De prime abord, le sujet de ce livre pourrait laisser indifférent, car on pourrait croire qu'il s'agit d'un thème vieux comme l'histoire des religions, évident comme la foi et trop classique pour apporter quoi que ce soit de nouveau au monde et à l'homme contemporain.
Mais dès qu'on passe à la lecture, l'intérêt du sujet s'impose et, au fur et à mesure qu'on s'y plonge, on découvre qu'il est doublement d'actualité.
Le premier volet de son actualité se situe au niveau du monde islamique. En intitulant son livre: " L'Esprit du Monothéisme", l'auteur met en évidence la lutte acharnée qui oppose, aujourd'hui, ceux qui oeuvrent pour que le monothéisme, - colonne vertébrale de l'Islam -, recouvre sa signification authentique, son esprit et sa lettre, sa raison d'être, c'est-à-dire sa qualité spirituelle de base d'un mode de vie pratique, d'un programme social, politique et économique, et d'une philosophie universelle qui offre à l'homme, à la société et à l'humanité, la possibilité de vivre en parfaite harmonie avec le vaste univers (le milieu naturel) qui les entoure et d'en tirer le meilleur profit - et ceux qui persistent à vouloir le vider de son contenu en l'acculant à une existence passive et formelle et en le réduisant à une affaire intime entre l'homme et son Seigneur.
Le second volet de son actualité apparaît au niveau de la pensée moderne. L'auteur s'ingénie, en effet, à ramifier le thème de l'unicité en s'appuyant sur des dizaines de versets coraniques savamment choisis et pertinemment regroupés autour d'une diversité de thèmes qu'on pourrait bien intituler, selon la terminologie moderne: la liberté de l'homme, la lutte des classes, la libération de l'homme, l'exploitation de la nature, la propriété, l'égalité des hommes...
Chacun de ces thèmes trouve, certes, au sein de la pensée moderne, ses tenants, ses défenseurs et même ses détracteurs. La philosophie monothéiste authentique a la particularité de les contenir dans une vision globale où ils vivent en symbiose, harmonie et complémentarité.
L'auteur s'adresse non seulement à certains monothéistes contemporains qu'il compare à ces "hanafites" mekkois de l'époque préislamique, qui se voulaient monothéistes tout en vivant, sans sourciller, des situations jahilites qui contredisaient l'esprit de leur doctrine, mais également à tous ceux qui luttent pour la libération de l'homme, pour défendre les déshérités et les opprimés, afin qu'ils tournent leurs regards vers l'esprit du monothéisme et y trouvent l'incarnation de leurs objectifs et les solutions à leurs préoccupations.
Au travers d'un exposé historique des messages divins, l'auteur nous montre que ce n'est pas un hasard si chaque fois qu'un prophète apporte un message, ses adversaires se trouvent du côté des tyrans, des possédants, des nantis, en un mot des Mustakbirine, alors que ses partisans se recrutent parmi les dépossédés, les déshérités, les opprimés, en un mot les Mustadh`afine. On a là un beau sujet de réflexion et de méditation pour tous les défenseurs des opprimés, de la libération et des droits de l'homme!
Le jour où le Prophète de l'Islam porta le Message de la libération de l'homme et lança le slogan: «Point de divinité, si ce n'est Dieu», il se heurta à une vive opposition et à une résistance violente à la tête desquelles figuraient les chefs et les notables des tribus. Les autres opposants étaient les subalternes et les suivants des grands seigneurs.
Ceux-ci ont affronté le Prophète et le groupe de croyants qui l'entourait, tout d'abord par les plus simples armes d'agression: chuchotements, clins d'oeil et moqueries. Puis, à mesure que le mouvement monothéiste se développait, ils recouraient à des armes plus dangereuses et plus meurtrières. Le front de l'opposition n'a cessé de répéter, pendant les treize années qui ont précédé l'Emigration (l'Hégire), ces scènes honteuses où l'injustice s'acharnait sur le bon droit.
Cette vérité historique mérite qu'on l'examine avec plus de soin et de précision car elle constitue un indice important pour la compréhension profonde de l'Islam et de l'Unicité qui forme la colonne vertébrale de l'Islam.
Il est très regrettable et tragique pour tous ceux qui appellent à la libération de l'homme de voir la conception du monothéisme dévier à notre époque; car cette conception constitue la base la plus profonde du contenu des religions, et aucune autre conception ne l'égale quant à la profondeur de sa propension à libérer l'homme et à sauver l'humanité martyrisée tout au long de l'histoire. A notre connaissance, les messages divins ont oeuvré en général et à travers l'histoire, en vue de changer la société et de l'orienter vers une voie susceptible de servir les intérêts de l'Homme, de sauver les masses déshéritées et opprimées et de mettre fin à toutes les formes d'injustice, de discrimination et d'agression. Selon Eric Froom, le contenu moral de toutes les grandes religions aspire à la science, à l'amour fraternel, à la solidarité, à l'indépendance et au sens de la responsabilité (il y a évidemment d'autres aspirations nobles et sublimes qu'un penseur matérialiste ne pourra saisir).
Toutes ces aspirations et espérances sont contenues dans le principe de l'Unicité. Les prophètes présentaient tous leurs objectifs à travers le slogan de l'Unicité. Ils réalisaient ces objectifs ou facilitaient leur réalisation par un combat qu'ils menaient au nom de ce slogan.
Nous avons dit que les affrontements qui ont eu lieu à l'aube de l'Islam peuvent nous révéler une vérité importante relative à la conception de l'Unicité, à savoir que le slogan "Point de divinité, si ce n'est Dieu" s'est dirigé d'abord contre ceux qui l'ont combattu et lui étaient hostiles, en l'occurrence la classe dirigeante et puissante de la société.
La réaction que manifestent les adversaires de tout mouvement de changement dans une société donnée exprime toujours clairement les orientations sociales de ce mouvement ainsi que la portée de l'influence de celles-ci. Et, pour bien connaître les orientations du mouvement en question, il suffit d'étudier la nature et l'appartenance de classe de ses adversaires. De même, on peut mesurer la portée de son influence en tenant compte du degré d'hostilité de ses ennemis à son égard.
Tout ceci nous permet d'affirmer que l'étude du front des adeptes des messages divins et du front de leurs ennemis constitue l'une des méthodes sûres pour comprendre avec pertinence ces messages.
Lorsque nous nous apercevons que les catégories des gens aisés étaient toujours à la tête de ceux qui combattaient les messages divins, nous réalisons clairement que ceux-ci s'opposent - de par leur nature - à celles-là (les catégories des gens aisés), s'opposent à leur tyrannie et à leur vie luxueuse et s'opposent surtout et fondamentalement à la discrimination de classe qui privilégie ces catégories aux dépens des autres.
Avant de traiter du monothéisme (ou de l'Unicité) sous cet angle, c'est-à-dire du combat du monothéisme contre toutes sortes de domination sociale, il est indispensable de signaler tout d'abord que ce sujet ne se limite pas au cadre d'une théorie philosophique intellectuelle, comme le laisse croire une idée répandue, mais qu'il constitue une théorie fondamentale sur l'homme et l'univers, et un programme social, économique et politique de la vie.
Il est rare de trouver dans les lexiques religieux et non religieux un vocable exprimant aussi bien que le mot "unicité", les notions révolutionnaires constructives et les dimensions sociales et historiques de l'homme. Ce n'est point par hasard si tous les messages et les mouvements théistes dans l'histoire commencent leur appel par l'annonce de l'unicité de Dieu et la limitation de la seigneurie et de la divinité à Dieu seul.
Nous pouvons résumer les dimensions du contenu de l'unicité en ce qui suit:
a) L'unicité sur le plan de la conception (la conception générale de l'unicité et de la vie) signifie:
1- L'unicité de l'ensemble du monde, l'harmonie et la concordance dans ses composants et de ses éléments.
Le principe de la création est un, et tous les "créés" sont régis par ce principe unique. Il n'y a pas de divinité multiple derrière la création du monde et sa direction, ce qui implique l'unité de tous les composants de l'univers quant à leur constitution et leur orientation:
«...Sans que tu voies de failles dans la création du Miséricordieux.»
«N'ont-ils pas réfléchi en eux- mêmes? Dieu n'a créé les cieux et la terre et ce qui se trouve entre les deux qu'en toute vérité et pour un temps déterminé.»
Selon cette conception, le monde en mouvement est un convoi dont les composants sont reliés les uns aux autres, comme les maillons d'une même chaîne et comme les rouages d'un appareil fonctionnant dans un seul objectif. La signification réelle et le devoir de chacun de ces rouages (ou composants) sont déterminés par la position qu'il occupe dans l'ensemble de la composition. Tous les rouages s'entraident et se parfont dans cette marche complémentaire empressée. Chacun de ces rouages constitue un outil nécessaire au groupe. Tout arrêt, toute avarie, tout ralentissement, toute déviation dans l'un d'entre eux conduit au ralentissement, à la panne ou à la déviation de l'ensemble de l'appareil. De cette façon, tous les atomes se rattachent les uns aux autres par un lien "moral" profond.
2- Elle signifie aussi que le monde a une finalité, qu'il est fondé sur un calcul précis et sur une précision parfaite, et que chacun de ses composants a une âme et une signification: le monde a un Créateur Avisé. Il s'ensuit que l'origine de la création, ainsi que beaucoup de ces composants, ont une finalité, une direction et un but.
«Nous n'avons pas créé par jeu le ciel, la terre et ce qui se trouve entre les deux».
Toujours selon cette conception, le monde dans son ensemble n'est ni désemparé, ni absurde. Il est plutôt comme une machine fabriquée en vue d'un but précis. On peut s'interroger sur son objectif mais point sur l'origine de cet objectif. Il est comme un poème à thèse sur lequel il faut bien méditer pour en comprendre le contenu, et que l'on ne peut guère considérer comme une voix émanant d'un mouvement fortuit.
3- Et mieux encore, elle signifie que toutes choses et que tous les éléments de l'univers sont soumis à Dieu.
Dans cet ensemble d'éléments, aucun élément n'est ni anormal, ni rebelle. Toutes les lois de la Nature (ainsi que tout ce qu'elles régissent) sont soumises à Dieu et sont Ses serviteurs. L'existence des lois constitutives et naturelles sur le stade de l'univers n'abolit point la Seigneurie de Dieu ni le principe de Dieu:
«Tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre se présentent
au Miséricordieux comme de simples serviteurs».
(Marie <Maryam>, 19: 93)
«Ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre Lui appartient
en totalité; tous Lui adressent leurs prières».
(La vache <al-Baqarah>, 2: 116)
«Ils n'ont pas estimé Dieu à Sa juste mesure. La terre entière, le Jour de la Résurrection, sera une poignée dans Sa main et les cieux seront pliés dans Sa main droite. Gloire à Lui! Très Elevé au-dessus de ce qu'ils Lui associent!».
b) L'unicité sur le plan de la conception de l'homme signifie:
1- L'unité des êtres humains et l'égalité de leur lien avec Dieu.
Dieu est le Seigneur de tout le monde. Personne n'entretient de rapports privilégiés - fondés sur la nature de l'homme - avec Dieu, et personne n'a de lien de parenté avec Lui. IL n'est pas le Dieu d'un peuple particulier ou d'une tribu en particulier. IL n'a pas choisi un peuple en particulier pour en faire le maître des autres peuples. Tous les hommes sont égaux devant Dieu. Personne n'a une position privilégiée auprès de Dieu si ce n'est par la bonne action et par l'assiduité à servir les gens et à appliquer les prescriptions divines qui subliment l'homme.
«Ils ont dit: "Dieu s'est donné un fils". Mais gloire
à Lui! Ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre Lui appartient
en totalité: tous Lui adressent leurs prières».
(La Vache <al-Baqarah>, 2: 116)
«Le zèle du croyant qui accomplit des oeuvres bonnes
ne sera pas effacé, car Nous l'inscrivons».
(Les Prophètes <al-Anbiyâ'>, 21: 94)
«O vous, les hommes! Nous vous avons créés d'un
mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples
et tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d'entre
vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d'entre vous...».
2- Elle signifie aussi l'unité des êtres humains et l'égalité de leur création et de leur constitution humaine.
L'humanité est une seule race qui coule de façon égale dans le sang de tous les individus du genre humain. Il n'y a pas de divinité multiple qui eût créé des catégories humaines multiples. C'est pourquoi il n'y a pas d'écarts et de différences insurmontables dans la création. De même, le dieu de la classe sociale supérieure n'est pas plus fort que celui de la classe inférieure. Tout le monde est la créature de Dieu Un et Unique, et tout le monde est semblable dans l'essence de sa création:
«O vous les hommes! Craignez votre Seigneur Qui vous a créés d'un seul être...».
3- Elle signifie ensuite que les êtres humains sont égaux quant à leur possibilité de se transcender et de se parfaire.
Les êtres humains sont semblables quant à leur essence humaine et leur nature humaine. Celle-ci étant pétrie par la Main du Créateur Avisé, personne n'est donc incapable - de par sa nature - de gravir les échelons de la perfection. De là on comprend que l'Appel de Dieu est général et ne se limite pas à un peuple ou à une catégorie en particulier. Certes, les différentes circonstances laissent des effets différents sur l'homme. Mais ces circonstances accidentelles n'ont pas pu le transformer définitivement en un satan ni en un ange, pas plus qu'elles n'ont pu enchaîner ses mains, ni le priver de sa capacité de choisir, ni lui interdire toute possibilité de sélection et de changement.
«Nous t'avons envoyé à la totalité des
hommes».
(Les Saba' <Sabâ'>, 34: 28)
«Nous t'avons envoyé aux hommes comme Prophète.»
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 79)
«O vous les hommes! Une preuve décisive vous est déjà parvenue de la part de votre Seigneur: Nous avons fait descendre sur vous une lumière éclatante. Dieu introduira bientôt dans Sa Miséricorde et Sa Grâce ceux qui auront cru en Lui et qui se seront placés sous Sa Protection. IL les dirigera vers Lui dans un Chemin Droit.»
4- Et puis elle signifie que tout le monde est affranchi des chaînes de la captivité et des chaînes de toute servitude autre que celle de Dieu; c'est là une autre façon d'exprimer la nécessité de la servitude envers Dieu.
Les êtres humains, qui sont soumis d'une façon ou d'une autre à la domination (quelle qu'elle soit: intellectuelle, économique ou politique) de tout autre que Dieu, sont asservis à des serviteurs comme eux, - au sens le plus large de la servitude-, et admettent des égaux à Dieu. Or, l'unicité refuse une telle conception de la vie, considère l'homme comme un serviteur de Dieu et rien de plus, et le libère de la servitude et la de soumission à tout régime et même à tout facteur de domination qui se met à la place de Dieu. L'unicité signifie donc la soumission à Dieu seul et, par conséquent, le refus de toute autre autorité (quelle que soit sa forme ou sa qualité) que celle de Dieu:
«Le jugement n'appartient qu'à Dieu. IL a ordonné que vous n'adoriez que Lui: telle est la Religion immuable.»
«Ton Seigneur a décrété que vous n'adoriez
que Lui.»
(Le Voyage Nocturne <al-Isrâ'>, 17: 23)
5- L'unicité, selon le sens précité, fait honneur à l'homme et le valorise.
Car la race humaine est trop sublime pour se soumettre et s'asservir à tout autre que Dieu. C'est seulement l'Existence sublime, la Beauté sublime, qui mérite la servitude et l'amour de l'homme. Cette propension sublime est un degré de la transcendance.
Rien, - si ce n'est l'Essence divine -, ne jouit d'une position digne de la prière et de l'adoration de l'homme. Toutes les idoles figées et mobiles qui se sont imposées à la pensée, au coeur et au corps de l'homme en usurpant la place de l'Autorité divine dans la vie de l'homme, ne constituent que souillure et fétiches qui entachent la pureté et la limpidité naturelles de l'être humain, le rapetissent et entravent son mouvement. Et, s'il veut revenir à sa position sublime, l'homme doit éviter absolument ces fétiches et purifier son existence de la souillure de leur adoration:
«Evitez la souillure des idoles; évitez les paroles fausses comme de vrais croyants en Dieu et non comme des polythéistes. Quiconque associe quoi que ce soit à Dieu se trouve comme s'il était tombé du ciel; un oiseau de proie le saisit alors et l'emporte, ou bien le vent le précipite dans un lieu très éloigné.»
«Ne place pas une autre divinité à côté de Dieu, sinon tu serais méprisé et abandonné.»
«Ne place aucune autre divinité à côté de Dieu; sinon tu serais dans la Géhenne, méprisé et réprouvé.»
6- Elle signifie également l'unité et l'harmonie de la vie de l'homme et de son existence.
La vie de l'homme comprend l'esprit et la réalité, la pensée et l'action. Si l'un de ces deux aspects se soumet, - totalement ou partiellement -, aux ennemis de Dieu (c'est-à-dire si l'esprit devient monothéiste et la réalité non monothéiste ou vice versa), la dualité et le polythéisme apparaissent dans la vie de l'homme. L'homme devient, dans ce cas, comme une aiguille aimantée dans le champ de laquelle apparaît un élément étranger et qui va par conséquent, soit dévier totalement de sa direction naturelle, soit osciller à gauche et à droite. C'est dire que l'homme déviera du droit chemin qui concorde avec sa nature humaine et qu'il déviera de Dieu :
«Croyez-vous donc à une certaine partie du Livre et restez-vous incrédules à l'égard d'une autre? Quelle sera la rétribution de celui d'entre vous qui agit ainsi, sinon d'être humilié durant la vie de ce monde et d'être refoulé vers le châtiment le plus dur le Jour de la Résurrection?...»
7- Elle signifie enfin l'harmonie de l'homme avec le monde qui l'entoure.
Le vaste stade de l'univers est riche en lois de la création. Aucun phénomène naturel n'échappe au cadre de ces lois. C'est grâce à la concordance, à la conjugaison et à la rencontre de ces lois que la forme de l'univers est ordonnée et que le monde se voit régi par des lois générales et des lois particulières. Ces mêmes lois particulières sont compatibles et en harmonie avec les lois des autres phénomènes.
Quant à l'homme, à la différence de tous les autres phénomènes qui se meuvent d'une façon mécanique, naturelle et innée, il est doté d'une force de volonté et d'une faculté de choisir. Il doit, par conséquent, choisir volontairement sa voie naturelle et innée puisque c'est la voie de sa sublimation et de sa perfection. C'est dire qu'il est capable de dévier de cette voie naturelle:
«Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut soit incrédule».
L'unicité appelle l'homme à marcher sur sa voie naturelle et innée qui concorde avec tout l'univers, afin qu'il soit lié, dans son action et ses efforts, à tous les composants de l'univers et qu'il participe ainsi à son unité et à son harmonie.
«Désirent-ils une autre religion que celle de Dieu, alors que tout ce qui est dans les cieux et sur la terre se soumet à Lui, de gré ou de force et qu'ils seront ramenés vers Lui?»
«N'as-tu pas vu? C'est devant Dieu que se prosternent ceux qui se trouvent dans les cieux et ceux qui demeurent sur la terre: le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux et un grand nombre d'hommes...»
c) L'unicité sur le plan des programmes sociaux (économiques et politiques...)
1- Elle supprime à toute source non divine le pouvoir exclusif d'élaborer des programmes indépendants pour la vie et l'homme.
Car Dieu est le Seul Créateur de l'homme et de l'univers; c'est Lui Seul qui a élaboré cet ordre harmonieux de l'univers; Lui Seul connaît les possibilités et les besoins de l'homme.
Dieu Seul connaît les trésors enfouis et les énergies emmagasinées chez l'être humain. IL est le Seul à connaître les trésors et les possibilités que renferme l'univers. Lui Seul connaît le bilan et les portées de l'exploitation de ces trésors et possibilités et sait comment ils se rencontrent tous.
Pour cela, IL est le Seul à pouvoir élaborer un programme de mode de vie, de relations humaines et de mouvement de l'homme dans le cadre du système de l'univers, à promulguer les lois de la vie et à y déterminer la forme du système social.
La compétence de Dieu dans ce domaine découle naturellement et logiquement de la Créativité et de la Divinité. Toute autre intervention dans la détermination du déroulement pratique de l'humanité constitue donc une ingérence dans l'autorité de Dieu, une prétention à la divinité et un facteur de polythéisme:
«Non!... Par ton Seigneur!... Ils ne croient pas tant qu'ils
ne t'auront pas fait juge de leurs différends. Ils ne trouveront
plus ensuite, en eux-mêmes, la possibilité d'échapper
à ce que tu auras décidé et ils s'y soumettront totalement».
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 65)
«Lorsque Dieu et Son Prophète ont pris une décision,
il ne convient pas à un croyant, ni à une croyante de maintenir
son choix sur cette affaire. Celui qui désobéit à
Dieu et à son Prophète s'égare totalement et manifestement.»
(Les Factions <al-Ahzâb>, 33: 36)
2- Supprimer le droit de priorité sur la société et sur la vie de l'homme à tout autre que Dieu.
Si la tutelle de l'homme sur l'homme se fonde sur un droit indépendant et sans responsabilité, elle débouchera sur l'injustice, la tyrannie et l'agression. Car l'homme- gouvernant ou l'appareil-gouvernant ne peut se débarrasser de la déviation, de la tyrannie et de l'excès que s'il est investi pour cette tâche par une autorité supérieure et dans le cadre de responsabilités proportionnelles à ses compétences. Cette haute autorité est, dans l'école religieuse, Dieu, qui sait toute chose:
«...Le poids d'un atome ne Lui échappe ni dans les cieux,
ni sur la terre;...»
(Les Saba' <Sabâ'>, 34: 3)
«S'il Nous avait attribué quelques paroles mensongères, Nous l'aurions pris par la main droite, puis Nous lui aurions tranché l'aorte...»
Cette Haute Autorité ne saurait être dupée comme cela peut arriver aux masses, ni servir d'instrument de domination et de tyrannie, comme c'est le cas des partis, ni transiger, comme c'est le cas des notables et des dirigeants du peuple.
En d'autres termes, si l'ordre de la vie exigeait que tous les organismes de la vie sociale conduisent vers un point unique et qu'une seule force dominante se charge de toutes leurs affaires, cette dominante ne serait autre que le Créateur de l'univers et de l'homme.
Le pouvoir est un droit exclusif de Dieu. Il doit être conduit par ceux que Dieu désigne, c'est-à-dire ceux qui jouissent plus que les autres de qualités et de critères précisés dans l'idéologie divine et qui sont les exécutants et les gardiens des lois divines:
«Dis: "Prendrai-je pour Seigneur un autre que Dieu le Créateur
des Cieux et de la terre; alors qu'IL nourrit les êtres et qu'IL
n'a pas besoin qu'on Le nourrisse?" Dis: "Oui, j'ai reçu l'ordre
d'être le premier à me soumettre. Ne soyez pas au nombre des
polythéistes."»
(Les Troupeaux <al-An`âm>, 6: 14)
«Vous n'avez pas de maître en dehors de Dieu et de Son Prophète, et de ceux qui croient: ceux qui s'acquittent de la prière, ceux qui font l'aumône tout en s'inclinant humblement.
«Dis: "je cherche la protection du Seigneur des hommes, Roi des hommes, Dieu des hommes."»
3- Elle signifie que Dieu est le propriétaire exclusif, absolu et originel de tous les bienfaits et de tous les trésors de l'univers.
Personne n'a le droit de posséder et de disposer à sa guise d'une richesse d'une façon directe et indépendante. Tout ce qui se trouve dans l'univers est un Dépôt entre les mains de l'homme, lequel doit s'en servir en vue de se transcender et de se perfectionner. L'homme favorisé n'a pas le droit d'endommager et gaspiller les biens du monde, lesquels sont les fruits des efforts de milliers de phénomènes et d'éléments de cet univers, ni de les négliger ou de les exploiter dans une voie autre que celle de la transcendance humaine.
Tout ce que possède l'homme, même lorsqu'il s'agit d'une propriété privée, est un don divin. C'est pourquoi ce don doit être exploité conformément aux prescriptions de Dieu, c'est-à-dire dans sa place naturelle, celle pour laquelle il fut créé. Utiliser ce don divin dans une autre voie, ce serait le dévier de sa direction naturelle, et ce serait une corruption.
Le rôle de l'homme vis-à-vis de ces divers biens divins consiste à les exploiter pertinemment, à les mettre en valeur et à s'en servir à la perfection:
«Dis: "A qui donc appartiennent la terre et ceux qui s'y trouvent? Si seulement vous le saviez!» Ils diront: "Dieu!...". Réponds: "Et quoi?... Ne vous en souviendrez- vous pas?"»
«C'est Lui qui a créé pour vous tout ce qui est sur la terre.»
«Adorez Dieu! Il n'y a pas de Dieu que Lui. IL vous a créés de cette terre où IL vous a établis.»
«Ceux qui violent le pacte de Dieu après avoir accepté Son alliance; ceux qui tranchent les liens que Dieu a ordonné de maintenir; ceux qui seront maudits; ceux auxquels la détestable demeure est destinée.»
4- Elle signifie aussi que les êtres humains ont un droit égal à l'exploitation des biens de la vie.
Les possibilités et les occasions d'exploiter ces biens sont offertes d'une façon égalitaire à tous les êtres humains, selon le besoin de chacun et dans le cadre de l'effort et du travail fait par chacun. Ce stade universel ne réserve pas d'emplacement privé à une catégorie particulière de l'humanité. Tout le monde doit pouvoir exploiter les diverses richesses naturelles selon l'effort consenti, et ce sans distinction de race, de position géographique et historique et même d'appartenance idéologique.
«IL a créé pour vous les bestiaux».
«Ils vous semblent beaux...»
«Ils portent vos fardeaux...»
«C'est Lui qui fait descendre du ciel l'eau qui vous sert» et «Grâce à elle, Il fait encore pousser pour vous les céréales...»
«Ce qu'IL a créé pour vous sur la terre...»
«...pour que vous en retiriez une chair fraîche.»
Ces versets, tirés du début de la sourate "Les Abeilles" (al-Nihal), s'adressent à tout le monde sans distinction et ne sont pas destinés à une catégorie ou à un groupe particulier d'individus. Ils figurent dans un contexte où d'autres versets de la même sourate s'adressent également à tous les êtres humains:
«Mais Dieu vous dirigerait tous s'IL le voulait.»
Nous avons traité de l'un des aspects du vaste et profond contenu de l'unicité. Il ressort clairement de ce rapide exposé que l'unicité n'est pas une vision philosophique, intellectuelle, non pratique, coupée de la vie et du mouvement des groupes humains et de l'activité de l'individu. L'unicité ne se contente pas de remplacer une croyance par une autre croyance, mais consiste d'une part en une vision générale de la vie, comprenant une conception particulière de l'univers et de l'homme, de la place de celui-ci parmi les phénomènes de l'univers, de sa position dans l'histoire, de ses possibilités, de ses besoins et de ses exigences personnelles, ainsi que de ses tendances et des étapes de sa sublimation et de sa perfection; et, d'autre part, en un programme social global adapté à la nature humaine et dans le cadre duquel l'être humain peut gravir rapidement et facilement les échelons de la perfection. C'est une thèse particulière sur la société dans laquelle les lignes générales et fondamentales de la structure sociale sont clairement définies.
Pour cette raison, lorsqu'une voix s'élève dans les sociétés jahilites (1) (fondées sur l'ignorance de la vérité de l'homme) et les sociétés tyranniques (fondées sur l'hostilité à l'égard des véritables valeurs humaines), un changement global s'y opère qui éclaire les coeurs ténébreux, ressuscite les âmes inertes, suscite un frisson dans le corps social inactif, réorganise les affaires désordonnées et contradictoires. L'unicité opère un changement dans le contenu psychologique de la société, dans les établissements économiques et sociaux, dans ses valeurs morales et humaines. En un mot, l'unicité s'attaque à la situation jahilite en vigueur et aux autorités qui protègent cette situation et à l'atmosphère qui oxygène cette situation et la fait survivre.
L'unicité n'est donc pas seulement une thèse relative à une question purement théorique à cadre pratique restreint, mais c'est aussi et surtout une nouvelle voie ouverte à l'homme et visant à lui présenter un autre style de travail et de vie, tout en se fondant sur une analyse intellectuelle et théorique.
Partant de cette conception du contenu de l'unicité, nous croyons que celle-ci forme la pierre angulaire de la citadelle religieuse, son fondement et son contenu essentiel. Comprendre l'unicité comme une vision métaphysique, ou au mieux comme une thèse morale..., c'est la placer très en-dessous de l'idéologie islamique vivante qui comporte une thèse intégrale sur la vie sociale.
Il y eut, tout au long de l'histoire, des individus qui, tout en croyant en Dieu et à l'unicité, ignoraient ou faisaient semblant d'ignorer le contenu concret et pratique, - social notamment -, de cette doctrine (de l'unicité). De tels individus se sont habitués à vivre à toute époque, partout et dans toutes les circonstances, de telle sorte que l'on ne peut les distinguer de ceux qui ne croient pas à l'unicité; c'est-à-dire que la doctrine de l'unicité ne suscite pas en eux un sentiment d'opposition à la situation non unicitaire en vigueur et qu'ils ne sentent pas le poids du polythéisme qui pèse lourd sur leur société.
A l'aube de l'Islam, il y avait un groupe de hanafites(2) qui vivaient à la Mecque, centre de l'idolâtrie et grande capitale des idoles à l'époque. Pourtant leur présence ne laissait aucune influence sur l'atmosphère intellectuelle et sociale de cette ville. La raison en est que leur conception de l'unicité ne dépassait pas leurs coeurs, leurs esprits et le cadre de leur vie privée et ne s'étendait guère aux labyrinthes jahilites, ni n'avait le moindre effet sur la vie désolante qu'on y menait. Ces hanafites vivaient avec les autres sur un même terrain et menaient le mode de vie des autres, sans que cela les ait gênés. Cette conception intellectuelle de l'unicité se caractérise justement par l'apathie et la marginalisation, sociale notamment. Dans de telles circonstances, l'Islam a lancé sa conception du monothéisme, comme une doctrine engagée, une organisation de la vie et une nouvelle thèse sociale. Il a présenté son identité comme un appel au changement radical à tous ses interlocuteurs, croyants ou infidèles. Tous ceux qui avaient entendu l'appel islamique ont compris qu'il s'agissait d'un système social, économique et politique nouveau, absolument incompatible avec le système établi à l'époque et visant à enrayer et à remplacer celui-ci.
Attirés par cette nouvelle thèse, les gens ont répondu avec enthousiasme et ardeur à l'appel islamique. En revanche, agacés par elle, les adversaires et les athées se sont mobilisés pour manifester avec violence et sauvagement leur hostilité, sans cesse croissante, à son égard.
Cette vérité historique peut constituer partout et à toutes les époques, un critère de la véracité ou de la fausseté de la prétention au monothéisme. Il est difficile en effet de croire au monothéisme des gens comme les monothéistes de la Mecque pré-islamique.
Le monothéisme conciliant, le monothéisme qui courtise tous ceux qui sont imposés comme associés de Dieu, - c'est-à-dire les faux dieux -, le monothéisme qui se contente de se présenter comme une hypothèse intellectuelle, ce monothéisme-là n'est qu'une copie déformée du monothéisme des Prophètes.
A travers cette vision saine de la religion, s'explique la raison de la propagation de l'Islam aux époques du progrès et de son recul, de sa défaillance et de sa dégradation à celles du sous-développement.
L'Islam du Prophète Muhammad présentait le monothéisme aux gens comme une voie et une pratique; celui des époques ultérieures l'a présenté comme une théorie qui suscite des discussions et des débats dans les réunions et les rassemblements. Dans le premier cas, il s'agissait d'une nouvelle conception du monde et d'une nouvelle théorie du mouvement de la vie; dans le second cas, il s'agissait de discussions creuses sur des questions secondaires dépourvues de tout intérêt vital.
De ce qui précède, il ressort que le monothéisme, sur le plan pratique, est une thèse sociale, un programme de vie et la base d'un système que l'Islam a adapté à la nature de l'homme, à son développement et à son aspiration à la transcendance; et que, sur le plan théorique, il constitue la base intellectuelle et philosophique de ce système.
Ayant terminé ces quelques préambules, nous pouvons à présent revenir en arrière pour étudier ce que nous avons soulevé au début de cette recherche, à savoir le combat du monothéisme contre toutes les formes de la domination sociale.
Nous avons dit que les premières oppositions auxquelles s'est heurté l'appel au monothéisme étaient le fait des catégories puissantes et dominantes de la société. Cela prouve que la devise "Point de divinité si ce n'est Dieu" était dirigée avant tout contre cette catégorie puissante et dominante ou, selon l'expression coranique, la catégorie des "mustakbirine" (les orgueilleux, les hautains, les dominateurs).
Nous avons dit également que, tout au long de l'histoire, les appels monothéistes prenaient une position claire contre les mustakbirine. C'est pourquoi la société se divisait toujours en deux catégories opposées:
- la catégorie des opposants, formée des mustakbirine;
- et celle des fidèles, composée des mustadhifine (les déshérités, les dépossédés, les défavorisés)
Nous avons dit enfin que c'est la réaction de ces deux catégories à l'égard du Message monothéiste qui nous permet de distinguer le vrai et l'authentique monothéisme du faux monothéisme. C'est dire que, lorsque le monothéisme affiche sa conception originelle et authentique, il se heurte inévitablement à l'hostilité et à la réaction négative des mustakbirine.
Maintenant, il nous faut examiner les dimensions du monothéisme pour voir laquelle d'entre elles s'oppose directement aux intérêts de la classe des mustakbirine et menace son existence. En d'autre terme, nous devons comprendre cet aspect du monothéisme qui provoque les mustakbirine et les pousse à recourir à la confrontation violente. Pour ce faire, il faut comprendre tout d'abord la personnalité du "mustakbir" (le hautain, l'orgueilleux) telle qu'elle est analysée dans le Noble Coran.
En effet, le Coran met en scène cette personnalité dans quarante endroits. Il nous parle de ses caractéristiques psychologiques, de sa position sociale, de ses objectifs, de ses convoitises expansionnistes et accapareuses.
Globalement, le Coran met en évidence les traits suivants du "mustakbir":
1- Celui-ci refuse de concevoir Dieu selon l'expression: "Point de divinité, si ce n'est Dieu" (c'est-à-dire la limitation du pouvoir et de la propriété absolue à Dieu seul), bien qu'il ne refuse pas Dieu en tant que vérité spéculative et honorifique à cadre limité:
«Quand on leur disait: "il n'y a pas de divinité que Dieu", ils s'enorgueillissaient...»
(Ceux qui sont placés en Rangs <Al-Çâffât>, 37: 35)
«...Ils se sont injustement enorgueillis sur la terre. Ils
ont dit: "Qui donc sera plus redoutable que nous par sa force?».
(Les Versets clairement exposés <Fuççilat>,
41:15)
«Quand on lui récite nos Versets, il se détourne avec orgueil, comme s'il ne les entendait pas, comme si ses oreilles étaient frappées de surdité. Annonce-lui la nouvelle d'un châtiment douloureux.»
2- Il prend l'attitude de renégat et de contradicteur à l'égard de l'appel au changement et à la libération lancé par le Prophète et y fait face, sous prétexte qu'il est plus capable que d'autres de connaître le bon chemin et que Dieu doit s'adresser à lui directement:
«Les incrédules ont dit aux croyants: "Si ceci était
un bien, ce n'est pas eux, c'est nous qui y aurions cru les premiers.»
(Al- Ahqâf, 46: 11)
«Ils disent, lorsqu'un signe leur parvient: "Nous ne croirons pas tant que nous ne recevrons pas un don semblable à celui qui a été accordé aux Prophètes de Dieu.»
3- Il accuse le prétendant à l'appel de vouloir être porté à la notoriété et à la célébrité; et il invoque les traditions révolues du système établi et dominant pour endiguer la diffusion de l'appel dans la société.
«Ils dirent: "Es-tu venu à nous pour nous détourner de ce que nous avons trouvé chez nos pères, et pour que la puissance terrestre appartienne à vous deux? Nous ne croyons pas en vous!»
4- Il recourt à la force, à la falsification et à toutes sortes de tromperie et de duperie pour maintenir les gens sous sa domination et son joug et pour les pousser à affronter tout appel de libération:
«Ils diront encore: "Notre Seigneur! Nous avons obéi à nos chefs, à nos grands et ils nous ont écartés de la voie droite".»
«...les faibles diront aux orgueilleux: "Nous vous avons suivis;
pouvez-vous maintenant nous préserver d'une partie de ce Feu?"»
(Celui qui pardonne <al-Mo'min, Ghâfir>, 40: 47)
«Les chefs du peuple de Pharaon dirent: "Celui-ci est un savant
magicien et il veut vous chasser de votre pays; que prescrivez-vous?"»
(Al-A`râf, 7: 109-110)
5- Et enfin, il soumet le Prophète et ses adeptes révoltés contre le régime régnant et le courant idéologique en vigueur aux attaques les plus sévères et à toutes sortes de torture, de supplice et de répression:
«Les hommes de Ukhdoud ont été tués. Le feu était sans cesse alimenté, tandis que les gens se tenaient assis autour, témoins de ce que subissaient les croyants.»
«Pharaon dit: "Laissez-moi tuer Moïse! Qu'il n'altère
votre religion et qu'il ne sème la corruption sur la terre."»
(Celui qui pardonne <Ghâfer, al-Mo'min>,40: 26)
Tels sont, brièvement, les traits des "mustakbirine", selon le Noble Coran. Dans d'autres endroits, le Coran ne se contente plus de brosser le portrait, mais désigne du doigt les grandes figures historiques des mustakbirine:
«Nous avons ensuite envoyé avec Nos Signes, Moïse et Aaron à Pharaon et à ses conseillers; mais ceux-ci s'enflèrent d'orgueil...»
«De même pour Coré, Pharaon et Haman: Moïse
leur avait apporté des preuves décisives, mais ils s'enorgueillirent
sur la terre...»
(L'Araignée <al-`Ankabout>, 29: 39)
Pharaon est notoirement connu; Hâmân est son conseiller particulier et la première personnalité de son entourage. "Les conseillers de Pharaon" sont les notables de son entourage. Ils le suivaient, l'aidaient et le conseillaient (voir le Verset 126, Sourate Al-A`râf). Quant à Coré (Qâroun), il est connu pour ses fortunes fabuleuses et ses trésors "dont les seules clés semblaient lourdes à une troupe d'hommes robustes" (Le Récit <al-Qiçaç>, 28: 76).
Revenons maintenant à notre sujet essentiel: Comment les Prophètes ont-ils présenté la doctrine de l'unicité?
La réponse à cette question met en relief les points qui provoquent dans cette doctrine la susceptibilité du "mustakbir", la raison de sa susceptibilité et de son incapacité à supporter la foi de l'unicité lorsqu'elle est présentée de cette manière (celle des prophètes). Par ailleurs, elle nous explique l'importance de l'unicité en sa qualité de base essentielle sur laquelle se fonde le Message.
On sait que la profession de foi de l'unicité est le premier appel qu'un prophète lance à sa communauté. Ainsi, le Prophète-Sceau a lancé, à la Mecque, la devise: «Dites: point de divinité, si ce n'est Dieu, vous serez heureux». Le Coran rapporte l'appel lancé par de nobles prophètes tels que Noé, Houd, Çâlih, Chu`aïb à leurs peuples respectifs. Cet appel était axé sur l'unicité.
«O mon peuple! Adorez Dieu! Il n'y a pas, pour vous, d'autre Dieu que Lui».
Cet appel est fondé essentiellement sur le refus de toute servitude autre que celle requise enversde Dieu. A travers lui, le Prophète incite les ignorants et les inconscients, plongés jusqu'au cou dans les boues du régime jahilite tyrannique, à cesser d'être des serviteurs de tout autre que Dieu. Cela signifie qu'il commence son appel par une déclaration de guerre contre tous ceux qui se substituent à Dieu.
Qui sont ces prétendants à la divinité dans la société? Que signifie: "déclarer la guerre à la fausse divinité?". Quelle situation l'appel vise-t-il à instaurer dans la société?
L'expression: "les prétendants à la divinité" laisse penser généralement à ceux qui se sont présentés comme "Dieu", c'est-à-dire ceux qui ont prétendu au pouvoir surnaturel auquel l'humanité a toujours cru d'une façon ou d'une autre. Mais c'est là une appréhension simpliste de cette expression.
Certes, l'histoire a connu des criminels de petite envergure qui ont exploité leur puissance politique et sociale pour laisser croire à des gens de moindre envergure qu'eux, qu'ils étaient "dieux" au sens précité ou qu'ils portaient en eux un aspect de l'esprit divin. Mais, lorsque nous étudions le sens large des termes de "servitude", "seigneurie", "divinité", utilisés dans le Coran, nous constaterons que le champ de la signification de l'expression "prétendants à la divinité" est beaucoup plus étendu qu'il ne le paraît.
Le concept de "servitude", tel qu'il est utilisé dans le Coran, signifie la soumission et l'obéissance absolue à un homme ou à tout autre être. C'est dire que lorsque nous nous soumettons aveuglément à un individu et que nous agissons selon ses désirs, ses caprices et ses directives, nous devenons ses serviteurs. De même, toute force qui parvient à nous soumettre à elle, à dominer notre corps et notre esprit, à se servir de nos énergies à sa guise, nous asservit. Peu importe que cette force se trouve à l'intérieur de nous-mêmes ou dans le milieu qui nous entoure. Voici quelques exemple coraniques de cette utilisation (l'utilisation du terme "servitude" au sens de soumission et d'obéissance à un homme ou à tout être).
-Au début de son appel, Moïse s'adresse au Pharaon et lui dit:
"Est-ce là le bienfait que tu me reproches alors que tu gardes les fils d'Israël en esclavage?"
(Les Poètes <al-Cho`arâ'>, 26: 22)
-Pharaon et ses courtisans s'adressent les uns aux autres et se demandent:
«Allons-nous croire en deux mortels comme nous, alors que leur peuple nous sert d'esclaves?»
(Les Croyants <al-Mo'minoun>, 23: 47)
-Abraham s'adresse à son père et lui dit:
«O mon père! N'adore pas le Démon; le Démon est rebelle envers le Miséricordieux»
-Dieu s'adresse à l'humanité):
«O fils d'Adam! Ne vous ai-Je pas engagés à ne pas adorer le Démon - il est votre ennemi déclaré».
«Il y a une bonne nouvelle adressée à ceux qui se sont écartés des Tâghout en refusant de les adorer et qui reviennent à Dieu».
-Dieu dit, à propos de ceux qui reprochent aux croyants leur croyance):
«Dieu a transformé en singes et en porcs ceux contre lesquels Il est courroucé et ceux qui ont adoré les Tâghout. Voilà ceux qui se trouvent dans la pire des situations: ils sont les plus profondément égarés hors de la voie droite».
Dans ces versets, le mot "servitude" exprime la soumission à Pharaon et à ses courtisans, au Tâghout (tyran) et à Satan. Lorsqu'on étudie tous les versets du Coran relatifs à ce sujet, on tire la conclusion que la "servitude", selon la concep-tion coranique, signifie: la soumission, la subordi-nation et l'obéissance absolue, - volontaires ou involon-taires, avec ou sans un sentiment de vénération et de reconnaissance morale -, à une puissance réelle et fictive. C'est cette puissance qui est "l'idole", et c'est l'obéissant qui est "l'esclave" ou le serviteur".
A la lumière du cadre des concepts précités, il ressort que les vocables "divinité" et "dieux" constituent une autre expression du mot: "idole".
La société jahilite déviée est divisée en deux classes: la classe des mustakbirine et celle des mustadh`afine, c'est-à-dire en une classe dominante et aisée qui détient tous les pouvoirs et une classe délaissée, asservie et déshéritée. L'aspect le plus saillant de la fausse divinité et de la servitude est ce rapport d'inégalité entre les deux classes. Il est absurde de trop chercher ce qu'il y aurait derrière un être sacré, humain, animal ou inorganique, lorsqu'on traite des dieux des sociétés jahilites à travers l'histoire. Car la manifestation la plus évidente d'un telle idole ou divinité, c'est cette catégorie d'individus qui, en raison de ses liens particuliers avec la classe des "mustakbirine", oeuvre en vue de soumettre les masses des mustadh`afine et de les conduire à servir les intérêts et l'avidité de ses commanditaires.
La vraie "religion" dans de telles sociétés, c'est le "polythéisme". Car la divinité y est aussi multiple que les centres d'influence dominants qui entraînent les gens dans leurs sillages.
Le polythéisme, c'est diviniser des individus à côté ou à la place de Dieu ou, en d'autres termes, c'est confier les questions de la vie à autre que Dieu, c'est se soumettre à une autre puissance que Dieu, c'est se fier, au moment du besoin, à cette autre puissance et suivre sa direction.
Le monothéisme se situe à un point diamét-ralement opposé au polythéisme: il récuse toutes ces fausses divinités, refuse de s'y soumettre, résiste à leur domination, immunise les coeurs contre leur charlatanisme, appelle à leur éradica-tion, et fait se rattacher l'homme, corps et âme, à Dieu.
Le premier slogan lancé par les envoyés de Dieu, c'était justement ce refus-là (des fausses divinités) et cette soumission-là (à Dieu):
«Oui, Nous avons envoyé un prophète à
chaque communauté: "Adorez Dieu! Fuyez les Tâghout!".»
(Les Abeilles <al-Nihal>, 16: 36)
«Nous n'avons envoyé aucun prophète avant toi
sans lui révéler: "Il n'y a de Dieu que Moi; Adorez-Moi!"
(Les Prophètes <al-Anbiyâ'>, 21: 25)
Les prophètes ont donc annoncé la fin de l'ère jahilite corrompue et dégradée en lançant leur slogan qui leur a servi du même coup à appeler à lutter avec acharnement contre les tyrans, les bafoueurs des valeurs humaines authentiques et les tenants de fausses valeurs qui servent l'injustice et les injustes.
Le refus du polythéisme, c'est en fait le refus de toutes les entités sociales, politiques et économiques qui composent la société jahilite et qui adoptent la doctrine polythéiste pour, à la fois, dissimuler et justifier la situation de cette société.
Le refus de la fausse divinité signifie la répudiation de tous ceux qui s'étaient appliqués à déposséder les masses et à les exploiter par la force pour rassasier leurs désirs indomptables.
C'est bien par ce slogan que Moïse a déclaré la guerre à Pharaon... Oui, Pharaon et sa suite parlaient du refus de Moïse de leur divinité traditionnelle:
«Les chefs du peuple de Pharaon dirent: "Laisserez-vous Moïse
et son peuple corrompre la terre et te délaisser, toi et tes divinités?»
(Al-A`râf, 7: 127)
Mais Pharaon et ses semblables savaient bien que cette "divinité"-là, c'est-à-dire les idoles inertes, ne servait qu'à couvrir et à justifier la divinité de Pharaon et de sa suite. L'idole inerte justifiait en fait la divinisation des idoles vivantes. Il était donc logique que Pharaon ait réagi négativement à l'appel de Moïse à l'adoration de Dieu Un et Unique, Créateur des Cieux et de la Terre, et l'ait menacé, - ainsi que ses adeptes -de mort et de torture:
«Pharaon dit: "Si tu adoptes un autre dieu que moi, je te ferai mettre en prison".»
«Il répondit: "Nous tuerons leurs fils, nous laisserons vivre leurs filles et nous les dominerons!"»
«Je vous ferai couper la main droite et le pied gauche, puis je vous ferai tous crucifier".»
Ce refus obstiné du nom de "Dieu" et de l'appel à l'unicité s'explique par le fait que cet appel ne signifie autre chose que:
- la croyance au pouvoir exclusif de Dieu sur la vie;
- le refus de la fausse divinité;
- l'attachement à Dieu l'unique et le brisement des chaînes des autres servitudes.
NOTES
1. préislamique et, par extension, tout ce qui n'est pas islamique.
2. Monothéistes, adeptes de la religion d'Abraham.