Les Secrets du Do'â
et
les Conditions de son Exaucement
Mahmûd al-Bostani
Edité et traduit en français par
Abbas Ahmad al-Bostani
Publication de la Cité du Savoir
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Éditeur :
Abbas Ahmad al-Bostani
(La Cité du Savoir)
C.P. 712 Succ.
(B)
Montréal,
Québec, H3B 3K3
Canada
E-mail :
Site web
: www.bostani.com
Première édition: Novembre 2001
© Édition Abbas Ahmad al-Bostani
ISBN: 292223-16-7
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Thèmes abordés
-Le Do'â' (Prière de demande) : Un dialogue
unilatéral avec le Pourvoyeur des besoins
- Le do'â' légal (prescrit) et le do'â' improvisé
- Les
besoins incessants de l'homme
- Le do'â' et les stress
- Le besoin
de s'exprimer, de se confier, de se plaindre et de se défouler
- Le
maintien des liens avec le Créateur
- Le
renforcement et l'affermissement de la foi
-Les
règles de la bienséance pendant le do'â'
- Les
conditions de l'exaucement du do'â'
- Les
facteurs du non-exaucement du do'â'
- Que
conclure lorsque notre do'â' reste
inexaucé ?
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Bism-il-lâh-ir-Rahman-ir-Rahîm
(Au Nom d'Allah, le Clément,
le Miséricordieux)
Le do'â' (la Prière de demande) est un dialogue
entre Allah et le serviteur, mais c'est un dialogue unilatéral, ou
appelons-le monologue, étant donné que le dialogue, comme on le
sait, implique deux interlocuteurs dont l'un s'adresse à l'autre, et
l'autre lui répond, ou bien il peut se contenter d'écouter. Le do'â' fait donc partie de ce dernier genre de
dialogue unilatéral dans lequel un interlocuteur - en l'occurrence le
serviteur - parle et l'autre (Allah) écoute, ou inversement comme dans
l'écoute de la lecture du Coran où c'est Allah Qui parle et le
serviteur écoute. Ce qui importe de savoir ici est que lorsque nous
récitons un do'â' il faut que nous soyons
conscients que nous adressons la parole contenue dans ce do'â'
à Allah. Il importe encore plus donc de savoir quels sont les
éléments constitutifs de ce genre de parole, quels sont ses
piliers et quelles seront ses conséquences.
Sans doute la
première question qui saute à l'esprit du lecteur est que si la
récitation de do'â' comporte un dialogue
unilatéral et la présence d'un interlocuteur, celui qui
récite (ou parle) devrait s'attendre à ce que son interlocuteur
lui réponde ou que sa parole soit entendue et écoutée.
Comment ce rapport se traduit-il donc dans notre dialogue unilatéral
avec Allah ?
Parler à
Allah comporte plusieurs données qui dépassent ce à quoi
nous sommes habitués dans notre vie terrestre. La réponse d'Allah
à notre parole ne vient évidemment pas sous forme de parole, mais
par la satisfaction de notre souhait exprimé dans le do'â'.
Il se peut d'ailleurs qu'il n'y ait même pas de réponse, pour des
raisons que nous expliquerons plus loin. Cependant, le simple fait de savoir
que nous sommes en train de nous adresser (par le do'â')
au Créateur et qu'Il est en train de nous écouter suffit à
lui seul à nous remplir de sentiment de fierté, d'honneur et de
dignité. Pour nous en convaincre, imaginons-nous un instant en train de
nous adresser à une haute personnalité, un chef d'État, un
ministre etc. et que celui-ci nous écoute de toutes ses oreilles! Qui
pourrait ne pas s'enorgueillir ?! Que dire alors, lorsqu'il s'agit du
Maître absolu de l'Univers !
D'un autre
côté, on sait que l'homme de par sa nature et quels que soient son
milieu et sa structure, ne peut vivre isolé et a souvent besoin
d'interlocuteurs avec lesquels il dialogue ou qui dialogue avec lui. Donc,
lorsqu'il arrive que pour une raison ou une autre de tels interlocuteurs ne
soient pas disponibles ou se font rares, il ressent la solitude, le
dépaysement, le stress et l'angoisse. Là, le dialogue à
travers le Ghayb (avec Allah) revêt
une importance capitale, quand bien même il n'est pas garanti que
l'interlocuteur réponde à notre adresse. Ce qui importe, c'est
que nous avons toujours besoin de nous adresser à quelqu'un. D'abord
parce que notre structure psychologique et psychique le requiert, ensuite parce
que nous avons souvent besoin que l'on nous écoute, et enfin parce que
nous avons besoin de quelqu'un de susceptible de réaliser pour nous nos
différents besoins et aspirations. Et si des obstacles se dressent, nous
empêchant de trouver des interlocuteurs de notre genre, il ne nous reste
qu'Allah pour nous adresser à Lui, et c'est bien évidemment
à travers le do'â'.
Nous avons dit que
le do'â' répond entre-autres,
à un besoin humain, le besoin de s'exprimer et de dialoguer avec autrui.
(Nous avons dit que le do'â' est un dialogue
unilatéral entre le serviteur et Allah. Ou en d'autres termes, c'est une
parole que le serviteur adresse à Allah et qui constitue l'écho
d'un besoin inséparable de l'homme, en l'occurrence le besoin d'un
interlocuteur qui lui parle et à qui il parle. Or, il n'est de meilleur
interlocuteur dans ce domaine qu'Allah). Mais le do'â'
remplit en fait une fonction beaucoup plus importante et correspond à un
besoin bien plus crucial, dont découlent tous les besoins humains. Quel
est donc ce besoin et quel est son lien avec le do'â'
?
Nous avons tous une
tendance naturelle, à la recherche du plaisir et à
l'évitement de la douleur. En tenant compte de cette
vérité universelle et évidente, nous comprenons
l'importance du do'â' et de ses
conséquences. Bien évidemment lorsque nous recherchons un plaisir
d'une part et tentons d'éviter la douleur, cela signifie que nous
faisons une tentative, qui pourrait réussir ou échouer, et que
par conséquent nous pouvons aussi bien réaliser que manquer notre
but. En fait, il va de soi que nous ne pourrons jamais atteindre tous nos
objectifs et satisfaire tous nos besoins, étant donné qu'Allah
nous a créés dans le but de nous soumettre à
l'épreuve, et que la matière de celle-ci est plutôt la
«privation» ou «l'échec» que la
«satisfaction». Mais cela ne signifie pas que l'on doive cesser de
rechercher la satisfaction des besoins, car notre nature nous incite toujours
à satisfaire nos besoins légaux - il y a évidemment des
besoins illégaux et d'autres irréalisables, comme on le sait. En
tout état de cause, ce que nous voulons indiquer ici est que puisque
l'homme tend de par sa nature innée à réaliser ses besoins
légaux, et qu'il arrive que cette réalisation ne soit pas
à sa portée, il recherche forcément quelqu'un qui
possède les moyens de lui satisfaire ces besoins. Or, personne d'autre
qu'Allah n'est capable de les réaliser d'une façon absolue. De
là l'importance incomparable du do'â'.
Avant de poursuivre
le développement de la question du besoin et de son rapport avec le do'â', nous nous devons d'attirer l'attention du
lecteur sur un fait évident mais important, à savoir que les
besoins de l'homme ne se limitent pas à ce qui est personnel,
impérieux, pressant et terrestre pour que l'on pense que le do'â' a pour but la satisfaction de ces seuls
besoins. Les besoins de l'homme dépassent ces besoins terre à
terre et se transcendent pour couvrir ce qui est plus sublime et qui se
rapporte au degré de piété du serviteur, à sa
conscience de la vérité d'Allah, à sa compréhension
de la fonction de l'homme dans la vie d'ici-bas. Ainsi, l'importance du do'â' augmente au prorata de l'augmentation de la
conscience de l'homme de sa relation avec Allah, au point que le besoin de
dialoguer avec Allah estompe et efface tous les autres besoins courants et
terre à terre du serviteur dévoué et devient le seul but
du croyant pieux.
Il s'agit
maintenant de savoir comment le serviteur entame ce dialogue avec le
Créateur, ou plus précisément de quelle façon il
doit prier ou accomplir le do'â' ? Quelles sont
les formules du do'â' et quelle est sa doublure
intérieure ?
Sachant que le do'â' est un moyen d'exprimer les besoins de l'homme
dans toutes leurs diversités, comment le serviteur doit-il traiter avec
Allah sur le plan de l'expression et du cur ? Ou plus
exactement :
1- Doit-on
réciter le do'â' sous forme de parole audible
?
2- Peut-on se
contenter de le chuchoter ?
3- Suffit-il de se
présenter à l'esprit les mots du do'â'
sans les prononcer
D'autres questions
se posent également sur d'autres aspects du do'â',
à savoir :
a- Le do'â' se limite-il aux textes mentionnés dans
le Coran et dans le Hadith des 14 Infaillibles (P) ?
b- Le do'â' consiste-t-il uniquement à prier Allah
de satisfaire l'un de nos besoins ?
c- Ou bien
consiste-il en de simples formules de louanges et de glorification d'Allah sans
que cela soit suivi de la formulation d'une demande de satisfaction d'un
besoin?
d- Auquel cas, les
différentes sortes de thikr(1) font-elles partie du do'â'
?
Lorsqu'on sait
combien l'Islam a insisté sur l'importance du do'â',
on comprend que de telles interrogations soient très utiles pour mieux
accomplir cet acte de piété.
Pour
répondre à la première question, on peut dire qu'en
principe le do'â' doit être
récité sous forme de parole prononcée, car il a
été formulé (par la Législation islamique) de cette
façon. Dès lors la lecture du do'â'
ne diffère pas de la lecture du Coran dans la prière ou en
général. En outre, comme on le sait, lorsqu'on s'adresse à
un interlocuteur pour lui demander quelque chose on doit prononcer une parole
qui exprime cette demande. Or, le do'â'
(prière de demande) implique une demande, laquelle devrait donc
être forcément prononcée. On pourrait objecter ici, que la
demande présentée aux êtres humains doit être
prononcée pour qu'ils connaissent sa teneur, mais Allah, qui
connaît tout ce qui se passe dans nos curs et
nos esprits n'a pas besoin d'entendre notre parole pour comprendre notre
doléance.
Cette objection est
légitime et plausible, mais nous sommes en principe tenus d'observer les
préceptes de la Charia ici comme ailleurs. Or les textes de la Charia
nous demandent de réciter le do'â'. Bien
plus, certains textes légaux exigent même une lecture ou
prononciation correcte, et invalident l'effet de tout do'â'
lu avec accent. Il est même des textes qui vont bien plus loin, en fixant
des règles pour la tonalité de la lecture. Ainsi, selon le
Hadith, un Imam ayant entendu quelqu'un réciter un do'â'
à très haute voix, lui demanda de baisser le ton en lui disant
qu'Allah entend sa voix. D'autre part, il y a d'autres textes qui interdisent
que l'on change ou modifie les vocables du do'â'.
Tout ceci indique
que la lecture serait indissociable du do'â'.
Mais d'aucuns objectent là encore que certains récits
hagiographiques laissent entendre qu'il est possible d'accomplir le do'â' sans le prononcer. Ainsi, lorsque l'Archange Jibrâ'îl (Gabriel) avait demandé au
Prophète Ibrâhîm (Abraham), alors
qu'il était jeté dans le feu, de lui formuler sa demande à
Allah, il lui répondit qu'Allah connaissait mieux que quiconque ce dont
il avait besoin.
À ceci nous
répondons que l'exigence de la lecture dans le do'â'
signifie moins l'exclusion de toutes autres possibilités, et plus que la
règle générale est la lecture, surtout dans le cas des do'â' formulés par les Textes légaux
(les do'â' contenus dans le Coran ou
composés par les 14 Infaillibles (P), le Prophète, Fâtimah et les 12 Imams d'Ahl-ul-Bayt),
règle qui laisse beaucoup de place aux exceptions dont nous vous
parlerons ultérieurement, notamment dans le cas des do'â'
que nous formulons nous-mêmes, ou bien dans le cas de la simple
présentation de nos besoins dans l'esprit sans les prononcer. Par
ailleurs, il suffit que le serviteur ait la conviction sincère qu'Allah
connaît ses besoins, pour qu'Il les réalise, quand bien même
il ne se les représente pas dans l'esprit.
Nous avons
laissé entendre qu'il y a deux sortes de do'â',
le "Do'â' légal" et le "Do'â' humain". Il s'agit de savoir maintenant
quelle est la différence entre les deux et pourquoi cette
différence ?
Le do'â' légal est celui qui a été
formulé par le Législateur islamique, et qu'on trouve
parsemé ça et là dans les plis de telle ou telle autre
sourate du Coran, comme celui-ci :
«Notre
Seigneur! Nous avons entendu un crieur crier pour nous appeler à la Foi»
(Sourate Âle 'Imrân,
3 : 193).
De même, le do'â' légal est représenté
surtout (et c'est le cas de la plupart des do'â'
connus et courants) par les Textes rapportés des Imams d'Ahl-ul-Bayt (p) et composés par eux. Ils sont
tellement nombreux et variés qu'on les a compilés dans des corpus
ou des ouvrages encyclopédiques(2).
Nous les aborderons plus loin. Pour le moment, nous essayons d'exposer les
caractéristiques générales du do'â'
légal, et surtout son aspect linguistique.
La première
chose qui attire l'attention dans le do'â',
c'est son caractère artistique ou esthétique. En fait tous les
Textes légaux (divins ou d'inspiration divine), et pas seulement le do'â', se distinguent par ce trait esthétique.
Le Coran s'en détache évidemment par sa rhétorique
inégalable et miraculeuse. Ceci dit, sachant que le Texte légal a
pour but premier la communication des principes et des enseignements d'Allah
à l'humanité, on est en droit de se demander quel est le rapport
entre cette opération de communication et le langage utilisé
à ce propos ?
Dans le genre
"Do'â'" l'élément
esthétique ou artistique est tantôt dominant, tantôt
à peine perceptible, tantôt remplacé par un style direct.
Il arrive même que le langage usé soit quotidien ou populaire.
Mieux, il n'est pas exclu de trouver parfois dans le Texte du do'â' l'emploi par l'auteur (l'Imam) d'un vocabulaire
étranger. Cette variété de style confirme ce que nous
avons déjà dit : le but essentiel du do'â'
est la communication de la pensée à autrui ; le style ou le
langage n'a qu'un objectif secondaire. Pourquoi alors le caractère
esthétique prévaut-il dans toutes les formes au vocatif du Texte
légal ? Étant donné que l'art contribue - surtout par deux
de ses volets : le son et l'image -, à la pénétration et
à l'approfondissement des idées que le Texte vise, la
nécessité de la communication de celles-ci exige que le Texte
s'appuie sur un langage artistique. Et c'est ce qui caractérise le Texte
de la plupart des do'â', Texte sous-tendu d'une
façon remarquable par les éléments son et image. Ce trait
esthétique qui marque en général toutes les formes du do'â', qu'il soit tout court, ne comprenant qu'un ou
deux paragraphes, ou très long, s'étendant sur plusieurs pages.
Dans les deux cas il use de tous les éléments du style
esthétique, dont notamment le son et l'image.
À la
différence du do'â' légal (qui se
caractérise par son langage littéraire, son style
esthétique et le caractère inchangeable de sa composition), le do'â' humain, ou formulé par le commun des
mortels, ne comporte ni règles spécifiques ni traits
caractéristiques. La rhétorique du premier type du do'â' cède la place à la
spontanéité du langage dans le second.
La raison en est
que le do'â' humain se réduit à
une simple une demande de la satisfaction d'un besoin particulier qui concerne
soit le priant lui-même, soit lui et d'autres. La demande dans les deux
cas est dictée par une situation improvisée ou
préméditée qui ne requiert que l'imploration d'Allah
d'exaucer cette demande. Dès lors il importe peu que le priant formule
sa prière de demande avec des mots du parler de tous les jours ou dans
un arabe littéral, dans un style soigné ou ordinaire, d'une
façon audible ou à voix basse, mentalement ou avec une parole
prononcée etc.
Mais sachant que
les do'â' formulés par les Infaillibles
(Les Ahl-ul-Bayt -P-) comprennent souvent la demande
de la satisfaction de besoins humains variés, ainsi que de besoins
généraux qui contiennent les besoins individuels
spécifiques, ne vaudrait-il pas mieux dès lors nous y limiter et
éviter de formuler le Texte du do'â'
nous-mêmes ?
La "spécifité" de certains besoins,
l'impossibilité, parfois, de mémoriser le do'â'
légal ou de l'obtenir, l'émergence continuelle de nouveaux
besoins, ainsi que l'importance pour l'homme de communiquer par tous les moyens
disponibles avec le Miséricordieux, tout cela conduit le croyant
à s'adresser à Allah dans n'importe quel langage qui exprime son
besoin.
Puisque le do'â' comprend également le thikr (les différents genres de l'invocation
d'Allah) ou d'une façon générale toutes formes de
communication avec Allah, est-il permis au croyant de formuler également
une «invocation» spécifique lui-même ?
Certes le do'â' comprend le thikr
avec lequel il a des points communs, mais il y a aussi des points de
divergence. Ce qui importe ici de souligner, c'est que le croyant doit
respecter dans le do'â', le thikr
et toutes les autres formes de communication au vocatif avec Allah, le Texte
légal, surtout lorsque celui-ci comporte des formules qu'on doit
répéter un nombre déterminé de fois, ou la
répétition d'un ou de plusieurs paragraphes donnés, nombre
et répétition etc. qui recèlent sûrement des secrets
que nous ne pouvons appliquer dans notre formulation personnelle du do'â' et du thikr.
Lorsque nous
dépassons l'aspect de la formulation verbale ou de l'élocution du
do'â', nous sommes confortés alors
à la question de l'état psychologique, affectif ou
intérieur du priant, question nettement plus importante que la
précédente (la formulation verbale, la diction du do'â'), vu que la communication doit avoir pour
source essentielle le cur, comme en témoignent
les diverses recommandations de la Charia.
Concernant les
traits caractéristiques du contenu ou de l'aspect affectif du do'â', la première chose qui attire
l'attention, c'est la prédominance de l'affectivité. Pourquoi
cette prédominance ?
On sait que l'art
de discourir comporte trois éléments dont la place et
l'importance varient selon la nature ou le genre
auquel appartient le discours. Ces éléments sont : la logique,
l'imaginatif, et l'affectif. Ce qui nous intéresse ici, c'est surtout le
dernier élément, la charge affective qui l'emporte sur les deux
autres dans le genre de do'â'. Pour mieux
comprendre le pourquoi de cette prédominance de l'aspect affectif dans
le do'â', on peut se référer au
discours en général, lequel, s'adressant à un public, et
cherchant à le sensibiliser pour faire passer le message à
communiquer, requiert un ton pathétique ou une charge affective
susceptible d'émouvoir et de toucher l'auditoire. En revanche cette
préoccupation d'affectivité n'est pas nécessaire dans les
genres lettre, dissertation ou article etc. où le ton affectif s'estompe
pour laisser place au raisonnement et à la logique. Mais, le do'â' n'est pas un discours, et ne s'adresse pas
à un public à conquérir, dira-t-on. Quelle
y est donc la nécessité de cette affectivité ?
Rappelons que le do'â' consiste en la demande de la satisfaction d'un
besoin. Or lorsqu'on se trouve dans une situation de besoin impérieux et
pressant que l'on a hâte de satisfaire, on ne va pas user d'un langage de
chiffres pour l'exprimer, mais plutôt d'un ton pathétique et
émouvant. Ceci en supposant que l'on a affaire à un individu ou
une institution ordinaire. Que dire alors, s'agissant du Maître de
l'univers, le seul à posséder le moyen de la satisfaction absolue
de tous nos besoins! Car là on se sent diminué devant la
Puissance absolue, d'une part, et devant la Cause principale de la satisfaction
de notre besoin - et non devant un simple intermédiaire ou moyen -
d'autre part! Et que dire encore si, en plus, par malheur (et c'est souvent le
cas) nous ressentons à ce moment le manquement aux devoirs de
piété envers Celui à qui nous sollicitons le secours et
l'aide (la satisfaction de notre besoin). Dans une telle situation, il est
normal que le priant se trouve au comble de l'émotion, et même au
bord des larmes.
Ici une question
pertinente se pose: pourquoi les Textes islamiques nous recommandent-ils les
lamentations ou du moins la feinte des lamentations pendant le do'â'? Est-ce uniquement pour le besoin du do'â', ou bien y a-t-il une autre raison ?
En fait, les
lamentations sont très recommandées non seulement pendant le do'â' mais en général. Les raisons qui
pourraient expliquer ces recommandations sont nombreuses. Notons tout d'abord
que généralement les larmes de l'être humain ne coulent que
dans des situations exceptionnelles, par exemple lorsqu'on perd un proche
chéri. Cela dénote que la rareté de ce
phénomène demeure fonction de la nature du cur
humain dont l'accélération ou le ralentissement des palpitations dépendent des situations purement affectives qui
n'ont rien à avoir avec les intérêts matériels de la
vie passagère. Mais, on peut objecter qu'il arrive souvent qu'on verse des
larmes à la suite d'une perte d'argent, d'un intérêt
matériel, ce qui démentirait le caractère purement humain
des lamentations.
Il ne faut pas
perdre de vue qu'il y a une différence entre la lamentation en tant
qu'état affectif ou sentimental, et les raisons qui engendrent cet
état. Or, nous traitons ici du pleur uniquement en tant qu'état
affectif. Quant à son pourquoi, nous nous en tenons, en tant que
croyants, aux recommandations islamiques qui nous demandent de nous mettre dans
un état affectif, émotionnel, de recueillement lorsque nous
implorons Allah, l'Absolu, ou en d'autres termes la lamentation ici est un
rapport avec Allah et non avec nos semblables. Mais ce qui est plus important
encore c'est que l'Islam nous recommande, comme nous venons de le dire,
d'accomplir le do'â' dans un état de
tendresse dans la mesure où le cur, lorsqu'il
s'attendrit, la rouille des affaires de la vie d'ici-bas s'en efface et
l'aspect humain s'y illumine. Car nous savons tous que le pleur débute
avec le commencement de l'attendrissement ou de l'émotion et
s'intensifie avec son intensification. Lorsque nous pleurons d'un
péché que nous aurions commis ou d'un manquement à notre
devoir envers Allah, ou encore par désir d'Allah etc. notre
gémissement découle dans tous ces cas de l'attendrissement. Par
conséquent, les causes des pleurs ici sont en rapport avec le
Créateur et n'ont aucun lien avec un quelconque intérêt
personnel ou motif mondain passager.
En conclusion,
l'attendrissement est l'état affectif que nous vivons en accomplissant
le do'â'. C'est pourquoi, plus notre cur s'attendrit plus le degré de notre lamentation
augmente.
Il nous reste
à rappeler que les Textes islamiques nous recommandent d'une part de
nous efforcer de verser ne serait-ce qu'une seule larme, et à
défaut et d'autre part, de feindre (affecter) de pleurer! Quel pourrait
être le secret de cette recommandation ? Demander à quelqu'un qui
n'a pas la capacité de pleurer de faire semblant, ou à quelqu'un
qui ne peut pleurer normalement de verser ne serait-ce que quelques larmes,
n'est-ce pas l'incarnation de l'entraînement à l'adoucissement du cur ?
En effet, selon le
courant psychologique contemporain, le behaviorisme, pour apprendre ou adopter
un comportement donné, il faut s'exercer à l'affectation de ce
comportement. «Il soutient que les réactions émotionnelles
sont le résultat d'un apprentissage au même titre que les autres
aptitudes».(3) Certes il nous importe peu
le point de vue laïc sur l'apprentissage du comportement du moment
où nous nous orientons vers Allah pour apprendre le comportement
religieux, mais nous pensons que la corroboration des enseignements
célestes par des références et des expériences
terrestres pourrait renforcer la conviction de certains esprits faibles et
sceptiques de la pertinence des recommandations de l'Islam. Ceci dit, voyons ce
que l'Imam Ali (p) dit à ce propos : «Si tu n'es pas
indulgent, affecte de l'être».
Il ne fait pas de
doute que l'indulgence n'est que l'une des qualités parmi bien d'autres
que comporte la longue liste des qualités morales, et que ce qui vaut
pour cette qualité vaut aussi pour les autres. Donc on peut en
inférer facilement que l'être humain est capable d'apprendre et
d'adopter n'importe quel comportement (dont et en l'occurrence, le pleur) en
s'y entraînant (en faisant semblant de pleurer). Toutefois, on est en
droit de se demander de quelle façon on pourrait affecter de pleurer et
comment s'efforcer de verser quelques larmes, alors que le pleur est un processus
plus ou moins involontaire suscité par un état émotionnel
?
Tout d'abord il
faudrait rappeler une évidence, à savoir que la feinte de pleurer
consiste à produire un bruit qui fait croire à un auditeur qu'on
est en train de pleurer réellement. Mais il faut prendre en
considération le fait que cette affectation doit être
accompagnée d'un état affectif, c'est-à-dire la
représentation dans l'esprit du pourquoi du do'â
que le priant est en train d'accomplir ou de formuler, ou en d'autres termes,
on doit être conscient de ce qu'on implore, d'une part, et en être
ému d'autre part. Supposons que nous voulions implorer Allah de nous
pardonner un péché. Auquel cas nous devons être conscients
que nous avons commis ce péché et en même temps
éprouver du regret de l'avoir commis. Et c'est cela que nous appelons
être ému par la situation.
Toutefois, dans un
tel cas le sentiment de culpabilité et le regret ressenti flottent
à la surface et ne descendent pas au fond, ou en d'autres termes
n'atteignent pas le degré de fusionnement. Et lors bien même que
nous éprouverions un profond regret du péché commis, nous
ne pourrions peut-être pas pleurer, pour des raisons que nous
expliquerons plus loin. Ce sur quoi nous voulons attirer l'attention ici, c'est
que dans le cas de figure décrit, (la situation ou notre état ne
nous permet pas de verser de larmes réelles), la simple affectation
répétitive du pleur (tout en ressentant notre péché
et en étant conscient) produit ses effets progressivement et finira par
engendre un nouvel état émotif : la lamentation réelle;
c'est dire que le processus d'apprentissage d'un caractère
débouche sur l'acquisition dudit caractère.
Mais d'aucuns
objecteraient que le contraire est vrai et que le caractère naturel
prévaudrait toujours sur le caractère acquis, en avançant
comme preuve le fait qu'on puisse rendre inoffensif un animal féroce,
pendant un moment, mais que dès qu'il se trouve devant un nouveau
stimulus (une proie) il reviendrait à son état sauvage et de
férocité; ce qui signifierait que l'affectation du pleur ne
déboucherait pas forcément sur le pleur réel !
À cette
objection nous répondons qu'Allah a créé l'homme selon un
mécanisme souple de telle sorte que son comportement soit sujet à
modification et à changement. Autrement, le pécheur ou le
dévié en général ne pourrait pas se réformer
ou corriger sa déviation. Le changement ou la modification du
comportement s'opère par l'un des deux facteurs suivants: l'un c'est la
prise de conscience intense (du défaut, du péché) -
lorsqu'on se livre à une sorte d'introspection ou d'analyse du
comportement incriminé et la reconnaissance consciente de notre faute,
par exemple - l'autre c'est le processus de l'entraînement au nouveau
comportement. C'est là une règle générale du
comportement humain. Mais font exception à cette règle des cas
particuliers dans lesquels la prise de conscience ne se produit pas, et par
voie de conséquence l'entraînement à l'acquisition du
comportement positif (désiré) trébuche et ne donne pas le
résultat escompté. Quels sont les
raisons d'un tel échec ?
La réponse
détaillée à cette interrogation risquerait de nous
entraîner dans un long développement et une longue analyse du
comportement humain, et de nous écarter par conséquent du vif de
notre sujet, qu'est le do'â'. Cependant on peut
dire succinctement que deux facteurs pourraient expliquer cet échec :
l'un biologique ou héréditaire, qui empêche la
personnalité de changer de caractère, l'autre, psychologique, et
c'est sur ce dernier qu'il importe d'attirer l'attention: si un individu
persiste dans son comportement dévié, Allah finira par
"sceller" son coeur. C'est du moins ce dont nous avertissent de
nombreux versets coraniques et de hadiths des Infaillibles (P). En d'autres
termes, Allah sachant préalablement qu'un tel individu ne se
défera pas de turpitudes, Il «scelle» son coeur. Mais il va
de soi qu'il s'agit ici des cas particuliers et des individus particuliers. En
dehors de ces cas spécifiques le processus de l'entraînement finit
par faire acquérir au croyant le comportement ou le caractère
recherché, en l'occurrence, l'aptitude aux pleurs pour celui qui a des
difficultés à verser des larmes.
Passons maintenant
à une autre recommandation islamique sur le sujet. Selon cette
recommandation, nous pouvons pendant le do'â'
nous représenter ou remettre en mémoire tout
événement ou péripétie de notre vie susceptible de
susciter notre émotion et d'arracher nos larmes (la perte d'un
bien-aimé, la disparition d'un proche chéri etc.). L'explication
de cette recommandation reste la même : adoucir nos coeurs, en arracher
la dureté et nous mettre dans un état de recueillement et
d'humilité propice à l'imploration d'Allah, dans une situation
qui correspond à notre position d'éternel solliciteur ou de
créature faible et impuissante devant la Toute-Puissance
et la Majesté du Créateur, comme nous le rappellent sans cesse le
Coran et la Sunna. Mais puisque cet état affectif exprime une
sollicitation, une requête, le solliciteur est en droit de s'attendre
à ce que son do'â' soit exaucé,
sa requête aboutisse et son besoin satisfait. Cette attente semble
d'autant plus vraie et légitime qu'Allah nous promet dans le Coran
«Appelez-moi, Je vous répondrai»(4) et «Je réponds à
l'appel de celui qui Me prie quand il Me prie»(5)
etc... et que les
Infaillibles (P) n'ont cessé de confirmer. Mais pourquoi alors, cette
attente est parfois déçue, la réponse à la demande
et l'exaucement de la prière ne se pointent pas
toujours ?
Pour
répondre à cette interrogation, commençons par nous poser
une autre question: la nature de la vie humaine permettrait-elle de satisfaire
d'une façon absolue tous les besoins de l'humanité ou même
d'une façon (une satisfaction) relative? Évidemment la
réponse est négative pour le premier volet de la question,
positive pour le second, étant donné que la satisfaction des
besoins ne peut se faire que de deux façons qui n'acceptent pas une
troisième : soit la satisfaction absolue soit la satisfaction relative.
Toutefois la réponse au second volet devrait être nuancée
ou relativisée, car la satisfaction relative demeure elle-même
relative, comme nous l'expliquerons plus loin, après que nous aurons
tout d'abord traité du rapport entre le do'â'
et la satisfaction des besoins en général. Nous avons
déjà indiqué que la nature de la vie ne permet pas la
satisfaction de tous les besoins de l'humanité. Le monde est fait ainsi.
Il nous reste à noter maintenant qu'il y a deux sortes d'aspirations ou
de besoins : besoins légaux (d'après la législation
islamique) et besoins illégaux. L'exploitation ou l'asservissement
d'autrui par exemple est un besoin illégal, mais l'aspiration à
la possession d'une grande maison, par exemple est un souhait légal. Même
les besoins légaux sont de différentes catégories: les
besoins neutres (permis), les besoins détestables, les besoins
recommandés, les besoins obligatoires. Donc l'exaucement ou non du do'â' a un rapport
évident (comme on le verra) avec la catégorie des besoins
légaux qu'il comporte.
Il faut avoir
conscience avant tout qu'Allah a créé l'homme afin qu'il exerce
une fonction que le Ciel lui a fixée ou qu'il passe une épreuve,
un test ou un examen : comment se comporter vis-à-vis des enseignements
du Créateur ? Or l'épreuve implique qu'il "reporte" la
satisfaction de certains besoins ou y renonce. En effet Allah a
déposé dans l'homme une série d'instincts ou de pulsions
dont Il a prescrit des modes de satisfaction spécifiques, et Il lui a
demandé d'"ajourner" la satisfaction de ceux (des besoins ou
pulsions) qui sont illégaux. Il va donc de soi que si nous implorions
Allah, dans notre do'â', de nous accorder les
moyens le pouvoir d'agresser autrui ou de nous montrer orgueilleux, Il ne nous
les accordera pas, car une telle demande est fondamentalement contraire
à Ses Principes. C'est là l'évidence même. Mais
pourquoi alors le non-exaucement de besoins
légaux ?
Là encore la
nature de la vie humaine et, la fonction de l'homme telle que l'a fixée
le Créateur et consistant foncièrement à passer
l'épreuve de la vie terrestre, se trouvent derrière les cas du non-exaucement de besoins légaux. En effet,
imaginons que vous vouliez devenir un chef d'état, l'homme le plus riche
de la planète, ou bien vous lier à la plus belle femme du monde.
Croyez-vous que la nature de la vie vous le permette ? Si vous étiez le
seul à avoir imploré Allah de vous accorder une telle faveur,
votre imploration aurait pu être exaucée. Mais étant
donné que tout le monde pourrait nourrir cette même ambition pour
une place unique, il est normal que votre besoin ou ambition, même
légal et légitime, ne pourrait être réalisé
d'une façon absolue. Mais vous objecteriez que même en priant pour
réaliser des ambitions plus modestes ou pour la satisfaction de besoins
dont peut jouir tout le monde et qui ne heurtent pas les intérêts
d'autrui, tels que la bonne santé, la sécurité, la longue
vie, l'aisance, l'amour des gens, la mort des ennemis, la facilitation de nos
affaires administratives etc, nos prières ne
sont pas exaucées systématiquement et d'une façon absolue,
lors bien même que ces besoins sont formulés non pas par nous mais
par les do'â' légaux (prescrits par les
Textes islamiques) eux-mêmes !
Nous
répondons à cette objection que toute l'humanité aspire
naturellement à la satisfaction de tels besoins et que si Allah
exauçait le voeu de tous les hommes d'avoir une bonne santé par
exemple, on assisterait à un immense changement social: la disparition
de la médecine. En outre, notre voeu d'être aimés par tout
le monde ou de voir nos ennemis anéantis, déboucherait, s'il est
exaucé, sur une modification radicale de la structure humaine de telle
sorte que les hommes se transformeraient en anges terrestres et on vivrait dans
des sociétés sans agression, ni égocentrisme, ni haine, ni
jalousie, ni conflits, ni rivalité etc. Une telle chose ne s'est jamais
produite dans l'histoire de l'humanité.
Ayant montré
que la nature de la vie sociale ne permet pas la satisfaction absolue de nos
aspirations, passons à présent à l'autre facteur qui
empêche la réalisation de cette satisfaction absolue par le biais
du do'â', à savoir la nature de notre
fonction ou tâche existentielle (la lieutenance sur la terre). Nous avons
déjà dit qu'étant donné que la raison d'être
de notre existence sur terre est le passage d'une épreuve, ce passage
est marqué plus par les difficultés de la vie que par son
aisance, plus par la «frustration» que par la
«satisfaction». Bien plus, la satisfaction est fondamentalement
réservée à l'autre monde, à la Vie future, alors
que notre vie terrestre n'est qu'un passage ou un pont vers celle-là.
Ceci nous sommes tous censés le savoir puisque le Noble Coran et les
divers Textes islamiques n'ont de cesse de nous le rappeler. En effet ces
Textes nous indiquent que l'homme est créé dans «les peines»,
dans les difficultés, et que la foi du croyant se mesure par les
épreuves et les difficultés qu'il traverse. La Sunnah nous met en garde contre la satisfaction absolue, et
nous avertit par exemple que si le corps ne tombait pas malade, il risquerait de
devenir pétulant, et que si le ventre est rassasié, il conduire
à l'impiété et à l'injustice. Ce genre
d'instructions et recommandations dénotent que
le but du bon croyant pratiquant n'est pas la satisfaction (de besoins) mais
l'accomplissement des meilleurs des actes conformément aux Principes
célestes.
Là encore
une question se pose et s'impose : si comme nous venons de le voir, c'est la
frustration et non la satisfaction qui est le trait saillant de
l'épreuve que le croyant doit traverser, quelle est la raison
d'être des do'â' qui implorent et
réclament la satisfaction des besoins du priant? Si l'exaucement absolu
de nos prières ne concorde ni avec la nature de la vie ni avec la nature
de notre tâche existentielle qui requiert l'endurance des difficultés
de la vie, pourquoi les do'â' nous invitent-ils
à prier et nous promettent-ils que nos prières seront
exaucées ?
En fait notre
interrogation comporte deux questions :
1- Pourquoi nous
est-il réclamé de prier Allah de satisfaire nos besoins, alors que
la frustration vaut mieux que la satisfaction pour nous selon les
critères célestes ?
2- Pourquoi les
Textes islamiques nous promettent-ils l'exaucement de nos prières, alors
que celles-ci, restent parfois ou souvent inexaucées ?
Concernant la
première question, il faut garder présent à l'esprit que
la pratique du do'â', abstraction faite de son
exaucement et de son non-exaucement, procure une
série d'avantages spirituels: le do'â'
sert à nous arracher à notre inconscience existentielle,
c'est-à-dire à nous sortir de nos occupations terrestres pour
nous mettre en relation et en contact avec le Créateur. Or, il ne faut
pas sous-estimer l'importance primordiale de ce contact, aussi bref soit-il.
Certes le contact avec Allah doit être permanent et ininterrompu, comme
en fait preuve, l'élite des serviteurs pieux. Mais, même
limité au laps de temps que dure la Prière de demande, ce contact
avec le Miséricordieux revêt une importance capitale que nous ne
devons guère négliger. D'autre part, il ne faut pas oublier que
notre subsistance, notre santé, notre sécurité et tous nos
autres besoins pour la satisfaction desquels nous prions, demeurent tous entre
les mains d'Allah. En accomplissant le do'â',
nous sortons de notre intoxication terrestre et prenons conscience de
l'appartenance de l'univers, dans sa totalité, à Allah. Certes le
mobile premier de notre Do'â' réside
dans certains besoins que nous ressentons et dont nous recherchons la
satisfaction, mais une fois que nous recourons au do'â'
et que nous prenons conscience qu'Allah est capable de pourvoir à nos
besoins, cette conscience nous conduit inconsciemment et par l'association des
idées à réfléchir sur la Toute-Puissance
divine et à Son Pouvoir absolu sur le cheminement et le mouvement de
l'Univers tout entier. En un mot, notre conscience de la capacité
d'Allah de satisfaire nos besoins limités et ponctuels, suscite,
grâce au do'â', notre conscience de la
Capacité et du Pouvoir divins absolus, et c'est là un acquis
spirituel de taille.
Nous nous permettons de rappeler au passage, un troisième
avantage spirituel que procure le do'â' et que
nous avons évoqué plus haut, à
savoir que notre sentiment de dialoguer avec le Créateur de l'Univers
suscite un sentiment de fierté.
Enfin un
quatrième avantage, c'est que lorsque nous sommes dans le besoin, le
fait d'exprimer notre besoin, est en soi un motif de soulagement, un moyen de
nous défouler et d'apaiser les tensions liées à ce besoin.
C'est là donc un avantage psychologique d'une importance
indéniable, sachant que la gravité ou la bénignité
des difficultés et des épreuves de la vie dépendent de la
manière dont nous les prenons ou ressentons, ou en d'autres termes de
leur reflet sur notre âme ou tout simplement de notre état
d'âme.
Moralité,
abstraction faite de son exaucement ou non, le do'â'
ou la Prière de demande constitue en soi un exercice spirituel qui joue
un rôle important dans le raffermissement de la foi du croyant, et dans
l'équilibre de sa personnalité.
Il y a
évidemment d'autres avantages spirituels liés à d'autres
aspects du do'â', dont nous parlerons dans
leurs contextes respectifs. En attendant, nous sommes restés encore sur
notre faim concernant un angle important de notre précédente
interrogation, à savoir comment concilier entre les Textes qui nous
recommandent de présenter nos requêtes et de réclamer leur
réalisation, et ceux qui nous invitent à endurer les
difficultés de nos besoins (les difficultés liées à
la non-satisfaction de nos besoins) ?
La réponse
à cette interrogation requiert le rappel et l'exposé de certaines
vérités dont:
- Soulignons tout
d'abord la légitimité de notre Prière de demande de la
satisfaction de nos besoins terrestres ordinaires (la santé, les moyens
de subsistance, la sécurité etc.) tels qu'ils sont
mentionnés dans les do'â' légaux
eux-mêmes, tout en notant que dans ces besoins, ce qui se rapporte
à la vie terrestre est inséparable de ce qui a trait à la
Vie future, comme nous l'expliquerons, le moment venu.
- Tenir compte du
degré de conscience du priant quant au sens de son existence sur terre:
l'importance qu'attache un serviteur à un tel ou tel autre besoin peut
être moindre ou même inexistante chez d'autres.
- Il n'y a pas
d'opposition ou de contradiction entre le fait de réclamer la
satisfaction d'un besoin et l'endurance des difficultés, lorsqu'on
observe les exigences de la Sagesse divine.
Notre exposé
de ces vérités pourrait être empreint de flou. Essayons
donc de le clarifier en commençant par ce dernier point : la non-opposition entre notre prière pour la satisfaction
de nos besoins et notre devoir de supporter les difficultés, lequel
signifie que lorsque nous rencontrons une épreuve nous devons l'accepter
et ne pas nous laisser en être affligés, afin de mériter la
récompense spirituelle décernée pour notre endurance. Or,
évidemment le mérite de cette récompense ne signifie
nullement qu'il nous est interdit d'implorer Allah d'enlever cette
difficulté, mais seulement de faire montre de patience et d'endurance.
Là une question se pose, lorsqu'on se réfère à un
Texte islamique qui dit: «Le Jour du Jugement l'homme souhaitera
qu'il eût été découpé avec des ciseaux dans
sa vie terrestre pour gagner plus de récompenses spirituelles dans la
Vie future»: ce Texte ne signifie-t-il pas que devrions souhaiter
dans notre vie présente être emprisonnés dans nos
épreuves et difficultés, et nous abstenir par conséquent
de prier Allah de nous en sortir, dans l'espoir de prolonger ou de
perpétuer ces difficultés et obtenir ainsi davantage de
récompenses spirituelles ?
La réponse
à cette question est que la précédente avec un petit
ajout: ces Textes et recommandations visent à encourager le croyant
à endurer les difficultés et à ne pas en être
affligé, si dures soient-elles. Ce faisant le croyant finira par prendre
conscience de la valeur spirituelle de telles difficultés, ce qui
allège et atténue leurs reflets ou leur effet sur lui et lui
permet de maintenir son équilibre psychologique. En d'autres termes le
croyant prend conscience que plus il endure des difficultés, plus il obtiendra
de récompenses spirituelles, ce qui augmente son aptitude à
supporter les difficultés, à garder le moral intact, et à
ne pas tomber en proie au désespoir et à la déprime.
Cependant, tout ceci n'empêche pas, comme nous l'avons dit, le croyant de
continuer à prier Allah d'aplanir ses difficultés.
Naturellement, et
là c'est une remarque qui s'impose, lorsque la conscience spirituelle
(le degré de la piété) du croyant augmente, il pourrait
formuler sa Prière de demande d'une autre manière, face aux difficultés
de la vie en confiant son sort totalement à Allah et en L'implorant de
l'aider à les supporter, si leur continuation et leur aggravation sont
dans son intérêt, et de les enlever, autrement, quand Il le
décide, comme le font les Prophètes, les Imams et l'élite
des croyants pieux.
Récapitulons
: Face
aux difficultés et aux épreuves, il nous est recommandé en
premier lieu et en principe de recourir au do'â',
autrement et à défaut, de faire preuve d'endurance et de
patience; mais rien ne nous empêche évidemment d'adopter ou de
combiner les deux attitudes : le do'â' et
l'endurance.
Maintenant essayons
de développer ou de compléter la réponse à la
seconde partie de notre interrogation initiale, à savoir pourquoi les
Textes islamiques nous promettent l'exaucement de nos prières, alors que
nous remarquons qu'il arrive parfois ou souvent que nos do'â
ne sont pas exaucés?
Ce genre de
questions ont été posées aux
Infaillibles (P), auxquelles ils ont fourni diverses réponses. Nous
avons déjà noté que la nature de la fonction de l'homme
sur terre, et la nature des sociétés ne permettent pas la
satisfaction absolue de tous nos besoins. Nous nous
limitons donc à mentionner la réponse des Infaillibles (P)
relativement au non-exaucement de nos besoins légitimes.
Le premier facteur
de ce non-exaucement que les Textes des Infaillibles
invoquent, c'est le péché. Ainsi, selon un Hadith attribué
au Prophète (P), un jour alors que le Prophète Mûsâ (P) passa près d'un homme qui
implorait Allah en état de prosternation, Allah lui révéla
à peu près ceci :
«Même
s'il (cet homme) continue à se prosterner jusqu'à ce que son cou
se brise, Je n'exaucerai pas sa prière, avant qu'il ne se départe
de ce que Je déteste pour s'adonner à ce que J'aime...».
Selon l'Imam al-Bâqer (p) :
«Un
serviteur prie Allah de satisfaire son besoin. Allah dit alors à l'Ange:
"Ne le satisfais pas! Prive-l'en
plutôt, car il s'est exposé à Ma Colère !
"»
Donc, le fait de
s'adonner au péché constitue un obstacle principal à
l'exaucement du do'â'.
D'aucuns pourraient
objecter: étant donné que seuls les Prophètes (P), les
Infaillibles (P) et l'Élite des croyants sont à l'abri du
péché, cela ne reviendrait-il pas à dire qu'en
règle générale, la Prière de demande du commun des
mortels est censée ne pas être exaucée, vu que les
êtres humains ne sont pas infaillibles ?
À cette
question les Textes islamiques relatifs aux facteurs de l'exaucement du do'â' que nous aborderons plus loin nous permettent
de répondre que la repentance, le regret, l'abandon du
péché, la reconnaissance du tort, le sentiment de
culpabilité etc... tout
ceci milite en faveur de l'enlèvement de l'obstacle dressé par le
péché devant l'exaucement de nos prières. En d'autres
termes le simple fait de regretter le péché commis, ou de former
intimement l'intention de ne plus le commettre, ou encore de reconnaître
devant Allah notre tort suffit en principe à effacer le mauvais effet de
notre péché sur l'exaucement de nos prières.
Le second facteur
important du non-exaucement du Do'â'
que les Textes islamiques mentionnent c'est la distraction du coeur,
c'est-à-dire le fait d'accomplir nos prières de demande avec un
coeur ou un esprit distrait. Ce facteur est d'autant plus évident que
nous devrions savoir que le do'â' est un
dialogue unilatéral avec Allah, et que par conséquent il est
normal que nos requêtes ou doléances ne puissent aboutir, si nous
nous contentons de les formuler verbalement et sans y mettre nos coeurs et nos
âmes, ou de prononcer de la bouche des signifiants sans les rattacher
à leurs signifiés au fonds de nous-mêmes et dans notre
esprit.
Il y a d'autres
facteurs du non-exaucement du do'â'
que nous mentionnerons, dans leurs contextes respectifs. En attendant nous nous
devons de souligner que ces facteurs ne sont pas seulement négatifs,
mais peuvent être également positifs. Mais qu'est-ce qu'un facteur
positif du non-exaucement du do'â'?
Si, le non-exaucement du do'â'
dénote parfois, comme nous venons de le constater, un signe
négatif (nos péchés, nos coeurs distraits) il pourrait
receler dan le cas contraire (la repentance ou l'absence de
péché, la présence du coeur) une cause positive, la
Grâce et la Miséricorde d'Allah. En effet, les Textes islamiques
nous apprennent que si Allah aime un serviteur accomplissant le do'â', Il dit à l'Ange: «Empêche
ou retarde la satisfaction de son besoin, car J'aime écouter sa voix et
son appel...» et que si au contraire Il le déteste, Il
commande à l'Ange: «Exauce son voeu, car Je déteste sa
voix...».
Quelle belle
nouvelle que celle que nous révèlent là ces Textes! Quel
serviteur ne sauterait-il pas de joie et ne se sentirait-il pas hautement
honoré en apprenant que le Tout-Puissant, le
Miséricordieux, écoute sa voix et aime l'écouter encore
plus! Devant un tel cadeau incomparable et un tel don inestimable que valent
tous les besoins et artifices de la vie terrestre! Ou comme le disent les Imams
(p) : «Que vaut la vie d'ici bas !?».
Là une autre
question surgit qui découle de ce qui vient d'être dit: le fait
qu'Allah aime écouter la voix du croyant, signifierait-il la
non-satisfaction de son besoin ? Les Textes des Infaillibles (P) nous
répondent à ce sujet que dans cette éventualité
Allah soit retarde la satisfaction de sa demande, soit le lui épargne
pour la Vie future. Ainsi l'Imam al-Sâdiq (p)
dit:
«Lorsqu'Allah aime un serviteur pieux (qui
L'implore) à l'Ange: "Satisfais le besoin de Mon
serviteur, mais sans hâte, car Je désire entendre sa voix et son
appel "».
Ici il est
clairement question de retarder l'exaucement de la Prière de demande du
priant. Dans un autre hadith, l'Imam al-Sâdiq
(p) dit :
«Le Jour
du Jugement Allah s'adresse au serviteur pieux et lui dit : "O
Mon serviteur! Tu M'as fait une demande et J'ai retardé la satisfaction
de ta demande, Je te récompense pour cela par ceci et ceci..."».
Ici, la
satisfaction de la Prière de demande est épargnée pour la
Vie future.
Or dans les deux
cas le serviteur gagne deux choses: dans le cas du retardement de la
satisfaction de son besoin, il aura finalement (même avec un peu de retard)
gain de cause pour son besoin terrestre, d'une part, et il est honoré,
et c'est cela qui est le plus important, par le privilège d'être
attentivement écouté par le Créateur, d'autre part. Dans
le cas de l'ajournement de la satisfaction de son besoin jusqu'au Jour du
Jugement, il a la haute satisfaction d'être écouté par
Allah, d'une part, et il aura la récompense spirituelle qui lui servira
d'épargne pour la Vie future, d'autre part. Ainsi dans tous les cas le
retard de l'exaucement de la Prière de demande est au
bénéfice du priant. Donc, pour un homme dans le besoin, dans la
détresse et aux abois, quel meilleur soulagement, quel meilleur
apaisement que de se sentir écouté par le Pourvoyeur absolu des
besoins, à travers la Prière de demande qu'il accomplit !
Avant de souligner
d'autres avantages découlant du retard de l'exaucement du do'â', notons que certains Textes islamiques nous
recommandent d'insister auprès d'Allah pour qu'Il satisfasse nos
demandes, et de ne pas hésiter à les répéter
inlassablement, et certains autres nous mettent en garde contre notre
hâte de vouloir voir nos prières exaucées et contre toute
manifestation de signes d'impatience lorsque nous n'obtiendrions pas la
satisfaction immédiate de nos besoins ou requêtes. Quelles conclusions
faudrait-il tirer de ces deux recommandations :
1- insister et
persévérer dans nos Prières de demande ?
2- éviter de
nous empresser de vouloir l'exaucement rapide de nos prières ?
Écoutons ce
que l'Imam al-Sâdiq (p) dit pour tenter
d'obtenir un début de réponse à cette interrogation :
«Allah a
pétri de Foi certains croyants, de sorte qu'ils n'apostasient jamais.
Mais d'autres croyants ont la Foi hésitante. Ceux-ci, s'ils se livrent
toutefois à l'imploration et y persistent, ils mourront croyants».
L'Imam répartit ici les croyants en deux
catégories: ceux qu'Allah a pétris de Foi et ceux à la Foi
hésitante. Les premiers sont assurés de mourir en croyants,
puisqu'ils ont la propriété de ne jamais apostasier, les seconds
pourront s'assurer une mort en croyants par la persistance dans le do'â'. Or, cette persistance dans le do'â' est la conséquence du retardement de
l'exaucement de leur prière de demande. On a donc là, un autre
avantage du retardement de l'exaucement du do'â',
retardement qui incite le croyant à persister dans sa Prière de
demande et à s'assurer de la sorte, qu'il mourra en croyant. Ceci est
d'autant plus important, que nous aspirons tous à mourir en croyants,
mais sans être certains si nous faisons partie de la première
catégorie de croyants, ceux que l'Imam al-Sâdiq
(p) qualifie de «pétris de Foi» et qui mourront certainement
croyants, ou de la seconde catégorie, «ceux à la Foi
hésitante» dont l'acte de la persistance dans le do'â' leur assure la mort en croyants.
Toutefois la
persistance dans le do'â' n'est-elle pas un
acte recommandé en soi, et en général, abstraction faite
et indépendamment de son exaucement ou non ? Pourquoi dès lors en
faire la conséquence spécifique du retardement ou de l'ajournement
de la satisfaction de besoins ou de requêtes ?
Il est indubitable
que la persistance dans do'â' est en soi un
acte très recommandé, mais si nous l'avons liée au
retardement de son exaucement, c'est pour attirer l'attention sur l'aspect
positif de ce retardement, car lorsque nous constatons que notre Prière
n'est pas exaucée, nous avons tendance à la recommencer
jusqu'à ce que nous obtenions satisfaction. C'est du moins ce que nous
suggèrent les Textes islamiques, dont nous citons un Hadith de l'Imam al-Sâdiq (p), rapporté par l'un de ses
compagnons, qui témoigne : «J'ai demandé à Abî Abdullah (l'Imam al-Sâdiq)
:
- Arrive-t-il
qu'Allah accède à la demande d'un homme qui L'implore de
satisfaire son besoin, tout en remettant à plus tard la
réalisation de son voeu?
- Oui,
m'a-t-il répondu.
- Pour quelle
raison ? Est-ce pour qu'il fasse davantage de do'â'
?
- Oui,
affirma-t-il.
D'autres Textes
expliquent que certains serviteurs ont tendance à cesser d'accomplir la
Prière de demande une fois leur demande satisfaite, et à la
recommencer dans le cas contraire. Par conséquent le retardement de la
satisfaction de la demande conduit le priant à reprendre le do'â' et à y persévérer
jusqu'à ce qu'il meure en croyant, et c'est ce à quoi aspirent le
plus, en fin de compte, tous les serviteurs.
Ceci concerne la
persévérance dans le do'â'.
Venons-en à
présent à la seconde partie de notre interrogation: pourquoi les
Textes islamiques nous mettent-t-ils en garde contre notre empressement de
vouloir voir notre do'â' exaucé et
contre notre impatience ou désespoir face à l'ajournement de cet
exaucement ? Ou en d'autres termes quel rapport y a-t-il entre cette mise en
garde et les donnes subséquentes à l'ajournement de l'exaucement
du do'â' ?
Écoutons
à ce propos la recommandation suivante de l'Imam al-Sâdiq
(p) ; elle nous servira de premier élément de réponse
à cette question :
- «Tout
va bien pour le croyant, et il peut compter sur la Miséricorde d'Allah,
tant qu'il ne s'empresse pas, et qu'il ne tombe pas dans le désespoir au
point de cesser de faire le do'â'».
- Et comment
s'empresse-t-il ?, lui demanda un compagnon.
- «En
disant : j'ai prié pour ceci et cela, mais je n'ai pas été
exaucé», répondit l'Imam (p).
Maintenant, si on
médite bien ce hadith, nous pouvons en déduire que le retardement
de l'exaucement de la Prière de demande s'inscrit en fin de compte dans
l'intérêt du priant, puisque le hadith dénote que le
croyant demeure couvert par la Bonté et la Miséricorde d'Allah
tant qu'il ne désespère pas et qu'il ne cesse pas de prier.
Mais de ce hadith
ne peut-on pas inférer également que le non-exaucement
du do'â' équivaudrait à
éviter au priant les préjudices -spirituels ou matériels -
qu'il pourrait subir, subséquemment à l'exaucement de sa
Prière de demande, étant donné qu'il ignore ce que la
satisfaction de sa demande pourrait entraîner ? Les Textes islamiques que
nous allons exposer permettent de répondre par l'affirmative.
* * *
En effet, les
différents do'â' que nous
récitons, les divers Textes légaux que nous rencontrons nous
indiquent clairement qu'aussi bien le non-exaucement
du do'â' que le retard de l'exaucement est dans
l'intérêt du priant, étant donné qu'Allah sait
certainement mieux que nous nos intérêts imprévisibles ou
les mauvaises conséquences que pourrait avoir ce qui nous semblerait de
prime abord dans notre intérêt. D'autre part, il faut nous
rappeler ce que nous avons déjà remarqué, à savoir
que l'exaucement du do'â' (acquérir une
grande fortune par exemple) entraîne de nouvelles charges et
responsabilités (le prélèvement des multiples droits
obligatoires et recommandés sur la richesse acquise, entre-autres).
Il ne faut pas perdre de vue, ensuite, qu'Allah octroie aux serviteurs ce qui
correspond le mieux à l'intérêt de chacun. Il y a enfin une
autre cause importante du non-exaucement du do'â' que nous révèle le Hadith suivant
du Prophète (P) :
«Il n'est
pas un Musulman qui prie Allah (pour une faveur) sans qu'Il ne lui accorde
l'une des trois choses suivantes : soit Il exauce promptement sa prière,
soit Il l'épargne pour lui, soit Il éloigne de lui un malheur
équivalent à la faveur demandée».
Ce qui nous importe
dans ce Hadith, c'est la troisième et dernière partie,
c'est-à-dire que faute d'exaucer le voeu du solliciteur, Allah
écarte de lui un malheur.
Or, il ne fait pas
de doute que l'éloignement d'un préjudice ou d'un malheur est
préférable à l'apport d'un intérêt ou
à l'obtention d'un avantage. C'est là une règle de bons
sens que personne ne saurait contester. Ainsi, supposons qu'un croyant prie
Allah de lui faire gagner une somme d'argent, et qu'Allah exauce son voeu.
Supposons ensuite que ce croyant soit affligé par la suite par une
maladie incurable, un événement tragique ou d'autres
épreuves insupportables. À quoi lui servirait alors la fortune
gagnée ? Cette fortune ne pourra ni le guérir de sa maladie, ni
le mettre à l'abri de l'événement tragique, ni le sortir
des épreuves insupportables. Or, en lui évitant un tel drame,
Allah lui aurait accordé une faveur certainement plus appréciable
que la fortune qu'il demandait. Donc le non-exaucement
du do'â' pourrait être un signe
très positif et appeler le priant à faire preuve de
reconnaissance envers Allah.
Ayant
terminé d'aborder les causes du non-exaucement,
du retardement, ou de l'ajournement de l'exaucement du do'â',
nous allons passer maintenant aux facteurs qui conduisent à exaucer nos
prières de demandes.
Les
facteurs de l'exaucement du Do'â'
Autant les Textes
islamiques nous recommandent d'accepter le non-exaucement
du do'â', autant ils incitent à ne
jamais désespérer de la Miséricorde d'Allah et à
rechercher les moyens de faire aboutir nos prières de demande et
à connaître et suivre les règles de bonne conduite qui
favorisent notre exaucement.
Mais avant
d'entamer le développement de ce sujet, il est nécessaire de
remettre en mémoire quelques faits que nous avons signalés
précédemment, à savoir qu'en règle
générale et en principe: qui dit do'â'
dit exaucement, ou en d'autres termes le do'â'
appelle l'exaucement, alors le non-exaucement est
l'exception à la règle. Toutefois, et c'est un fait difficile
à admettre de prime abord, l'exception pourrait se produire plus que la
règle, c'est-à-dire que le non-exaucement
(l'exception) l'emporterait sur l'exaucement (la règle). Par exemple,
pour trois voeux que nous formulerions dans notre Prière de demande,
nous n'en aurions qu'un seul d'exaucé, et
même aucun bien entendu. Mais alors, comment serait-il possible de nous
convaincre que l'exaucement soit la règle, lors bien même que le non-exaucement serait le plus fréquent ?
Écoutons ce
que les Textes islamiques nous affirment pour mieux comprendre ce qui nous
semblerait être un paradoxe :
- «Parmi
tous les actes de piété, le do'â'
est le plus aimé d'Allah».
- «Le do'â' est la moelle (la meilleure partie) de la
piété».
- «Ne te
lasse pas de faire le do'â', car il occupe une
haute position auprès d'Allah».
- «Le
plus incapable des gens est celui qui se montre incapable d'accomplir le do'â'».
Tous
ces hadith
définissent pour nous l'importance du do'â'
en général. Ils nous suggèrent que de même qu'il
nous est demandé de nous adonner aux actes de piété
recommandés: la multiplication de la Prière, l'aumône,
l'aide du prochain etc... (abstraction faite des
avantages terrestres qu'on pourrait en tirer ou non), de même il nous est
demandé d'accomplir le do'â' en tant
qu'acte recommandé, qui sera par conséquent
récompensé. Bien plus, et ce qui pourrait paraître
surprenant, à la question : «Vaudrait-il mieux la multitude de la
Lecture ou la multitude du do'â' ?» qui a
été posée à l'Imam (p), celui-ci répondit :
«La
multitude du do'â'».
Et l'Imam (p) de
corroborer son avis de ce verset coranique :
«Dis: Mon
Seigneur ne se souciera pas de vous sans votre Do'â'»
(Sourate al-Furqân, 25: 77)
Donc la
recommandation de la multitude de do'â', sans
tenir compte de son exaucement ou non, recèlerait sûrement des
secrets particuliers.
Venons-en à
présent aux facteurs de l'exaucement du do'â'
et aux règles de conduite qui s'y rapporte.
L'Imam al-Sâdiq (p) dit :
«Le do'â' est la source de l'exaucement de même que
les nuages sont la source de la pluie».
La signification de
ce hadith est on ne peut plus claire: de même que les nuages
débouchent forcément sur la pluie, de même le do'â' appelle nécessairement l'exaucement. Ce
qui confirme donc la règle que nous avons évoquée plus
haut, à savoir que notre Prière de demande est en principe suivie
d'exaucement, si, bien entendu, elle est accomplie dans le respect des
conditions et des règles de conduites qui lui sont inhérentes.
La première
condition de l'exaucement du do'â' doit
être notre certitude (la conviction) quant à son exaucement. En
effet le Prophète dit à ce propos :
«Priez en
ayant la certitude d'être exaucés».
Que signifie ce
hadith et quels enseignements faut-il en tirer ? De prime abord ledit Hadith ne
semble porter aucune signification particulière puisque nous savons tous
qu'il est absurde d'accomplir un do'â' tout en
étant préalablement désespérés de voir notre
prière exaucée. On peut penser aussi que cette recommandation
nous suggère qu'au cas où, atteints d'un grand malheur qui nous
accule dans un désespoir total quant à la possibilité de
nous y soustraire (en croyant par exemple, que notre malheur serait le produit
d'un Décret divin ou un destin prescrit par la Volonté divine),
nous ne devrions quand même pas cesser de prier. Mais lorsque nous
examinons ce Hadith dans son contexte, nous réalisons qu'il
suggère ceci : «Priez et ne dites pas que le sort est jeté,
car il y a auprès d'Allah une position (où le Décret divin
est susceptible de modification) qui ne peut être obtenue que par la
Prière de demande».
Donc notre
connaissance ou notre conviction que notre malheur serait un destin prescrit,
ne justifie nullement notre abandon du do'â'.
Bien plus, le Texte laisse entendre clairement que nous ne devrions pas nous
laisser gagner par le désespoir ni délaisser le do'â', lors bien même que le sort est
jeté réellement (notre malheur est la conséquence du
Décret divin) et non selon notre simple conjecture.
Écoutons ce
que l'Imam (p) nous dit à ce sujet :
«Je vous
recommande le do'â', car le do'â'
s'adresse à Allah et la demande est envoyée à l'Attention
d'Allah, Lequel peut conjurer un malheur, décrété et
décidé par Lui, et dont il ne reste que l'exécution. Et si
entre-temps on Le prie et Lui demande d'écarter le malheur, Il
l'écarte».
Cette
recommandation explique la portée du do'â',
ses effets et buts, ainsi que l'attitude que le priant doit prendre lorsqu'il
accomplit le do'â'. En premier lieu, elle nous
suggère que le malheur est décrété et le sort est
jeté, ce qui pourrait nous conduire à désespérer,
quant à la possibilité de nous échapper à ce qui
nous est imparti. Mais rapidement elle laisse entendre qu'une lueur d'espoir se
pointe quand même à l'horizon «il n'en reste que l'exécution».
Donc la décision n'est pas tout à fait irréversible, ni
sans appel, tant qu'elle n'est pas encore mise à exécution.
Et enfin, elle nous
dit comment procéder pour échapper à ce décret:
«en priant Allah et en Lui demandant de conjurer le malheur».
Là le désespoir s'estompe pour laisser réapparaître
la lueur de l'espoir dans le coeur du priant.
Ceci confirme donc
ce que nous avons dit au début de cette section: lorsque nous nous
mettons à prier, nous devrions avant tout avoir la certitude et la ferme
conviction que notre prière sera exaucée, lors bien même
que la Décision est prise.
Maintenant, ayant
bien appris que le do'â' doit dans tous les cas
de figure, être associé dans l'esprit du priant à la
conviction et à la certitude de son exaucement, et que le recours
à Allah conjure même le malheur décrété,
essayons de remplacer le mot malheur par le mot aisance ou bonheur, pour
formuler une nouvelle question: la nécessité de notre conviction
et certitude quant à l'exaucement de notre prière, lorsque nous
prions pour conjurer un malheur, vaut-elle aussi lorsque nous accomplissons le do'â' dans l'aisance (et non lorsque nous sommes dans
les difficultés ou le malheur) ? Ou en d'autres termes, l'exaucement de
notre do'â', dans une situation d'aisance,
est-il conditionné là aussi par notre certitude et notre
conviction que notre prière sera exaucée ?
Nous savons
déjà que Les Infaillibles (P) nous recommandent de nous adonner
au do'â' dans toutes les situations : aussi bien
quand nous sommes dans l'aisance que dans la difficulté. Mais on
objecterait que le do'â' est une prière
de demande, c'est-à-dire une demande de satisfaction d'un besoin. Or le
besoin engendre un état psychologique de tension que nous appelons
difficulté. Que signifie dès lors le recours au do'â' en l'absence de besoin ou de difficulté?
Et que signifie encore la recommandation de la pratique du do'â'
dans l'aisance comme la difficulté ?
Il faut savoir tout
d'abord que le do'â' ne signifie pas seulement
la demande de satisfaction d'un besoin terrestre, sa portée va bien
au-delà pour embrasser ce qui est bien plus important: la pratique de
notre devoir cultuel ou d'adoration conformément à ce qui nous
est demandé, ou en un mot l'acquittement de notre tâche
existentielle pour laquelle nous avons été créés,
comme le dit Allah :
«Je n'ai
créé les Djins et les hommes que pour
qu'ils M'adorent». (Sourate al-Thâriyât,
51:56).
Font partie de la
tâche existentielle :
- La demande de la
satisfaction des besoins liés à notre Vie future;
- La glorification,
la sanctification d'Allah etc. (thikr).
- La prière
pour autrui... et bien d'autres actes cultuels que nous mentionnerons
dans le chapitre des «sujets du do'â'».
Ce qui importe
maintenant, c'est de clarifier le sens de l'«aisance» et de son
rapport à la «difficulté» ou la
«tension», puisque l'Islam nous recommande d'accomplir dans
l'aisance un acte (le do'â') censé
manifestement nous secourir dans une situation de tension et de
difficulté.
Notons tout d'abord,
que les Textes islamiques nous demandent et recommandent de faire acte de
reconnaissance et de gratitude envers Allah, lorsque nous jouissons de
l'aisance et des bienfaits divins. Cet acte se traduit par des do'â' spécifiques qu'on trouve dans le Coran et
dans les Hadiths des Infaillibles (P).
Notons ensuite que
les Textes islamiques nous demandent et recommandent de nous protéger du
malheur ou des difficultés par le do'â',
lorsque nous vivons dans l'aisance.
Maintenant
examinons deux recommandations islamiques relatives à ce sujet pour
essayer de comprendre pourquoi il faut prier dans nos situations d'aisance pour
conjurer des malheurs éventuels qui nous guetteraient ?
- La
première recommandation dit :
«Quiconque
anticipe la Prière de demande (de protection), serait exaucé si
le malheur venait à le frapper. Car on (les Anges) dit alors :
"C'est une voix familière" et on ne l'empêche pas de
parvenir au Ciel. Mais celui qui ne fait pas le do'â'
par anticipation, ne sera pas exaucé, s'il venait à être frappé
par le malheur, car les Anges diraient alors : " C'est une voix
inconnue" ».
- La seconde
recommandation précise :
«Celui
qui craint d'être atteint d'un malheur à venir, et qui prie par
anticipation (pour s'en prémunir), Allah ne le fera jamais voir ce
malheur».
Bien que la
signification de cette seconde recommandation soit implicitement
indiquée dans la première, nous la mentionnons à part en
raison de son caractère indépendant.
Lorsque nous
examinons de près la première recommandation, nous constatons
qu'elle implique une conversation entre les Anges, dont les uns disent aux
autres qu'ils entendent des voix familières et d'autres inconnues. Que
veulent-ils dire exactement par là ? «Que la voix de ce
priant-ci, qui fait le do'â' lorsqu'il se
débat dans les difficultés ne nous est pas familière, car
il ne prie pas Allah lorsqu'il jouit dans l'aisance. Nous allons donc
empêcher sa voix de parvenir au Ciel. Tandis que la voix de ce
priant-là, qui implore Allah dans toutes les circonstances, nous est
connue, donc elle pourra franchir les barrières».
Ainsi, le message
est clair: il faut prier constamment et dans toutes les circonstances afin que
notre do'â' lors d'un malheur soit
exaucé.
Il en va de
même pour la seconde recommandation : elle se résume comme suit :
si nous accomplissons le do'â' par crainte
d'être frappé d'un malheur à venir, notre do'â' sera exaucé, si le malheur venait
à nous frapper effectivement. Mais pourquoi ? La réponse est
claire. Il nous est demandé de maintenir des rapports constants et
permanents avec le Miséricordieux. Car, même dans nos relations
avec les gens ordinaires, si nous traitions avec les autres qu'en fonction de
nos intérêts et que nous les contactions uniquement lorsque nous
avons besoin d'eux, ces relations seraient froides, artificielles et
dépouillées de toute dimension humaine. Que dire alors de nos
relations avec notre Créateur !
Le Hadith suivant
du Prophète (P) résume parfaitement tout ce qui vient
d'être dit à cet égard:
«Rappelle-toi
Allah quand tu es dans l'aisance, IL S'occupera de toi lorsque tu
t'empêtreras dans la difficulté».(6)
* * *L'un des facteurs de l'exaucement du do'â' est de faire précéder (ou de
commencer) la Prière de demande par la glorification d'Allah et la
prière sur Son Prophète (P) et les Membres bénis de Sa
Famille (Les Ahl-ul-Bayt -p-).
«Pourquoi
cela?» peut s'interroger un esprit rationnel. Rappelons d'abord qu'il
n'appartient pas au priant, ou à quiconque traite avec Allah en général,
de rechercher absolument les secrets ou les causes cachées des
instructions de la Charia concernant les modalités de
l'accomplissement de ses devoirs religieux. Cependant lorsque nous interrogeons
les textes islamiques relatifs à ce sujet, nous pouvons découvrir
grâce à notre clairvoyance, nos expériences de la vie, ou
notre culture, une partie de ces secrets.
Écoutons
donc ce que l'Imam Ali (p) dit à cet égard :
«Il faut
faire les louanges d'Allah et prier sur Son Prophète, avant de formuler
les voeux, car lorsque l'un de vous va voir quelqu'un pour lui demander de lui
rendre un service, il doit commencer par le saluer (ou lui dire un mot aimable)
avant d'exposer sa requête».
L'Imam al-Sâdiq (p), quant
à lui, dit à peu près la même chose :
«Si quelqu'un
d'entre vous demande à Allah de lui satisfaire un besoin, qu'il commence
par Le louanger et Le complimenter, car lorsqu'un homme a un besoin chez le
gouvernant, il lui dit la plus belle parole qu'il soit capable de dire».
Ces deux
recommandations prennent à témoin nos expériences de la
vie quotidienne, pour nous dire que les règles naturelles de la
politesse requièrent que nous adressions les meilleures paroles à
des gens ordinaires ou de haut rang social, lorsque nous avons besoin d'eux, et
que par conséquent le Très-Haut mérite bien plus que
quiconque d'être louangé pour les bienfaits que nous Lui demandons
de nous accorder. Mais on objectera qu'Allah est loin d'avoir besoin de nos
compliments, alors que les hommes si, et que subséquemment la comparaison
ne tient pas debout. Et nous répondons que, certes, Allah est la
Perfection même et qu'Il n'a absolument besoin de rien ni de personne,
mais qu'il s'agit d'apprendre à l'homme d'acquitter ses devoirs cultuels
de la meilleure façon. Nous savons tous en effet, que l'être
humain fonde tout son comportement sur une valeur (quelle qu'elle soit). Or,
pour ce qui nous concerne, étant conscients qu'Allah est notre
Créateur et le Créateur des valeurs auxquelles nous croyons, ne devrions-nous
pas, spontanément et en nous fondant sur ces valeurs elles-mêmes,
apprécier au plus haut degré leur Créateur ?! Bien plus,
ne devrions-nous pas nous sentir coupables de manquement à notre devoir
cultuel à cet égard !? Surtout lorsque nous nous
référons à cette affirmation des Infaillibles (P) :
«Allah n'est jamais adoré comme Il le mérite vraiment»
ou en d'autres termes, nous ne louangeons jamais assez notre Bienfaiteur
Suprême. C'est seulement lorsque nous prendrons conscience de
l'insuffisance criante de nos témoignages de reconnaissance envers notre
Créateur, que nous comprendrons le sens et le pourquoi de la
recommandation de commencer notre Prière de demande par l'éloge
d'Allah. Sachant que cette conscience cultuelle n'est le fait que de l'élite
des serviteurs d'Allah, il ne nous est pas difficile de saisir que cette
recommandation vise à entraîner et à éduquer le
commun des mortels, à se comporter le plus parfaitement possible avec
Allah. Ainsi, nous nous entraînons d'abord à sortir de notre ego
pour nous diriger objectivement vers Allah en Le glorifiant. Nous nous entraînons ensuite à la prise de
conscience qu'Allah s'ouvre à Son serviteur autant que celui-ci s'ouvre
à Lui, en Le glorifiant.
Ce qui
précède explique partiellement le pourquoi de la recommandation
de la glorification d'Allah par laquelle on doit commencer le do'â'. Passons maintenant à la justification
de la recommandation de la prière sur le Prophète d'Allah et sur
les membres bénis de sa Famille (les Ahl-ul-Bayt).
Les Infaillibles
(le Noble Prophète et les Imams d'Ahl-ul-Bayt
-P-) constituent l'Élite qu'Allah a choisie parmi les serviteurs, en
tant que pratiquant la piété et l'obéissance à
Allah à la perfection. À ce titre, leur amour des gens constitue
l'un des traits de leur conduite. De là, leur position
particulière auprès d'Allah d'une part, et leur amour des gens
d'autre part, expliquent en partie pourquoi nous devons prier sur eux avant de
demander la satisfaction de nos besoins, sans oublier qu'en priant sur eux,
nous nous exerçons en fait à nous départir de notre ego,
à sortir des murs de nous-mêmes vers l'extérieur, pour
porter notre intérêt à des valeurs plus sublimes, aux
autres, c'est-à-dire être altruiste ou cultiver notre altruisme(7) et notre abnégation.
Un autre facteur de
l'exaucement du do'â' consiste à prier
de mémoire (par coeur) pour les autres ou pour nos frères
musulmans en général. Cette règle de politesse du do'â' revêt une importance particulière,
car elle a trait à l'hygiène psychologique (ou mentale) et vise,
entre bien d'autres, à entraîner le croyant à l'acquisition
et à l'apprentissage d'un comportement sain et normal. En effet, l'un
des traits les plus saillants de la personnalité normale ou saine est le
détachement du soi, d'une part, et l'ouverture sur les autres, d'autre
part. Le détachement du soi consiste à ne pas concentrer notre
intérêt sur nous-mêmes et à ne pas nous soucier de
nous-mêmes, ou en un mot, être non égoïste; et l'ouverture
sur les autres signifie : nous soucier principalement des problèmes et
des soucis des autres, ou en un mot être altruiste.
Les
spécialistes de l'hygiène psychique s'accordent pour affirmer que
le fait de s'occuper et de se soucier des soucis des autres fait oublier nos
propres soucis. Autrement dit, lorsque nous nous occupons et préoccupons
d'autrui, nous n'avons plus le temps de nous en faire pour nos propres affaires
et nos propres soucis. Or quelle manne pour l'homme et quelle meilleure
santé psychique que d'être mis hors d'atteinte du stress et des
angoisses qu'engendrent généralement les soucis personnels!
À cet avantage de taille que nous procure notre comportement altruiste
s'ajoute un autre qui en dérive ou s'y enchevêtre : notre do'â' pour autrui est un entraînement à
l'amour d'autrui ; or l'amour d'autrui c'est l'essence de la constitution
humaine, car sans l'amour l'homme est dépouillé de son
humanité.
Précisons
avant de présenter les recommandations de prier pour autrui, que
celles-ci font partie évidemment des recommandations islamiques qui nous
incitent à nous ouvrir aux autres dans toute notre conduite et non
seulement pendant le do'â'. Mais ici nous nous
limitons bien entendu au cadre de la Prière de demande. Passons en revue
les recommandations qui nous occupent : L'Imam al-Redhâ (p)dit :
«Il n'y a
pas un Musulman qui prie pour ses frères et soeurs croyants et
Musulmans, vivants ou morts, sans qu'Allah ne lui attribue des
récompenses au nom de chaque croyant et chaque croyante depuis qu'Il a
envoyé Adam et jusqu'à la résurrection de l'Heure».
Il est clair que
cette recommandation nous invite à prier à tous les Musulmans, et
nous promet pour cela une immense récompense. Mais ce qui mérite
notre attention dans ladite recommandation, c'est sa portée psychologique
aussi, puisque le simple fait de nous soucier des affaires et du sort des
autres (que nous ne connaissons pas) rehausse notre conduite au niveau du
sommet de l'altruisme, du désintéressement et de
l'abnégation, ou de la conduite normale et saine. Car la recommandation
nous suggère que plus le nombre des croyants pour lesquels nous prions
augmente, plus notre récompense sera élevée, et plus notre
altruisme s'élargit, plus le caractère sain de notre conduite
s'affirme.
En ce qui concerne
notre prière pour un frère ou nos frères en
général, nous remarquerons que les recommandations des
Infaillibles (P) laissent entendre que notre récompense ne sera pas
seulement spirituelle ou eschatologique mais également terrestre, et
expliquent la raison de ces récompenses par notre amour de nos
frères :
«La
Prière de demande, dite par coeur, pour ton frère, t'apportera la
subsistance, éloignera de toi le malheur, et tu obtiendras une
récompense spirituelle».
«Lorsque
les Anges entendent un croyant prier pour son frère croyant par coeur ou
dire du bien de lui, ils diront : "Quel bon frère tu es pour ton
frère! À cause de ton amour pour ton frère, tu es
exaucé».
Il ressort de ces
Textes que la Prière de demande en faveur de nos frères nous
apporte des avantages que nous n'aurions pas si nous priions pour nous-mêmes:
l'exaucement de notre do'â', le redoublement de
la récompense spirituelle, la croissance de la subsistance,
l'éloignement de malheurs etc. Tout ceci renforce donc notre motivation
de continuer à prier pour nos frères, développe en nous
par conséquent la tendance à l'altruisme et contribue en fin de
compte à l'équilibre et à l'hygiène psychiques de
notre personnalité, car le fait d'être assurés de notre
gagne-pain de la sorte, sans passer par un conflit d'intérêt ou de
compétition avec les autres - conflit qui engendre en nous
généralement la tension et la haine - mais bien au contraire par
notre bienveillance envers eux, nous avons tout intérêt à
cultiver notre allocentrisme(8) en nous souciant
de nos frères.
On remarque d'autre
part que les recommandations précitées, nous demandent de prier
«par coeur» pour nos frères et de prier pour eux avant de
prier pour nous-mêmes dans nos do'â'. La
raison de cette priorité donnée à l'autre aux
dépens de soi-même, s'explique facilement, puisque nous savons
déjà que la prière pour autrui vise à cultiver en
nous l'altruisme, et que faire passer l'intérêt des autres avant
l'intérêt personnel ne fait que confirmer et renforcer cet altruisme.
Les recommandations
de prier pour autrui visent encore d'autres objectifs, dont le
développement du sentiment collectif ou social. Il s'agit
d'entraîner les croyants à la transformation de leurs sentiments
individuels en sentiments sociaux et communs. En fait la Prière de
demande pour un frère ou pour les croyants en général
constitue un acte social et non individuel, puisque l'acte social se
réalise par l'établissement d'une relation entre deux parties,
c'est-à-dire entre deux individus ou plusieurs, entre les membres d'un
groupe, d'une communauté, d'un peuple ou d'une société. De
quelle façon le do'â' peut-il engendrer
ce sentiment collectif ?
L'Imam al-Sâdiq (p) dit :
«Il n'y a
pas un groupe de quarante personnes qui se réunissent pour prier les uns
pour les autres en vue de la réalisation de leurs voeux sans qu'Allah ne
les exauce».
Il n'est pas
difficile de constater que cette recommandation concorde avec l'ensemble et les
différentes recommandations islamiques qui nous invitent à
coopérer entre nous, les croyants, à échanger des visites,
à nous aider les uns les autres, à nous solidariser, à
établir des liens permanents entre nous, à consolider constamment
nos liens, à nous aimer les uns les autres, à engendrer en nous
l'esprit collectif au détriment de l'esprit individualiste. Donc
l'importance particulière de l'accomplissement du do'â'
de cette façon collective réside en ceci que lorsque ces quarante
croyants se réunissent pour prier les uns pour les autres en vue de
l'exaucement de leurs voeux respectifs, ils ont la garantie d'être tous
exaucés d'une part, et gagnent d'autre part un avantage social de
taille: la constitution d'un groupe solidaire ou la consolidation de leurs
relations sociales.
Il y a une autre
forme de do'â' collectif ou commun qui
mérite d'être soulignée. Elle consiste en la réunion
de deux parties en vue d'une prière de demande commune. Dans cette
réunion une partie se charge de formuler le do'â',
l'autre de prononcer le mot "âmmine"
après la formulation faite par la première. Cet acte social
accompli par deux individus ou deux parties sous-tend un acte commun entre les
deux participants qui sont mus par les mêmes sentiments et qui
poursuivent le même but (l'exactement, comme l'ont fait les quarante
individus).
Les deux modes
précités d'accomplir le do'â'
appartiennent à un même type de do'â'
commun et favorisent l'exaucement de celui-ci. Une autre recommandation
confirme l'importance de ce mode de do'â' et
nous dit que si nous voulons que notre Prière de demande soit
exaucée, nous devrions inviter des frères croyants à un
repas et leur demander de prier pour nous à table. Ces différents
hadiths soulignent donc la pertinence de la pratique sociale ou collective du do'â', pratique qui a l'avantage de nous apprendre un
comportement sain et de contribuer à l'exaucement de nos voeux.
Nous avons
déjà traité de certaines règles de politesse du do'â', telle celle qui requiert que nous commencions
celui-ci par les louanges d'Allah, la prière sur le Prophète (P)
et ses Ahl-ul-Bayt (p) etc...
À
présent nous allons aborder d'autres règles de politesse du do'â', dont certaines concernent le rapport du priant
aux finances ou plus précisément au gain et aux dépenses,
et d'autres se rapportant à ses gestes et à sa tenue corporelle.
Mais quel rapport y
a-t-il entre le mode de gagner ou les activités mercantiles du priant et
l'exaucement du do'â' ? dira-t-on.
Lorsqu'on examine
les Textes législatifs islamiques, on remarque que les recommandations
du gain et de la recherche du revenu légal y occupent une grande place.
En fait, ces recommandations ne se rapportent pas uniquement à la
question de l'exaucement du do'â', mais
dépassent de loin ce cadre pour concerner l'ensemble de la conduite
cultuelle de l'homme en général et ses conséquences sur
son destin eschatologique. L'une des raisons de cette insistance sur le
comportement financier du croyant tient sans doute au caractère
impérieux de l'instinct du gain et de la possession de la nature
humaine. Car si l'on admet que les pulsions, les instincts ou les inclinations
de l'homme sont répartis entre ce qui est impérieux (dont la
satisfaction est impérative) tel que le besoin de nourriture (le manger
et le boire), ce qui est nécessaire, tel que le besoin de logement, de
vêtements etc., et ce qui est accessoire ou secondaire, tel que le besoin
de loisirs, de voyage, de confort etc., on constate que l'argent est le moyen
par excellence dont l'homme se sert pour satisfaire toutes ces
catégories de besoins. Cela revient à dire que notre effort en
vue de nous procurer de l'argent demeure notre premier souci ou notre
première obsession, abstraction faite de la nature légale ou
illégale du moyen utilisé. Ceci dit, notre vie terrestre
étant une épreuve à laquelle Allah nous a soumis, la
législation islamique nous commande de ne recourir qu'aux moyens
légaux (le gain halâl) pour
satisfaire nos besoins. Et si le gain légal ou halâl
favorise l'exaucement de notre do'â', c'est
parce qu'il se rapporte à la purification du corps et du coeur,
conformément au principe qui veut que celui qui purifie son argent purifie
nécessairement son corps et son coeur, car la purification du corps est
liée à la nourriture saine et pure qui le développe, et
conduit à la purification du coeur (ou de l'esprit), donc au psychisme
de la personnalité, puisque comme on le sait - les psychiatres et les
psychologues le confirment - le fondement chimique influe sur les aptitudes
mentales et psychiques pendant toutes les étapes du développement
de l'homme : de l'enfance à la maturité.
Si le gain
légal - le revenu - est l'un des moyens de la purification de l'argent,
un autre moyen de cette purification est l'aumône - les dépenses
-. Et comme il y a un rapport de cause à effet entre la purification de
l'argent et l'exaucement du do'â', les Textes
islamiques présentent l'aumône comme un facteur de l'exaucement de
notre Prière de demande. Ce rapport de causalité s'explique
d'autant plus facilement que la législation islamique insiste sur la
nécessité pour les croyants de dépenser (sacrifier) une
partie de leurs biens sur le Chemin d'Allah et d'offrir
généreusement l'aumône aux nécessiteux afin de
s'approcher d'Allah, de gagner Sa faveur et de se conformer aux exigences de
leur épreuve terrestre, laquelle passe comme nous l'avons dit par le
sacrifice. D'autre part, de même que nous subvenons au besoin de
quelqu'un par notre aumône, de même Allah nous en récompense
par la satisfaction de notre besoin ou par l'exaucement de notre Prière
de demande. Par ailleurs, lorsque nous offrons une aumône à un
nécessiteux, il est normal que celui-ci prie pour nous en signe de
reconnaissance. Or, nous avons noté plus haut, que la Prière de
demande faite par une tierce personne en notre faveur a plus de chance
d'être exaucée que celle que nous faisons pour nous-mêmes.
De là, on peut comprendre l'importance du rôle de l'aumône
dans l'exaucement du do'â'.
Passons à
l'autre catégorie de règles de la politesse du do'â, ou de facteurs de son exaucement. Il s'agit de
la tenue corporelle du priant. Par tenue corporelle nous entendons l'attitude
corporelle du priant, les expressions corporelles: le fait de lever les mains
vers le ciel, abaisser la tête, courber le buste, pencher le cou etc, ainsi que toute autre expression corporelle qui
exprime le recueillement, l'humilité et la servitude devant le
Tout-Puissant. Pour mieux comprendre le rôle de l'attitude corporelle du
priant dans l'exaucement de sa Prière, il faut se rappeler ce qui à été dit à ce propos lorsque
nous avons abordé la place des pleurs ou de l'affectation des pleurs
pendant le do'â'. Nous avons montré comment
le versement de larmes (expression extérieure) reflète
l'état intérieur ou psychique (la tendresse du coeur, entre-autres). Certes, les expressions extérieures
diffèrent les unes des autres, mais elles versent toutes dans un seul et
même confluent: le recueillement, la componction et l'humilité
devant le Pourvoyeur des besoins. Écoutons ce que l'Imam Ali al-Redhâ (p) dit à l'un de ses compagnons, qui
lui avait demandé la raison du lever de nos mains pendant le do'â' :
«Allah a
prescrit à Ses créatures différentes sortes de culte ou de
témoignage de servitude... Ainsi, Il leur a prescrit, lors du do'â', de la requête et de l'imploration, le
lever des mains vers le ciel par soumission, comme signe de servitude et
d'humilité envers Lui...».
Si on contemple ce
Hadith, on voit bien qu'il établit un lien entre le principal trait de
l'attitude du serviteur vis-à-vis du Créateur (la servitude
absolue) et le trait spécifique de son attitude lors du do'â': la soumission. Ceci dit, il est clair que le do'â' étant une prière de demande de la
satisfaction d'un besoin, l'état d'âme associé au
désir ardent de la réalisation de notre voeu, nous impose de
faire montre d'humilité devant la Source de la Satisfaction ou le Pourvoyeur
des besoins.
L'Imam al-Sâdiq (p) nous fait
découvrir une autre raison de ce lien entre le lever des mains et
l'exaucement du do'â' :
«Il n y a
pas un serviteur qui tend la main vers Allah, le Puissant, le Terrible, sans
qu'Allah ne se sente gêné de la retourner vide et n'y mette tout
ce qu'Il veut de la Grâce de Sa Miséricorde».
Sachant que c'est
notre main qui est censée recevoir ce que nous demandons ou sollicitons,
nous pouvons saisir toute la signification du fait «qu'Allah ne la
retourne pas vide». Et c'est ce que nous aurons l'occasion de
développer dans d'autres chapitres.
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Notes **********************************
1. Thikr: l'invocation d'Allah sous
ses différentes formes: les louanges d'Allah, la glorification, le takbîr, le tahlîl
(proclamer; La ilâha illâ-llâh,
il n'y de Dieu qu'Allah) etc.
2. Voir, par exemple, "Mafâtîh al-Jinân",
de Cheikh Abbâs al-Qummî.
3. "Béhaviorisme,"
Encyclopédie Microsoft (R) Encarta (R) 97. (c) 1993-1996 Microsoft
Corporation.
4. Sourate Ghâfir,
40:60.
5. Sourate al-Baqarah,
2:186.
6. Rapporté par Abû-l-Qâcim Ibn Buchrân
dans son "Amâlî", en citant le
témoignage d'Abû Hurayrah.
7. L'altruisme est une doctrine
qui considère le dévouement à autrui comme la règle
idéale de la moralité. (Voir "Le petit Robert), Ndt.
8. Allocentrisme : Attitude psychologique qui consiste à considérer les autres comme centre d'intérêt. (Le Petit Robert) Ndt.