argent épargné, et ce jusqu'à ce qu'il n'en reste que vingt dinar. C'est pourquoi la Zakât est considérée comme une confiscation progressive du bien épargné et non utilisé dans le travail. En mettant ainsi fin à la thésaurisation, tous les capitaux se précipitent dans les domaines de l'activité commerciale et exercent peu à peu un rôle positif dans la vie économique. De cette façon, la production gagne beaucoup de ces capitaux qui, sans l'impôt sur l'argent épargné, tendent de par leur nature à dormir dans les poches de leurs propriétaires au lieu de participer aux projets industriels, agricoles, etc.
En vérité, l'interdiction de thésauriser l'argent en Islam n'est pas un phénomène accidentel dans la législation islamique. Elle traduit plutôt l'un des aspects du différend important entre la doctrine islamique et la doctrine capitaliste, et reflète la façon dont l'Islam a pu se débarrasser des problèmes capitalistes conséquents à l'anomalie du rôle capitaliste de l'argent, laquelle anomalie conduit à des complications des plus graves, menace le mouvement de la production et secoue continuellement la société capitaliste.
Pour éclaircir le différend important entre les deux doctrines sur ce point, il faut distinguer entre le rôle originel de l'argent et le rôle accidentel qu'il joue dans le capitalisme, et comprendre la différence entre ces deux rôles quant à leurs conséquences et leurs retombées sur le mouvement de la production et sur d'autres...
En effet, la monnaie est naturellement un instrument d'échange. L'homme s'en est servi comme d'un moyen d'échange pour éviter les problèmes du troc, qui résultaient d'un échange direct des produits. Les premiers producteurs ont constaté, après la division du travail et l'organisation de leur vie sur la base de l'échange, qu'il était difficile d'échanger leurs produits d'une façon directe, car le producteur de blé, par exemple, ne pouvait obtenir de la laine, dont il avait besoin et quand il en avait besoin, auprès du producteur de laine, en échange de son blé, que si celui-ci avait à son tour besoin de blé. De même, lorsque le berger voulait se procurer du blé pour ses besoins journaliers, il ne pouvait pas le faire au moyen du troc, car le mouton qu'il paissait avait une valeur supérieure à celle du blé dont il avait besoin pour sa consommation quotidienne, et il ne pouvait pas le diviser pour la circonstance. En outre, l'échange direct des produits se heurtait à la difficulté d'évaluer la valeur des marchandises offertes à l'échange ; car pour connaître la valeur d'une marchandise, il fallait la comparer à toutes les autres marchandises afin de connaître sa valeur par rapport à celles de toutes les autres(229). Donc, l'invention de la monnaie a constitué une solution à tous ces problèmes. Elle a joué le rôle de critère général de la valeur d'une part, et elle est devenue un instrument d'échange, d'autre part. Ainsi, sur le premier plan, elle était utilisée comme un déterminant des valeurs des marchandises puisqu'en comparant celles-ci avec l'article produit, en tant que monnaie, on pouvait déterminer leurs valeurs respectives, et sur le second plan, elle servait de moyen de circulation. Ainsi, après que la circulation s'est faite sur la base du troc, et de la vente du blé contre la laine, la monnaie est venue transformer cet acte de vente en deux actes : la vente et l'achat, à travers lesquels le propriétaire du blé vend celui-ci à cent dirham, puis accomplit un autre acte en achetant avec cet argent la laine dont il a besoin. De cette façon, deux échanges ont remplacé l'échange direct entre les produits, et par ce moyen toutes les difficultés qui résultaient du système de l'échange ont disparu.
Nous apprenons de ce qui précède que le rôle originel pour lequel la monnaie a été inventée est celui de critère général de la valeur et d'instrument général de la circulation.
Par la suite, le rôle de la monnaie ne se limita plus à cette fonction consistant à résoudre les difficultés et les problèmes du troc, mais il a été utilisé pour jouer un autre rôle, accident et sans rapport avec la résolution desdits problèmes et difficultés, à savoir le rôle de la thésaurisation et de l'épargne. La raison en est que l'entrée de la monnaie dans le domaine de la circulation a transformé l'opération unique -la vente du blé contre la laine- en deux opérations : le producteur du blé devait désormais vendre tout d'abord sa production pour acheter ensuite de la laine, alors qu'auparavant il vendait le blé et achetait la laine en une seule opération. Cette séparation entre l'opération de vente du blé et celle d'achat de la laine a permis au vendeur du blé d'ajourner l'achat de la laine, et bien plus, elle lui a permis de vendre le blé rien que pour satisfaire son désir de transformer ce blé en monnaie et de conserver la monnaie pour un moment de besoin. De là est né le rôle de la monnaie en tant qu'instrument de thésaurisation et d'épargne des biens.
Ce rôle accidentel de l'argent comme instrument de thésaurisation a joué le jeu le plus difficile sous le capitalisme qui a encouragé l'épargne et fait de l'intérêt la plus grande force d'attraction vers l'épargne. Ceci a conduit à un déséquilibre entre la demande totale et l'offre totale de tous les articles de production et de consommation, alors que l'équilibre entre eux était garanti à l'époque du troc qui se faisait sur la base de l'échange direct des produits, car le producteur ne produisait à cette époque-là que la quantité dont il avait besoin pour sa consommation ou pour être échangée contre un autre article de consommation. Ainsi l'article produit garantissait-il toujours une demande équivalente, et par conséquent la production était toujours égale à la consommation, ou en d'autres termes l'offre totale était égale au total de la demande. En revanche, à l'époque de la monnaie, l'opération de la vente étant séparée de celle de l'achat, il n'était plus nécessaire pour le producteur d'avoir une demande égale à l'article qu'il produisait. Il pouvait produire dans le but de vendre, et d'obtenir de l'argent qu'il ajoutait aux économies qu'il avait déjà faites, et non pas dans le but d'acheter un article chez un autre producteur. Il en résultait donc une offre sans demande équivalente, ce qui conduisait à un déséquilibre entre l'offre générale et la demande générale, et ce déséquilibre s'aggravait autant que la volonté de thésaurisation s'affirmait chez les producteurs et les vendeurs et le phénomène de l'épargne se généralisait. Il s'ensuivait qu'une grande partie de la richesse produite demeurait invendue, que le marché capitaliste souffrait du problème de son écoulement et de la crise de son accumulation, et que le mouvement de la production et par voie de conséquence l'ensemble de la vie économique s'exposaient aux plus graves dangers.
Pendant un certain temps, le capitalisme fut inconscient de la vérité de ces problèmes résultant du rôle de thésaurisation que joue la monnaie, car il se fiait à la théorie de l'écoulement selon laquelle lorsqu'un individu veut vendre un article, il ne le fait pas par désir de l'argent en soi, mais pour obtenir un autre article dont il a besoin, ce qui signifierait que la production de tout article crée une demande équivalente d'un autre article, et que par conséquent l'offre et la demande resteront toujours à égalité.
Cette théorie suppose ainsi que le vendeur de l'article vise toujours, par sa vente, l'obtention d'un autre article, alors que cette supposition n'est valable que pour l'époque du troc, lequel unit en une seule opération l'achat et la vente, et elle ne s'applique pas à l'époque de la monnaie, laquelle permet au commerçant de vendre l'article dans l'intention d'obtenir encore plus d'argent à thésauriser et à épargner, et de l'employer par la suite dans des opérations de prêt à intérêt.
Ayant passé en revue ces renseignements concernant l'argent, son rôle originel et son rôle accident, ainsi que leurs conséquences, nous pouvons nous rendre compte de la différence essentielle entre l'Islam et le capitalisme : alors que ce dernier admet l'emploi de l'argent comme un instrument de thésaurisation et l'encourage en instituant le système de l'intérêt, l'Islam le combat en imposant l'impôt sur la monnaie thésaurisée et en encourageant la dépense de l'argent dans les domaines de la consommation et de la production, et ce à tel point que l'Imam Ja'far ibn Mohammad al-Çâdiq (S) a dit :
«Allah vous a donné ces surplus de biens pour que vous les utilisiez dans le domaine qu'Allah leur a assigné ; IL ne vous les a pas donnés pour que vous les thésaurisiez.»
En combattant la thésaurisation, l'Islam a mis fin à l'un des problèmes les plus importants dont souffre le capitalisme. Et ce faisant, il sait que la société islamique qu'il instaure n'est pas obligée de thésauriser et d'épargner en vue de développer la production et de réaliser de grands projets, comme c'est le cas pour la société capitaliste qui a pu former, par la thésaurisation et l'épargne, des capitaux considérables en rassemblant les biens épargnés grâce aux banques et d'autres entreprises, et qui a pu employer ces sommes considérables accumulées d'argent dans les projets de production. Car étant donné que la société capitaliste est dominée par la propriété privée, elle avait impérativement besoin de propriétés privées considérables pour l'aider à réaliser de grands projets de production. Et étant donné qu'il n'était possible de constituer ces propriétés que grâce à l'encouragement à l'épargne et au rassemblement des biens épargnés par l'intermédiaire des banques capitalistes, la société capitaliste était obligée de prendre ces mesures afin de développer et d'amplifier la production. En revanche, la société islamique peut compter sur les domaines de la propriété publique et de la propriété de l'Etat pour la réalisation des grands projets, laissant aux propriétés privées les domaines que peuvent contenir leurs possibilités.
9 - L'interdiction du divertissement (passe-temps) et du badinage. En effet, le hadith a interdit ce qui conduit à se distraire de l'invocation d'Allah, et prohibé plusieurs sortes de divertissements qui conduisent au relâchement et à la mollesse de la personnalité de l'homme, et par conséquent à son écart du domaine de la production et du travail fructueux et à sa tendance à préférer autant que faire se peut une vie de jeu et de divertissement à une vie d'effort et de travail, et de toutes sortes de productions matérielles et morales.
10 - Essayer d'empêcher la richesse de se concentrer, conformément au texte coranique :
«... afin que ce ne soit pas attribué à ceux d'entre vous qui sont riches.»(230)
et c'est ce que nous allons expliquer dans notre étude de la théorie de l'équilibre social et économique en Islam. Bien que cette interdiction de la concentration de richesses soit directement liée à la distribution, elle est également liée indirectement à la production, à laquelle elle finit par nuire, étant donné que lorsque la richesse se concentre entre les mains d'une poignée d'individus, la misère se généralise, le besoin grandit pour l'écrasante majorité des gens, et par voie de conséquence, le public se trouve dans l'incapacité de satisfaire ses besoins en marchandises en raison de la baisse de son pouvoir d'achat. Il s'ensuit que les produits s'accumulent et ne s'écoulent pas, le marasme prévaut dans l'industrie et le commerce, et la production s'arrête.
11 - Réduire les manoeuvres du commerce, en le considérant comme une branche de la production, comme nous l'expliquerons dans une prochaine phase de la découverte de la théorie de la production, où nous constaterons combien cela affecte la production et son développement.
12 - L'Islam attribue la propriété du bien aux proches d'un propriétaire après sa mort. Et c'est là l'aspect positif des statuts de l'héritage, que l'on peut considérer comme un facteur qui, dans le secteur public, pousse l'homme au travail et à l'exercice de différentes sortes d'activités économiques, et même un facteur essentiel dans les dernières étapes de la vie de l'homme, pendant lesquelles la pensée de l'avenir s'affaiblit chez lui pour être remplacée par la pensée des enfants et des proches, et il trouve dans les statuts de l'héritage qui stipulent le partage de ses biens entre ses proches parents après sa mort un facteur qui l'incite au travail et le pousse à développer la fortune par attachement aux intérêts des siens considérés comme un prolongement de son existence.
Quant à l'aspect négatif des statuts de l'héritage, lequel coupe le lien du propriétaire avec ses biens après sa mort et ne lui permet pas de décider par lui-même du sort de sa fortune, il résulte comme nous l'avons vu de la distribution de l'anté-production et il lui est lié.
13 - L'Islam a posé comme nous l'expliquerons dans un prochain chapitre les principes législatifs de la sécurité sociale. La sécurité sociale joue un grand rôle dans le secteur public, car le fait que l'homme ait le sentiment d'être assuré par l'Etat et qu'un niveau de vie convenable lui soit garanti même s'il perd son projet constitue un important crédit psychologique qui renforce son courage, le pousse à s'engager dans les différents domaines de la production, et développe en lui l'élément de la création et de l'invention ; et c'est à l'opposé de celui qui, privé d'une telle garantie et n'ayant pas le sentiment de cette assurance, s'abstient souvent de participer aux différentes activités et à la créativité, par peur d'une éventuelle perte qui non seu- lement menacerait son bien, mais menacerait aussi sa vie et sa dignité en l'absence d'une source qui l'assurerait et lui garantirait une vie convenable s'il perdait son bien sur la lancée du courant. De là, il n'aurait pas ce courage et cette détermination que suscite la sécurité sociale dans l'esprit de ceux qui en bénéficient.
14 - L'Islam a interdit aux gens aptes au travail et à l'exercice d'une activité économique la sécurité (l'aide) sociale, et il leur a interdit de mendier. De cette façon, il les a empêché de fuir le travail fructueux, ce qui conduit naturellement à la mobilisation de leurs énergies dans la production et l'exploitation.
15 - L'Islam a prohibé la prodigalité et la dilapidation. Cette prohibition met une limite aux besoins de consommation et met à la disposition des dépenses de production beaucoup d'argent qui aurait pu être dilapidé et gaspillé dans des dépenses de consommation.
16 - L'Islam a rendu "obligatoire sous réserve de suffisance"(231) pour l'ensemble des Musulmans l'apprentissage de tous les artisanats et industries par lesquels la vie s'organise.
17 - L'Islam ne s'est pas contenté de cette mesure, mais il a aussi imposé aux Musulmans l'obligation d'atteindre le plus haut niveau possible d'expérience de vie générale dans tous les domaines, et ce afin de permettre à la société islamique de posséder tous les moyens moraux, scientifiques et matériels - y compris les différents moyens et possibilités de production- qui l'aident dans son rôle dirigeant dans le monde. Allah a dit, en effet :
«Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez de forces...»(232)
Dans ce texte, la force est absolue et n'est pas définie. Elle comprend toutes sortes de forces susceptibles d'accroître la capacité de la Ummah dirigeante à porter son Message vers tous les peuples du monde. En tête de ces forces, figurent les moyens moraux et matériels de développement de la richesse et de l'asservissement de la nature au profit de l'homme.
18 - L'Islam a donné à l'Etat la possibilité de diriger tous les secteurs de la production à travers le secteur public. Il est évident que le fait de mettre un grand domaine de la propriété de l'Etat et la propriété publique à la disposition d'une expérience menée par l'Etat, transforme cette expérience en une force directrice et dirigeante des autres domaines et permet aux projets de production similaires de s'inspirer de ladite expérience et d'adopter les meilleurs moyens d'améliorer la production et de développer la richesse.
19 - L'Islam a conféré à l'Etat la capacité de rassembler un grand nombre de forces humaines actives et de les utiliser dans les domaines du secteur public. De cette façon, il permet à l'Etat d'empêcher la dilapidation de la partie de ces forces qui excéderait le besoin du secteur public et d'assurer la participation de toutes les énergies au mouvement de la production totale.
20 - Enfin, il est accordé à l'Etat -en vertu de statuts spécifiques que nous étudierons dans les phases prochaines de la théorie de la production- le droit de contrôler et de planifier d'une façon centrale la production, afin d'éviter le chaos qui conduit à paralyser le mouvement de la production et à détruire la vie économique.
La politique économique du développement de la production
Tels sont donc les services que l'Islam a rendus, en tant que doctrine, en vue du développement de la production et de la croissance de la richesse. Ceci fait, il a laissé à l'Etat le soin d'étudier les conditions objectives de la vie économique, et de recenser les richesses naturelles du pays, et de comprendre les énergies latentes de la société et les problèmes qu'il vit, et de définir à la lumière de tout cela -et dans les limites doctrinales- la politique économique susceptible de conduire à la croissance de la production et au développement de la richesse, et garantir une vie aisée et un niveau de vie convenable.
C'est de cette façon que nous devons comprendre la relation de la doctrine avec la politique économique que l'Etat définit et détermine pour une période de cinq ans ou de sept ans, ou encore moins, ou bien davantage, en vue d'atteindre un but précis au terme de cette période. Cette politique n'est pas une partie de la doctrine, et celle-ci n'a pas pour fonction de la définir et de la mettre au point, car elle diffère selon les circonstances objectives, la sorte des possibilités que possède la société, et la nature des problèmes et des difficultés qu'il est indispensable de résoudre et d'aplanir. Ainsi, un pays à forte densité d'habitants, par exemple, diffère d'un pays vaste et peuplé d'une population peu nombreuse, quant à ses possibilités, ses problèmes et les moyens de résoudre ces problèmes et de mobiliser toutes ses possibilités. Donc, chaque circonstance objective a une influence sur la définition de la politique à suivre.
C'est pourquoi il était nécessaire que la doctrine laisse à l'Etat le soin de mettre au point les détails de cette politique afin qu'il puisse choisir le plan qui s'adapte aux circonstances ambiantes, et qu'elle se contente de définir les buts principaux de la politique économique, ses limites générales, et son cadre doctrinal global que l'Etat doit respecter et dans les limites duquel il doit mettre au point sa politique.
Nous avons étudié, de la théorie de la production, le point sur lequel sont doctrinalement d'accord tous les courants de pensée des doctrines économiques. Nous avons commencé par ce point afin d'en faire l'axe à partir duquel nous entamons l'étude des différends doctrinaux et de leurs détails.
En effet, nous avons appris que le principe du développement de la production et de l'exploitation maximale de la nature est l'un des principes essentiels dans la théorie islamique, et l'un des buts sur lesquels l'Islam s'accorde avec toutes les doctrines.
Toutefois, ces doctrines, malgré leur accord sur ce principe, divergent quant aux détails et à leur façon d'y penser, selon la différence de leurs bases de pensée, leur cadre civilisationnel général et leurs conceptions de l'univers, de la vie et de la société.
Ainsi, il y a par exemple une différence entre ces doctrines quant au but originel du développement de la richesse et du rôle de celle-ci dans la vie. A la question de savoir pourquoi nous produisons, et quel est le rôle de la richesse, chaque doctrine répond à sa façon propre selon le fondement de son idéologie et la vision générale qu'elle adopte. Lorsque nous étudions la doctrine en Islam ou toute autre doctrine économique, ainsi que sa position vis-à-vis de la production, il ne nous suffit pas de connaître la croyance de cette doctrine au principe du développement de la production et de la richesse, mais nous devons en comprendre le fondement idéologique qui explique la conception de la doctrine de la richesse, de son rôle et de ses buts ; car le développement de la richesse varie selon le fondement idéologique de ce développement et selon la vision générale qui y est attachée. Le développement de la richesse pourrait différer -selon qu'il est fondé sur une base idéologique donnée ou sur une autre- suivant le cadre du développement et les moyens de réaliser ce développement, que la base idéologique impose.
Pour définir la base idéologique, nous ne pouvons pas séparer la doctrine économique en tant qu'une partie d'un complexe civilisationnel complet, de la civilisation à laquelle elle appartient et de ses conceptions de la vie et de l'univers.
Partant de là, nous allons étudier les conceptions de la production, de son rôle et de ses buts chez le capitalisme et la doctrine islamique, non seulement en tant que deux doctrines économiques mais aussi, et en plus, en tant que deux façades de deux civilisations différentes, et ce afin de présenter la base idéologique du développement de la production du point de vue de l'Islam, comparée à la base idéologique du développement de la richesse dans le capitalisme.
Dans la civilisation matérialiste moderne dont la façade doctrinale économique est historiquement le capitalisme, le développement de la richesse est considéré ordinairement comme un but originel et un objectif essentiel, car selon les critères que l'homme de cette civilisation suit dans la vie, la matière est tout. Au-delà d'elle, il ne voit aucun autre but. C'est pourquoi il essaie de développer la richesse pour la richesse elle-même et dans l'espoir de réaliser le plus haut niveau d'aisance matérielle.
De même, le capitalisme considère le développement de la richesse dans sa globalité et séparément de la distribution, lorsqu'il choisit les moyens de réaliser ce but. Il considère que le but est réalisé si le total de la richesse de la société augmente, et ce abstraction faite du degré de répartition de cette richesse dans la société et de la part des individus de cette société dans l'aisance et le bien-être que ladite richesse apporte. C'est pourquoi la doctrine capitaliste a encouragé l'emploi de l'outil industriel à l'époque de l'industrie mécanique, car l'outil contribue à l'accroissement de la richesse totale de la société, et ce même s'il a conduit à la mise au chômage de milliers de personnes qui ne possédaient pas cet outil, et à la faillite de leurs projets.
Ainsi, la richesse est un but originel dans la civilisation matérialiste, et son développement se mesure, selon la conception capitaliste, par la croissance du total de la richesse globale de la société.
Dans la pensée capitaliste, le problème économique est lié à la rareté de la production, à la non-générosité de la nature, et au fait que celle-ci manque de répondre à toutes les demandes. C'est pourquoi le traitement du problème était lié au développement de la production et à l'exploitation maximale des forces et des trésors de la nature à travers l'anéantissement de la résistance de celle-ci et le redoublement de son asservissement à l'homme.
Or l'Islam a une position différente vis-à-vis de tout ceci :
Le développement de la richesse n'est pas le but originel en Islam, bien qu'il fasse partie de ses buts. L'Islam ne considère pas le développement de la richesse séparément de la distribution et sur la base de la richesse globale. De même, le problème économique ne découle pas -selon l'Islam- de la rareté de la production pour que son traitement fondamental soit le développement du total de la richesse globale. Voyons, ci-après, la position islamique en détail.
La conception de la richesse en Islam
En ce qui concerne la vision de la richesse en tant que but originel, nous pouvons définir la conception de l'Islam de la richesse à la lumière des textes qui ont traité de cette question et essayé d'expliquer la conception islamique de la richesse.
Nous pouvons classer lesdits textes en deux catégories. Le lecteur pourrait de prime abord sentir une contradiction entre leurs données idéologiques de la richesse, de ses buts et de son rôle, mais une opération de synthèse de ces données résoudra le problème et cristallisera la conception islamique intégrale du développement de la richesse dans ses deux tranchants.
Dans la première catégorie se classent les textes suivants :
a) Le Prophète (Ç) a dit :
«La meilleure aide pour atteindre à la crainte d'Allah (taqwâ) est la richesse.»
b) Selon l'Imam al-Çâdiq (S) :
«La meilleure aide pour l'Autre Monde, c'est la vie d'ici-bas.»
c) Selon l'Imam al-Bâqir (S) :
«La meilleure façon d'obtenir l'Autre Monde, c'est la vie d'ici-bas.»
d) Le Prophète (Ç) a dit :
«O Allah ! Bénis notre pain et ne nous sépare pas de lui, car sans pain nous n'aurions ni prié, ni jeûné, ni accompli nos obligations envers notre Seigneur.»
e) Selon al-Çâdiq (S) :
«Il n'y a rien de bien dans celui qui n'aime pas amasser de façon licite de l'argent pour sauvegarder sa dignité, acquitter sa dette et aider son prochain.»
f) Un homme a dit un jour à al-Çâdiq (S) :
Par Allah ! Nous demandons ce monde et nous aimons qu'il nous soit disponible !
Pour quoi faire, lui a demandé al-Çâdiq (S) ?
- Pour que je profite de ses bienfaits, ma famille et moi-même, pour que j'en tire de quoi aider mon prochain, faire l'aumône, accomplir le Pèlerinage et la 'Omrah (Pèlerinage mineur), a répondu l'homme.
-Dans ce cas, ce n'est pas ce monde que tu demandes, mais l'Autre Monde.
g) «Il n'est pas des nôtres celui qui abandonne son bas-monde pour l'Autre Monde, ni celui qui abandonne l'Autre Monde pour ce bas-monde.»
La seconde catégorie comprend les textes suivants :
a) Selon le Prophète (Ç) :
«Qui aime ce bas-monde nuit à sa vie de l'Au-delà.»
b) Selon al-Çâdiq (S) :
«Il y a, à la tête de tout péché, l'amour de ce bas-monde.»
c) Selon al-Çâdiq (S) aussi :
«Le serviteur se trouve le plus loin d'Allah lorsqu'il ne se soucie que de son ventre et de son sexe.»
d) Selon l'Imam 'Alî (S) :
«La meilleure façon de se conduire pour observer la Religion, c'est d'être ascète dans ce bas-monde.»
Il n'est difficile pour personne de remarquer la contradiction apparente entre les deux catégories, car dans la première la vie d'ici-bas, la richesse et la fortune constituent la meilleure aide pour s'assurer l'Autre Monde, et elles sont considérées comme la tête de tout péché dans la seconde.
Mais cette contradiction peut être résolue par une opération de synthèse. Car si la richesse et son développement constituent à la fois la meilleure aide à l'accession à la vie tranquille de l'Autre Monde et la tête de tout péché, c'est parce qu'elles représentent un instrument à double tranchant et que c'est son cadre psychologique qui montre selon le cas ce tranchant-ci ou ce tranchant-là. En effet, dans l'optique de l'Islam, la richesse et son développement est l'un des buts importants poursuivis, mais c'est un but qui constitue un moyen, et non pas un but qui serait une fin en soi. La fortune n'est pas le but authentique que le Ciel fixe à l'homme musulman sur la terre, mais seulement un moyen à travers lequel l'homme musulman accomplit le rôle de Khilâfah (lieutenance, mandat) et qu'il utilise en vue de développer toutes les énergies humaines et de sublimer l'humanité de l'homme dans ses domaines moraux et matériels. Ainsi, le développement de la richesse et de la production en vue de réaliser le but essentiel de la Khilâfah (mandat) de l'homme sur la terre devient la meilleure aide à l'accession à la vie de l'Au-delà.
Celui qui ne s'efforce pas de réaliser ce but n'a rien de bon, et les Musulmans, en tant que porteurs du Message dans la vie, ne doivent pas abandonner et négliger ce but. Par contre, le développement de la richesse et de la production pour la richesse elle-même et en tant que domaine dans lequel l'homme exerce sa vie et plonge, constitue la tête de tout péché et c'est cela qui éloigne l'homme de son Seigneur et c'est cela qu'il faut abandonner.
L'Islam veut donc que l'homme musulman développe la richesse pour pouvoir la contrôler et l'utiliser en vue de développer son existence en tant que tout, et non pas pour que la richesse elle-même ait une prise sur lui, ni qu'elle lui prenne les rênes de la direction, ni qu'elle écarte de sa vue les grands objectifs.
La richesse et les moyens de son développement qui forment un rideau entre l'homme et son Seigneur, qui le distraient de ses désirs spirituels, qui suspendent son grand Message d'instaurer la Justice sur cette planète et qui le font s'attacher à la terre, l'Islam les rejette. Par contre, la richesse et les moyens de son développement qui mettent l'accent sur le lien de l'homme musulman avec son Seigneur Bienfaiteur, qui lui permettent de L'adorer avec facilité et aisance, qui facilitent le développement et le perfectionnement de tous ses dons et énergies, et qui l'aident à réaliser ses idéaux de justice, de fraternité et de dignité, constituent le but que l'Islam fixe à l'homme musulman et le poussent vers lui.
Le rattachement du développement de la production à la distribution
En ce qui concerne l'idée capitaliste -du développement de la production- qui considère l'opération du développement de la richesse indépendamment de la façon de sa distribution, l'Islam rejette cette idée et lie le développement de la richesse en tant que but à la distribution et à la condition que ce développement apporte l'aisance et le bien-être aux membres de la Ummah ; car le développement de la richesse est dans l'optique de l'Islam un but de moyens, et non pas un but final, comme nous l'avons dit dans la précédente section. Donc, tant que les opérations du développement ne contribuent pas à répandre l'aisance et le bien-être entre les individus, et tant qu'elles ne leur apportent pas les conditions leur permettant de donner libre cours à leurs dons bienveillants et de réaliser leur Message, le développement de la richesse ne pourra pas jouer son rôle sain dans la vie de l'homme.
C'est pour cette raison qu'on remarque que dans la lettre de l'Imam 'Alî au Gouverneur d'Egypte (lettre dans laquelle celui-là fixait à celui-ci le programme islamique qu'il devait appliquer) ce qui est conçu, s'agissant du "développement de la richesse" en tant que l'un des buts de la richesse de la "société des gens pieux" (selon l'expression de la lettre) ce n'est pas une accumulation considérable de la richesse, mais l'aisance et le bien-être généralisés à la vie de tous les membres de la société des gens pieux. Ceci confirme donc que le développement de la richesse n'est un but que dans la mesure où ce développement se reflète dans la vie et les moyens d'existence des gens. Mais lorsque la richesse se développe indépendamment de la vie des gens et que le public est mis au service de ce développement, et non pas le contraire, la richesse devient l'objet d'une sorte d'idolâtrie et un but final, et non pas un but de moyens, et on peut lui appliquer cet avertissement du Prophète (Ç) lorsqu'il parlait de cette sorte de richesse et mettait en garde contre ses dangers :
«Les dinar jaunes et les dirham blancs vont vous faire périr comme ils ont fait périr ceux qui vous ont précédés.»
Partant de là, l'Islam, lorsqu'il fixe comme but de la société le développement de la production, a présent à l'esprit l'association de ce développement à l'aisance et aux bien-être généraux. C'est pourquoi il rejette les moyens de développement qui ne concordent pas avec cette vision et qui nuisent aux gens au lieu de leur faciliter la vie.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons estimer que si l'Islam avait pris les rênes de la direction au lieu du capitalisme, à l'époque de la naissance de la machine à vapeur, il n'aurait autorisé l'utilisation de ce nouvel outil -qui, tout en doublant la production, a éliminé des milliers de travailleurs manuels- qu'une fois les difficultés et les dégâts que cause cet outil à ces travailleurs, éliminés, car le développement que l'outil réalise avant l'élimination desdits difficultés et dégâts ne sera pas un but de moyens, mais un but final.
La conception islamique du problème économique
Enfin, l'Islam considère que le problème économique fondé sur une conception réaliste des choses n'est pas né de la rareté des sources de la production et de la parcimonie de la nature.
Certes, les sources de la production dans la nature sont limitées, alors que les besoins de l'humanité sont nombreux et variés. Certes aussi, une société utopique jouissant de ressources illimitées et aussi disponibles que l'air demeurerait à l'abri des problèmes économiques et ne connaîtrait pas de pauvres, étant donné que chaque individu serait en mesure de satisfaire tous ses désirs dans ce paradis. Mais cela ne veut pas dire que le problème économique dont souffre l'humanité dans la réalité découle de l'inexistence de ce paradis terrestre. Pis, tenter de l'expliquer sur cette base n'est qu'une façon d'éviter d'affronter la face réelle du problème -celle qui a une solution- en mettant en évidence la face utopique du problème -celle qui ne peut être résolue en aucun cas- et ce afin de faire admettre qu'il s'agirait d'un problème inévitable et d'en limiter la solution relative au développement de la production en tant qu'opération visée en elle-même, ce qui conduit en conséquence à placer le système économique dans le cadre du problème -au lieu de rechercher un système susceptible de résoudre ce problème. C'est ce qu'a fait le capitalisme lorsqu'il a mis en évidence la face utopique du problème et qu'il s'est imaginé qu'étant donnée la parcimonie de la nature ou son incapacité à satisfaire tous les besoins de l'homme, il était naturel que les hommes se heurtent et s'opposent entre eux et que s'impose par conséquent la nécessité de trouver le système économique qui coordonne ces besoins et détermine ceux d'entre eux qui doivent être satisfaits.
L'Islam rejette tout cela, et regarde le problème sous son angle réaliste susceptible d'être résolu et ce, conformément à la Parole d'Allah :
«Allah ! C'est Lui Qui a créé les cieux et la terre et Qui fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle IL fait pousser des fruits pour votre subsistance. IL a mis à votre service le vaisseau pour que celui-ci, par Son Ordre, vogue sur la mer. IL a mis à votre service les fleuves. IL a mis à votre service le soleil et la lune qui gravitent avec régularité. IL a mis à votre service la nuit et le jour. IL vous a donné tout ce que vous Lui avez demandé. Si vous vouliez compter les Bienfaits d'Allah, vous ne sauriez les dénombrer. L'homme est vraiment très injuste et très ingrat.»(233)
Après avoir passé en revue les sources de la richesse qu'Allah a accordées à l'homme, ces Versets affirment qu'elles sont suffisantes pour satisfaire les besoins de l'homme et réaliser ce dont il a besoin («IL vous a donné tout ce que vous Lui avez demandé»). Le problème réel n'est donc pas né de la parcimonie de la nature, ni de son incapacité à répondre aux besoins de l'homme, mais de l'homme lui-même, comme l'a fait remarquer le dernier Verset («L'homme est vraiment très injuste et très ingrat.») Ainsi, l'injustice de l'homme dans la distribution de la richesse, et son ingratitude vis-à-vis du Bienfait dont il n'exploite pas complètement toutes les sources qu'Allah lui a accordées, sont les deux causes du problème que vit l'homme misérable depuis les époques les plus reculées. Il suffit d'expliquer le problème sur un fond humain pour qu'il soit possible de découvrir sa solution et pour que soit réalisable l'éradication de l'injustice et de l'ingratitude vis-à-vis du Bienfait, par la recherche de rapports de distribution justes, et par la mobilisation de toutes les forces matérielles en vue de l'exploitation de la nature et de la découverte de tous ses trésors.(234)
Le lien entre la production et la distribution
Y a-t-il un lien entre les formes de production et les rapports de distribution ?
C'est là la question à propos de laquelle la réponse diffère fondamentalement sur le plan de la doctrine économique, selon qu'elle est donnée par l'Islam ou le marxisme.
Le marxisme affirme l'existence de ce lien et croit que chacune des formes de production impose selon la loi de l'évolution une sorte particulière de distribution, à savoir celle qui concorde avec ladite forme de production, et suit son développement et son évolution. Et si la production prend une nouvelle forme qui ne concorde pas avec son mouvement avec les rapports de distribution que la précédente forme avait imposés, ces rapports de distribution seront obligés de céder leur place -après avoir souffert de contradictions et d'une lutte acharnée- à de nouveaux rapports de distribution qui concordent avec la forme prévalant de la production et qui l'aide à se développer et à bouger. Ainsi, le marxisme considère que le système de distribution suit toujours la forme de production et s'adapte selon son besoin. Cette subordination est une loi naturelle rigoureuse de l'Histoire et ne peut être ni remplacée ni amendée. La question fondamentale dans la vie de l'homme est donc qu'il produise et que la production continue et se développe régulièrement. Quant à savoir comment la production est distribuée, qui obtiendra le droit de s'approprier les moyens de production, si la distribution se fait sur la base de l'appropriation des esclaves, ou sur la propriété féodale, ou la propriété bourgeoise, ou la propriété du prolétariat, tout ceci sera déterminé par l'intérêt de la production elle-même. Ainsi, la production prend-elle dans chaque étape historique le mode provisoire de pro- duction qui lui permet de se développer dans son cadre.
Nous avons étudié en détail cette théorie marxiste dans le tome I de "Notre Economie", et nous avons pu tirer de notre étude des conclusions opposées à la théorie, condamnant philosophiquement et scientifiquement celle-ci, et démontrant son incapacité à expliquer l'Histoire(235). Nous avons également appris dans certaines de nos précédentes recherches quelle est la position de l'Islam sur cette théorie, et comment il refuse la subordination de la distribution à la forme de production(236).
L'orientation de la production en vue de garantir la justice de la distribution
Lorsque l'Islam nie la subordination de la distribution aux formes de production ainsi que son adaptation à ces formes par la force de la loi naturelle de l'Histoire, comme le prétend le marxisme, il ne nie pas catégoriquement tout lien entre la distribution et la forme de production, mais croit que le lien entre la distribution et la production n'est pas un lien de subordination découlant d'une loi naturelle, mais un lien que la doctrine impose et par lequel elle détermine la production par rapport à la distribution au lieu d'adapter celle-ci aux besoins de la production, comme le décide la théorie marxiste.
Dans ce lien, l'idée est fondée sur les points suivants :
1 - L'Economie islamique considère les règles de la distribution qu'elle a définies comme étant fixes et valables partout et à toutes les époques, à l'ère de l'électricité et de l'atome comme à l'ère de la machine à vapeur, à l'ère du moulin à vent et du travail manuel. Dans toutes ces ères, par exemple, la règle selon laquelle "le travailleur a le droit de cueillir les fruits de son travail" est valable.
2 - Les opérations de production que pratique l'individu sont considérées comme une étape d'application de ces règles générales de la distribution. Ainsi, la mise en valeur de la terre, la découverte d'une source d'eau, le coupage de bois, l'extraction de métaux, sont considérés tous comme des opérations de production, et conduisent en même temps à l'application des règles générales de la production aux richesses produites. Le domaine de la production est donc la circonstance de l'application des règles de la distribution.
3 - Si le niveau de la production augmente et que ses moyens et ses possibilités s'accroissent, le contrôle de la nature par l'homme grandit et il devient possible pour l'individu équipé de forces de production d'exercer son activité dans un cadre plus large que les domaines qui s'offraient à lui avant le développement de la production et l'augmentation de son niveau.
En tenant compte de ces points, nous saurons que le développement de la production et l'accroissement de ses forces permettent à l'homme d'exploiter de plus en plus les règles générales de la distribution pendant l'étape de l'application, à travers les opérations de production qu'il exerce. Cette exploitation pourrait atteindre un degré qui représente un danger pour l'équi- libre général et les idéaux de justice sociale en Islam.
Pour illustrer ceci, prenons l'exemple de la mise en valeur de la terre. A l'ère du travail manuel, l'homme ne pouvait pas mettre en valeur des surfaces étendues de terrain, car la théorie ne l'autorise pas à employer des salariés à cet effet, et il ne pouvait pas pratiquer la mise en valeur avec les instruments de l'ère pré-industrielle, si ce n'est d'une façon limitée. C'est pourquoi il n'avait pas la possibilité de mal exploiter les règles générales de la distribution à l'étape de l'application ni de posséder des surfaces trop importantes de terre, conformément à la règle qui confère à l'exploitant un droit sur la terre qu'il met en valeur. Mais l'ère de l'outil offre à l'individu la possibilité de mettre en valeur des étendues considérables de terre, et de mal exploiter les règles générales de la distribution à l'étape de l'application, auquel cas il est inévitable d'orienter l'application d'une façon telle qu'elle concorde avec les idéaux de justice sociale en Islam.
De là la naissance, en Islam, du lien doctrinal entre la production et la distribution. Son origine (de ce lien) se trouve en vérité dans l'idée de l'application orientée, laquelle délimite la production -en tant qu'opération d'application des règles de la distribution- d'une façon qui garantit la justice de la distribution et la concordance de celle-ci avec les idéaux et les buts de l'Islam.
L'Islam a traduit l'idée de l'application orientée, qui détermine la production par rapport à la distribution, dans le fait qu'il donne au Tuteur le droit d'intervenir pour restreindre l'application de la règle et interdire les travaux qui conduisent à mal exploiter les règles de la distribution. Ainsi, dans l'exemple de la terre que nous venons de donner, le Tuteur a le droit de n'autoriser l'individu à pratiquer la mise en valeur que dans des limites fixées conformément à la conception islamique de la justice sociale, et ce comme le stipule le principe de l'intervention de l'Etat que nous étudierons dans un prochain chapitre.
Ainsi, nous savons maintenant que le développement et l'accroissement de la production pourraient imposer au Tuteur d'intervenir en vue d'orienter la production et de limiter les domaines d'application des règles générales de la distribution, sans toucher à l'essence des règles elles-mêmes.
Cela signifie que le principe de l'intervention de l'Etat, qui permet à celui-ci d'orienter l'application, est la règle par laquelle l'Islam a garanti la validité de ses règles générales de la distribution et leur concordance avec ses conceptions de la justice partout et à toutes les époques.
Le lien entre la production et la circulation
Comme on le sait, la production est une opération de développement de la nature en une forme meilleure pour les besoins de l'homme(237)
La circulation est, dans son sens matériel, le transfert des choses d'un lieu à un autre, et dans son sens juridique (et c'est ce sens que nous visons dans notre présente recherche) l'ensemble des opérations du commerce qui se déroulent à travers les contrats de troc, tels que vente, etc.
Il est évident que la circulation dans son sens matériel est une des opérations de la production, car le transfert de la richesse d'un lieu à un autre crée souvent une nouvelle utilité et est considéré comme un développement de l'article en un état meilleur pour les besoins de l'homme, et ce, que le transfert soit vertical -comme dans les industries d'extraction dans lesquelles la production effectue l'opération du transport des matières premières du sous-sol vers la surface de la terre- ou horizontalement, comme c'est le cas du transport des articles produits vers des lieux proches des consommateurs et leur mise à leur disposition ; le transport ainsi fait est donc une sorte de développement en un état meilleur pour les besoins de l'homme.
Quant à la circulation au sens juridique, et le transfert de droits et de propriété d'un individu à un autre, tel que nous le voyons dans les opérations commerciales, il doit obligatoirement -en tant qu'opération juridique- tirer son concept et définir ses rapports avec la production à partir d'un fondement doctrinal.
C'est pourquoi nous pouvons étudier l'avis de l'Islam sur le lien entre la production et la circulation, et la nature du rapport qu'il établit entre eux dans son schéma doctrinal général.
Le concept islamique de la circulation et de son lien doctrinal avec la production ne contribue pas seulement à une conception doctrinale globale, mais joue aussi un rôle important dans la définition d'une politique générale de la circulation et dans le comblement du vide que l'Islam a laissé pour l'Etat islamique afin que celui-ci le remplisse selon les circonstances.
Le concept islamique de la circulation
Il apparaît, d'après l'étude des textes des concepts et des statuts ainsi que de leur orientation législative générale, que la circulation est en principe, selon l'avis de l'Islam, une branche de la production, et qu'il ne faut pas la séparer de l'aire générale de celle-ci (la production).
Ce concept islamique que nous apercevrons dans de nombreux textes et statuts, concorde parfaitement avec l'historique et la naissance de la circulation et avec les besoins objectifs qui l'ont fait naître.
La circulation n'existait probablement pas d'une façon répandue dans des sociétés où chaque individu se contentait habituellement de ce qu'il produisait directement pour satisfaire ses besoins simples ; car l'homme qui vivait dans cette auto-suffisance ne ressentait souvent pas un besoin d'obtenir les produits d'un autre individu, pour qu'il établisse avec lui ce genre de circulation et d'échange. La circulation est née, dans la vie de l'homme, de la division du travail, en vertu de laquelle chaque individu se mit à exercer une des branches de la production, à produire, dans cette branche, une quantité plus grande que ses besoins, à obtenir tous les articles dont il avait besoin chez les producteurs desdits articles au moyen de l'échange, en leur fournissant ce dont ils avaient besoin de sa production contre ce dont il avait besoin des leurs. Ainsi, la diversification et la multitude des besoins ont imposé la division du travail de la sorte, ce qui a conduit la circulation à s'étendre largement dans la vie de l'homme.
Le producteur de blé, par exemple, se limite à la production de blé, et pour satisfaire son besoin de laine, il offre à un producteur de laine qui a besoin de blé, une quantité de l'excédent de sa production de blé contre la quantité de laine dont il a besoin.
Dans ce cas de figure, nous remarquons que le producteur de blé rencontre le consommateur directement. De même, le berger, en tant que producteur de laine, a pris contact, dans cette opération de circulation, avec le consommateur de laine sans intermédiaire. Selon ce scénario, le consommateur est toujours un producteur à d'autres égards.
La circulation a évolué par la suite et a connu un intermédiaire entre le producteur et le consommateur, et dans notre exemple précédent, le producteur de laine ne vendait plus sa marchandise directement au producteur de blé ; une troisième personne va jouer le rôle d'intermédiaire entre eux : il achetait les quantités produites de laine, non pas pour les consommer pour ses besoins personnels, mais pour la préparer et la mettre à la disposition des consommateurs. Désormais, au lieu que le producteur de blé prenne contact avec le producteur de laine, il rencontrait cet intermédiaire qui avait préparé la laine à la vente, et se mettait d'accord avec lui pour l'achat. De là sont nées les opérations commerciales, et l'intermédiaire pouvait désormais ménager aux producteurs et aux consommateurs beaucoup de temps et d'efforts.
A la lumière de ce qui précède, nous savons maintenant que la circulation ou le transfert de propriété dans les deux rôles -le rôle de la rencontre directe entre les producteurs et le rôle du commerçant intermédiaire- était précédé d'un travail de production, effectué par celui qui transfère la propriété du bien à l'autre et en obtient le prix. Dans le premier rôle, le producteur de laine effectuait lui-même l'opération de production de la laine, puis il la vendait et en transférait la propriété à un autre contre une indemnité. Dans le second rôle, c'était l'intermédiaire qui effectuait l'opération du transfert de la laine vers le marché, de sa protection et sa mise à la disposition du consommateur pour qu'il s'en procure lorsqu'il en avait besoin. Or c'est une sorte de production, comme nous venons de le voir.
Cela signifie que les intérêts que réalisait le vendeur en transférant la propriété de son bien vers un autre contre une indemnité -et ce qu'on appelle aujourd'hui les gains- étaient consécutifs à un travail productif effectué par le vendeur, et non pas à l'opération même du transfert de la propriété.
Mais lorsque les motivations égoïstes ont dominé le commerce, notamment à l'époque capitaliste moderne, l'opération du transfert de la propriété a évolué et dévié de sa direction naturelle qui résultait avant d'un besoin objectif sain. La conséquence en a été souvent la sépa- ration de la circulation et de l'échange de la production, et le transfert de la propriété est devenu une opération visée en soi et sans qu'elle soit précédée d'aucun travail productif de la part de celui qui transfère, et effectuée en vue de procurer des intérêts et des gains.
Et alors que le commerce avait été la source de ces intérêts et de ces gains, en tant que branche de la production, il en est devenu la source simplement en tant qu'opération juridique de transfert de la propriété. C'est pourquoi, nous trouvons que dans le commerce capitaliste les opérations juridiques du transfert de la propriété pourraient se multiplier pour un seul bien, selon la multiplication des intermédiaires entre le producteur et le consommateur, rien que pour permettre au plus grand nombre de commerçants capitalistes d'obtenir les gains et les profits de ces opérations.
Il est donc naturel que l'Islam refuse cette déviation capitaliste dans les opérations de la circulation, car elle s'oppose à son concept de l'échange et à sa vision de celui-ci en tant qu'une partie de la production, comme nous l'avons déjà dit. C'est pourquoi il (l'Islam) traite les questions de la circulation et les organise toujours selon sa vision propre de ce sujet, et tend à éviter, dans l'organisation juridique des contrats de troc, de séparer législativement la circulation de la production, d'une façon très nette.
Les textes doctrinaux du concept
Maintenant que les aspects du concept islamique de la circulation sont éclaircis, il est facile d'apercevoir ce concept dans les textes doctrinaux de l'Islam et dans un groupe de statuts et de législations qui comprend la superstructure de la Charî'ah.
Parmi les textes doctrinaux qui reflètent ce concept et déterminent la vision islamique de la circulation, notons ce que l'Imam 'Alî (S) a écrit dans sa lettre à son Gouverneur d'Egypte, Mâlik al-Achtar, lettre dans laquelle il lui élabore un programme de travail, et définit les concepts islamiques :
«Traite bien et recommande de bien traiter les commerçants et les artisans, ceux qui sont sédentaires comme ceux qui vont à l'aventure avec leurs biens, ou ceux qui gagnent leur vie à la sueur de leur front, car ils sont l'origine des utilités et la source du confort ; ce sont eux qui l'apportent des pays les plus lointains et les plus reculés, sur la terre et sur la mer, dans les plaines et dans les montagnes, et là où d'autres hommes ne s'entendraient pas pour l'installer, et n'oseraient pas le rechercher.»
Il ressort clairement de ce texte que la classe des commerçants est placée au même rang que les artisans, c'est-à-dire les producteurs, et que les deux catégories sont qualifiées "d'origine des utilités", puisque le commerçant crée une utilité, tout comme l'artisan. Puis le texte explique les utilités que créent les commerçants et le travail qu'ils accomplissent en apportant le bien de régions lointaines et reculées, et là où les gens ne s'entendraient pas pour l'installer, et n'oseraient pas le rechercher.
Donc le commerce est dans l'optique de l'Islam une sorte de production et de travail qui donne des fruits, et ses profits proviennent, à l'origine, de là, et non pas uniquement du cadre juridique de l'opération.
Ce concept islamique de la circulation n'est pas une simple conception théorique, mais il traduit une orientation pratique générale, car il fournit la base à la lumière de laquelle l'Etat remplit le vide qui lui est laissé, dans les limites de ses compétences, comme nous l'avons signalé précédemment.
L'orientation législative reflétant le concept
Quant aux statuts et législations qui reflètent le concept islamique de circulation, nous pouvons les trouver dans les textes législatifs et les avis jurisprudentiels suivants :
1 - Selon l'avis d'un nombre de faqîh dont al-'Omânî, al-Çadûq, al-Chahîd al-Thânî, al-Châfi'î, etc., si un commerçant achète du blé par exemple, il n'a pas le droit de le revendre à un prix supérieur en vue de réaliser un gain, sans avoir tout d'abord reçu effectivement le blé en question. Il n'a le droit de le revendre qu'après qu'il est entré en sa possession, et ce bien que l'opération juridique de transfert s'effectue, selon la jurisprudence islamique, dans le même contrat, et qu'elle ne soit subordonnée à aucun travail positif par la suite. En effet, le commerçant devient le propriétaire du blé -même s'il ne lui a pas encore été livré- dès que le contrat est signé, mais malgré cela il ne lui est pas permis d'en faire un article de commerce et d'en réaliser du gain tant qu'il n'aura pas reçu la marchandise, et ce par souci de lier les profits commerciaux à un travail, et d'empêcher le commerce d'être un simple acte juridique lucratif.
Cet avis est explicite dans plusieurs textes législatifs. Ainsi, selon 'Alî ibn Ja'far :
«Lorsqu'on a demandé à l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S) si un homme a le droit de revendre une denrée alimentaire qu'il a achetée, avant de l'avoir reçue, l'Imam a répondu :
S'il réalise un bénéfice, cela n'est pas licite tant qu'il n'aura pas pris livraison [de la marchandise], mais si c'est par "tawliyah", c'est-à-dire s'il la revend au même prix qu'il l'a achetée et sans faire de bénéfice, c'est possible.»(238)
Selon al-'Allâmah al-Hillî, dans "Al-Tath-kirah" :
«Un groupe de nos uléma ont interdit qu'on revende [une marchandise] sans avoir pris livraison, dans tout acte de vente.»(239)
L'imam al-Châfi'î a dit :
«Pour nous, si on achète quoi que ce soit, on n'a pas le droit de le revendre avant de l'avoir reçu.»(240)
Les faqîh hanafites aussi ont exprimé le même avis.(241)
2 - Selon al-Iskâfî, al-'Omanî, al-Qadhî, Ibn Zohrah, al-Halabî, Ibn Hamzah, Mâlik et beaucoup d'autres faqîh :
«Si le commerçant achète un bien à terme(242), dont il paie préalablement le prix, il n'a pas le droit, lors de l'échéance(243), de revendre à un prix supérieur ce qu'il avait acheté -avant de l'avoir reçu effectivement.»(244)
Ainsi, si vous achetez du blé chez un cultivateur, et que vous vous mettiez d'accord avec lui pour qu'il vous livre la marchandise un mois plus tard, tout en lui ayant effectivement payé celle-ci, vous n'aurez pas le droit de revendre ce blé après un mois, à un prix plus élevé, avant de l'avoir reçu, dans le but d'exploiter l'acte juridique de transfert en vue d'obtenir un (nouveau) gain. Toutefois, vous pouvez revendre la marchandise au même prix que vous l'avez achetée.
Ibn Qudâmah a écrit :
«Nous ne connaissons aucune divergence sur l'interdiction faite au Musulman de revendre une marchandise avant de l'avoir reçue.»(245)
Les tenants de cet avis se sont appuyés sur plusieurs riwâyah (récit, hadith des Imams) dont :
«Amîr al-Mo'minîn 'Alî (S) a dit :
"Quiconque achète à terme une denrée alimentaire ou du fourrage et qui, constatant par la suite que la condition du contrat n'est pas remplie, se fait restituer son argent, ne doit se faire restituer que son capital. On ne doit ni léser, ni être lésé."»(246)
Selon un autre hadith :
«Ya'qûb ibn Chu'ayb a demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) s'il est permis qu'un homme vende du blé et des dattes, à terme, contre cent dirham, et que lorsque l'acheteur revient à l'échéance pour lui réclamer la marchandise, il lui dise :
Par Allah ! Je ne possède que la moitié de ce que je te dois ! Prends donc, si tu veux bien, la moitié de ce que je te dois en blé, et l'autre en argent.
L'Imam a répondu :
Oui, c'est possible, si la somme restituée est égale à la somme payée, c'est-à-dire cent dirham.»(247)
3 - Dans beaucoup de hadith du Prophète (Ç), il est question de l'interdiction "d'aller à la rencontre des rikbân"(248), et de la vente par les commerçants citadins des marchandises des vendeurs campagnards. Selon un hadith :
«Le Messager d'Allah (Ç) a dit :
"Que personne d'entre vous n'aille à l'extérieur de la ville pour recevoir une marchandise de commerce, et qu'un citadin ne vende pas à la place d'un campagnard."»(249)
Selon al-Châfi'î, citant Jâbir :
«Le Messager d'Allah (Ç) a dit :
"Qu'un citadin ne vende pas à la place d'un campagnard. Laissez les gens gagner leur vie entre eux."»
Et citant Abû Hurayrah, il a écrit également :
«Le Messager d'Allah (Ç) a dit :
"N'accueillez pas les marchandises."»(250)
"Aller à la rencontre des rikbân", c'est la sortie des commerçants à l'extérieur de la ville pour accueillir les propriétaires de marchandises, leur acheter celles-ci avant qu'ils n'entrent dans la ville, et revenir ensuite pour les revendre soi-même en ville.
Quant à "la vente par les citadins à la place des campagnards", c'est le fait qu'un commerçant de la ville accueille les campagnards qui viennent à la ville, chargés de leurs produits : fruits, lait, etc. et les leur achète en vue de les revendre et de les mettre en commerce.
Il est clair que l'interdiction de ces deux opérations comporte le caractère de l'orientation islamique que nous essayons de prouver, car cette interdiction vise à se passer de l'intermédiaire et de son rôle parasitaire qui consiste à empêcher le contact direct entre le producteur de la marchandise et le consommateur, uniquement pour permettre à l'intermédiaire de réaliser des profits en s'interposant entre les deux.
Si l'Islam n'encourage pas ce rôle d'intermédiaire, c'est parce qu'il s'agit d'un rôle artificiel qui ne confère aucun contenu productif aux opérations commerciales, et qui ne vise que l'échange pour le profit.
J'aimerais commencer par la mise en évidence de la position du capitalisme vis-à-vis de cette question, en la comparant à celle de l'Islam, afin de donner par la suite la réponse à cette question du point de vue islamique, une réponse à traits précis et à caractéristiques distinctives.
La doctrine capitaliste dépend, pour ce qui concerne l'orientation de la production, de l'appareil du prix que déterminent les lois de l'offre et de la demande dans le marché libre, car l'Economie capitaliste libre repose sur les projets privés dirigés par des particuliers et soumis à leur volonté, et chacun de ceux-ci dirige son projet et en planifie la production conformément à son intérêt et à son désir de réaliser le plus grand bénéfice possible. C'est le réflexe de bénéfice donc qui adapte chez chaque individu son projet et oriente son activité. Le bénéfice suit le mouvement du prix dans le marché. Chaque fois que le propriétaire d'un projet constate l'augmentation du prix d'un article, il tend à en augmenter la production dans l'espoir d'obtenir un plus grand bénéfice. Et il est évident que la hausse du prix de l'article dans le marché reflète dans les circonstances normales l'augmentation de la demande dudit article. De cette façon, le capitalisme garantit que la production soit liée à la demande, car c'est le bénéfice qui anime la production, et c'est la hausse du prix qui attire les projets capitalistes par le bénéfice, et c'est enfin l'augmentation de la demande qui conduit à la hausse du prix. Le résultat en est qu'en fin de compte, la production est orientée par les consommateurs et adaptée à leurs besoins, lesquels se traduisent par l'augmentation de la demande et la hausse du prix. C'est pour cela que le capitalisme répond à la question : "Pour qui produire ?" que la production est pour les consommateurs et leurs besoins, et elle est proportionnellement directement inverse à ces besoins.
Critique de la position capitaliste
Telle est l'image apparente de la production capitaliste, ou plutôt l'image brillante dans le beau cadre de laquelle les capitalistes tentent de faire paraître la production capitaliste, afin de montrer qu'il y a une concordance et une convergence entre la ligne de la production et la ligne de la demande et leurs deux mouvements généraux dans le système capitaliste.
Mais cette image, bien que partiellement vraie, ne peut dissimuler la contradiction criarde, dans le système capitaliste, entre la production et la demande. Car si elle explique la corrélation dans un enchaînement de maillons multiples entre la production et la demande, elle ne détermine pas la signification de la demande ni ne dévoile le concept capitaliste de cette demande qui gouverne la production et y fait face par la hausse des prix des marchandises.
En vérité, dans la compréhension capitaliste, la demande est l'expression monétaire plutôt qu'humaine d'un besoin, car elle ne comprend qu'une partie particulière de la demande, à savoir la demande qui conduit à la hausse du prix de l'article dans le marché, c'est-à-dire la demande qui jouit du pouvoir d'achat et possède un crédit monétaire capable de le satisfaire. Quant aux demandes dépourvues de ce pouvoir monétaire et qui ne peuvent envahir le marché capitaliste ni conduire à augmenter le prix des marchandises parce qu'elles n'en possèdent pas le prix, elles sont négligées, si urgentes et si nécessaires soient-elles, et si générales et si absorbables s'avèrent-elles. Car il faut que le demandeur prouve qu'il y a une demande par l'argent qu'il présente. Et tant que la demande ne fournit pas cette preuve, elle n'a ni le droit d'orienter la production, ni son mot à dire dans la vie économique capitaliste, même si elle émane du fond de la réalité humaine et de ses nécessités urgentes.
Dès lors que nous connaissons la conception capitaliste de cette demande, tous les rêves dorés que les partisans de l'Economie libre ont conté sur la production capitaliste et sur son adaptation aux besoins et à la demande se dissipent, car le pouvoir d'achat, dans la société capitaliste, ne se trouve -à de hauts niveaux- que chez une minorité de privilégiés qui contrôlent les richesses du pays, et il est très bas chez les autres, et diminue considérablement au niveau de la base, laquelle constitue la majorité de la société capitaliste. Et comme par suite de cette disparité énorme dans le pouvoir d'achat -du point de vue capitaliste- les demandes jouissant d'un grand pouvoir d'achat s'accaparent l'orientation de la production et dictent leur volonté à celle-ci, car ce sont elles qui allèchent les détenteurs de grands projets et leur mettent l'eau à la bouche, et c'est ce qui conduit à majorer les prix et à empêcher de satisfaire les demandes courantes et nécessaires du public, qui ne possède pas un pouvoir d'achat alléchant.
Et étant donné que les demandes à pouvoir d'achat considérable sont capables d'attirer tous les articles nécessaires et de luxe, tous les instruments de distraction et de bien-être du marché capitaliste, alors que les demandes à faible pouvoir d'achat sont incapables d'attirer même les articles nécessaires d'une façon suffisante, cela conduira les marchés capitalistes à mobiliser toutes leurs énergies en vue de satisfaire les demandes de luxe et les désirs avides qui ne cessent de s'ingénier à rassasier leur avidité, à demander encore et toujours de nouveaux instruments de pétulance et de moyens de jouissance et de plaisirs, alors que les demandes de l'écrasante majorité des gens, en articles nécessaires et en marchandises de la vie quotidienne, demeurent insatisfaites et privées de l'attention de la production capitaliste, sauf bien entendu lorsqu'il s'agit d'assurer une disponibilité de main-d'oeuvre aux grands. Ainsi, les marchés capitalistes se trouvent regorger de toutes sortes d'articles de luxe et de bien-être, alors même que parfois fait défaut la quantité suffisante d'articles nécessaires susceptibles de satisfaire complètement tout le monde.
Tel est donc le capitalisme, telle est sa position vis-à-vis de la production, et telle est la méthode qu'il adopte pour déterminer celle-ci.
Quant à l'Islam, on peut résumer sa position dans les points suivants :
1 - L'Islam oblige la production sociale à assurer la satisfaction des besoins nécessaires de tous les membres de la société, par la production d'une quantité d'articles capable de satisfaire ces besoins de la vie quotidienne, et à un niveau de suffisance qui permette à tout individu d'obtenir ce qui correspond à son besoin de ces articles. Tant que ce niveau de suffisance et ce minimum d'articles nécessaires ne sont pas assurés, il n'est pas permis d'orienter les énergies capables de les assurer, vers un autre domaine de la production, car le besoin lui-même a un rôle positif dans le mouvement de la production, abstraction faite du pouvoir économique de ce besoin et de son crédit monétaire.
2 - De même, l'Islam oblige la production sociale à ne pas déboucher sur la prodigalité, car celle-ci est interdite par la Charî'ah, qu'elle soit due au comportement d'un individu ou au comportement général de la société à travers le mouvement de la production. Ainsi, de même qu'il interdit à l'individu d'utiliser des parfums coûteux pour nettoyer la cour de sa maison -cet usage étant assimilé à une prodigalité-, de même il interdit à la société -ou aux producteurs de parfums- en d'autres termes de produire une quantité de parfums qui dépasserait les besoins de la société et sa capacité de consommation et commerciale, car le surplus de production est une forme de prodigalité et de dilapidation des biens injustifiée.
3 - L'Islam autorise l'Imam à intervenir dans la production pour les raisons justificatives suivantes :
a) Pour que l'Etat garantisse le minimum de production d'articles nécessaires et le maximum de production qu'il ne faut pas dépasser : car il est évident que si les projets privés de production sont conduits selon la volonté de leurs propriétaires et sans une orientation centrale du pouvoir légal, cela conduirait, aux époques de production complexe et considérable, au relâchement de la production sociale, à la prodigalité et à des excès d'une part, au sacrifice du minimum d'autre part. Donc, pour garantir que la production sociale reste dans les deux limites prévues (maximum et minimum requis), il est indispensable qu'il y ait une supervision et une orientation.
b) Pour combler la zone de vide selon les exigences des circonstances. En effet, étant donné que la zone de vide juridique comprend toutes les sortes des activités permises naturellement, le Tuteur a le droit d'intervenir dans ces sortes d'activités et de les limiter selon les buts généraux de l'Economie islamique. Nous parlerons en détail de cette zone de vide, de ses limites et de son rôle, dans le prochain chapitre. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est de noter que les pouvoirs accordés au Tuteur pour remplir la zone de vide, lui donnent le droit d'intervenir dans le mouvement de la production, de le superviser et de le limiter au cadre de la zone de vide laissée pour l'Etat.
c) La législation islamique relative à la répartition
des richesses naturelles brutes permet de par sa nature, à l'Etat
d'intervenir et de contrôler toute la vie économique, car
la législation islamique dans ce domaine fait du travail effectif
la condition fondamentale de l'appropriation de la richesse naturelle brute,
et de l'acquisition d'un droit individuel -selon une affirmation jurisprudentielle
que nous avons déjà vue dans certaines superstructures. Cela
signifie naturellement que l'individu ne peut, quelles que soient ses possibilités
en grands projets, entreprendre l'exploitation de la nature et de ses richesses
générales tant qu'il n'y acquiert pas son droit par le travail
effectif. C'est pourquoi il faut que le pouvoir légal organise la
production des richesses naturelles brutes et des industries d'extraction
afin de réaliser, par son intermédiaire, de grands projets
d'exploitation de ces richesses, et de les mettre au service de la société
islamique.
Et une fois que l'Etat contrôle les industries d'extraction et
la production des matières premières brutes, il peut en fin
de compte mettre sous son contrôle indirectement les différentes
branches de la production de la vie économique, car celles-ci dépendent
souvent des industries d'extraction et de la production des matières
premières, et le Tuteur peut intervenir dans ces différentes
branches d'une façon indirecte en contrôlant l'étape
première et fondamentale de la production, c'est-à-dire la
production des matières premières.
L'Islam a imposé à l'Etat de garantir d'une façon complète aux membres de la société islamique les moyens de vivre. L'Etat doit procéder à cette garantie en deux étapes : dans la première étape, il garantit à l'individu les moyens de travailler et la possibilité d'une participation honorable à l'activité économique fructueuse, afin qu'il vive selon son travail et son effort. Mais si l'individu est incapable de travailler et de gagner lui-même sa vie d'une façon complète, ou que l'Etat se trouve dans une conjoncture exceptionnelle qui l'empêche de lui assurer la possibilité de travailler, intervient alors la seconde étape, dans laquelle l'Etat procède à l'application du principe de la garantie en allouant les sommes nécessaires pour pourvoir aux besoins de l'individu et lui assurer un certain niveau de vie.
Ce principe de sécurité sociale repose, dans la doctrine économique islamique, sur deux bases, et il en tire ses justifications doctrinales :
1 - L'entraide générale ;
2 - Le droit de la société dans les ressources générales de l'Etat.
Chacune de ces deux bases a ses lois et ses exigences pour ce qui concerne la définition du type de besoins dont il garantit la satisfaction et la détermination du minimum de niveau de vie que le principe de la sécurité sociale doit assurer aux individus.
Ainsi, la première base de la garantie n'exige que la garantie de la satisfaction des besoins urgents de première nécessité de l'individu, alors que la seconde base étend cette garantie en imposant un plus grand nombre de besoins à satisfaire et un niveau de vie plus élevé.
L'Etat doit pratiquer la sécurité sociale dans les limites de ses possibilités, au niveau de chacune de ces deux bases.
Pour déterminer l'idée de la garantie en Islam, il faut expliquer ces deux bases, leurs exigences et leurs preuves légales.
Le premier fondement de la sécurité sociale
La première base de la sécurité sociale est l'entraide générale. Celle-ci est le principe sur lequel l'Islam impose aux Musulmans "jusqu'à suffisance"(251), de se garantir les uns les autres et fait de cette garantie une obligation pour le Musulman -dans les limites des circonstances et de ses possibilités-, obligation dont celui-ci doit s'acquitter en tout cas, comme il le fait pour l'ensemble de ses obligations.
La sécurité sociale que pratique l'Etat sur la base de ce principe d'entraide générale entre les Musulmans traduit en réalité le rôle de l'Etat qui doit obliger ses citoyens à observer ce qui leur est demandé légalement et superviser l'application, par les Musulmans, des statuts de l'Islam sur eux-mêmes. En effet, en sa qualité de gardien de l'application des statuts de l'Islam, et d'autorité capable de commander le bien et d'interdire le mal, il est responsable de la tâche qui lui est confiée, et il détient le droit d'obliger tout individu à s'acquitter de ses devoirs légaux et à observer les obligations qu'Allah lui a prescrites. Ainsi, de même qu'il a le droit d'obliger les Musulmans à s'engager dans le Jihâd lorsque celui-ci devient obligatoire pour eux, de même il a le droit de les contraindre à s'acquitter de leurs devoirs d'assurer les personnes impuissantes à subvenir à leurs propres besoins, s'ils refusent de le faire. C'est par ce droit qu'il se donne les moyens de garantir les besoins des faibles, au nom des Musulmans, et d'imposer à ceux-ci, dans les limites de ses pouvoirs, de traduire cette garantie par l'offre d'une somme d'argent suffisante pour traduire leur acquittement de leur obligation et leur observance de l'ordre d'Allah.
Pour connaître les limites de la garantie sociale que l'Etat pratique selon le principe de l'entraide, et le type de besoins dont il garantit la satisfaction, il faut passer en revue certains textes législatifs qui ont abordé le principe de la garantie, afin de déterminer à leur lumière le degré de garantie, obligatoire aux Musulmans, et par conséquent les limites de la garantie que l'Etat pratique sur cette base.
Selon un hadith sain (çahîh) rapporté par Somâ'ah :
«J'ai demandé à l'Imam Ja'far ibn Mohammad al-Çâdiq (S) s'il est permis à un groupe de gens qui ont un surplus -alors que leurs Frères sont dans un besoin urgent- mais qui n'ont pas de Zakât à payer, de se rassasier et de laisser leurs Frères dans la faim. [...] L'Imam a répondu :
"Le Musulman est le Frère du Musulman. Il ne doit pas être injuste envers lui, ni le laisser sans secours, ni le priver. Les Musulmans doivent donc faire un effort dans ce sens, se contacter et coopérer pour consoler les nécessiteux."»(252)
Selon un autre hadith, l'Imam Ja'far (S) a dit :
«Tout Croyant qui prive un autre Croyant de quelque chose dont il [ce dernier] a besoin, alors qu'il peut l'aider lui-même ou le faire aider par autrui, Allah le ressuscitera le Jour du Jugement avec un visage noirci, des yeux bleuis, les mains attachées au cou, et on dira de lui alors : "C'est le traître qui a trahi Allah et Son Messager !" avant qu'il ne soit conduit à l'Enfer.»(253)
Il est clair que la formule "conduit à l'Enfer" indique que le Croyant doit satisfaire le besoin de son Frère Musulman dans les limites de sa capacité, car une personne n'entre pas dans l'Enfer pour avoir omis de faire ce qui n'est pas une obligation pour lui.
Et bien que le "besoin" soit mentionné dans ce hadith en termes absolus, il vise en réalité le besoin urgent dont il était question dans le premier hadith, car les Musulmans n'ont pas l'obligation de garantir tous les besoins non urgents et d'en assurer la satisfaction.
Il en résulte donc que la garantie est dans les limites des besoins urgents, que si les Musulmans ont un surplus de vivres, ils n'ont pas le droit -selon les termes du texte du premier hadith précité- de laisser leur Frère dans un besoin urgent, et qu'ils doivent satisfaire ce besoin et y pourvoir.
L'Islam a lié cette garantie au principe de la fraternité générale entre les Musulmans, afin de montrer qu'elle n'est pas un simple impôt sur les revenus élevés, mais aussi l'expression pratique de la fraternité générale, conformément à sa méthode de conférer aux statuts un cadre moral qui concorde avec ses concepts et ses valeurs. Ainsi, le droit pour un homme d'être garanti par un autre homme découle, selon le concept de l'Islam, de leur fraternité et de leur appartenance commune à la bonne famille humaine. L'Etat exerce dans les limites de ses pouvoirs la protection et la garantie de ce droit. Quant aux besoins dont la satisfaction est garantie par ce droit, ce sont les besoins urgents, et l'urgence d'un besoin signifie qu'il est de première nécessité et que sans lui la vie devient difficile.
Ainsi, nous savons maintenant que la sécurité sociale qui repose sur la garantie mutuelle se définit par les limites des besoins vitaux des individus, besoins sans la satisfaction desquels ces derniers ne pourraient pas vivre.
Le second fondement de la sécurité sociale
Mais l'Etat ne fonde pas les justifications de la sécurité sociale qu'il pratique seulement sur le principe de la garantie mutuelle générale. Il peut sortir une autre base à la sécurité sociale, comme nous l'avons appris précédemment, à savoir le droit de la communauté aux sources de la richesse. En vertu de ce droit, l'Etat est directement responsable de la garantie des moyens d'existence des nécessiteux et des invalides, abstraction faite de la garantie obligatoire pour les individus musulmans eux-mêmes.
Nous allons tout d'abord parler de cette responsabilité directe de la garantie, ainsi que de ses limites, et ce conformément aux textes législatifs la concernant, et ensuite nous parlerons de la base théorique sur laquelle repose l'idée de cette garantie, à savoir le droit de la communauté sur les richesses de la nature.
Quant à la responsabilité directe de la garantie, ses limites diffèrent de celles de la garantie que l'Etat pratique sur la base du principe de la garantie mutuelle générale. En effet, cette responsabilité n'impose pas à l'Etat seulement de garantir l'individu dans les limites de ses besoins vitaux, mais lui (à l'Etat) impose aussi de garantir à l'individu le niveau de vie suffisant dans lequel vivent les membres de l'Etat islamique, car la garantie de l'Etat est ici, une garantie de prise en charge, et la prise en charge d'un individu, c'est le faire vivre dans la suffisance. La suffisance est un concept souple dont le contenu s'étend à mesure que l'aisance et le bien-être augmentent dans la société islamique. Partant de là, l'Etat islamique doit satisfaire les besoins essentiels en nourriture, logement et vêtements, et la satisfaction de ces besoins doit être sur les plans qualitatif et quantitatif au niveau de la suffisance telle qu'elle est comprise selon les conditions de vie de la société islamique. De même, l'Etat doit satisfaire les besoins non essentiels, comprenant l'ensemble des besoins qui entrent dans le concept que la société islamique donne à la suffisance selon le niveau de vie qui y prévaut.
Les textes législatifs qui indiquent la responsabilité directe de l'Etat dans la sécurité sociale sont tout à fait clairs quant à leur affirmation de cette responsabilité et du fait que la garantie est ici une garantie de prise en charge, c'est-à-dire la garantie d'un niveau de vie suffisant.
Ainsi, selon l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) :
«Le Prophète (Ç) disait dans ses prônes :
"Quiconque perd son travail, je me charge de son travail, et quiconque laisse derrière lui une dette, je me charge de sa dette, et celui qui perd son bien, je me charge de ses vivres."»
Selon l'Imam Mûsâ ibn Ja'far al-Kâdhim (S) (définissant les devoirs et les droits de l'Imam) :
«Il est l'héritier de celui qui n'a pas d'héritier et il prend en charge celui qui est sans ressources.»
Selon Mûsâ ibn Bakr, l'Imam Mûsâ al-Kâdhim (S) lui a dit :
«Celui qui cherche à gagner les moyens de subsistance pour lui et sa famille par un travail licite, il est comme un combattant sur le Chemin d'Allah, mais s'il n'arrive pas à travailler, qu'il emprunte au Nom d'Allah et de Son Prophète ce avec quoi il peut vivre lui et sa famille. S'il meurt sans avoir acquitté sa dette, l'Imam doit le faire à sa place, et s'il ne le fait pas, il en assumera la responsabilité, car Allah -IL est Puissant et Glorifié- a dit : "Les aumônes sont destinées aux pauvres et aux nécessiteux, à ceux qui sont chargés de les recueillir et de les répartir..."(254) et il s'agit là d'un pauvre nécessiteux endetté.»(255)
Dans sa lettre à son Gouverneur d'Egypte, l'Imam 'Alî (S) écrit :
«Et puis, par Allah, prends soin de la classe inférieure qui comprend des gens sans ressources, des pauvres, des nécessiteux, des malheureux et des personnes souffrant de maladies chroniques ; car il y a dans cette classe des gens qui se contentent du trop peu qu'ils ont, et d'autres qui sont des miséreux. Préserve à Allah Son Droit qu'IL t'a confié en le leur offrant, et réserve leur une part du Trésor Public et une part des terres tombées dans la propriété de la communauté musulmane dans chaque région. Le plus éloigné d'entre eux a les mêmes droits que le plus proche, et tu es chargé de veiller à ce qui est dû à chacun d'eux. Ne te détourne pas d'eux par orgueil, car même si tu règles bien beaucoup de problèmes importants, il ne te sera pas pardonné d'avoir négligé les questions les plus infimes. Qu'ils ne soient pas au-dessous de tes préoccupations, ne détourne pas d'eux ton visage, intéresse-toi à ceux d'entre eux qui ne peuvent parvenir jusqu'à toi, que les autres hommes méprisent et regardent avec dédain. Affecte à leurs affaires un homme scrupuleux et honnête en qui tu auras confiance ; que celui-ci te soumette leurs problèmes ; agis ensuite envers eux de telle façon qu'Allah te pardonne le Jour où tu Le rencontreras. En effet, ces sujets-là ont plus besoin de justice que les autres. Veille à être excusable auprès du Seigneur en respectant les droits de chacun. Prends soin des orphelins et des vieillards qui n'ont pas de ressources mais qui ne s'abaissent pas à mendier.»
Ces textes indiquent clairement le principe de la sécurité sociale et expliquent la responsabilité directe de l'Etat dans la prise en charge de l'individu et la garantie du niveau de suffisance pour lui.
Tel est le principe de la sécurité sociale dont l'application et la pratique dans la société islamique sont de la responsabilité directe de l'Etat.
Quant à la base théorique sur laquelle repose l'idée de la garantie dans ce principe, elle peut être la croyance de l'Islam au droit de l'ensemble de la Communauté aux sources de la richesse, car ces sources naturelles ont été créées pour toute la Communauté, et non pas pour une catégorie à l'exclusion des autres [«C'est Lui Qui a créé pour vous tous ce qui est sur la terre...»(256)] ; et ce droit signifie que chaque individu de la Communauté a le droit d'utiliser les richesses naturelles et d'en vivre dignement. Ainsi, les membres de la Communauté qui sont capables de travailler dans un secteur public ou privé, l'Etat a pour tâche de leur trouver une possibilité de travail dans les limites de ses pouvoirs, et ceux qui ne trouvent pas la possibilité de travailler, ou qui sont incapables de le faire, l'Etat doit leur garantir leur droit de bénéficier des richesses naturelles en leur assurant le niveau de vie suffisant.
La responsabilité directe de l'Etat dans la garantie repose donc sur le droit général de la Communauté d'utiliser les richesses naturelles et sur l'application de ce droit à ceux des membres de la Communauté qui sont incapables de travailler.
Pour ce qui concerne la méthode que la doctrine a adoptée en vue de permettre à l'Etat de préserver ce droit et de le garantir à toute la Communauté, y compris les invalides, elle consiste à trouver dans l'Economie islamique quelques secteurs publics formés des ressources de la propriété publique et de la propriété de l'Etat, afin que lesdits secteurs constituent -à côté de l'obligation de la Zakât- une garantie pour le droit des faibles parmi la Communauté, un obstacle à l'accaparement par les forts, de toute la richesse et un crédit pour l'Etat lui fournissant les ressources nécessaires pour pratiquer la sécurité sociale et accorder à chaque individu son droit de vivre dignement des richesses de la nature.
A la lumière de ce qui précède, la base est le droit de toute la Communauté de bénéficier des richesses naturelles.
Et l'idée qui repose sur cette base est la responsabilité directe de l'Etat dans la garantie d'un niveau de vie digne et suffisant à tous les individus invalides et nécessiteux.
La méthode doctrinale adoptée pour l'exécution de cette idée, c'est le secteur public que l'Economie islamique a fondé pour assurer la réalisation de ladite idée et d'autres buts.
Sans doute, le meilleur texte législatif reflétant le contenu doctrinal de la base, de l'idée et de la méthode à la fois, est le passage coranique -dans la Sourate al-Hachr- qui détermine la fonction du " fay' " (butin) et son rôle en tant que secteur public dans la société islamique. En voici le texte :
«Vous n'avez fourni ni chevaux, ni montures pour vous emparer du butin pris sur eux et qu'Allah destine à Son Prophète. Allah donne pouvoir à Ses Prophètes sur qui IL veut. Allah est Puissant sur toute chose ! Ce qu'Allah a octroyé à Son Prophète comme butin pris sur les habitants des cités appartient à Allah et à Son Prophète, à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au voyageur, afin que ce ne soit pas attribué à ceux d'entre vous qui sont riches...»(257)
Dans ce texte coranique, peut-être trouverions-nous une mise en évidence de la base sur laquelle repose l'idée de la garantie, à savoir le droit de toute la Communauté dans la richesse («Afin que ce ne soit pas attribué à ceux d'entre vous qui sont riches...»), une explication de la législation du secteur public par le "fay'" en tant qu'un moyen de garantir ce droit, l'interdiction de l'accaparement de la richesse de la Communauté par quelques individus, l'affirmation de la nécessité d'utiliser le secteur public au bénéfice des orphelins, des pauvres, et du voyageur à court d'argent, afin que tous les membres de la Communauté acquièrent leur droit de profiter de la nature qu'Allah a créée pour servir l'homme(258).
Ainsi la base, l'idée et la méthode sont toutes claires à la lumière du texte coranique.
Selon l'avis de certains faqîh, tels qu'al-Chaykh al-Hor al-'Âmilî, la garantie de l'Etat ne se limite pas seulement au Musulman. Le "protégé" (thimmî) qui vit au sein de l'Etat islamique, ses dépenses sont assurées par le Trésor lorsqu'il vieillit et devient incapable de travailler. Pour étayer son avis, al-Chaykh al-Hor rapporte le hadith suivant de l'Imam 'Alî (S) :
«Un vieillard aveugle était venu demander qu'on l'aide. Amîr al-Mo'minîn [l'Imam 'Alî] a demandé qui c'était. On lui a répondu :
O Commandeur des Croyants ! C'est un Chrétien !
L'Imam 'Alî a dit alors :
Vous l'avez utilisé jusqu'à ce qu'il ait vieilli et soit devenu incapable de travailler, et maintenant vous le privez... Dépensez donc pour lui sur le Trésor !»
La conception islamique de l'équilibre social
Lorsque l'Islam a traité de la question de l'équilibre social pour en faire un principe de la politique économique de l'Etat, il s'est fondé sur deux vérités, l'une cosmique, l'autre doctrinale.
En ce qui concerne la vérité cosmique, elle consiste en la différence entre les individus du genre humain dans les diverses caractéristiques et qualités : psychologiques, intellectuelles et physiques. Ainsi, ils diffèrent les uns des autres quant à la patience, au courage, à la force de la détermination et de l'espoir. Ils diffèrent ensuite quant au degré de l'intelligence et de la promptitude, à la capacité à la création et à l'invention. Et ils diffèrent aussi quant à la force des muscles, à la solidité des nerfs et à bien d'autres composantes de la personnalité humaine, attribuées à des degrés différents aux individus.
Ces contradictions ne résultent pas, de l'avis de l'Islam, des événements accidentels dans l'histoire de l'humanité, comme le prétendent les tenants du facteur économique qui s'efforcent d'y trouver l'explication finale de tous les phénomènes de l'histoire humaine. Car, en effet, il est erroné de tenter d'expliquer ces contradictions et différences entre les individus sur la base d'une circonstance sociale donnée ou d'un facteur économique particulier, car si l'on peut expliquer à la lumière de ce facteur ou de cette circonstance la situation sociale dans son ensemble, en affirmant que la structure de classe féodale ou le système esclavagiste étaient le produit de ce facteur économique, comme le font les partisans de l'interprétation matérialiste de l'Histoire, le facteur économique ou toute situation sociale ne saurait être en aucun cas suffisant pour expliquer l'apparition de ces différences et de ces contradictions particulières entre les individus. Autrement, pourquoi tel individu a-t-il pris le rôle de l'esclave et tel autre le rôle du maître propriétaire ? Et pourquoi tel individu est-il devenu intelligent et capable de créativité, et un autre, indolent et incapable d'exceller ? Et pourquoi enfin ces deux individus n'échangent-ils pas leurs rôles dans le cadre du système général ?
Il n'y a pas de réponse à cette interrogation sans supposer que les individus sont différents dans leurs possibilités et leurs dons particuliers (avant toute différence sociale entre eux dans la structure de classe de la société) et ce afin que la différence des individus dans la structure de classe et la spécialisation de chaque individu dans son rôle particulier dans cette structure soit expliquées par la différence de leurs dons et de leurs possibilités. Ainsi, il est erroné de dire que tel individu est devenu intelligent parce qu'il a occupé le rôle de maître dans la structure de classe, et tel autre est devenu indolent parce qu'il a eu le rôle d'esclave dans cette structure ; car pour que celui-ci occupe le rôle d'esclave et celui-là obtienne le rôle de maître, il faut qu'il y ait une différence entre eux, qui ait permis au maître de convaincre l'esclave de cette forme de distribution des rôles. De cette façon, nous aboutissons inévitablement par notre raisonnement aux facteurs naturels psychologiques dont découlent les différences personnelles dans les diverses caractéristiques et qualités.
La différence entre les individus est donc une vérité absolue, et non pas le résultat d'un cadre social donné, différence que ni une vue réaliste ne saurait ignorer, ni un système social ne saurait abolir dans une législation ou dans une opération de changement de type des relations sociales.
Telle est donc la première vérité.
Quant à la seconde vérité que retient la logique islamique pour traiter de la question de l'équilibre social, elle consiste en la règle doctrinale de la distribution, selon laquelle le travail est la base de la propriété et de tout ce qu'elle comporte de droits, comme nous l'avons vu lorsque nous avons abordé cette règle et étudié son contenu doctrinal d'une façon très détaillée dans nos recherches sur la distribution.
Regroupons à présent ces deux vérités pour savoir comment l'Islam en a fait le point de départ de son traitement de la question de l'équilibre.
Le résultat de la croyance à ces deux vérités est l'autorisation de l'apparition de différences entre les individus quant à la richesse. Ainsi, si nous supposons qu'un groupe d'individus se soient établis sur une terre, qu'ils l'aient mise en valeur, qu'ils y aient fondé une société, qu'ils aient fondé leurs relations sur le principe de "le travail est la source de la propriété", et que chacun d'eux se soit abstenu de toute exploitation de l'autre, nous constaterions qu'après un certain temps ces gens seraient différents les uns des autres quant à la richesse qu'ils auraient acquise, et ce suivant leurs différences dans leurs caractéristiques intellectuelles, spirituelles et corporelles. Or l'Islam admet cette différence, car elle est le produit des deux vérités auxquelles il croit. Partant de là, l'Islam décide que l'équilibre social doit être compris dans les limites de la reconnaissance de ces deux vérités.
L'Islam en conclut que l'équilibre social est un équilibre entre les membres de la société dans le niveau de vie et non pas dans le niveau du revenu. Et l'équilibre social dans le niveau de vie signifie que l'argent soit disponible chez les membres de la société et qu'il circule entre eux de manière que chaque individu puisse vivre dans le niveau de vie général, c'est-à-dire que tous les individus vivent dans un même niveau de vie tout en conservant des degrés -à l'intérieur de ce niveau standard et unique- selon lesquels diffère la vie, mais il s'agit d'une différence de degré et non pas d'une contradiction totale dans le niveau, telles les contradictions flagrantes entre les niveaux de vie qui prévalent dans la société capitaliste.
Mais cela ne signifie pas que l'Islam impose qu'on établisse cet état d'équilibre en un moment et d'un seul coup, mais que l'équilibre social dans le niveau de vie est un but que l'Etat se doit, dans les limites de ses pouvoirs, de tenter de poursuivre et d'atteindre par les différents moyens légitimes qui entrent dans le cadre de ses pouvoirs.
L'Islam, quant à lui, a oeuvré en vue de réaliser ce but par la pression sur le niveau de vie faite en amont, en interdisant la prodigalité, et en aval en demandant que l'on augmente le niveau de vie des individus vivant dans un niveau de vie bas. De cette façon, les niveaux de vie se rapprochent jusqu'à ce qu'ils finissent par s'égaler dans un seul et même niveau qui pourrait comporter des degrés, mais non pas les grandes contradictions capitalistes criardes dans les niveaux de vie.
Cette compréhension du principe de l'équilibre social en Islam repose sur la recherche minutieuse dans les textes islamiques, laquelle nous montre que ceux-ci croient à l'équilibre social comme un but, qu'ils confèrent à ce but le même contenu que nous avons expliqué, et qu'ils affirment que l'Etat doit s'orienter vers l'élévation du niveau de vie des personnes ayant un niveau de vie bas, dans le but de rapprocher les niveaux de vie les uns des autres jusqu'à ce qu'ils aboutissent à l'état d'équilibre social général dans le niveau de vie.
En effet, selon le hadith, l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S) a dit, à propos de la définition de la responsabilité du gouvernant légal dans les fonds de la Zakât :
«Le gouvernant légal prend les fonds et les destine aux destinataires qu'Allah a désignés, en les divisant en huit parts qui vont aux pauvres et aux miséreux. Il leur en donne suffisamment pour qu'ils puissent en vivre pendant un an sans difficulté ni crainte. Si un excédent s'en dégage, il doit être restitué au gouvernant. Et si les fonds s'avèrent insuffisants, le gouvernant doit leur en fournir de son Trésor jusqu'à ce qu'ils satisfassent leurs besoins.»
Ce texte précise clairement que le but final que l'Islam tente de réaliser en en confiant la responsabilité au Tuteur, est la satisfaction de tout individu dans la société islamique.
C'est ce qu'on trouve dans la parole d'al-Chibânî, citée par Chams al-Dîn al-Sarkhacî dans "Al-Mabsût" :
«L'Imam doit craindre Allah lorsqu'il dépense les biens sur leurs destinataires. Il ne doit pas laisser un pauvre sans lui avoir donné son droit des aumônes, et ce jusqu'à ce qu'il soit satisfait ainsi que sa famille. Si quelques Musulmans se trouvaient dans le besoin et que le Trésor Public ne contienne pas de fonds d'aumônes, l'Imam doit leur fournir ce dont ils ont besoin du Trésor du Kharâj, sans que cela soit compté comme une dette sur le Trésor de l'aumône, car comme nous l'avons expliqué, le Kharâj doit être dépensé pour satisfaire les besoins des Musulmans.»
La généralisation de la richesse est donc le but que les textes fixent au Tuteur. Et pour définir la conception islamique de la richesse, il faut le faire à la lumière des textes également. Or, en nous référant à ceux-ci, nous constatons qu'ils ont fait de la richesse la limite finale de la perception de la Zakât. Ils ont permis qu'on offre la Zakât au pauvre jusqu'à ce qu'il devienne riche (sans besoins), et ils ont interdit de lui en donner plus. Selon un hadith attribué à l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) :
«Il faut lui donner la Zakât jusqu'à ce qu'il devienne riche [satisfait].»
La richesse que l'Islam vise à assurer à tout le monde est ce degré de richesse qu'il (l'Islam) a fixé comme ligne de démarcation entre le don et l'interdiction de la Zakât (à l'ayant droit).
Une fois encore, nous devons nous référer aux textes et y chercher la nature de cette ligne de démarcation qui sépare le don de la Zakât et son interdiction pour connaître la conception islamique de la richesse.
A ce stade de déduction, nous pouvons découvrir la nature de cette ligne de démarcation à la lumière du hadith d'Abî Baçîr, selon lequel :
«Lorsqu'on a demandé à l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) si un homme possédant huit cents dirhams, étant cordonnier de profession, et ayant une grande famille, avait le droit de percevoir la Zakât, l'Imam a répondu :
"O Abû Mohammad ! Est-ce qu'il gagne avec ses dirhams de quoi faire vivre sa famille et un peu plus ?"
Abû Bâçîr a répondu par l'affirmative, et l'Imam a dit alors :
"Si le surplus est égal à la moitié de ses besoins pour vivre, il n'a pas droit à la Zakât, et s'il est inférieur à la moitié, il y a droit. Et la somme qu'il perçoit au titre de la Zakât doit faire parvenir sa famille au niveau des autres."»
Nous apprenons, à la lumière de ce texte, que la richesse en Islam est la possibilité pour l'individu de dépenser sur lui-même et sur sa famille jusqu'à ce qu'il atteigne le niveau de vie des autres et que son train de vie devienne au niveau courant dans lequel il n'y a ni difficulté ni crainte.
Ainsi, nous sortons de l'enchaînement des conceptions pour aboutir à la conception islamique de l'équilibre social, et nous apprenons que lorsque l'Islam a adopté le principe de l'équilibre social et a rendu le Tuteur responsable de sa réalisation par les méthodes légales, il a expliqué son idée de l'équilibre et indiqué que celui-ci peut se réaliser en amenant tous les individus à la richesse. La Charî'ah a utilisé cette conception de la richesse en en faisant une ligne de démarcation entre l'autorisation et l'interdiction de percevoir la Zakât, et elle a expliqué cette ligne de démarcation, dans d'autres textes, par "une vie assez aisée de l'individu pour que son niveau de vie soit au niveau de tout le monde". Ce faisant, lesdits textes nous ont indiqué la conception de l'Islam de la richesse, conception qui vise, comme nous l'a expliqué le principe de l'équilibre, à accorder cette richesse à tout le monde, et qui considère sa généralisation (de la richesse) comme une condition de la réalisation de l'équilibre social. Ainsi se complète dans notre esprit l'image islamique précise du principe de l'équilibre social, et nous apprenons en même temps que le but fixé au Tuteur est d'oeuvrer en vue de rehausser le niveau de vie des personnes défavorisées vers un niveau plus élevé, de telle sorte qu'un niveau de vie aisé général se réalise.
Les moyens de préserver l'équilibre social
De même que l'Islam a posé le principe de l'équilibre social et en a précisé le concept, de même il s'est chargé de mettre à la disposition de l'Etat les moyens nécessaires pour qu'il entreprenne l'application de ce principe dans les limites desdits moyens.
Ces moyens peuvent être résumés dans les points suivants :
a) Prélever des impôts fixes, et perçus continuellement, afin qu'ils soient dépensés en vue d'assurer l'équilibre social.
b) Fonder des secteurs constituant des propriétés de l'Etat, et orienter l'Etat vers l'exploitation desdits secteurs au profit de l'équilibre.
c) La nature de la législation islamique, laquelle tend à ordonner la vie économique dans tous les domaines.
Il s'agit des impôts de Zakât et de Khoms, puisque ces deux obligations financières n'ont pas été promulguées seulement pour satisfaire les besoins essentiels, mais aussi pour remédier à la pauvreté et élever le niveau du pauvre au niveau des riches, et ce afin de réaliser l'équilibre social dans son acception islamique.
La preuve jurisprudentielle de la relation entre ces impôts et la question de l'équilibre, et de la possibilité d'utiliser les impôts dans ce dessein, se trouve dans les textes suivants :
1 - Selon Ishâq ibn 'Ammâr :
«J'ai demandé à l'Imam Ja'far ibn Mohammad (S) :
Puis-je offrir cent [dirham] du fonds de la Zakât à un homme ?
Oui, dit-il.
Et deux cents ?
Oui, dit-il encore.
Et trois cents ?
Oui.
Et quatre cents ?
Oui.
Et cinq cents ?
Oui, jusqu'à ce qu'il s'enrichisse [qu'il en ait suffisamment], a-t-il tranché.»(259)
2 - Selon 'Abdul-Rahmân ibn Hajjâj :
«J'ai demandé à Mûsâ ibn Ja'far (S) :
Un homme qui reçoit de son père, de son oncle paternel ou de son frère, de quoi assurer ses provisions de bouche, a-t-il le droit de percevoir aussi la Zakât pour satisfaire ses autres besoins, si les personnes précitées ne subviennent pas à tous ses besoins ?
Pourquoi pas, a répondu l'Imam.»(260)
3 - Selon Somâ'ah :
«Lorsque j'ai demandé à Ja'far ibn Mohammad (S) si la Zakât peut être offerte aussi bien au propriétaire d'une maison qu'à un serviteur, il a répondu par l'affirmative.»(261)
4 - Selon Abû Baçîr :
«Parlant de celui qui a droit à la Zakât et qui n'est pas aisé, l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) a dit :
Il dépense la Zakât perçue pour la nourriture et les vêtements de sa famille. S'il en reste quelque chose, il l'offre à d'autres. Il peut prendre de la Zakât assez pour élever le niveau de dépenses de sa famille jusqu'à celui de tout le monde.»(262)
5 - Selon Ishâq ibn 'Ammâr :
«J'ai demandé à al-Çâdiq (S) si je peux donner quatre-vingts dirhams de l'argent de la Zakât. Il m'a répondu :
Oui, et même plus.
J'ai dit :
Puis-je lui en donner cent ?
Oui, satisfais-le, et enrichis-le si tu peux, a conclu l'Imam.»(263), (264)
6 - Selon Mo'âwiyah ibn Wahab :
«J'ai demandé à al-Çâdiq (S) :
Est-il vrai que selon le Prophète (Ç) l'aumône n'est autorisée ni au riche, ni à quelqu'un de "fort et valide"(265) ?
Il m'a répondu :
Non, elle n'est pas autorisée au riche.»(266)
7 - Selon Abû Baçîr :
«J'ai raconté à l'Imam Ja'far al-Çâdiq (S) qu'un vieil homme parmi nos amis, nommé 'Omar, avait demandé un jour où il était dans le besoin, à 'Isâ ibn A'yan, de lui donner quelque chose, et que ce dernier lui avait répondu :
J'ai de l'argent de Zakât, mais je ne peux pas t'en donner, car je t'ai vu acheter de la viande et des dattes.
'Omar lui a alors expliqué :
J'avais gagné un dirham. J'ai acheté de la viande pour deux dâniq(267), et des dattes pour deux autres, et j'ai gardé les deux dâniq restant pour subvenir à un autre besoin.
(Selon la riwâyah, lorsque l'Imam (S) a entendu l'histoire de 'Omar et de 'Isâ ibn A'yan, il a posé sa main sur son front, pendant une heure, puis, relevant la tête, il a dit :
"Allah -IL est très Haut- a regardé l'argent des riches, puis IL a regardé les pauvres. IL a accordé aux pauvres un droit dans l'argent des riches, jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits. Si ce qu'ils en perçoivent s'avère insuffisant, IL leur en accorde davantage. Mieux, IL leur accorde ce avec quoi ils peuvent manger, boire, s'habiller, se marier, faire l'aumône et accomplir le Hajj.)"»(268), (269)
8 - Selon Hammâd ibn 'Isâ :
«Parlant de la part des orphelins, des pauvres, et des voyageurs à court d'argent, dans le Khoms, l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S) a expliqué :
"Le Tuteur répartit entre eux, selon les stipulations du Livre et de la Sunnah, la Zakât de telle sorte qu'ils obtiennent ce qui leur suffit pour un an. S'il en reste quelque chose, il revient au Tuteur. Et si au contraire la Zakât qu'ils perçoivent ne suffit pas à satisfaire leurs besoins, le Tuteur doit leur donner de sa caisse jusqu'à ce qu'ils en aient suffisamment."»(270)
9 - Ibn Qudâmah a écrit :
«Al-Maymunî a dit :
Je me suis concerté avec Abâ 'Abdullâh (l'Imam al-Çâdiq) (S), et je lui ai demandé :
Si un homme possède des chameaux et des moutons requérant la Zakât, mais qu'il se trouve dans le besoin, ou s'il a quarante brebis et une propriété foncière qui ne suffisent pas à satisfaire à ses besoins, a-t-il droit à l'aumône ?
Il m'a répondu par l'affirmative, et il a rappelé la parole de 'Omar :
Donnez-leur, même s'ils possèdent tel ou tel nombre de chameaux.
Et il a dit [selon la version de Mohammad ibn al-Hakam] :
S'il a une propriété foncière qu'il occupe ou un terrain qui vaut dix mille ou moins ou plus, mais qui ne couvre pas ses besoins, il a droit à la Zakât. Et c'est ce que dit al-Châfi'î.»(271)
Ibn Qudâmah a expliqué cet avis comme suit :
«Car le besoin est la pauvreté, et son contraire est la richesse. Ainsi, celui qui a besoin est pauvre, et la généralité du texte s'applique donc à lui, alors que celui qui n'a pas besoin, à lui s'applique la généralité des textes d'interdiction.»(272)
Ainsi, ces textes ordonnent qu'on octroie la Zakât et ses semblables à un individu jusqu'à ce qu'il atteigne le niveau de tout le monde ou jusqu'à ce qu'il ne se trouve plus dans le besoin, ou qu'il satisfasse ses premiers et seconds besoins : nourriture, boisson, vêtements, mariage, aumône, Hajj, et abstraction faite de la différence dans les termes qu'ils utilisent, ils visent tous un même objectif, à savoir généraliser la richesse dans son acception islamique, et trouver l'équilibre social dans le niveau de vie.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons préciser le concept de richesse et de pauvreté en Islam en général. Le pauvre est celui qui n'a pas un niveau de vie qui lui permette de satisfaire ses besoins de première nécessité et de seconde nécessité, jusqu'aux limites qu'autorise l'état de la fortune dans le pays, ou en d'autres termes, celui qui vit dans un niveau séparé par un profond fossé du niveau de vie des fortunés de la société islamique. Le riche ne souffre pas d'un tel fossé dans son niveau de vie, et il n'est pas difficile pour lui de satisfaire ses besoins de première et de seconde nécessités dans les limites qu'autorisent l'état de la fortune du pays et le degré de son élévation matérielle, et ce abstraction faite de ce qu'il possède ou non une grande fortune.
De là, nous comprenons que l'Islam ne donne pas à la pauvreté un concept absolu ni un contenu fixe dans toutes les circonstances et conditions. Il ne dit pas, par exemple, que la pauvreté est l'impossibilité de la simple satisfaction des besoins fondamentaux. Il a conçu la pauvreté comme le fait d'être au-dessous du niveau de vie de tout le monde, comme nous l'avons vu dans le texte. Et autant le niveau de vie s'élève, autant la signification réelle de la pauvreté s'élargit, car même le fait de ne pas suivre cette élévation du niveau de vie devient dans ce cas pauvreté. Ainsi, si les gens prennent l'habitude de vivre, par exemple, dans une maison indépendante pour chaque famille, à la suite de l'extension de la construction dans le pays, le fait de ne pas avoir une maison indépendante devient pour une famille une sorte de pauvreté, alors qu'il ne l'était pas lorsque le pays n'avait pas encore atteint ce niveau d'aisance et de bien-être.
Cette souplesse dans le concept de pauvreté est liée à l'idée d'équilibre social car si l'Islam, au lieu de cela, avait donné à la pauvreté un concept fixe, à savoir l'impossibilité de la simple satisfaction des besoins fondamentaux, et s'il avait confié à la Zakât et ses semblables la charge de remédier à la pauvreté prise dans ce concept fixe, il n'aurait pas été possible d'oeuvrer en vue de trouver l'équilibre social dans le niveau de vie au moyen de la Zakât, et le fossé aurait été creusé entre le niveau de vie des familles vivant de la Zakât et ses semblables et le niveau de vie général des riches, lequel grimpe et s'élève continuellement et suivant le développement citadin et l'augmentation de la richesse totale du pays. Donc, c'est le fait de donner des concepts souples à la pauvreté et à la richesse, et de fonder le système de la Zakât et ses semblables sur la base de ces concepts souples, qui garantit la possibilité d'utiliser la Zakât et ses semblables au bénéfice de l'équilibre social général.
Il n'est pas étrange de donner un concept souple à une signification à laquelle est attaché un jugement légal, telle la pauvreté à laquelle est liée la Zakât, et cette souplesse ne signifie pas le changement du juge- ment légal, lequel est un jugement inchangeable concer- nant un concept particulier, car le changement se trouve dans la réalité de ce concept, suivant les circonstances.
Il en va de même pour le concept de médecine, par exemple. En effet, la législation a jugé que l'apprentissage de la médecine est une "obligation jusqu'à suffisance" (wâjib kifâ'î) pour les Musulmans. Or cette obligation est un jugement immuable lié à un concept spécial, la "médecine". Mais quel est le concept de médecine ? Et que signifie la médecine ? L'apprentissage de la médecine est l'étude des informations particulières disponibles dans une conjoncture donnée, concernant les maladies et la méthode de leur traitement. Ces informations spécifiques se développent à la longue, suivant l'évolution de la science et le perfectionnement de l'expérience. Or les informations particulières à hier ne sont pas des informations particulières à aujourd'hui ; et il ne suffit pas, pour le médecin contemporain, de bien assimiler les connaissances des médecins compétents de l'époque du Prophète (Ç), pour qu'il soit considéré comme ayant observé l'ordre d'Allah d'apprendre la médecine. La souplesse dans le concept est donc autre chose que le changement dans le jugement légal. Et si le médecin d'aujourd'hui est différent du médecin de l'époque du Prophète, il est rationnel que le pauvre d'aujourd'hui également soit, dans le concept islamique, différent du pauvre de l'époque du Prophète.
L'Islam ne s'est pas contenté de créer des impôts fixes en vue d'assurer l'équilibre social, mais il a également assigné à l'Etat la charge des dépenses dans le secteur public dans le même but. En effet, selon un hadith de l'Imam Mûsâ ibn Ja'far (S), «le Tuteur, en cas d'insuffisance de la Zakât, doit approvisionner de sa caisse les pauvres, jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits.»
Les mots "de sa caisse" indiquent que les ressources autres que la Zakât peuvent être utilisées en vue de parvenir à l'équilibre, en satisfaisant les pauvres et en relevant leur niveau de vie.
Le Coran a expliqué le rôle que le "fay'" -lequel constitue une des ressources du Trésor- doit jouer pour trouver l'équilibre social, lorsqu'il annonce :
«Ce qu'Allah a octroyé à Son Prophète comme butin pris sur les habitants des cités appartient à Allah et à Son Prophète, à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au voyageur, afin que ce ne soit pas attribué à ceux d'entre vous qui sont riches.»(273)
Nous avons déjà vu que ce noble Verset parle de la dépense du " fay' " et met les orphelins, les pauvres, le voyageur, aux côtés d'Allah, du Messager (Ç) et de ses proches (S). Cela signifie que le "fay'" est destiné à être dépensé en partie pour les pauvres, tout comme il est destiné à être dépensé en partie pour les intérêts liés à Allah et au Prophète (Ç). Le Verset indique clairement que le fait que le "fay' " soit partiellement destiné à être dépensé pour les pauvres vise à faire circuler l'argent et à le rendre disponible pour tous les membres de la société, afin qu'il assure l'équilibre social général et qu'il ne soit pas attribué aux riches en particulier.
Le "fay'" est, à l'origine, constitué des biens des polythéistes sur lesquels les Musulmans mettent la main sans combat, et il est la propriété de l'Etat, c'est-à-dire qu'il appartient au Prophète (Ç) et à l'Imam en tant qu'occupant ce poste. C'est pourquoi le "fay' " est considéré comme une sorte de butin (anfâl), lequel terme désigne les biens dont Allah a fait une propriété du poste qu'occupaient le Prophète et l'Imam, et qui consistent en terres inexploitées, minerais, etc.
Dans la terminologie législative, le "fay' " désigne les Anfâl en général. La preuve en est ce hadith de l'Imam al-Bâqir (S) rapporté par Mohammad ibn Muslim :
«Le "fay' " et les "anfâl" sont les terres obtenues sans effusion de sang, et un groupe de gens avec lesquels on s'est réconcilié et qui ont offert de leurs mains les terres en friches ou les revenus du sous-sol des vallées ; tout cela est le "fay' ", etc.»(274)
Dans ce texte, il est clairement indiqué que le mot "fay' " désigne autre chose que les différentes sortes d'"anfâl" sur lesquelles les Musulmans mettent la main. Et conformément à cette terminologie législative, le "fay'" n'est plus le propre du butin obtenu sans combat, mais devient l'expression de tout le secteur que possède le poste de Prophète ou d'Imam(275).
De là, nous pouvons déduire que le Verset précité a déterminé le statut des "anfâl" en général sous l'appellation de "fay' ", ce qui nous amène à savoir que les "anfâl" sont utilisés, dans la Charî'ah, en vue de préserver l'équilibre et d'assurer la circulation des biens entre tout le monde, comme ils sont utilisés pour les intérêts généraux.
La nature de la législation islamique
L'équilibre général, dans la société islamique, est redevable, après cela, à l'ensemble des législations islamiques dans les différents domaines, car elles contribuent à la protection de l'équilibre, lorsqu'elles sont appliquées par l'Etat.
Nous ne pouvons pas traiter ici de l'ensemble des législations ayant trait au principe de l'équilibre pour découvrir les facettes du lien se trouvant entre ce principe et ces législations. Nous nous contentons de souligner ici le combat de l'Islam contre la thésaurisation de l'argent, son abolition de l'intérêt, sa promulgation des statuts de l'héritage, le fait d'accorder à l'Etat des pouvoirs dans les limites de la zone de vide laissée à celui-ci par la législation islamique, l'abolition de l'exploitation capitaliste des richesses naturelles brutes, et bien d'autres statuts.
L'interdiction de thésauriser l'argent et l'abolition de l'intérêt mettent fin au rôle des banques capitalistes dans la création des contradictions et du déséquilibre social, et leur ôtent leur capacité de chasser la grande partie de la richesse du pays, pratique à laquelle recourent ces banques dans les pays capitalistes en encourageant les gens à épargner et en les alléchant par la perspective des intérêts.
Cette attitude islamique conduit naturellement souvent à l'incapacité du capital individuel à l'expansion dans les domaines de la production et du commerce, jusqu'à un degré préjudiciable à l'équilibre, car l'expansion des individus dans des projets de production et de commerce dépend, dans une société de type capitaliste, des banques capitalistes qui fournissent à ces projets des fonds contre un intérêt déterminé. Or, une fois la thésaurisation interdite et l'intérêt prohibé, les banques ne peuvent plus entasser dans leurs caisses l'argent liquide d'une façon colossale, ni consentir des prêts aux projets individuels. Il en résulte que les activités privées se cantonnent, sur le plan économique, dans des limites raisonnables qui suivent l'équilibre social, et que les grands projets de production s'orientent naturellement vers les propriétés publiques.
Quant à la législation des statuts de l'héritage, en vertu de laquelle l'héritage est souvent réparti entre un nombre de proches parents héritiers, elle constitue une autre garantie de l'équilibre, car elle morcelle continuellement les fortunes et empêche leur accumulation en les répartissant entre les proches, conformément aux stipulations des statuts de l'héritage. Ainsi, à la fin de chaque génération, les fortunes des individus riches auront été souvent réparties entre un groupe plus nombreux, et il arrive que le nombre des nouveaux propriétaires de la fortune laissée à l'héritage soit plusieurs fois double par rapport au nombre des précédents propriétaires.
En ce qui concerne les pouvoirs accordés à l'Etat pour remplir la zone de vide, ils jouent un rôle important dans la protection de l'équilibre, comme nous le verrons dans le chapitre prochain.
Il en va de même pour l'abolition de l'exploitation capitaliste des richesses naturelles brutes, laquelle abolition traduit un point de départ pour les activités économiques, conduisant de par sa nature, à l'équilibre, car l'utilisation de la richesse naturelle est le principal point de départ dans l'activité économique.
Ainsi, si le travail effectif devient une condition essentielle de l'appropriation des richesses brutes de la nature, comme l'affirment certains faqîh, et si l'on interdit de faire appel aux services d'un autre pour accéder à cette appropriation, la distribution de ces richesses se trouve définie de telle sorte qu'elle aboutisse à la réalisation de l'équilibre, et il n'est plus autorisé qu'un petit nombre d'individus s'en empare en faisant appel aux services des autres pour y parvenir, ce qui conduit à détruire l'équilibre et à semer le germe de la contradiction et du déséquilibre dès le début.
3- LE PRINCIPE DE L'INTERVENTION DE L'ETAT
L'intervention de l'Etat dans la vie économique est considérée comme l'un des principes importants dans l'Economie islamique, principes qui confèrent à celle-ci la force et la capacité d'assimilation et d'intégration.
L'intervention de l'Etat ne se limite pas à une simple application des statuts fixes de la Charî'ah, mais elle s'étend vers le remplissage de la zone de vide de la législation. En effet, d'une part elle tient à appliquer les éléments fixes de la législation, d'autre part elle adapte les éléments changeants aux circonstances.
Dans le domaine de l'intervention, l'Etat intervient dans la vie économique pour assurer l'application des statuts islamiques qui ont trait à la vie économique des individus. Il empêche par exemple les gens de pratiquer l'intérêt usuraire, ou de contrôler une terre sans mise en valeur, tout comme il entreprend lui-même l'application des statuts qui ont directement trait à lui-même, en réalisant par exemple la sécurité sociale et l'équilibre général dans la vie économique, selon le mode que l'Islam a autorisé à suivre, pour la réalisation de ces principes.
Dans le domaine législatif, l'Etat remplit la zone de vide que la législation islamique a laissée à l'Etat afin qu'il la remplisse à la lumière des circonstances évolutives, de façon à garantir les buts généraux de l'Economie islamique et à réaliser l'image islamique de la justice sociale.
Nous avons abordé la zone de vide au début de ces recherches, et nous avons appris qu'il est nécessaire de l'étudier au cours de l'opération de la découverte, car la position active de l'Etat vis-à-vis de cette zone entre dans le cadre de l'image que nous essayons de découvrir, en sa qualité d'élément mobile de l'image qui confère à l'Etat la capacité d'accomplir son message et de poursuivre sa vie sur les plans théorique et de la réalité dans les différentes époques.
Pourquoi a-t-on institué une "zone de vide" ?
L'idée essentielle de cette zone de vide repose sur le fait que l'Islam ne présente pas ses principes législatifs de la vie économique, en tant qu'un remède provisoire ou une organisation circonstancielle que l'Histoire rend désuets après un certain temps au profit d'une autre forme d'organisation, mais il les présente en tant qu'image théorique valable pour toutes les époques. Pour conférer à l'image cette généralité et cette globalité, il était donc nécessaire qu'elle reflète l'évolution des époques dans le cadre d'un élément mobile qui pompe dans l'image la capacité d'adaptation aux différentes circonstances.
Pour comprendre les détails de cette idée, il nous faut déterminer le côté évolutif de la vie économique de l'homme et savoir combien cet aspect affecte l'image législative qui ordonne cette vie.
Il y a dans la vie économique, les rapports de l'homme avec la nature ou avec la richesse que représentent ses modes de production de celle-ci et son contrôle sur elle, ainsi que les relations de l'homme avec son frère, l'homme, rapports que traduisent les droits et les privilèges qu'obtient celui-ci ou celui-là.
La différence entre ces deux sortes de rapports est la suivante : l'homme entretient la première sorte de rapports, et ce qu'il vive au sein d'une communauté ou à l'écart d'elle. Donc, il se lie dans tous les cas avec la nature par des rapports donnés que déterminent son expérience et sa connaissance. Ainsi, il chasse les oiseaux, cultive la terre, extrait le charbon, file la laine, par les méthodes qu'il maîtrise.
De par leur nature, les rapports de cette sorte ne dépendent pas, pour être établis entre l'homme et la nature, de sa présence au sein d'un groupe. Si le groupe affecte ces rapports, c'est dans la mesure où il est de nature à rassembler des expériences et des connaissances nombreuses, à développer le crédit humain en vue de connaître la nature et élargir par voie de conséquence les besoins et les désirs de l'homme.
Quant aux rapports de l'homme avec l'homme, que déterminent les droits, les concessions et les devoirs, ils dépendent de par leur nature de la présence de l'homme au sein d'une communauté. Car si l'homme n'était pas ainsi, il n'accepterait pas d'avoir des droits et des devoirs. Ainsi, le droit de l'homme sur la terre qu'il a mise en valeur, l'interdiction pour lui de gagner de l'argent sans travail, en pratiquant l'intérêt usuraire, l'obligation qui lui est faite de satisfaire les besoins des autres en eau provenant de la source qu'il a découverte, si l'eau de cette source dépasse son besoin, tout ceci constitue des rapports qui n'ont de sens qu'au sein d'un groupe.
L'Islam, tel que nous le concevons, fait la distinction entre ces deux sortes de rapports. Ainsi, il considère que les rapports de l'homme avec la nature ou la richesse évoluent avec le temps suivant les problèmes nouveaux que l'homme rencontre continuellement pendant qu'il exploite la nature, et les diverses solutions qu'il trouve à ces problèmes. Et plus se développent les rapports de l'homme avec la nature, plus celui-ci la maîtrise mieux et renforce ses moyens et ses méthodes.
Quant aux rapports de l'homme avec son semblable, ils ne sont pas évolutifs de nature, car ils traitent de problèmes fixes de par leur essence, quelles que soient les différences dans leur forme et leur apparence. En effet, tout groupe qui met la main sur une richesse à travers ses rapports avec la nature, rencontre le problème de sa distribution et de la détermination des droits des individus et du groupe sur elle, et ce que la production soit chez le groupe au niveau de la vapeur et de l'électricité, ou à celui du moulin à main.
C'est pourquoi l'Islam considère que l'image législative par laquelle il organise ces rapports conformément à ses conceptions de la justice, est durable et immuable sur le plan théorique, car elle traite de problèmes immuables. Ainsi, le principe législatif qui énonce par exemple que "le droit individuel sur les sources naturelles est fondé sur le travail" traite un problème général qui peut prévaloir aussi bien à l'ère de la charrue élémentaire qu'à l'ère de l'instrument complexe, car le mode de distribution des ressources naturelles entre les individus est une question qui se pose pendant les deux ères.
L'Islam s'oppose en cela au marxisme, lequel croit que les rapports de l'homme avec son frère l'homme évoluent suivant l'évolution de ses rapports avec la nature, lie la forme de la distribution au mode de production, et récuse la possibilité de traiter du problème du groupe en dehors du cadre de ses rapports avec la nature, comme nous avons pu le constater et le critiquer dans les chapitres du premier livre de "Notre Economie"(276).
Dès lors, il est naturel que l'Islam présente ses principes théoriques et législatifs comme étant à même d'organiser les rapports de l'homme avec l'homme dans des époques différentes.
Mais cela ne signifie pas qu'il autorise qu'on néglige l'aspect évolutif, à savoir les rapports de l'homme avec la nature, et qu'on exclue du compte l'influence de cet aspect, car l'évolution de la capacité de l'homme à exploiter la nature et le développement de sa maîtrise sur les richesses de cette nature, font évoluer et développent continuellement le danger de l'homme sur le groupe et mettent sans cesse à sa disposition de nouvelles possibilités d'expansion et de menace contre l'image adoptée de la justice sociale.
Par exemple, le principe législatif énonçant que "celui qui travaille une terre et y dépense des efforts jusqu'à ce qu'il la mette en valeur y a un droit prioritairement aux autres", est considéré comme juste aux yeux de l'Islam, car il serait injuste qu'on traite sur un pied d'égalité un travailleur qui a dépensé ses efforts sur la terre et un tiers qui n'y a rien fait. Mais ce principe peut être exploitable avec l'évolution et le développement de la capacité de l'homme à exploiter la nature. Ainsi, à l'époque où la mise en valeur de la terre était fondée sur des méthodes anciennes, l'individu n'avait la possibilité de pratiquer la mise en valeur d'une terre que dans de petites étendues, mais une fois que la capacité de l'homme se fut développée et qu'il obtint les moyens de maîtriser la terre, un petit nombre d'individus a pu saisir l'occasion qui s'offrait à eux pour mettre en valeur des superficies de terre très étendues, en utilisant de grandes machines, ce qui ne manqua pas d'ébranler la justice sociale et les intérêts de la communauté.
C'est pourquoi il était indispensable pour l'image législative de laisser une zone de vide qu'on peut remplir selon les circonstances en autorisant la mise en valeur générale dans la première époque, et en interdisant aux individus -interdiction stricte- dans la seconde époque une mise en valeur au-delà des limites qui concordent avec les buts de l'Economie islamique et ses conceptions de la justice.
Donc c'est pour cette raison que l'Islam a placé une zone de vide dans l'image législative par laquelle il organise la vie économique, afin qu'elle reflète l'élément mobile, suive l'évolution des rapports entre l'homme et la nature, et écarte les dangers qui pourraient résulter de cette évolution croissante à travers les époques.
La "zone de vide" n'est pas une lacune
La zone de vide n'est pas une lacune dans la structure législative, ni une négligence de la Charî'ah de certains événements et faits. Au contraire, elle traduit l'intégralité de l'image et la capacité de la Charî'ah à suivre les différentes époques, car la Charî'ah n'a pas laissé la zone de vide comme l'expression d'une lacune ou d'une négligence, mais elle a déterminé pour cette zone des statuts en assignant à chaque événement son caractère législatif originel, tout en donnant au Tuteur le pouvoir de lui conférer un caractère législatif secondaire, selon les circonstances. Ainsi, la mise en valeur de la terre par un individu, par exemple, est une opération autorisée législativement de par sa nature, mais le Tuteur a le droit de l'interdire si les circonstances l'exigent.
La preuve que le Tuteur jouit de tels pouvoirs pour remplir la zone de vide est le texte coranique suivant :
«O vous qui croyez ! Obéissez à Allah ! Obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent l'autorité.»(277)
Les limites de la zone de vide sur lesquelles peut s'étendre le Tuteur comprennent, selon ce texte, tout acte autorisé de par sa nature. Ainsi, le Tuteur est autorisé à accorder à toute activité ou action dont aucun texte législatif ne prononce ni l'interdiction ni l'obligation, un caractère secondaire, en l'interdisant ou en l'ordonnant. Donc, si l'Imam a interdit de faire un acte autorisé de par sa nature, cet acte devient prohibé ; et s'il ordonne de le faire, il devient obligation. Quant aux actes dont l'interdiction générale est législativement établie, tels que l'intérêt usuraire, par exemple, le Tuteur n'a pas le droit d'ordonner de les faire. De même, l'acte rendu obligatoire par la Charî'ah, tel que les dépenses que le mari doit faire pour son épouse, ne peut pas être interdit par le Tuteur, car l'obéissance au Tuteur est obligatoire uniquement dans les limites où elle ne s'oppose pas à l'obéissance à Allah et à Ses statuts généraux. Ce sont donc les diverses activités naturellement autorisées dans la vie économique, qui forment la zone du vide.
Il y a dans les textes des Traditions de nombreux exemples de l'usage fait par le Tuteur de ses pouvoirs dans les limites de la zone de vide. Ces exemples éclairent la nature de la zone et l'importance de son rôle positif dans l'organisation de la vie économique. C'est pourquoi nous passons en revue quelques-uns de ces exemples en les corroborant par les textes.
a) Selon certains textes, le Prophète (Ç) a interdit que l'on refuse de donner le surplus de l'eau et des herbes qu'on contrôle. En effet, selon l'Imam al-Çâdiq (S) :
«Le Messager d'Allah a décrété à l'intention des Médinois et à propos des plantations de dattiers qu'il ne soit pas interdit le surplus de l'eau et des herbes.»
Cette interdiction est une interdiction de prohibition, comme l'exige selon la norme le terme d'interdiction. Et si nous y ajoutons l'opinion de la majorité des faqîh, selon laquelle l'interdiction faite par un homme aux autres d'utiliser le surplus de l'eau et des herbes qu'il possède n'est pas un des interdits originels dans la Charî'ah, comme la privation de l'épouse de ses pensions, la consommation de l'alcool, etc. nous pouvons conclure que l'interdiction faite par le Prophète (Ç) est faite par lui en sa qualité de Tuteur.
Il s'agit donc là de l'exercice de ses pouvoirs en vue de remplir la zone de vide selon les exigences des circonstances, car la société médinoise avait un besoin urgent de développer sa richesse agricole et animale, ce qui a conduit l'Etat à obliger les sujets à offrir aux autres les excédents de leur eau et de leurs herbes, dans le but de promouvoir les richesses agricoles et animales.
Ainsi, nous remarquons que le don de l'excédent d'eau et d'herbe, qui est un acte naturellement autorisé, l'Etat l'a rendu obligatoire pour réaliser un intérêt nécessaire.
b) On rapporte du Prophète (Ç) qu'il a interdit la vente des fruits avant leur maturité. En effet, lorsqu'on a demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) s'il est permis à un homme d'acheter des fruits d'une terre et qu'il s'ensuit que tous les fruits de cette terre périssent, l'Imam a dit :
«On avait fait appel à l'arbitrage du Prophète (Ç) à ce propos, à plusieurs reprises. Lorsque le Messager a remarqué qu'on ne cessait de se disputer à ce sujet, il a interdit que l'on vende les fruits avant leur maturité. En fait, il ne l'avait pas prohibé, mais s'il l'a interdit, c'est pour mettre fin à leurs disputes.»
Selon un autre hadith, le Messager d'Allah (Ç) l'avait autorisé, mais les gens sont tombés en désaccord entre eux. C'est alors que le Prophète a ordonné "qu'on ne vende pas les fruits avant qu'ils ne deviennent mûrs".
Donc, la vente d'un fruit avant sa maturation est un acte naturellement autorisé, et la Charî'ah l'a autorisé d'une façon générale, mais le Prophète (Ç) a interdit cette vente, en sa qualité de Tuteur, afin d'écarter les mauvaises conséquences et les contradictions qui s'ensuivaient.
c) Selon Râfi' ibn Khâdij, cité par al-Tirmithî :
«Le Messager d'Allah (Ç) nous a interdit une chose qui nous était utile, à savoir la vente d'une terre contre une partie de ses produits ou de l'argent liquide (dirham). Il nous a dit :
"Si l'un de vous possède une terre, qu'il en fasse don à son Frère, ou qu'il la cultive."»
Lorsque nous faisons l'addition de l'histoire de cette prohibition et de l'accord des faqîh sur la non-interdiction de la location d'une terre, dans la Charî'ah d'une façon générale, en y ajoutant de nombreux textes rapportés des Compagnons et indiquant l'autorisation de la location de la terre, nous aboutissons à une explication déterminée du texte du hadith rapporté par Râfi' ibn Khâdij, à savoir que l'interdiction a été faite par le Prophète (Ç) en tant que Tuteur, et ne constitue pas un statut légal général.
Ainsi, le Prophète peut, en sa qualité de Tuteur, interdire la location d'une terre, acte qui est considéré comme naturellement autorisé, conformément aux exigences de la situation.
d) Dans la lettre de l'Imam 'Alî (S) à Mâlik al-Achtar, il y a des ordres formels de détermination des prix conformément aux exigences de la justice. Dans cette lettre, l'Imam 'Alî (S), après avoir parlé des commerçants et les avoir recommandés à son Gouverneur, lui dit :
«Sache cependant que beaucoup d'entre eux sont d'une mesquinerie excessive, et d'une avarice sordide, qu'ils accaparent les profits et sont impitoyables en affaires, ce qui peut nuire au petit peuple et discrédite les gouvernants. Interdis donc l'accaparement, car le Messager d'Allah (Ç) l'a interdit. Que les ventes se fassent équitablement, avec des poids justes, et à des prix qui ne lèsent aucune des deux parties, le vendeur et l'acquéreur.»
Il est clair, du point de vue jurisprudentiel, que le vendeur est autorisé
à vendre au prix qu'il veut, et que la Charî'ah n'interdit
pas d'une façon générale au propriétaire d'une
marchandise de vendre celle-ci à un prix exorbitant. Et là,
l'Imam a donné l'ordre de fixer les prix et d'interdire aux commerçants
de vendre à des prix supérieurs aux prix fixés, et
ce en sa qualité de Tuteur. Ce qu'il a fait, c'est usage de ses
pouvoirs de remplir la zone de vide selon les exigences de la justice sociale
que l'Islam a adoptées.
2. L'autorité légale.
3. Sourate al-Nisâ', 4 : 59
4. Parole du Prophète
5. «Lâ Dharara wa lâ Dhirâr»
6. Faqîh : jurisconsulte.
7. Al-Ahkâm al-Char'iyyah
8. Riwâyah
9. Certains faqîh ont pensé que le décret du Prophète (Ç) concernant le non-interdiction du surplus de l'eau ou de l'utilisation d'une chose, est une interdiction de contrainte et non une interdiction de prohibition. S'ils ont été acculés à ce type d'interprétation, et à écarter le caractère d'inévitabilité et d'obligation du décret du Prophète, c'est parce qu'ils ont considéré que le hadith en question ne peut avoir que l'une des deux significations suivantes : ou bien l'interdiction du Prophète est une prohibition, auquel cas l'interdiction du surplus de l'eau et de l'herbe est prohibée dans la Charî'ah, à l'instar de la prohibition de l'alcool et d'autres prohibitions générales, ou bien cette interdiction a pour effet de suggérer au propriétaire qu'il est préférable et qu'il vaut mieux qu'il offre généreusement le surplus de son eau. Et étant donné que la première signification est étrangère à l'esprit de la jurisprudence, il faut donc retenir la seconde interprétation. Mais ceci ne justifie pas en réalité que l'on interprète le décret du Saint Prophète et qu'on le traduise comme un "tarjîh" (préférence) et "istihsân" (approbation comme bien), dès lors que nous pouvons conserver audit décret son caractère d'"inévitabilité" et d'obligation, comme le texte nous le suggère, et de le comprendre en tant que jugement émis par le Prophète en sa qualité de Tuteur (Gouvernant légal) vu les circonstances particulières dans lesquelles vivaient les Musulmans, et non pas en tant que jugement légal général semblable à la prohibition de l'alcool et des jeux de hasard.
10. 'Aqîdah
11. Ce qui est impossible avant la réapparition de l'Imam al-Mahdî.
12. Nous avons fait une large étude pour évaluer les possibilités de l'homme de parvenir intellectuellement à l'organisation sociale la plus appropriée, et de percevoir les vrais intérêts sociaux, dans notre ouvrage: "L'homme contemporain et le problème ssocial". Nous y avons expliqué le rôle des expériences sociales et scientifiques et leurs résultats dans ce domaine.
13. Voir Tome I : La Théorie du Matérialisme Historique.
14. Qui veille au bon déroulement de la vie, qui a pouvoir sur la vie. Qui veille aux intérêts des gens. (N.D.T.). Voir : Tafsîr al-Mizân, Tome VII, p. 393 ; Sourate al-An'âm, 6 : 161. (N.D.T.)
15. Sourate al-Tawbah, 9 : 36
16. "Al-Dîn al-Hanîf al-Qayyem"
17. Dans la première partie de "Iqtiçâdonâ".
18. Dans la première partie de "Iqtiçâdonâ".
19. Voir la première partie de "Notre Economie"
20. Selon le hadith du Prophète : «Lâ dharara wa lâ dhirâr.»
21. Selon le Verset coranique : «Allah ne vous a imposé aucune gêne dans la Religion...» (Sourate al-Hajj, 22 : 78) ; voir aussi la Sourate al-Mâ'idah, 5 : 6.
22. Ville arabe historique en Iraq, située près de Kûfa, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Baghdâd.
23. Un écrivain du XVIIIe siècle, Arthur Young.
24. Maltus, un écrivain du début du XIXe siècle.
25. Pluriel de "Afwâh" : 1- épices ; 2- récipients cristallins pour le parfum (flacons). (N.D.T.)
Voir : "Asmâ'onâ", 'Abboud Ahmad al-Khazrajî, éd. Al-Mo'assassah al-'Arabîyyah lil-Dirâsât wal-Nachr, Beyrouth, 1986.
26. Cf la première partie de "Notre Economie", consacrée au marxisme et au capitalisme.
27. Ceci concerne les courants communistes non marxistes. Quant au marxisme, il a son propre mode de justification (de ce rapport travail/besoins) selon sa conception historique de la phase communiste. Voir pp. 220-221 de "Iqtiçâdonâ" (1ère partie, édition).
28. Voir Tome I (édition arabe).
29. Cf "Notre Economie", éd. arabe, vol. I, pp. 4-5, note de l'auteur.
30. Cf "Notre Economie", édition arabe, tome I, chapitre "Les lois scientifiques dans l'Economie capitaliste à caractère doctrinal", pp. 237-244.
31. Par domaine, nous entendons des biens qui constituent des possessions de l'Etat, tels que les terres, les forêts et les usines dont l'Etat est propriétaire, et qui lui procurent des revenus, tout comme procurent des bénéfices divers à leurs propriétaires les terres, forêts et usines que possèdent en propriété privée des individus.-
32. Les combattants musulmans.
33. La communication et la diffusion du Message de l'Islam..
34. «Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre appartient à Allah. La Science d'Allah s'étend à toute chose.» (le Coran, Sourate al-Nisâ', 4 : 126).
35. «Les hommes formaient
une seule communauté. Allah a envoyé les Prophètes
pour leur apporter la Bonne Nouvelle et pour les avertir.» (Sourate
al-Baqarah, 2 : 213)
«Les hommes ne formaient qu'une seule communauté, puis
ils se sont opposés les uns aux autres.» (Sourate Yûnus,
10 : 19)
36. L'Ijtihâd est une opération de déduction des statuts légaux (Lois) à partir des Sources de la Loi islamique.
37. Les traditions, les paroles, les gestes, l'attitude, les comportements du Prophète.
38. "Praticien" signifie ici : "celui qui pratique l'opération ou la tâche de la découverte ou de l'élaboration de la Doctrine économique islamique.
39. Par "distance réaliste", l'auteur entand l'éloignement de la réalité vécue.
40. Sourate Âl 'Imrân, 3 : 130
41. Sourate al-Baqarah, 2 : 279
42. Préislamique.
43. La conduite des Sages (ce sur quoi les divers Sages sont d'accord).
44. Et partant de là, ils infèrent que l'interdiction n'est pas une interdiction de prohibition, mais une interdiction de "détestabilité", car ils excluent que l'interdiction pour le propriétaire d'empêcher l'utilisation du surplus de son eau soit une prohibition légale applicable à toutes les époques et en tout endroit.
45. Plusieurs expressions vont être utilisées fréquemment. Aussi convient-il d'en préciser préalablement le sens. Ce sont :
a) "Le principe de la double propriété" : C'est le principe islamique relatif à la propriété. Il reconnaît trois formes à celle-ci : la propriété privée, la propriété d'Etat, la propriété publique.
b) "La propriété d'Etat" : Il s'agit de l'appropriation d'un bien par la Fonction Divine de l'Etat islamique, qu'occupe le Prophète (Ç) ou l'Imam (S), de telle sorte que le Tuteur est autorisé à disposer de la source (raqabat al-mâl) elle-même, conformément à sa responsabilité dans les services publics généraux, comme son appropriation des minerais par exemple.
c) "La propriété publique" : C'est l'appropriation par la Ummah -ou par tout le monde-d'un bien donné. De même, la propriété générale (publique) comprend les biens dont la raqabah (la source) est la propriété de l'Etat, mais sans que celui-ci soit autorisé à en disposer (de la raqabah), étant donné qu'il y a un droit général de la Ummah ou de l'ensemble des gens, droit qui impose que l'on [la Ummah, les gens] puisse utiliser ces biens tout en en gardant la raqabah.. Ainsi, nous appelons propriété publique également ce qui est composé de la propriété d'Etat et du droit général de la Ummah ou de tous les gens de garder la raqabah. Il en ressort que les expressions "propriété d'Etat" et "propriété publique" qui sont utilisées dans le présent ouvrage sont approximativement symétriques aux expressions "biens privés de l'Etat" et "biens publics de l'Etat" utilisées dans le langage du Droit moderne.
d) "La propriété de la Ummah" :C'est une forme de propriété publique, et elle signifie la propriété par la Ummah, dans son ensemble et durant toute son étendue historique, d'un bien donné -comme par exemple l'appropriation par la Ummah d'une terre habitable conquise par le Jihâd.
e) "La propriété des gens" : C'est aussi une forme de la propriété publique. Elle désigne tout bien qu'un individu ou une partie privée ne peut s'approprier, et que tout le monde est autorisé à utiliser. Les biens classés dans cette catégorie sont appelés la "propriété publique des gens". Ainsi, l'expression "propriété publique des gens" employée dans le présent ouvrage signifie à la fois une chose négative, à savoir la non-autorisation pour l'individu ou pour une partie privée de posséder ce bien, et une chose positive, à savoir l'autorisation donnée à tous d'en bénéficier.
L'exemple en est les mers et les fleuves naturels.
f) "La propriété publique" (bis) : Nous appelons également "propriété publique" ce qui comprend les deux domaines précités, à savoir le domaine de la propriété de l'Etat et le domaine de la propriété publique, par opposition à la propriété privée.
g) "La propriété privée" : Dans le présent ouvrage, nous désignons par ce terme l'appartenance à l'individu -ou à toute partie à cadre limité-d'un bien donné de façon à lui laisser en principe le droit de priver autrui du droit de l'utiliser sous quelque forme que ce soit, sauf en cas de force majeure ou dans des cas exceptionnels. L'exemple en est l'appartenance à l'homme du bois de la forêt qu'il a coupé, ou de l'eau du fleuve qu'il a puisée.
h) "Le droit privé" : Il s'agit, dans le présent ouvrage, d'un degré d'appropriation, par un individu, d'un bien -différent du degré que la propriété exprime dans sa signification "licitative" ou "légalisante" et législative. (En arabe, "Tahlîlî", rendre licite : tout ce qui existait, mais que l'Islam a rendu licite ; par opposition à "Tachrî'î", qui désigne ce que l'Islam a promulgué lui-même, et qui n'existait pas.)
Ainsi, la propriété est une appropriation du bien, alors que le droit est une appropriation résultant d'une autre appropriation et dépendant d'elle dans sa continuation ; et du point de vue législatif, la propriété implique l'octroi au propriétaire du droit de priver autrui d'utiliser le bien objet de cette propriété, alors que le droit privé ne conduit pas à ce résultat, et au contraire il permet à autrui d'utiliser ce bien d'une façon que la Charî'ah régit.
i) "L'autorisation générale" :C'est un statut légal en vertu duquel tout individu est autorisé à utiliser un bien et à se l'approprier en propriété privée. Le bien déclaré légalement comme tel est considéré parmi les "autorisations générales", comme l'oiseau dans l'air, ou le poisson dans la mer.
46. Iqtiçâdonâ [Notre Economie], éd. arabe, tome I, pp. 245-269.
47. La Nation musulmane.
48. La nue-propriété ou la propriété.
49. "Jawâhir al-Kalâm fî Charh Charâ'i' al-Islâm", du Chaykh Muhammad Hassan al-Najafî, tome XXI, p. 175, éd. moderne.
50. Al-Mâwerdî, "Al-Ahkâm al-Sultâniyyeh", p. 132.
51. "Al-Istibçâr", du Chaykh Muhammad ibn al-Hassan al-Tûsî, tome III, p. 109.
52. Récit rapporté des Saints de l'Islam.
53. "Al-Istibçâr", op. cit., tome III, p. 109.
54. Tribut, prélèvement, impôt sur la terre ou les biens immobiliers.
55. Récit rapporté des Saints de l'Islam (cf. khabar).
56. "Tahdîd al-Ahkâm", du Chaykh Muhammad ibn al-Hassan al-Tûsî, tome IV, p. 119.
57. Fixe : l'obligation de payer le Khoms sur ce bien est établie.
58. Avec "al-Chaq" et "al-Nat'ah"
59. Voir Annexe 1, dans l'édition arabe.
60. Ici, le territoire islamique.
61. Cf. "Al-Mahalli", d'ibn Hazm, tome VIII, p. 234.
62. "Al-Wasâ'il", par le Chaykh al-Hor al-'Amilî Muhammad ibn al-Hassan, tome VI, p. 270
63. Voir édition arabe, annexe 2.
64. "Al-Om", tome IV, p. 50.
65. Voir édition arabe, annexe 3.
66. "Al-Om", d'al-Châfi'î, tome IV, p. 46.
67. "Al-Mabsût", du Chaykh al-Tûsî, tome II, p. 29, nouvelle édition.
68. "Bolghat al-faqîh", d'al-Sayyed Muhammad Bahr-al-'Ulûm, p. 98.
69. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî, tome VI, p. 383.
70. "Tahdîd al-Ahkâm", du Chaykh Muhammad ibn al-Hassan al-Tûsî, tome VII, p. 152 ; et "Al-Furû' min al-Kâfî", d'al-Kulaynî, tome V, p. 279.
71. Voir édition arabe, annexe 4.
72. Fatwâ : décret religieux..
73. Voir : "Takmilat Charh Fat-h al-Qadîr", Tome VI, p. 137 ; et "Charh al-'Inâyah 'alâ al-Hidâyah" en marge de la même page.
74. En arabe: akhbâr al-tahlîl.
75. Voir note précédente.
76. Voir édition arabe, annexe 6.
77. "Al-Ahkâm al-Sultâniyyah", p. 133.
78. "Charh al-Mukhtaçar al-Jalîl", d'al-Kharchî, tome II, p. 208.
79. Un non-Musulman qui a conclu un accord avec l'Etat musulman.
80. Çahîh al-Kâbolî et Çahîh de Mu'âwiyeh ibn Wahab ne peuvent être en opposition avec le récit d'al-Halabî rapportant son entretien avec l'imam al-Çâdiq (S), et selon lequel «lorsque j'ai soumis à ce dernier le cas de quelqu'un qui prend une terre en ruine, la nettoie, y creuse des canaux, la réhabilite et la cultive, l'imam a répondu : "L'aumône." Je lui ai demandé encore : "Et s'il connaissait son propriétaire ?" Il a répondu : "Qu'il acquitte ce qui lui est dû."» Car la réponse, dans le récit d'al-Halabî, ne supposait que le cas où la terre était une ruine dont les aménagements avaient disparu, ce qui est plus général que le fait que la ruine soit due à la négligence du maître de la terre et à son refus de s'acquitter de son devoir envers elle. Et étant donné que dans le hadith sain rapporté de Mu'âwiyeh ibn Wahab, on précise que l'ancien maître de la terre a quitté celle-ci et l'a laissé tomber en ruine, il est plus restrictif que le récit d'al-Halabî. La cause de cette restriction est que la relation du maître de la terre avec celle-ci disparaît avec la destruction de la terre et son refus de la mettre en valeur.
81. Chaykh Zayn al-Dîn al-Jub'î al 'Âmilî.
82. Lorsqu'on compare ce texte jurisprudentiel aux textes législatifs que nous avons soulignés dans les Récits de Mu'âwiyeh ibn Wahab et d'al-Kâbolî, on remarque qu'Al-Chahîd est très clair quant à la rupture définitive du lien de l'individu avec la terre si celle-ci est tombée en ruine et que ses aménagements ont disparu, pour cette raison que l'effet disparaît avec la disparition de sa cause. Quant aux précédents textes législatifs, ils autorisent tout autre individu à remettre en valeur une terre tombée en ruine et abandonnée par son maître, et ils la lui accordent en remplacement de son précédent maître. Mais ils n'impliquent pas la rupture définitive du lien entre la terre et son maître pour cause de ruine. Ainsi, on peut supposer - dans les limites des données législatives de ces textes - que le maître déchu y ait encore un droit et qu'il conserve un lien avec elle, même après sa ruine, droit et lien qui lui permettraient d'avoir un droit de priorité pour sa remise en valeur au cas où il serait concurrencé par un autre dans une telle entreprise. Ce droit demeurera tant qu'aucun autre individu ne l'aura devancé dans la remise en valeur de la terre. Si un tiers remet la terre en valeur dès que son premier maître la néglige, le lien entre la terre et l'ancien maître est rompu. Par conséquent, selon le texte jurisprudentiel d'Al-Chahîd, le droit de l'individu sur la terre disparaît lorsque celle-ci est tombée complètement en ruine, alors que selon les autres textes on peut supposer que l'individu peut conserver - dans une certaine mesure - son lien avec la terre et le droit dont il y jouit, même après que celle-ci est tombée en ruine, et que ce qu'il y perd c'est seulement le droit de monopole, c'est-à-dire le droit d'empêcher autrui de l'exploiter et de l'utiliser. La différence entre ces deux suppositions apparaît dans la pratique au cas où l'individu néglige sa terre, que celle-ci tombe en ruine, et qu'il meurt avant qu'un autre l'ait remise en valeur. Dans un tel cas, si nous suivons l'avis du "Martyr" (al-Chahîd), la terre ne sera pas transmise aux héritiers, car le lien du détenteur de la terre avec celle-ci aura été définitivement rompu une fois la terre tombée en ruine. Dès lors, il n'est pas possible de la faire entrer dans son patrimoine. Mais si nous nous en tenons au deuxième avis, la terre pourra être transmise par héritage, en ce sens que les héritiers jouissent du degré de droit resté pour le défunt après la ruine de la terre.
Les chapitres à venir tendront à adopter le second avis d'al-Chahîd.
83. Les faqîh (Jurisconsultes) chi'ites.
84. Il n'y a pas de différence dans le fait que la déchéance de l'appartenance pour cause de ruine et de négligence soit le fait de celui-là même qui avait mis la terre en valeur, ou d'un autre individu auquel la terre avait été transmise par l'exploitant, pour rapporter la preuve comme nous venons de le voir. C'est du moins ce que les deux "mohaqqiq" (vérificateurs), l'auteur d'al-Kifayeh et l'auteur d'al-Mafâtih, avaient tendance à souligner.
85. "Al-Madûnah al-Kobrâ", tome XV, p. 195.
86. "Al-Hidâyah", d'al-Morghinânî, tome VIII, p. 137.
87. C'est-à-dire civilisation fondée sur une Loi divine.
88. Selon ces textes, on peut donc interpréter l'appropriation par l'Imam de toute la terre en tant que statut légal et propriété juridique "i`tibâriyyah", dans la mesure où ces textes visent la situation naturelle de la terre et qu'ils ne sont donc pas en contradiction avec l'appropriation d'une partie de la terre par quelqu'un d'autre que l'Imam pour des motifs légaux accidentel par rapport à la situation naturelle de la terre, comme sa mise en valeur par exemple. Il n'est donc pas nécessaire d'interpréter la propriété dans ces textes et de la considérer comme une question morale et non pas comme un statut légal, interprétation qui contredit pourtant clairement le contexte de ces textes. Ainsi, on a vu comment le Récit d'al-Kâbolî a commencé par établir que la terre tout entière est la propriété de l'Imam pour arriver à conclusion que l'Imam a le droit de prélever te tasq sur la terre à condition qu'on mette en valeur une partie de celle-ci. Ici, l'imposition du tasq - ou de salaire pour l'Imam comme conséquence de sa propriété - montre clairement que la propriété est prise ici dans son sens législatif dont découlent de telles conséquences, et non pas dans un autre sens purement moral.
89. Les Rapports de légalisation.
90. L'Etat qui appelle à l'Islam..
91. La preuve du Verset d'al-Anfâl : «Ils t'interrogent au sujet du butin. Dis : "Le butin appartient à Allah et à Son Prophète. Craignez Allah ! Maintenez la concorde entre vous. Obéissez à Allah et à Son Prophète...» (Sourate al-Anfâl, 8 : 1) (N.D.T.)
92. Un non-Musulman couvert par un traité de réconciliation.
93. A ne pas confondre avec "protection" (hemâ) au sens de s'emparer d'une terre pour en faire un territoire privé. Cf. Chapitre "Al-Hemâ) p. 260.
94. "Wasâ'il al-Chi'ah", d'al-Hor al-'Amilî, section 2 des sections "Ihyâ'' al-mawât", tome II, p. 143, nouvelle édition.
95. "Tath-kirat al-Faqîh", al-'Allâmah al-Hillî (al-Hassan ibn Yusif), tome II.
96. "Qawâ'id al-Ahkam", d'al-'Allâmah al-Hillî, p. 222, al-Tab'ah al-Hajariyyah, Kitâb Ihyâ' al-Mawât, al-Matlab al-Thânî.
97. Voir à ce propos : "Miftâh al-Karâmah" d'al-Sayyed al-'Amilî, tome VII, p. 29.
98. "Miftâh al-Karâmah", tome VII, p. 43.
99. Ibid., p. 43.
100. "Tath-kirat al-faqîh", al-'Allâmah al-Hillî, tome II, Kitâb Ihyâ'al-Amwât, al-Matlab al-Thânî.
101. "Al-Om", tome II, p. 131.
102. "Al-Ahkâm al-Sultâniyyah", d'Abî al-Hassan 'Alî ibn Muhammad al-Mâwerdî, pp. 189-190.
103. "Tath-kirat al-Faqîh", al-'Allâmah al-Hillî, tome II, Kitâb Ihyâ' al-Amwât, al-Matlab al-Thânî.
104. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, pp. 467-468.
105. "Al-Ahkâm al-Sultâniyyah", d'al-Mâwerdî, p. 190.
106. Voir "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 468.
107. "Qawâ`id al-Ahkâm", d'al-`Allâmah al-Hillî, p. 222.
108. "Tath-kirat al-Faqîh", al-'Allâmah al-Hillî, tome II, Kitâb Ihyâ' al-Amwât, al-Matlab al-Thânî.
109. Tome V, p.348
110. Tome V, p. 468.
111. "Mawâhib al-Jalîl", d'al-Huttâb, tome II, p. 335.
112. En arabe: aqta'a.
113. Al-Tûsî écrit, en effet : «Si le sultan concède à un homme parmi les sujets une parcelle de mawât, celui-ci aura sans conteste la priorité dans ce que le sultan lui aura concédé. De même, si quelqu'un clôture une terre de mawât, même si cette clôture n'atteint pas le degré de mise en valeur, par exemple s'il y dépose des amas de terre ou qu'il l'entoure d'un mur, ou y laisse toute autre trace de mise en valeur, il y aura plus de droits que tout autre, car la concession accordée par le sultan est équivalente à la clôture.» ("Al-Mabsût", tome III, p. 273).
Quant à Ibn Qudâmah, il écrit : «Celui à qui l'Imam concède une parcelle de mawât, il ne la possédera pas mais y aura un droit de priorité.» ("Al-Mughnî", tome V, p. 473).
Al-Mâwerdî, pour sa part, écrit : «Celui à qui l'Imam a concédé quelque chose dans quoi il acquiert, grâce à la concession, un droit de priorité sur autrui, n'en devient pas définitivement le possesseur avant sa mise en valeur.» ("Al-Ahkâm al-Sultâniyyah", p. 184).
Et al-'Allâmah al-Hillî écrit : «L'utilité de la concession réside en ceci que le concessionnaire aura prioritairement le droit de la mise en valeur.»
114. C'est-à-dire les mawât qui ne sont pas encore exploités.
115. "Tath-kirat al-faqîh", tome II, Kitâb "Ihyâ' al-mawât", 5e condition de l'Ihyâ'.
116. Voir "Nihayât al-Muhtâj", d'al-Ramlî, tome V, p. 337, et "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 474.
117. "Qawâ'id al-Ahkâm", d'al-'Allâmah al-Hillî, imprim. de Pierre, p. 221.
118. "Al-Mabsût", tome III, p. 273.
119. "Mawâhib al-Jalîl li Charh Mukhtaçar Abî al-Dhiyâ'", tome II, p. 336.
120. "Al-Mabsût", d'al-Chaykh al-Tûsî, tome III, p. 273.
121. "Miftâh al-Karâmah", de Sayyed Jawâd al-'Amilî, tome VII, p.47.
122. "Al-Om", tome VIII, p. 131.
123. Vallée fertile près de Médine.
124. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 466.
125. "Bulghat al-Faqîh", tome I, p. 249, 2e éd.
126. "Al-Om", tome IV, p. 74.
127. "Al-Wasâ'il" d'al-Cheikh al-Hor al-'Âmilî (Mohammad Ibn al-Hassan), Tome II, pp. 276-277.
128. Il existe un avis jurisprudentiel célèbre exceptant de ces sources ce qui jaillit dans une terre propre à un particulier. Voir, à cet égard, l'édition arabe, annexe 8.
129. Voir édition arabe, annexe 10..
130. "Tath-kirat-al-Faqîh", tome II, Kitâb "Ihyâ' al-Mawât", al-Matlab al-Rabi`
131. Voir note précédente.
132. Authentiques.
133. "Al-Masâlik fî Charh Charâ'i' al-Islâm", par al-Chahîd al-Thânî, 'Alî ibn Ahmad al-'Amilî, Tome II, Kitâb Ihyâ' al-Mawât, al-Taraf al-Awwal.
134. Voir édition arabe, annexe 11.
135. "Qawâ'id al-Ahkâm", par al-'Allâmah al-Hillî, Imprimerie de Pierre, p.152.
136. "Al-Mughnî", par Ibn Qudâmah, Tome IX, p. 382.
137. Charâ'i' al-Islâm", par al-Muhaqqiq al-Hillî, Tome III, p. 203.
138. "Al-Kâfî", par Thiqat al-Islâm, Muhammad ibn Ya'qûb al-Kulaynî, tome V, p. 140
139. "Al-Wasâ'il", par le Chaykh Muhammad ibn al-Hassan al-Hor al-'Amilî, Kitâb al-Tijârah, Abwâb 'Aqd al-Bay', Section économique, comme la plantation d'une terre naturellement exploitable.
140. On remarque ici que nous n'établissons pas une comparaison entre l'acquisition de l'eau permise (mubâh) et l'acquisition de la terre naturellement exploitable, mais seulement entre l'acquisition de l'eau et la plantation de la terre exploitable. La raison en est que l'acquisition de la terre n'est pas un travail d'utilisation et d'exploitation, comme nous l'avons déjà vu, alors que l'acquisition de l'eau fait partie des travaux d'utilisation à caractère économique, comme la plantation d'une terre naturellement exploitable.
141. Voir édition arabe, annexe 2, 12.
142. Voir édition arabe, annexe 13
143. Par "la continuation de la possession de droit", nous entendons les cas dans lesquels la prise de possession est interrompue par un cas de force majeure, comme l'oubli, la perte, l'usurpation, etc. La Charî'ah considère que la prise de possession et l'exercice de l'utilisation continuent de droit. C'est pourquoi elle ordonne qu'on restitue le bien perdu ou usurpé à son propriétaire.
La raison de cette injonction de la Charî'ah est en réalité la volonté d'insister sur l'élément facultatif et de bannir l'effet des cas de force majeure dans les différents domaines de la Législation.
144. Par "théorie marxiste", nous entendons ici la théorie économique de la doctrine marxiste, et non pas la théorie de Marx relative à l'explication et à l'analyse de l'Histoire. En effet, la propriété privée est étudiée tantôt en tant que phénomène historique, et dans ce cas elle est justifiée sur le plan marxiste, selon la théorie de Marx relative à l'Histoire, par les circonstances de la contradiction de classe, de la forme de la production, et du type des forces productives, et tantôt sur un plan économique, et ce, afin de découvrir ses justifications législatives et non pas la justification historique de son existence ; et dans ce cas, il faut chercher ses justifications marxistes dans la théorie de Marx relative à la valeur, au travail et à la plus-value.
145. Voir tome 1de l'édition arabe de "Notre Économie".
146. Pour la compréhension de ces Versets, nous avons recouru à l'un des aspects probables que les exégètes ont mentionnés pour les expliquer.
147. La Récompense spirituelle et éternelle de ce que tu as donné en aumône. N.D.T.
148. Disposer de ses biens par testament.
149. Dans la "Théorie de la Distribution de la Pré-production", nous avons essayé de déterminer les droits que les individus acquièrent dans les richesses naturelles brutes en tant qu'un des aspects de leur distribution. Et étant donné que ces droits résultent du travail, notre recherche a tendu à déterminer le rôle du travail dans lesdites richesses naturelles. La richesse naturelle que le travail développe est, à cet égard, classée dans la richesse de la post-production. C'est pourquoi les deux recherches -la recherche sur la distribution de la pré-production et celle sur la distribution de la post-production ont interféré partiellement, interférence indispensable pour assurer la clarté des idées relatives à chacun des deux domaines de la distribution.
150. "Charâ'i' al-Islâm" d'al-Muhaqqiq Najm al-Dîn Ja'far ibn al-Hassan, Tome II, p. 195, nouvelle édition.
151. "Tath-kirat al-Foqahâ'" d'al-'Allâmah al-Hillî al-Hassan ibn Yûsuf al-Motahhar, Tome II, édition de Pierre, Chap. du "Mandat", Section 4, alinéa 2, question n° 5.
152. "Qawâ'id al-Ahkâm" d'al-'Allâmah al-Hillî, Chapitre du "Mandat".
153. Voir "Miftâh al-Karâmah" de Sayyed Jawâd al-'Amilî, tome VII, p. 559.
154. Ibid.
155. Voir "Al-Mughnî" d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 5.
156. Voir édition arabe, Annexe 14.
157. "Tath-kirat al-Foqahâ'" d'al-'Allâmah al-Hillî, ibid.
158. "Kitâb al-Ajârah, du Chaykh Muhammad Hussayn al-Içfahânî, pp. 120-121.
159. "Al-Masâlik", Tome II, Kitâb al-Charikah, 3e partie, les annexes, Edition de Pierre.
160. "Qawâ'id al-Ahkâm", d'al-'Allâmah al-Hillî, al-Maqçad al-Sâdis, al-Rukn al-Râbi', concernant le mandat.
161. L'auteur d'"al-Charâ'î'" (Charâ'î' al-Islâm).
162. L'auteur d'"al-Tath-kirah", "al-Qawâ'id".
163. Tome II, p. 420.
164. "Qawâ'id al-Ahkâm" d'al-'Allâmah al-Hillî (al-Hassan ibn Yûsuf...), al-Maqçad al-Qâmis, al-Qarâdh, chap. III.
165. Voir "Miftâh al-Karâmah", al-'Amîlî, tome VII, p. 441.
166. "Charâ'i' al-Islâm", al-Muhaqqiq al-Hillî, tome III, p. 203.
167. "Jawâhir al-Kalâm fî Charh Charâ'i' al-Islâm" d'al-Faqîh al-Muhaqqiq Muhammad Hassan al-Najafî, tome VI, édition de pierre, édition arabe, annexes du "Kitâb al-Çayd".
168. "Al-Mabsût", d'al-Sarkhacî, tome XXII, p. 35.
169. "Al-Mabsût fî Fiqh al-Imâmiyyah", d'al-Chaykh al-Tûsî, tome II, p. 346.
170. "Charâ'i' al-Islâm", d'al-Muhaqqiq al-Hillî (Ja'far ibn al-Hassan), tome II, pp. 132-133.
171. "Qawâ'id al-Ahkâm", d'al-'Allâmah al-Hillî (al-Hassan ibn Yusif), al-Maqçad al-Râbi' : al-Charikah.
172. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 11.
173. "Al-Mabsût", tome II, p. 346.
174. Comme nous l'avons vu dans la superstructure où al-Muhaqqiq al-Hillî interdit, dans les "Charâ'i'", le mandat dans le coupage de bois et dans d'autres sortes semblables de moyens d'acquisition de "mubâhât", où al-Chaykh al-Tûsî interdit dans certains exemplaires de "Al-Mabsût" le mandat dans la mise en valeur de la terre, où al-Muhaqqiq al-Içfahânî affirme dans "Kitâb al-Ijârah" que le loueur ne possède pas par le contrat de louage ce que son salarié acquiert dans les richesses naturelles.
175. Pour déduire, sur le plan théorique, ces résultats, il nous suffit de reposer la recherche sur les deux derniers des trois points dans lesquels nous avons résumé la signification de la superstructure, car même si nous ne reconnaissions pas le premier point, la structure théorique que nous avons édifiée reste bien fondée. En effet, si nous supposons que la richesse naturelle brute produite par un individu (mandataire) travaillant pour le compte d'un autre (mandant) appartienne au second (le mandant) et non pas au premier (le mandataire, celui qui l'a produite) -et c'est ce vers quoi je penche dans mon exposé jurisprudentiel (voir édition arabe, annexe 15), ceci ne s'oppose pas au principe stipulant que "l'homme producteur est le seul ayant droit de la richesse qu'il produit", car l'homme producteur cède ici de lui-même son droit et fait don effectif de la richesse à une autre personne dès qu'il décide de l'obtenir pour ladite personne. En effet, le principe stipulant que "l'homme producteur est le seul ayant droit de la richesse qu'il produit" est lié au point de la superstructure, qui affirme que "le moyen matériel de production ne partage pas avec le travailleur la richesse produite, et l'autre point qui indique que "le capitaliste ne possède pas la richesse que le travailleur acquiert, par le simple fait qu'il lui achète son travail et qu'il lui fournit les outils nécessaires pour la production".
Ainsi, la différence entre l'idée de la possession par le mandant de la richesse qu'acquiert son mandataire et celle de la possession par l'individu de la richesse qu'acquiert son salarié s'avère fondamentale, car alors que la seconde idée est capitaliste de par sa nature, étant donné qu'elle confère au capital monétaire et producteur, au lieu du travail humain, le droit direct de posséder la richesse, la première idée, au contraire, reconnaît au travailleur son droit dans la richesse, et considère le mandat que lui donne un autre, pour le coupage du bois de la forêt par exemple, comme une expression tacite du don fait par le travailleur de la propriété du bois à l'autre personne, et une cession à celle-ci de la richesse qu'il a produite.
176. "Charâ'i' al-Islâm" d'al-Muhaqqiq al-Hillî (Ja'far ibn al-Hassan), Tome II, p. 188.
177. "Jawâhir al-Kalâm fî Charh Charâ'î' al-Islâm", Tome VI, Chapitre "al-Ghaçb", annexes de la question n° 6, ancienne édition.
178. Voir "Charh Fat-h al-Qadîr", Tome VII, p. 375.
179. "Al-Mabsût" d'al-Sarkhacî, Tome XI, p. 95
180. "Al-Wasâ'il" d'al-Hor al-'Âmilî (Mohammad ibn al-Hassan), Tome XVII, p. 310.
181. "Al-Mughnî" d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 212.
182. "Jawâhir al-Kalâm fî Charâ'i' al-Islâm", tome IV, Chapitre (Kitâb) de Muzâra'ah (Métayage), article 6, Edition de Pierre.
183. Voir "Al-Mabsût", d'al-Sarkhacî, tome XXIII, p. 116.
184. "Al-Mabsût", d'al-Chaykh al-Tûsî, tome II, p. 359.
185. "Jawâhir al-Kalâm", tome IV, Kitâb al-Musâqât, le 1er article.
186. Voir "Miftâh al-Karâmah", d'al-Sayyed al-'Amilî, tome VIII, p.437, et "Al-Mabsût", d'al-Sarkhacî, tome XXII, p. 22.
187. Pour plus de détails, voir "Notre Economie", tome I, p. 154 (édition arabe).
188. Le travailleur qui utilise la terre d'un autre.
189. "Al-Khilâf fî-l-Fiqh", du Chaykh al-Tûsî (Muhammad ibn al-Hassan), tome I, p. 705.
190. Ahmad ibn Hanbal.
191. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome V, p. 348.
192. Voir "Miftâh al-Karâmah fî Charh Qawâ'id al-'Allâmah", de al-Sayyed al-'Amilî, tome VIII, p. 360.
193. "Charâ'i' al-Islâm", tome II, p. 143, nouvelle édition..
194. "Wasâ'il al-Chî'ah", du Chaykh al-Hor al-'Amilî, tome XIII, p.101, nouvelle édition, section 14 de la partie de "Spéculation".
195. "Al-Mughnî", tome V, p. 42.
196. "Al-Fiqh 'alâ al-Math-hâhib al-Arb'ah", tome II, pp. 342-345
197. Sorte d'herbe séchée, aux effets narcotiques, que l'on mâche.
198. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome IV, pp. 286-287
199. "Tath-kirah al-Foqahâ'", d'al-'Allâmah al-Hillî, Kitâb al-Ja'âlah, le 4ème pilier, la 1ère question, ainsi que "Qawâ'id al-Ahkâm", édition de Pierre, p. 200. Voir aussi le reste de l'ouvrage.
200. "Charâ'i' al-Islâm", al-Muhaqqiq al-Hillî, tome II, p. 139, nouvelle édition.
201. "Al-Mabsût", d'al-Sarkhacî.
202. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amîlî, tome III, p. 259. Voir aussi dans les pages suivantes (de cet ouvrage) les autres récits (hadith).
203. Le détail de ce texte, et du texte suivant, peut se résumer dans la différence entre le louage et le métayage : dans le cas du louage, lorsque quelqu'un loue une terre à cent dinar, par exemple, il n'a pas le droit de la sous-louer à plus de cent dinar s'il n'avait pas travaillé la terre entre-temps ; tandis que dans le cas du métayage, lorsque le travailleur se met d'accord avec le propriétaire de la terre et des graines pour cultiver sa terre contre une participation de l'ordre de cinquante pour cent par exemple à la production, il aura le droit de céder la terre à un autre travailleur qui la cultivera contre trente pour cent (de sa part) par exemple, et il gardera pour lui vingt pour cent.
Le texte tente d'expliquer cette différence entre les deux cas (celui du louage et celui du métayage) en la justifiant par l'expression : «le premier cas est garanti, et le second cas n'est pas garanti», qui signifie que le sous-locataire garantit au locataire -dans le contrat de louage-le loyer convenu. Celui-ci est donc garanti dans le même contrat. Tandis que le cultivateur qui reçoit la terre du premier locataire pour y travailler en vertu d'un contrat de métayage ne garantit rien, dans le contrat de métayage, au premier locataire. Ce qu'obtient le premier locataire, par suite du contrat de métayage, ne lui est pas garanti dans le contrat de métayage lui-même. C'est en fait comme si le texte voulait dire que la différence qu'obtient le premier locataire (dans le contrat de louage) lorsqu'il sous-loue la terre à un prix supérieur à celui auquel il l'a louée, est garantie dans le même contrat de louage, et de ce fait elle est due obligatoirement à un travail effectué avant le contrat, travail qui justifie ce gain garanti, étant donné que la Charî'ah ne reconnaît un gain garanti qu'en contrepartie d'un travail. En revanche, dans le contrat de métayage, la différence qu'obtient le locataire lorsqu'il loue la terre sur la base de moitié-moitié, par exemple, ne lui est pas garantie dans le contrat de métayage même, et par conséquent il n'est pas obligatoire qu'un travail du premier locataire dans la terre, justifiant ce gain, ait précédé le contrat de métayage.
204. L'explication de ce texte est la suivante : Si la personne loue une terre contre cent dirham, et qu'elle la remette à un cultivateur pour qu'il la cultive sur une base de participation d'un pourcentage donné - disons cinquante pour cent- à la production, et que les cinquante pour cent dépassent les cent dirham, le locataire n'a pas le droit de toucher le surplus s'il n'a pas dépensé un travail sur la terre - creusage de canal d'irrigation ou autre. Beaucoup de faqîh ont considéré que ce texte abolit la différence entre le métayage et le louage. Ainsi, de même que le locataire n'a pas le droit de louer la terre à un prix inférieur pour prélever la différence entre les deux loyers sans avoir effectué un travail, de même il n'a pas le droit, d'après ce texte, d'obtenir la différence résultant d'un contrat de métaya. C'est pourquoi, à leur avis, ce texte contredit les deux textes précédents qui ont affirmé qu'il y a une différence entre le métayage et le louage, et que le surplus résultant de la différence entre les deux loyers n'est pas permis sans un travail (qui le justifierait). Quant au surplus résultant de la différence entre deux pourcentages dans deux métayages, il est autorisé. Mais en réalité, les trois textes sont concordants, et ne souffrent d'aucune contradiction. Cela peut s'expliquer par la méthode de recherche jurisprudentielle : les deux premiers textes traitent d'un sujet précis, à savoir la différence entre l'accord du locataire avec le propriétaire, et son accord avec son travailleur (le sous-locataire), et le gain que le locataire intermédiaire entre le propriétaire et le travailleur effectif, réalise comme conséquence de cette différence. Ces deux textes traitent cette question de la façon suivante : le gain que réalise la personne intermédiaire entre le propriétaire de la terre et le travailleur effectif, résulte de la différence entre deux métayages, et il est licite même si la personne intermédiaire n'effectue aucun travail dans la terre avant de conclure un contrat de métayage à un pourcentage inférieur avec son travailleur. Mais si ce gain résulte de la différence entre deux louages, il est illicite si le locataire n'effectue pas dans la terre un travail particulier avant de la sous-louer avec un pourcentage inférieur. Quant au dernier texte, cité par al-Hâchimî, il considère le travail du locataire intermédiaire dans la terre -creusage d'un canal ou autre chose-comme la condition de la validité du métayage sur lequel il conclut un accord avec le travailleur, et par conséquent comme la condition de la licéité de la possession par ce locataire intermédiaire du surplus résultant de la différence entre ce qu'il donne au propriétaire de la terre et ce qu'il obtient du travail effectué.
Pour comprendre pourquoi cela n'est pas en opposition avec la signification des deux premiers textes, il faut savoir que :
1 -Le travail que le texte - rapporté par al-Hâchimî-considère comme la condition de la validité du métayage conclu entre le locataire intermédiaire et son travailleur est un travail effectué après le contrat de métayage et non pas avant. La preuve en est le fait de dire : «Oui, s'il creuse pour lui une rivière ou s'il effectue un travail pour l'aider, il le peut...» Ainsi, le creusage de la rivière,
et le travail qu'il effectue pour aider son travailleur, se réaliseront après l'accord de métayage. Mais si le locataire creuse dans la terre avant de trouver des sous-métayers, ce creusage ne peut pas être qualifié d'une aide pour ceux-ci, ni d'un travail pour leur compte. La phrase indique que le travail rendu comme une condition dans ce contrat est un travail postérieur au contrat. Tandis que le travail considéré comme la condition du loyer à un prix supérieur, dans les deux textes
précédents, est un travail effectué par le locataire avant de louer la terre à un prix supérieur à celui auquel il l'avait prise en location.
2 -Ce texte ne suppose pas l'existence d'une augmentation dans le contrat. L'augmentation est survenue fortuitement, car le locataire avait loué la terre à un prix déterminé, puis il a conclu un accord avec un travailleur pour la cultiver sur la base de moitié-moitié. Or la moitié (d'une quantité indéterminée) est, par nature, indéterminée. Elle pourrait être aussi bien inférieure au
loyer payé par le locataire, qu'égale ou supérieure. Donc, l'augmentation dont parle le texte n'est pas présupposée dans la nature du contrat, car le contrat, par sa nature, n'impose pas au travailleur effectif de payer au locataire intermédiaire un loyer supérieur à celui que ce dernier a payé au propriétaire. Le contrat oblige le travailleur à payer un pourcentage donné du produit au propriétaire, abstraction faite de sa quantité, de sa supériorité ou de son infériorité au loyer que le propriétaire a reçu du locataire intermédiaire. Lorsque nous aurons tenu compte de ces deux remarques, nous pourrons dire que la condition de travail posée par ce texte (d'al-Hâchimî) au locataire intermédiaire entre le propriétaire et le travailleur, ne vise pas à justifier le surplus obtenu par le locataire intermédiaire résultant de la différence entre le loyer qu'il a payé au propriétaire de la terre et le pourcentage qu'il reçoit du travailleur effectif et que nous pourrions supposer à titre d'exemple de cinquante pour cent, mais pour valider le contrat de métayage et fournir ses fondements légaux en tant que contrat particulier, abstraction faite de l'augmentation et de la diminution, et ce conformément à une assertion jurisprudentielle selon laquelle : «Dans le métayage, il ne suffit pas que le propriétaire de la terre fournisse celle-ci pour qu'il soit valide, le propriétaire doit s'engager à fournir autre chose que la terre», comme le prouve le texte jurisprudentiel que nous avons rapporté du Chaykh al-Tûsî dans le point 3 : ce texte stipule en effet que le propriétaire de la terre doit fournir les graines aussi. Dans l'hypothèse dont traite le texte cité par al-Hâchimî, il n'est pas supposé que le locataire intermédiaire s'engage à fournir les graines au travailleur avec lequel il a conclu un contrat de métayage. C'est pourquoi il fallait que le texte le charge de participer au travail qu'effectue le travailleur qu'il a engagé comme métayer. Il en résulte que le propriétaire de la terre (qui possède celle-ci en pleine propriété ou en usufruit) doit participer par le travail, les graines ou d'autres dépenses à l'opération de l'exploitation dont se charge le travailleur avec lequel il a conclu un contrat de métayage.
A la lumière de ce qui précède, l'interprétation du texte d'al-Hâchimî n'est nullement en contradiction avec son apparence. Elle maintient la différence entre le métayage et le louage, conformément à l'énoncé des deux textes précédents. Car le travail qui donne le droit au locataire de sous-louer la terre à un prix supérieur au loyer qu'il a payé est le travail antérieur au contrat de métayage et vise à corriger la différence entre les deux loyers.
Quant au travail qui donne le droit au locataire de conclure un contrat de métayage avec un tiers pour l'exploitation de la terre sur la base de cinquante pour cent, par exemple, c'est un travail que le locataire intermédiaire effectue après le contrat, et qui vise à corriger l'origine du métayage et non pas seulement la différence.
205. "Vendre" ne désigne pas ici le sens propre et réel de ce mot, puisqu'il est suivi de l'expression : «sauf s'il a effectué dans la prairie un travail (...) avec le consentement des propriétaires de la prairie», ce qui indique que la prairie a d'autres propriétaires, et cela contredit la supposition d'un achat réel par le berger. Il faut donc comprendre le sens du mot "vendre" dans un sens général qui s'applique au louage.
206. Voir note précédente.
207. "Al-Fiqh 'alâ al-Math-hâhib al-Arba'ah", tome III, p. 117.
208. "Al-Mabsût", d'al-Sarkhacî, tome XV, p. 78.
209. Voir ces hadith dans "Al-Wasâ'il",
d'al-Hor al-'Amîlî, tome XIII, pp. 265-266.
(édition arabe).
210. Le cas est ici similaire à l'affirmation : «Ne suis pas Untel dans sa fatwâ (décret religieux), à moins qu'il ne soit Mujtahid.» S'il l'était, tu aurais le droit de suivre son avis, car il serait Mujtahid et de ce fait tu pourrais le suivre. On comprend, d'après la norme, de cette affirmation que suivre un avis est toujours lié à l'Ijtihâd. Ainsi, de même qu'il n'est pas permis de suivre l'avis d'Untel s'il n'est pas Mujtahid, de même il n'est pas permis de suivre l'avis d'un autre dans ce cas (de non-Ijtihâd). En d'autres termes, la norme abolit la particularité du cas du jugement justifié par la présomption de la justification et rend la corrélation entre le gain et le travail ou l'imitation (le fait de suivre) et l'ijtihâd une règle générale.
211. Le texte détaillé est le suivant, selon al-Halabî :
«J'ai dit à al-Çâdiq (S) :
-Acceptes-tu la terre contre le tiers ou le quart, pour me la recéder contre la moitié ?
Il répondit :
-Pourquoi pas ?
Puis je lui ai demandé :
-L'acceptes-tu contre mille dirham pour me la recéder contre deux mille ?
Il a répondu :
-Non, cela n'est pas licite ; car ceci est garanti, alors que cela ne l'est pas.»
Nous avons vu ce texte dans la superstructure.
212. Voir édition arabe, annexe 16.
213. Pour éclairer le sens de la liberté formelle et de la liberté réelle, voir p. 259 du tome I de "Notre Economie" (édition arabe).
214. L'utilisation par le propriétaire de son bien de façon à porter préjudice aux autres est de deux sortes :
1 - L'utilisation qui porte préjudice pécuniaire directement à unautre, aboutissant à la dépréciation de son bien ; par exemple, lorsquevous creusez dans votre terrain un fossé qui conduirait à la destructiond'une maison voisine appartenant à une autre personne.
2 - L'utilisation indirectement nuisible, qui conduit à la détériorationde la situation d'autres personnes sans dévaluer effectivement leurs biens, comme dans le cas des procédés qu'utilise un grand projet capitaliste pour détruire les petits projets. De tels procédés ne conduisent pas à la perte effective d'une partie de la marchandise que possède le détenteur d'un petit projet, mais ils l'obligent à écouler sa marchandise à des prix plus bas, à se retirer du marché, et à ne plus pouvoir continuer de travailler.
Pour ce qui concerne la première sorte d'utilisation préjudiciable, elle se classe dans la règle islamique générale : "Lâ dharar wa lâ dherâr" (ni dommage, ni endommagement). C'est selon cette règle qu'on interdit au propriétaire de faire cette sorte d'utilisation. Quant à la seconde sorte, son classement dans cette règle générale est lié à la définition de la conception que se fait ladite règle du dommage. Si le dommage signifie : une diminution directe dans le bien ou la personne, comme l'affirment beaucoup de faqîh, ce dommage n'entre pas dans le cadre de cette règle, car il ne constitue pas un endommagement dans ce sens. Mais si le dommage signifie la détérioration de l'état, comme cela se trouve dans les livres linguistiques, dans ce cas il s'agit d'un concept plus large que la diminution pécuniaire directe, et on peut sur cette base classer la deuxième sorte dans ce cocept et se prononcer pour la limitation du pouvoir du propriétaire sur son bien et lui interdire de pratiquer toutes les deux sortes d'utilisations préjudiciables précitées, car toutes les deux conduisent à la détérioration de l'état des autres, et la détérioration de l'état conduit aussi à la diminution de valeur, comme nous l'avons expliqué dans nos recherches sur les fondements et où nous avons démontré qu'il est copris dans la règle générale précitée.
215. "Al-Kâfî" de Thiqat al-Islâm Mohammad Ibn Ya`qûb al-Kulaynî, tome V, p. 249.
216. "Al-Kâfî", d'al-Kulaynî, tome V, p. 293.
217. "Al-Om", de l'imam Idrîs al-Châfi`î, tome IV, p.49.
218. Sourate al-A'râf, 7 : 3
219. Sourate al-Mâ'idah, 5 : 87
220. La voie menant au Paradis.
221. Sourate al-Talâq, 65 : 2-3
222. Sourate al-A'râf, 7 : 32
223. Sourate al-Mâ'idah, 5 : 103
224. Sourate al-Mulk, 67 : 15
225. Voir la superstructure de la théorie de la Pré-production.
226. Voir la superstructure de la théorie de la Pré-production.
227. Voir la superstructure de la théorie de la Pré-production.
228. Sourate al-Baqarah, 2 : 188, et Sourate al-Nisâ', 4 : 29.
229. Voir tome I, p. 348 de "Notre Economie" (en arabe).
230. Souourate al-Hachr, 59 : 7.
231. "Wâjib Kifâ'i" : obligation de suffisance. Il s'agit d'une obligation qui s'impose à tout le monde jusqu'à ce qu'elle soit acquittée par quelqu'un ou par quelques-uns.
232. Sourate al-Anfâl, 8 : 60
233. Sourate Ibrâhîm, 14 : 32-34
234. Voir tome I de "Notre Economie" (édition arabe), p. 328.
235. Voir tome I de "Notre Economie", pp. 17-196.
236. ibid. pp. 316-327
237. Selon l'expression traditionnelle en Economie, la production est la création d'une nouvelle utilité. Mais si nous avons préféré la première définition (ci-dessus), c'est parce que ceux qui les définissent par cette seconde formule tombent dans une généralisation involontaire, étant donné qu'ils interprètent l'utilité comme une qualité dans la chose qui rend celle-ci apte à satisfaire n'importe quel besoin, et disent que cette qualité n'est pas une qualité subjective ou objective dans la chose, mais naît du simple désir en elle, même si ce désir est fondé sur une erreur d'appréciation de la situation, comme c'est le cas par exemple du désir de médicaments suscité par une croyance erronée que ces médicaments pourraient prévenir la maladie.
En définissant la production et l'utilité de cette façon, la production peut se définir comme l'action de l'individu en vue de convaincre le public de l'utilité d'un article donné pour la prévention ou le traitement car cette action crée une nouvelle utilité et conduit cet article à jouir de la qualité de satisfaire un besoin général, même si l'individu n'a travaillé l'article dans aucune activité commerciale. C'est la généralisation à laquelle aboutit la définition traditionnelle. C'est pourquoi nous avons préféré définir la production comme le développement de la nature en une meilleure forme pour les besoins de l'homme. De cette façon, le travail n'acquiert le caractère de production que s'il crée un besoin et travaille la nature sous une forme ou sous une autre.
238. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî (Mohammad ibn al-Hassan), tome XII, p. 389.
239. "Tath-kirat al-faqîh", 1er vol. de l'édition de Pierre, Kitâb al-Bay', Khâtimah fî Masâ'il al-Qabdh, al-Mas'alah al-ûlâ.
240. "Al-Om" d'al-Châfi'î, tome III, p. 69.
241. "Al-Fiqh 'alâ al-Math-hâhib al-Arba'ah", d'al-Jazîrî, tome XX, p. 224, et "Al-Hidâyah fî Charh Bidâyat al-Mubtadî", d'al-Mirghînânî, tome III, p. 59.
242. Payer immédiatement une marchandise qu'il recevra plus tard.
243. A la date de la livraison de la marchandise achetée.
244. Voir "Jawâhir al-Kalâm fî Charh Charâ'i' al-Islâm" du faqîh Najafite al-Chaykh Mohammad Hassan, vol. IV de l'édition de pierre, Chap. 10: al-Bay'. En ce qui concerne ce que dit Mâlik à ce propos, voir "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah.
245. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome IV, p. 270.
246. "Al-Wasâ'il", d'al-Chaykh al-'Amilî, tome XIII, p. 76.
247. Ces textes (du § 2) indiquent le statut concerné s'ils visent par l'interdiction qu'ils impliquent à empêcher l'acheteur de revendre ce qu'il a déjà acheté avant de l'avoir reçu et après l'arrivée de l'échéance, à un prix supérieur. Mais s'ils veulent expliquer ce que l'acheteur peut revendiquer, lorsqu'il résilie le contrat conformément à son droit, une fois que le vendeur a failli à son engagement de lui livrer la marchandise au délai fixé, l'interdiction signifie dans ce cas que si l'acheteur ne reçoit pas à la date prévue la marchandise qu'il a déjà achetée, et qu'il résilie en conséquence le contrat, il ne peut se faire restituer que la somme qu'il a déjà payée au vendeur. Si tel est le cas, les textes ne comporteraient plus aucune indication de l'interdiction de revendre à un prix supérieur avant la livraison de la marchandise.
248. Les caravanes qui apportent les marchandises pour les vendre en ville.
249. "Al-Wasâ'il", d'Al-Hor al-`Âmilî, tome XII, pp. 362-327
250. "Al-Om", d'Al-Châfi`î, tome III, pp. 92-93
251. L'obligation de suffisance, ou jusqu'à suffisance, est une obligation qui s'impose à tout le monde jusqu'à ce qu'elle soit acquittée par un ou plusieurs individus.
252. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî, tome XI, p. 597.
253. "Al-Wasâ'il", tome XI, p. 599.
254. Sourate al-Tawbah, 9 : 60
255. En se référant à ce noble Verset coranique, l'Imam cité ne cherche pas à limiter la responsabilité du Tuteur d'assurer la prise en charge et les dépenses (allocations) à une source particulière du Trésor, en l'occurrence la Zakât, car ledit Verset ne concerne pas exclusivement la Zakât, mais énonce un statut général pour toutes les sortes d'aumônes, y compris les allocations que l'Etat paye à l'infirme et au nécessiteux, puisque ces allocations sont, elles aussi, une sorte d'aumône. En outre, le Tuteur n'a pas l'obligation de calculer la Zakât de façon à la répartir aux huit sortes (de destinataires) mentionnés dans ledit Verset, il peut la consacrer à quelques-unes de ces catégories de destinataires, même si le texte du hadith cité par Mûsâ ibn Bakr affirme que "si le Tuteur n'acquitte pas la dette de l'homme, il en assumera la responsabilité (devant Allah)", car ce n'est là que la confirmation de la responsabilité particulière de l'Etat dans la sécurité sociale.
256. Sourate al-Baqarah, 2 : 29
257. Sourate al-Hachr, 59 : 6-7
258. Il y a des riwâyah (Récits) qui dénotent une différence avec cette interprétation desdits Versets, telle la riwâyah qui affirme que ces deux Versets ont été révélés à propos de deux sujets différents: le premier sur le "fay'", le second sur le butin ou plutôt sur le cinquième du butin. Toutefois, ces riwâyah sont faibles par leurs chaînes de transmission. C'est pourquoi il faut interpréter les deux Versets selon leur sens apparent. Or il est clair que leur sens apparent concerne un seul sujet, en l'occurrence le "fay'". Ainsi, le premier Verset dénie aux combattants tout droit dans le "fay'", car ils n'ont fourni ni chevaux ni montures pour s'en emparer. Le second Verset définit la destination du "fay'", c'est-à-dire les parties auxquelles il est destiné. Il est clair que le fait que les pauvres, le voyageur et les orphelins soient l'objet de dépenses du "fay'" ne contredit pas le fait que celui-ci est une propriété du poste du Prophète (Ç) et de l'Imam, comme l'ont indiqué les riwâyah saines.
Il ressort de ces riwâyah, une fois qu'on les examine en même temps que les Versets, que le "fay'" est la propriété du poste que le Prophète (Ç) et l'Imam occupent, et que les parties auxquelles ce dernier doit le dépenser sont celles qui entrent dans le cadre délimité par le Verset, à savoir les intérêts liés à Allah, au Prophète (Ç), à ses proches, aux pauvres, au voyageur, et aux orphelins. Et une fois que les destinataires du "fay'" sont déterminés par le noble Verset, on peut préciser la formule générale : "il le dépense là où il faut", mentionnée dans la riwâyah de Zarârah, pour devenir : "l'Imam le dépense là où il faut dans les limites du cadre délimité par le noble Verset.
259. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî, tome VI, p. 140.
260. Ibid. tome VI, p. 163.
261. Ibid. tome VI, p. 161.
262. Ibid. tome VI, p. 156.
263. Il est à noter que la valeur (pouvoir d'achat) d'un dirham, à cette époque-là, était nettement supérieure à la valeur de la monnaie que nous appelons aujourd'hui dirham..
264. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî, tome VI, p. 179.
265. "Thî mirratin saw" : quelqu'un de robuste et qui a le corps sain et valide. (voir ce mot dans "Majma' al-Bahrayn", de Fakr al-Dîn al-Tirayhî, tome III, éd. Mu'assassat al-Wafâ', Beyrouth, 1983).
266. Ibid. tome VI, p. 159.
267. Unité monétaire, égale au sixième d'un dirham de l'époque en question.
268. Ibid. tome VI, p. 201.
269. Pour bien comprendre ces textes, il faut penser qu'ils visent probablement à autoriser l'octroi de la Zakât à un individu dans les limites qu'ils ont définies pour qu'il soit considéré comme pauvre, et non pas sur la base de l'application de la part d'Allah sur lui. C'est pourquoi ces textes peuvent nous présenter la conception islamique de la pauvreté.
270. "Uçûl al-Kâfî", de Mohammad ibn Ya'qûb al-Kulaynî, tome I, p.540.
271. "Al-Mughnî", d'Ibn Qudâmah, tome II, p. 554.
272. Ibid. p. 553.
273. Sourate al-Hachr, 59 : 7
274. "Al-Wasâ'il", d'al-Hor al-'Amilî, tome VI, p. 368.
275. Il est indispensable d'ajouter à cela que la compréhension normative aussi démentit que dans ce Verset le "fay'" soit le propre du butin obtenu sans combat.
276. Dans l'édition arabe.
277. Sourate al-Nisâ',
4 : 59.