Avant-Propos: Bilâl guidé par la fitrah ou la nature innée 5
Introduction 15
BILÂL D'AFRIQUE: Les Origines 19
L'Environnement de cette Époque 21
La Position de la Femme dans la Société Mecquoise de l'Époque 22
La Lumière qui Brilla dans l'Obscurité 24
Bilâl, Le Surveillant du Temple des Idoles 25
La Perplexité de Bilâl 27
Vers La Bonne Chance 29
Le Premier Musulman Originaire d'Ethiopie 31
Le Visage de la Vérité 32
Le Rassemblement des Opposants 34
L'Interrogatoire de Bilâl 37
La Foi, une Affaire Personnelle 41
Des Rêves Diaboliques 44
Au Zénith de Ses Aspirations 45
Emprisonnement et Travaux Forcés 47
Sérénité sous l'Emprise des Chaînes 49
La Fermeté et le Sacrifice 51
Hommage Rendu à Bilâl 53
Ô! Ô! Je brûle 55
«Bilâl est Mort!» 57
Plus amer que le poison 58
Abû Bakr Rencontre le Maître de Bilâl 62
Bilâl Gagne Sa Liberté 64
L'Esclavage ou la Liberté 67
Une Conduite Sauvage 68
Le Beau Spectacle de la Ville de Médine 73
La Supplication du Saint Prophète 76
L'Esprit de la Fraternisation en Islam 79
Le Grand Slogan de l'Islam 82
L'Excellence de l'Azan et du Muezzin 87
Le Menteur est Brulé à Mort 92
Bilâl Blâmé 94
Bilâl dans la Bataille de Badr 95
Bilâl Prend sa Revanche 98
Bilâl professe la position incomparable de l'Imam 'Alî 100
La Terre Natale 102
Les Souvenirs du Passé 105
Dans l'Attente de leur Sort 106
Bilâl au Sommet de la Ka'bah 108
La Vague d'Objections 109
Encore la Ségrégation Sociale 112
Le Saint Prophète Confiné dans Son Lit 114
Bilâl fait des Investigations 116
Médine présente ses Condoléances au Décès du Saint Prophète 118
La Maison du Chagrin 119
L'Événement (La Réunion) de Saqîfah 120
Le Rôle Constructif de l'Imam 'Alî dans la Sauvegarde du Message de l'Islam 127
Bilâl Fait la Grève 128
Bilâl Exilé 133
Le Dernier Azan 138
PRÉFACE 143
Ibrâhîm Ibn Mohammad 147
Asmaha Najâchî - (Empereur d'Ethiopie) 147
Ayman Ibn 'Obayd - Le Martyr de Hunayn 152
Mahjah - Le plus vertueux 152
Luqmân - L'Esclave vertueux 153
Yâsir - Le Martyr de Khaybar 153
Yâsir - Un homme de prière 154
Mâbûr al-Hâhî 155
Mâhir 155
Abû Râfi' Ibrâhîm Qibty 155
Osâmah Ibn Zayd Ibn Hârithah - Le Commandant 156
'Obaydullâh Ibn Abû Râfi' - L'écrivain 158
'Alî Ibn Abî Râfi' 158
Les fils de Fidh-dhah 159
Abû Nayçar - Le Compagnon de L'Imam 'Alî 159
Naçîr Ibn Abî Nayçar 160
Jaun Ibn Huwî - Le serviteur d'Abû Tharr 160
Hajjâj Ayman 'Obayd 163
Mariya Qibtiyyah - La Mère des Croyants 163
Mariya Bint (fille de) Cham'ûn Qibtiyyah - La servante du Prophète (P) 164
Sîrîne - La femme du poète 164
Om Ayman - La "mère" du Saint Prophète 165
Fidh-dhah - La mémorisatrice du Saint Coran 168
Chohra - La petite-fille de Fidh-dhah 175
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La Biographie de Bilâl l'Ethiopien fait partie intégrante de l'histoire des premiers temps de l'Islam. Sa vie et sa conversion à la Foi musulmane révèlent une tranche importante de cette histoire. Bilâl n'était pas simplement un Compagnon du Prophète parmi bien d'autres. Il s'en détachait par des traits qui lui étaient propres.
Tout d'abord Bilâl figurait parmi la première poignée d'hommes à avoir capté la lumière de l'Islam, à adhérer à son Message, à subir par conséquent la foudre des polythéistes qui régnaient sur la Mecque et l'Arabie, et à constituer le premier noyau de la future Communauté. Ce noyau qui comptait comme non-arabes, outre Bilâl, notamment Salmân le Persan et Sohayb le Romain, annonçait déjà le caractère universel de l'Islam né au coeur d'une Arabie où la race, l'origine, l'appartenance tribale, la haute naissance s'affirmaient comme les plus hautes valeurs de la société. Fait significatif, à signaler au passage, Bilâl sera choisi par le Prophète comme muezzin attitré de la communauté musulmane grandissante. C'est là une position unique et enviable. Elle équivalait à la fonction de héraut de l'Appel de l'Islam dont la colonne vertébrale et la manifestation la plus saillante était la Prière. Et c'était justement Bilâl qui convoquait en quelque sorte, la foule des Compagnons au rassemblement en vue de la Prière communautaire cinq fois par jour, puisqu'il avait la charge de l'"Azan", l'"Appel à la Prière".
Bilâl incarne ensuite, mieux que quiconque un, aspect à la foi douloureux et héroïque de l'histoire ou de la vie des pionniers de l'Islam, soumis aux persécutions sauvages et impitoyables des polythéistes mecquois et faisant montre d'une résistance stoïque. En effet, la conversion de Bilâl se résume en une suite de séances de torture, de supplices et de souffrances physiques insupportables que son maître lui a infligés pour qu'il renie la Religion de Mohammad (P) et auxquels Bilâl a opposé une résistance quasi surhumaine, nourrie constamment par l'effet transcendant d'une foi inébranlable. Bilâl était condamné à mourir sous la torture, à moins qu'il ne renone à sa foi, mais la joie de conserver celle-ci le transcendait et le rendait insensible à la douleur et indifférent à la mort, ce qui ne manqua pas de déconcerter et de décontenancer ses bourreaux polythéistes qui, en le soumettant à cette torture barbare, croyaient avoir toute latitude pour étouffer dans l'oeuf les prémices d'une révolution inexorable, .
Enfin, l'origine africaine de Bilâl, son statut social, son état spirituel et intellectuel avant sa conversion à l'Islam, confèrent à celle-ci une signification particulière et appellent à une réflexion sur l'attirance spontanée et naturelle des Africains pour l'Islam, et sur la raison de cette attirance.
Avant sa conversion à l'Islam, Bilâl était un esclave rangé, et menait une existence tranquille, normale et sans histoire. Pas plus son environnement familial que le milieu social ne l'incitaient à une velléité de contestation de son destin ou de son statut. Esclave de naissance, c'est-à-dire né de deux parents eux-mêmes esclaves et vivant en harmonie et en paix chez leurs maîtres, Bilâl n'a jamais connu d'autre statut que le sien.
Ayant grandi dans une société où la principale activité des gens était les razzias dont le but ou le butin consistait en l'asservissement des victimes (lorsqu'elles n'avaient personne pour payer la rançon de leur libération) et la confiscation de leurs biens, il ne voyait rien d'anormal dans son statut d'esclave ou son destin, somme toute courant et ordinaire à l'époque antéislqmique et obscurantiste. Par ailleurs, tout comme ses parents qui avaient été bien notés et bien appréciés par leurs maîtres, Bilâl donnait entière satisfaction à ses derniers, lesquels lui confièrent subséquemment la tâche de la supervision de leur propriété et de leur temple. Et n'ayant ni une volonté libre ni une pensée indépendante, il n'a connu que la religion polythéiste à laquelle il avait adhéré automatiquement et qu'il pratiquait sincèrement.
Rien ne prédestinait donc Bilâl à vouloir changer de croyance ou de pensée un jour, ou à un volte-face aussi radical. Pourquoi cette prise de conscience soudaine, déconcertante pour son entourage, dès qu'il a entendu le Message de l'Islam? Pourquoi s'être détaché de ses semblables, de sortir des rangs, et de défier ses maîtres, ainsi que la foule des polythéiste qui l'entourait et qui peuplaient l'Arabie pour se placer parmi les tout premiers à oser souscrire au Message du Prophète Mohammad (P), et à abdiquer une religion qu'ils avaient toujours pratiquée avec dévotion?
Lorsque son maître s'est mis à le martyriser pour qu'il renonce à sa nouvelle croyance, Bilâl, agonisant ne laissa échapper qu'un mot à peine audible qui semblait sortir du plus profond de son être: Ahad! (Allâh est Unique!) Ahad! Ce cri pathétique, chargé de symbole et lancé comme un défi à la figure arrogante des polythéiste traduit une vérité infrangible et révèle en fait le lien naturel et indestructible entre la Créature humaine et son Créateur qui a déposé dans sa nature cette tendance innée au monothéisme dont l'Islam incarne toutes les dimensions et dont Bilâl fournit la meilleure illustration.
En effet, selon le Coran, la Croyance à l'existence d'Allâh, le Créateur Unique, est une affaire de "fitrah", de nature innée:
«Dirige tout ton être vers la Religion exclusivement (pour Allâh), telle est la nature qu'Allâh a originellement donnée aux gens - pas de changement à la création d'Allâh...».(1)
Commentant ce verset coranique l'Imam Ja'far al-Sâdiq dit: «La nature d'Allâh (fitrat-ullâh), c'est la faculté à connaître la Foi, qu'Allâh a déposée dans la nature humaine. Et c'est ce qui explique pourquoi Allâh a dit dans un autre verset coranique: Si tu leur demande: "Qui a créé les cieux et la terre? ils diront, certes: "Allâh".(2) ».(3)
Donc pour le Coran, croire qu'Allâh est le Créateur de l'univers est une évidence:
«Y a-t-il un doute au sujet d'Allâh, Créateur des cieux et de la terre ...».(4)
«De cette façon, commente al-'Allâmah al-Tabâtabâ'î, le Coran indique que le Créateur n'a pas besoin d'être démontré, ou plutôt IL est indémontrable, étant l'Existence infinie. De là l'impossibilité, pour l'esprit humain fini de l'atteindre et pour la raison humaine limitée de Le cerner. C'est pour cette raison que nous constatons qu'Il ne cherche pas à établir dans le Coran une démonstration de la Substance de Son Être, mais seulement de Ses Attributs en montrant que cet univers a forcément un Créateur, un Seigneur, un Constructeur, une Référence etc.».(5)
D'aucuns pourrait objecter que si la Foi en Allâh est déposée dans la nature innée de l'homme, pourquoi il arrive qu'elle se fane, s'éclipse ou même s'éteigne totalement comme cela se produit chez les athées?
A cette objection le Coran répond préalablement en déclarant que la Foi pourrait être voilée ou ensevelie par l'accumulation des "sécrétions" des désirs, des tendances et des concepts pervers, ce qui conduit à une maladie de "coeur": «Il y a dans leurs coeurs une maladie, et Allâh laisse croître leur maladie...».(6) Et lorsque le "coeur" est malade, la vue intérieure, (la clairvoyance) se dissipe, la conscience s'abêtit et s'abrutit, et l'homme manque de discernement: «Leur coeur ont été scellés: ils ne comprendront donc pas».(7)
Développant cette vérité coranique, le Prophète (P) dit: «Tout nouveau-né naît selon la nature innée (c'est-à-dire Musulman). Ce sont ses parents qui en font un Juif, un Chrétien ou un adepte des Mages».(8)
Par conséquent, l'hérésie et la déviation s'introduisent dans la nature innée sous l'effet du milieu, de l'environnement et de l'ensemble des circonstances de lieu et de temps.
Toutefois cette déviation et cette hérésie n'éradiquent ni n'anéantissent la nature innée, mais la détournent de sa voie ou de sa fonction originelle et l'affectent dans une autre fonction, étant donné qu'il est impossible de la supprimer: «Telle est la nature qu'Allâh a originellement donnée aux hommes - pas de changement à création d'Allâh».(9)
De là apparaît à l'évidence le rôle primordial des Prophètes dans la vie de l'humanité, car l'arrêt de la fonction de la nature innée aboutit aux flétrissures de la doctrine du monothéisme, et par voie de conséquence, à la dégradation de la vie sociale de l'humanité, sous l'effet de la domination des doctrines polythéistes. Et là les Prophètes interviennent pour réveiller la nature innée, détruire les accumulations des voiles et libérer l'esprit de ses chaînes. Décrivant la mission des Prophètes, l'Imâm 'Alî (p) écrit: «Allâh a envoyé Ses messagers aux gens périodiquement afin de leur faire respecter le pacte de Sa Nature (Création), de leur rappeler ce qu'ils ont oublié de Ses Bienfaits, de leur communiquer Ses Preuves, de faire ressortir ce qui est enterré dans leurs esprits, de leur montrer les Signes de Sa Puissance dans la voûte céleste élevée au-dessus de leurs têtes et sur la terre qui leur sert de demeure, et à travers les ressources qui assurent leur subsistance, et les échéances de leur périssement... ».(10)
Ce texte dévoile clairement la nature de la mission des Envoyés, laquelle consiste à éveiller la conscience des gens afin qu'ils se réveillent et sortent de leur apathie, de leur insouciance et pour qu'ils se conforment aux exigences du monothéisme, lequel est inscrit dans leur nature innée. Car en fait le Messager d'Allâh ne demande pas aux gens de croire à des doctrines étrangères à leur for intérieur, mais à leur nature innée en dépoussiérant celle-ci et en la débarrassant des "voiles" qui l'ont entourée et des sédiments successifs apportés par les croyances déviationnistes. Lorsque l'Imâm 'Alî (p) dit que le Messager a pour mission de "ressortir ce qui est enterré dans les esprits", il entend la clairvoyance originelle, la conscience naturelle ou la vue intérieure, et c'est de cette façon et par ce moyen qu'Allâh «les fait sortir des ténèbres vers la lumière».(11)
Bilâl avait suivi la croyance de ses maîtres, comme il les avaient suivis dans tous les autres domaines de la vie, mais dès qu'il a entendu le Message de l'Islam le voile qui masquait son coeur et son esprit s'est dissipé et le lien originel entre la tendance au monothéisme immanente à la nature humaine et le Message monothéiste que le Prophète (P) a apporté s'est rétabli immédiatement. Dès lors, comme on le verra, ni la torture impitoyable à laquelle il sera soumis ni la menace de la mort qui semblait imminente ne pourront briser ce lien. Lorsque Bilâl entendit le Message de l'Islam, il sembla découvrir le sens de la vie, la signification de son existence et une parfaite concordance entre les tendances de sa nature et les préceptes islamiques.
Bilâl n'avait ni une pensée libre, ni une instruction au-dessus de la moyenne, ni une conscience plus éveillée que celle de son entourage. S'il s'est détaché de l'ensemble de la société pour se placer parmi les premiers à répondre à l'Appel de l'Islam, à avoir une prise de conscience de l'aberration de la voie dans laquelle il marchait, c'est sans doute parce que les voiles qui masquaient sa nature innée étaient moins épais que chez bien d'autres.
Son origine africaine ne pourrait-elle pas expliquer cette présence ou cette transparence de la nature originelle où l'inné reste le caractère prédominant même lorsqu'il se trouve en état latent ou revêtu de l'acquis? Bilâl était le premier représentant de l'Afrique parmi les premiers adeptes de l'Islam naissant. Sa conversion à cette religion monothéiste universelle était on ne peut plus spontanée et volontaire, loin de toute incitation matérielle, psychologique ou sociale. Depuis lors et jusqu'à nos jours cette attirance spontanée des Africains pour l'Islam ne s'est jamais démentie, malgré toutes les tentatives faites à travers les siècles pour les en détourner et malgré les incitations sous toutes formes et le lavage de cerveau systématique en vue de les orienter ailleurs et vers d'autres horizons doctrinaux et d'autres croyances.
D'autre part, restés proches de la nature, et imprégnés sans doute par les lois harmonieuses qui la régissent, les Africains sont peut-être attirés par la concordance parfaite entre le législatif et le constitutif dans l'Islam, ou en d'autres termes, par le réalisme de la législation islamique qui «vise dans ses lois et règlements des buts qui s'accordent avec la réalité humaine, sa nature, ses penchants et ses caractéristiques générales»,(12) sans imposer à l'homme des codes de conduite qui ne reflètent pas sa nature et ses inclinations, car elle incarne minutieusement la nature de la constitution de l'homme, et représente l'autre face de cette constitution. Tous les règlements, les lois et les règles morales de l'Islam ont des racines qui s'enfoncent dans l'essence de l'homme, c'est-à-dire dans sa nature innée, car ils remontent en fin de compte au monothéisme, lequel est une affaire de nature innée et celle-ci constitue le fondement de la société monothéiste».(13)
C'est sans doute ce que la nature de Bilâl, restée pure et transparente malgré les voiles qui l'ont masquée pour un temps, a saisi d'emblée, et c'est ce qui explique la promptitude et la spontanéité de la conversion à l'Islam de ce premier représentant de l'Afrique. Telle set peut-être l'une des premières leçons à tirer de la lecture de la biographie de Bilâl.
Bien plus qu'une figure familière de l'histoire brillante de l'Islam, Bilâl était le héraut loyal du Monothéisme, le protégé du Saint Prophète et l'un de ses compagnons les plus dévoués. Sa personnalité revêt à ce sujet une très grande importance dans l'avènement de l'Islam car il était une figure de proue révolutionnaire et un exemple édifiant quant à sa condition de simple esclave anonyme et des plus déshérités de la société barbare, alors gouvernée par le système aristocratique rude et despotique de l'époque Anteislamique.
C'était un être asservi par un système de classes des plus arbitraires, captif aux mains de la plus rude tribu, les Banî Jumuh et sous le joug de l'un des plus vils des polythéistes de l'époque jâhilite (obscurantiste du pré-Islam), Omayyah Ibn Khalaf. À travers les épreuves douloureuses que vécut Bilâl l'esclave Noir, va se dégager le trait marquant de sa personnalité, à savoir sa foi profonde, ferme et révolutionnaire dans le monothéisme. C'est ce trait qui met en évidence sa véritable nature et qui le présente comme un modèle de vertu.
En effet, sa foi au Monothéisme constitue un fait sans précédent dans l'histoire des religions et des destinées des grands héros de l'humanité. N'est-ce pas un miracle psychologique que de voir un jeune esclave illettré, âgé à peine d'une vingtaine d'années, élevé dans un système de valeurs pernicieuses des plus malsaines, se réformer fondamentalement en un laps de temps si insignifiant et exhiber avec véhémence son attachement à la nouvelle religion en proclamant malgré la torture physique et morale: Ahad (Allah est Un): qui est la formule de la croyance en un seul Dieu.
Sous le soleil ardent de la Mecque, Bilâl l'esclave subissait sous les regards meurtriers et abjects de ses tortionnaires, un supplice des plus horribles. En effet depuis plusieurs jours, Ommayah Ibn Khalaf l'avait martyrisé en déposant sur sa frêle poitrine, des blocs de pierres chauffées à blanc par la chaleur torride du désert de l'Arabie et il lui ordonnait de renier sa nouvelle foi et d'adorer Uzzâ et Lât (noms de dieux idoles des Arabes de l'époque Anteislamique).
Malgré ses souffrances interminables, Bilâl restait imperturbable et inébranlable, et il répétait inlassable-ment: Ahad, Ahad, Ahad. Comment expliquer ce profond changement? Quelle était cette force qui animait cet homme et le transformait si radicalement? Où puisait-il cette énergie et cette courageuse abnégation?
Tout au long de ce livre nous tenterons de répondre à
ces questions en expliquant le caractère de cet illustre personnage,
ce fidèle compagnon du Saint Prophète Mohammad (P). Nous
essayerons de définir le rôle décisif qu'il joua à
l'aube de l'avènement du mouvement Monothéiste de l'Islam.
Notre humble dessein est d'inviter nos lecteurs à méditer
sur les adeptes augustes, magnanimes et martyrisés des premiers
jours de l'Islam et à réaliser l'apport indéniable
des Africains à l'avènement de l'Islam. Peut-être leur
inspireront-ils les moyens de faire face aux difficultés et à
l'adversité que traverse la Ummah à l'époque actuelle.
Dans les régions montagneuses avoisinant la Mecque vivait une tribu dénommée les Banû Jumuh. Tous les membres de cette tribu étaient des idolâtres et s'adonnaient tout comme les autres tribus à l'élevage et à l'agriculture. Prévalaient chez eux aussi les coutumes et les usages de l'époque Antéislamique, tels que les razzias, le pillage, le vol etc. Cette tribu riche et puissante se permettait de capturer des gens pour s'en servir comme esclaves.
Bref, les Banû Jumuh avaient peu de vertus morales et on ne trouvait chez elle aucune trace de bonté et de bonne conduite. Parmi les esclaves de cette tribu, un nommé Rebâh se démarquait par sa haute moralité, sa conduite irréprochable et son intégrité inégalable. Aussi lui avait-on confié la supervision de la propriété de la tribu.
Lorsque l' "Armée de l'Eléphant" marcha sur la Mecque pour démolir la Sainte Ka'bah, Hamâmah, la nièce (la fille de la sur) d'Abrâhâ, le chef de l'armée, se rendit sur une montagne proche afin de se détendre et de faire une partie de chasse. Aussitôt, quelques hommes appartenant à la tribu de Kath'am qui campait dans le voisinage de la Mecque comme d'autres tribus sauvages et cruelles, attaquèrent les soldats d'Abrâhâ.
Selon les coutumes en vigueur chez les Arabes de l'époque, cette dame fut attaquée et finalement le chameau qui portait la litière royale tomba entre leurs mains.
Comme il existait des liens d'amitié entre les Banî Kath'am et les Banî Jumûh, les premiers gardèrent pour eux la litière d'or, les bijoux et tous les autres objets précieux et offrirent la dame en cadeau aux seconds. Ainsi une nouvelle personne vint s'ajouter aux esclaves féminines de cette tribu.
Hamâmah alla vivre avec la tribu des Jumûh pendant un certain temps, tout en gardant toujours l'espoir de pouvoir un jour rejoindre l'armée d'Abrâhâ. Toutefois, plus le temps passait plus elle se rendait compte qu'elle ne devait plus espérer se libérer de cette tribu et qu'il fallait donc se résigner à rester avec ses ravisseurs.
Pendant son séjour parmi les Jumûh, Hamâmah fut fortement impressionnée par la moralité et la bonne conduite de Rebâh qui était plus ou moins considéré comme son gardien. Constatant une entente et une affinité de caractère entre les deux captifs, le chef de la tribu les maria.
Les deux conjoints commencèrent ainsi une nouvelle vie et vécurent plusieurs années en faisant preuve de beaucoup d'amour et de sincérité l'un envers l'autre. Pendant cette période, ils mirent au monde deux garçons et une fille. Les deux garçons s'appelaient Bilâl et Khâdid, et la fille, Ghufrah. Comme leurs parents, les enfants étaient traités en esclaves de la tribu.
Quelques années plus tard, Khalaf, le chef de la tribu mourut. Il laissa derrière lui plusieurs fils dont l'aîné était Omayyah. C'était un homme grand qui paraissait très arrogant et rude. Tous les membres de la tribu le craignaient, et la plupart d'entre eux le considéraient avec respect. Peu de temps après, Rebâh aussi rendit l'âme. Bilâl ainsi que sa mère, son frère et sa sur continuèrent à vivre avec la tribu.
Bilâl était devenu un homme de haute taille avec un visage brun foncé tirant vers le noir. Il acquit le titre de "Né-natif" de la tribu, et les membres de celle-ci, spécialement Omayyah était très gentil avec lui.
Toute la tribu l'aimait tellement qu'elle le nomma au poste de son père et lui confia la supervision de leur propriété et de leur temple-idole.
Omayyah avait l'habitude de visiter la cité, comme son père avec les esclaves. Il éprouvait une sympathie particulière pour cet esclave noir qui n'était pas comparable aux autres.
L'Environnement de cette Époque
Pendant des années, le soleil avait rayonné sur deux pays civilisés, en l'occurrence la Perse et Rome. Ces deux empires dominaient tous les autres pays à cette époque mais ni l'Arabie, ni la région de la Mecque n'avaient attiré leur attention car pour eux cette partie du monde était peuplée de tribus bédouines qui ne méritaient pas que l'on s'y intéressent.(14)
Les habitants de cette région d'Arabie étaient exposés à d'innombrables troubles. Ils vivaient dans la plus grande ignorance et subissaient toutes sortes d'oppressions. Dans chacune des maisons, une place était aménagée pour l'adoration des idoles et chaque tribu avait sa propre divinité. Ils installèrent également un certain nombre d'idoles décorées d'or et d'argent , au centre de la ville.
De plus ils sculptèrent pour eux-mêmes des idoles dont le nombre était égal à celui des jours de l'année, soit 360 idoles appartenant aux plus importantes tribus arabes (15), qu'ils placèrent dans la Sainte Ka'bah.
Le feu destructeur de la guerre ne s'éteignait jamais vu l'ambiance belliqueuse dans laquelle vivaient ces tribus et de nombreux jeunes y laissaient leur vie. Parfois les guerres se prolongeaient tellement qu'on oubliait que la paix et le confort existaient, et qu'on pensaient qu'il était normal de vivre dans un tel enfer. Le pillage était devenu une profession. Les pilleurs qui ignoraient le Tout-Puissant Allah, attaquaient sans hésitation et sans scrupule toutes les caravanes qui passaient, et réservaient de plus un très mauvais traitement aux victimes de leurs pillages, les opprimant sauvagement.
La Position de la Femme dans la Société Mecquoise de l'Époque
Dans toutes les tribus de l'Arabie, on éprouvait une telle haine et un tel mépris envers les femmes, que si une famille mettait au monde une fillette, on l'enterrait vivante. À leurs yeux, la meilleure des femmes était celle qui pour plaire à son mari, n'hésitait pas à tuer sa nouvelle-née. C'était là une coutume courante, une pratique ordinaire qui ne les affectait guère.
Le sens de l'honneur et la civilité n'avaient point cours chez eux. Seuls les aristocrates et les chefs des tribus menaient une vie aisée et confortable. Ils manquaient de sentiments de bonté et de philanthropie, et personnalisaient l'autoritarisme.
Ils capturaient les étrangers et les gens sans défense, les retenaient comme esclaves et les exploitaient, leur ôtant toute liberté et toute volonté. Ils n'étaient que les esclaves de leurs maîtres qui les traitaient comme bon leur semblait. Un jour on leur ordonnait de travailler, le lendemain on leur enjoignait de combattre pour la cause de leurs maîtres, et le surlendemain on les contraignait à se battre les uns contre les autres pour distraire et amuser leurs propriétaires. Par exemple, on obligeait deux esclaves à combattre jusqu'à la mort afin d'offrir un spectacle passionnant à un maître.
Dans un tel environnement, les femmes de murs légères ouvraient librement des maisons de débauche. En bref, la société de cette époque se caractérisait par la sauvagerie, l'ignorance, la débauche, une vanité sans limite, les razzias, les jeux de hasard, l'ivrognerie etc. Elle était gouvernée par des lois tribales et raciales, soumise à des coutumes et des cérémonies bizarres.
La vérité, la droiture, l'honnêteté, la chasteté, la philanthropie et les sentiments de bonté n'avaient aucun sens dans une telle société. En raison des guerres interminables qui les ravageaient depuis des années, les jeunes comme les vieux vivaient dans une détresse perpétuelle. La malfaisance ne laissait aucune place aux bonnes actions et toute la jeunesse s'adonnait à la débauche, en raison des murs dissolues qui prévalaient généralement dans cet environnement.
À une époque où la loi de la jungle prévalait sur tout, où les pilleurs agissaient ouvertement et impunément, où les pots-de-vin, les tributs, les commissions s'appelaient revenus, et où des milliers de gens dormaient le ventre vide, ignorés de tous, peu de personnes pouvaient réellement jouir des privilèges de la vie; la mort était devenue préférable à cette misérable existence.
La Lumière qui Brilla dans l'Obscurité
C'était dans cette société obscurantiste, polluée et arriérée qu'apparut soudainement l'étoile étincelante de la vertu, de la liberté et du monothéisme pour illuminer le monde ténébreux de cette époque-là.
Le Noble Prophète de l'Islam, Mohammad (P) fut désigné par le Tout-Puissant Allah pour éclairer et guider les gens, les conduire vers la félicité, les débarrasser de leurs mauvaises habitudes et coutumes, leur montrer la voie du progrès, de la perfection, de la connaissance et de la vertu. Il avait pour mission d'enlever les voiles de l'ignorance, briser les chaînes de la captivité, réformer la société corrompue, délivrer les gens du joug de l'esclavage et attirer leur attention sur le Tout-Puissant Allah, le Créateur des mondes.
Il est certain que dans une société telle que celle-ci, privée depuis une très longue période des bénédictions des Prophètes d'Allah, la faculté de perception de la vérité avait totalement disparu de l'esprit des gens, et par conséquent ceux-ci éprouvaient de la difficulté à s'habituer rapidement à la lumière.
L'ignorance qui prévalait alors, l'analphabétisme et toutes les idées de la déviation, de la mécréance qui leur avaient été inculquées et martelées au plus profond de leur subconscient, ne leur permettaient même pas d'imaginer un instant, qu'il existait réellement une autre voie que celle qu'ils avaient empruntée. Indubitablement, il est difficile pour une telle société de retrouver la voie de la lumière et de la vérité, après avoir baigné depuis des siècles, dans les ténèbres de l'injustice et de la tyrannie.
Bilâl, Le Surveillant du Temple des Idoles
Dès que le Prophète de l'Islam rendit public son Appel, et invita les gens à adorer Allah, la nouvelle Foi ne tarda pas à attirer l'attention des masses. Les personnes qui avaient gardé encore une lueur de droiture, d'humanité et de bon sens dans leurs coeurs, répondirent à l'invitation. Bien que leur nombre fût insignifiant, leur foi était très ferme.
Les chefs des tribus et la majorité des gens opposés au Message divin décidèrent de faire taire, par tous les moyens, cette nouvelle croyance, mais en vain. Le Saint Coran dit à ce propos:
«Ceux-ci veulent éteindre, de leurs bouches, la lumière d'Allah; mais Allah parachèvera Sa lumière, en dépit des incrédules». (Sourate Al Çaf, 61: 8)
Il est bien naturel de penser que lorsque des personnes arrogantes, qui dominaient leurs peuples depuis si longtemps, s'aperçurent que leur pouvoir et leur autorité commençaient à chanceler, et que les gens peu à peu allaient jusqu'à ignorer leurs commandements, elles se résolurent à s'opposer au Saint Prophète qui étendait son appel au détriment de leur existence.
Dès lors des groupes d'opposants affluèrent de tous côtés pour en finir avec le guide de cet appel divin et ils formèrent des alliances, tinrent des réunions et firent des discours. Leurs stratagèmes et leurs sinistres desseins occupaient leur esprit jour et nuit, en privé ou en public. Mettre fin à la vie du Saint Prophète était le seul sujet de discussion et leur seul objectif.
Malheureusement pour eux, leur opposition et leur hostilité farouches envers le Saint Prophète contribuèrent efficacement à faire connaître aux gens le Message de la Religion Divine et à conduire toutes les classes de la société à étudier attentivement le but et la politique du Saint Prophète.
Dans le même temps, les pauvres et les dépossédés qui n'occupaient aucune position dans la société apprirent par ce moyen l'existence du Saint Message et du complot qui se préparait pour le faire avorter. Eux aussi se mirent à discuter entre eux de cette affaire.
Pendant cette crise étrange et suite aux propos incohérents des Mecquois, Bilâl, le surveillant du temple des idoles se mit lui aussi à réfléchir.(16)
Le fait que Bilâl commença à méditer sur ce sujet eut un effet salutaire sur lui, car il avait si longtemps composé avec les idoles et n'avait même pas hésité à les invoquer les ayant considérées jusqu'ici comme des dieux. Mais aujourd'hui c'est le doute qui hante son esprit après avoir entendu l'Appel. Bilâl assista à l'effondrement de son ancienne croyance et il restait pensif et s'interrogeait sur sa foi.
Lui qui avait l'habitude de les implorer, de les supplier d'exaucer ses vux, lorsqu'il se trouvait seul avec elles, voilà qu'il se sentit soudainement désabusé et devint de plus en plus perplexe. Il se demanda au plus profond de lui-même comment des statues inanimées, incapables de se protéger elles-mêmes puissent être "Dieu" et que ces idoles qu'il s'appliquait chaque jour à nettoyer et à dépoussiérer avec tant de respect et de crainte, fussent les créateurs de la terre, du ciel, du soleil et des étoiles? Et comment les saisons et cette alternance du jour et de la nuit seraient tributaires dans leur existence du pouvoir et de la faculté de ces statues sculptées par la main de l'homme?
Pourtant, depuis sa naissance, Bilâl savait pertinemment que les idoles faisaient l'objet d'une vénération absolue! Obligé d'accepter la parole des idolâtres, bien qu'au fond de lui-même il restât perplexe et ne fût pas totalement convaincu, son âme ne reposât sur aucune certitude. C'est pourquoi son visage trahissait toujours un malaise enfoui et une perplexité profonde, lorsqu'il pensait aux idoles, ce qui le poussait toujours à réfléchir de plus en plus.
Chaque matin, lorsque le soleil se levait derrière les montagnes pour dévisager la vie humaine tumultueuse, les Mecquois donnaient l'impression de vaquer à leurs occupations quotidiennes. Toutefois, la perplexité et les mauvais desseins ne les abandonnèrent pas à leur sort, et maintinrent leurs esprits préoccupés. Ils réfléchissaient la nuit, se rassemblaient pendant la journée et se dispersaient tard le soir. L'angoisse restait le trait marquant de tout un chacun.
Bilâl ne demeurait pas à l'écart des Mecquois, et de leurs préoccupations. Tantôt il pensait sérieusement à l'Appel du Saint Prophète et tantôt réfléchissait sur sa propre foi autant que sur celle des autres. Déconcerté, il ne savait plus quoi faire ni quelle voie choisir.
Quelques fois il se disait: «Cet Appel de Mohammad satisfait l'intellect de l'homme. Toutefois, il est impossible que cette société qui se prosternait devant les idoles depuis si longtemps puisse renoncer à son objet d'adoration». Parfois il pensait: «Si les opposants le permettaient, il serait possible que la nouvelle Foi prévale. Mais que pouvait faire un individu face à ce monde d'idolâtrie?»
Après un certain temps passé dans cette incertitude, une lumière éclaira l'intellect de Bilâl, son esprit s'ouvrit et sa conscience fut réveillée et il se dit: «Il me semble que le Messager d'Allah a raison. Ce qu'il dit doit être correct».
Un tempête se déchaîna au plus profond de son coeur. On aurait dit que Bilâl avait atteint un autre monde et que son âme était au zénith des ciels, et survolait les hautes montagnes et les déserts arides, parcourant les prairies et les palmeraies verdoyantes pour clamer haut et fort que ces galaxies avec ces ciels et ces magnifiques étoiles et ce système minutieux qui les gouverne, que les levers et cochers du soleil et de la lune et l'apparition des quatre saisons et la création des êtres humains et des animaux de la nature, ne dépendent aucunement, dans leurs existence, d'idoles inertes, mais que leur Seigneur est certainement quelqu'un d'autre.
Ainsi Bilâl leva sa tête vers le ciel et s'écria:
«Je l'ai trouvé! Je l'ai trouvé! J'ai trouvé enfin ce qui préoccupait mon esprit pendant si longtemps. Oh! Comme j'avais tort!.
»Ces idoles sans vie pourraient-elles être les créateurs de ce monde magnifique? Ces pierres taillées et sculptées de nos propres mains pourraient-elles être nos créateurs et les créateurs de la terre et des cieux? Une idole pourrait-elle apporter le jour et la nuit? Ces statues aux formes grossières pourraient-elles entraver et nuire au mécanisme minutieux et fragile de ce monde?
»Non! Jamais! Elles ne possèdent point un tel pouvoir. J'avais tort. Les gens ont tort. Je dois aller voir le Messager divin qui a communiqué cet Appel vivifiant à l'humanité. Je peux lire cette vérité sur le visage lumineux et angélique du Messager. Je l'aime du fond du cur. C'est un homme intègre qui s'est maintenu à l'écart de cette société corrompue et de ses abominables pratiques. Les mains criminelles de la société n'ont pas pu le vaincre. Il est le seul homme à s'être élevé courageusement contre les coutumes et les traditions honteuses de cette époque, et afin de se tenir loin de l'arrogance des gens il n'hésita pas à se réfugier une bonne partie de sa vie dans une grotte de la montagne.
»Il semble qu'il ait trouvé la société tellement ignoble qu'il ne supportât plus de vivre parmi ses habitants, ce qui explique sa retraite spirituelle à l'écart de cette société et de ses pratiques viles et blâmables. Et il allait s'attacher dorénavant à réformer les mentalités et les murs dépravées de cette société corrompue».
Lorsque le soleil se leva progressivement, annonçant une chaleur torride, les rues qui grouillaient de personnes se vidèrent peu à peu et c'est à peine si l'on rencontrait parfois ça et là quelques mendiants ou nomades qui étaient venus dans la ville pour leurs affaires.
Bilâl sortit du temple des idoles dans l'espoir de pouvoir rencontrer à cette heure désertée, son "ami". Son visage cachait mal une angoisse profonde et il était évident que des idées nouvelles occupaient son esprit. La chaleur ardente ne l'affectait point. On eût dit qu'il ne sentait pas la sévérité du climat. Il traversait les rues à la hâte, les unes après les autres jusqu'à ce qu'il arrivât au Masjid al-Harâm (la Ka'bah). Il avait entendu dire que le Saint Prophète avait l'habitude de venir la nuit pour prier Allah à côté de la Ka'bah. Il voulait donc le voir sans attirer l'attention des gens. Lorsque Bilâl entra dans le Masjid al-Harâm, il vit le Saint Prophète et son cousin l'Imam 'Alî, debout côte à côte en train de faire la prière. Bilâl poussa un soupir de soulagement. L'amour du Saint Prophète envahit toute sa personne. Des larmes de joie remplirent ses yeux. Il voulut s'approcher du Messager d'Allah afin de l'embrasser, mais il eut l'impression que quelqu'un le retenait et lui disait dans le fond de son cur: «Attends, sois patient. Il se peut que quelqu'un te voie et que les choses tournent mal».
Le feu de l'amour brûlait dans ses entrailles. Il ne pouvait plus détourner son regard du visage céleste de Mohammad (P). Ses yeux restèrent fixés et immobiles. Il se disait: «Voilà l'homme qui peut nous guider, nous les esclaves vers la prospérité. Voilà l'homme qui a apporté des nouvelles du Créateur de ce monde magnifique et c'est lui qui a un message pour moi concernant ce que j'avais perdu...».
Bilâl restait très pensif, le regard toujours fixé sur le Saint Prophète. Le Messager d'Allah (P) et l'Imam 'Alî se levèrent après avoir terminé leurs prières, mais Bilâl demeura immobile sur place. On eût dit qu'il était perdu dans son regard arrêté sur le Saint Prophète. Après quelques minutes il se dirigea vers eux, prit la main du messager d'Allah et l'embrassa. Il embrassa du même coup l'Islam en prononçant les deux professions de Foi Islamique (al-chahâdatayn).(17) Ainsi les Musulmans virent leur nombre augmenter d'un nouvel adepte.
Le Premier Musulman Originaire d'Ethiopie
À peine quelques jours après que le Saint Prophète eut étendu son Appel à l'Islam au public et alors que le nombre des Musulmans n'excédait pas les quarante, Bilâl l'esclave éthiopien accepta l'invitation à l'Islam et posa son pied sur le chemin de la vérité et de la perfection.
Les opposants du Saint Prophète, avaient quant à eux très peur de la pénétration de l'Islam dans les coeurs des masses. Jour après jour, ils prenaient de nouvelles décisions, et ne s'attendaient point à ce que le maître de l'Appel puisse survivre dans la société plus que quelques jours, aux insultes et aux persécutions auxquelles ils l'avaient soumis, d'autant plus qu'étant habitués à l'ordre établi, les gens se montraient peu enclin à accepter une vérité qui n'avérait pas la leur.
Seul un petit groupe de personnes étaient restés à l'abri de la corruption et leur valeur augmentait jour après jour. Étant demeurés aussi purs que l'or, ils rejoignirent la Voie de la Vérité sans difficulté.
Ils constituaient les gemmes lumineuses de l'humanité et, c'est pourquoi contrairement à la majorité ils acceptèrent sans hésitation et avec une sincérité totale, l'Appel à l'Islam lancé par le Saint Prophète. Mais cette acceptation de la religion d'Allah leur coûta très cher, car ils subirent d'insupportables persécutions qu'ils endurèrent cependant avec vaillance et patience. Mais leur souffrance fit leur gloire tout au long de l'histoire de l'humanité.
Que leurs âmes soient bénies, car malgré toutes les souffrances qu'ils vécurent, ils restèrent fidèles au Guide céleste, le Prophète Mohammad (P), et contribuèrent ainsi à sauver l'humanité de l'annihilation.
Parmi cette constellation d'hommes épris de la Vérité, on peut noter bien entendu l'Imâm 'Alî, le cousin du Prophète et le premier à accepter son invitation, suivi de bien d'autres dont notamment Salmân al-Fâricî (de la Perse), Sohayb (de Rome), Billâl (d'Afrique) et Khubâb (de Nabat).(18)
Bien que Bilâl fût pris entre les griffes de l'un des ennemis les plus obstinés du Messager d'Allah, et mis sous surveillance étroite, son amour pour le Saint Prophète et pour la religion musulmane était tel qu'aucune contrainte ne pouvait l'en détacher.
On peut dire que Bilâl porta sur ses épaules l'étendard de la liberté de tous les Noirs. Il fut le premier homme à élever la voix pour la liberté des Noirs, et à faire savoir au monde sauvage et oppresseur qu'il n'y a pas de différence entre un Blanc et un non-Blanc. Avec son visage noir, son coeur lumineux et éclairé, aguerri par toutes les souffrances et les tortures qu'il avait dû subir, il cria la vérité et fit entendre le message de l'Islam à toutes les oreilles. Sa détermination et son enthousiasme à cet égard étaient tels qu'il surprit ses maîtres qui faisaient partie des ennemis du Prophète (P).
Après avoir embrassé l'Islam, Bilâl prit de plus en plus ses distances avec les gens, consacrant l'essentiel de son temps à la méditation et à l'adoration d'Allah. Il aimait réciter des supplications adressées à Allah dans un recueillement total et il put ainsi développer son état spirituel.
Il se disait souvent: «Comme ils ont tort ces gens qui adorent les idoles au lieu d'Allah, et qui leur offrent tant de sacrifices alors qu'elles ne peuvent leur être d'aucune utilité!»
Il voyait la pauvreté et le malheur de ces gens et était très triste à cet égard, car il ne savait que faire pour les amener vers le Saint Prophète et les conduire à accepter l'Appel d'Allah, Lequel leur offrait la seule issue possible.
Chaque fois qu'il apprenait que les notables de la ville avaient entrepris une action hostile contre le Saint Prophète, il était affligé et ne comprenait pas comment les gens ne pouvaient à ce point percevoir la Vérité qui lui paraissait pourtant si évidente.
Lorsqu'il croisait ces notables, ces maîtres d'esclaves assoiffés de sang, il les regardait avec animosité. Dès qu'il les voyait, il sentait que son coeur était plein de rancune à leur égard, car leur hostilité envers le Prophète (P) et ses adeptes avait rendu la vie difficile à tout le monde. Ils avaient obstrué la voie devant le peuple, et l'empêchaient de se diriger vers la prospérité et le salut.
Il se dit un jour: «Qu'est-ce que ces notables et chefs de tribus veulent de la vie des gens? Pourquoi ne se défont-ils pas de leur égoïsme, et pourquoi persistent-ils à demeurer la cause du maintien du peuple dans un état de pauvreté abjecte et de corruption? Qu'a fait le peuple pour tomber sous les griffes de ces brutes sanguinaires?»
Quand il rencontrait ses amis et connaissances, il désirait les guider vers le Droit Chemin. Toutefois n'osant pas les y inviter directement à cause du climat de terreur que faisaient régner les ennemis de l'Islam naissant, il essayait de leur ouvrir les yeux indirectement en leur disant: «Il est possible que le Messager d'Allah dise la vérité. Y a-t-il quelqu'un qui l'ait jamais entendu dire un mensonge?»
L'environnement pollué et corrompu de la ville, les contraintes rencontrées partout, les idées fausses et les pensées erronées qui circulaient et qui altéraient les esprits et dégradaient la société, affligeaient de plus en plus Bilâl qui s'en plaignait à Allah: «O Seigneur, ces gens-là ne vont-ils pas se réveiller un jour? O combien j'aurais aimé voir tout le monde libre! Pourquoi les gens qui corrompent la société jouissent-ils d'une liberté totale, alors que le Messager d'Allah et ses amis ont la vie difficile? Cet état de chose ne peut pas durer. Mon coeur se meurt de chagrin en voyant les voleurs et les profiteurs circuler librement, alors que le Prophète (P) est encerclé par les ennemis et que les gens vertueux et nobles d'esprit, les hommes intègres sont persécutés par des individus insignifiants. Honte à ceux qui éteignent le phare de la guidance et plongent dans les ténèbres de l'ignorance».
Le Rassemblement des Opposants
Comme il a été dit plus haut, les notables de la Mecque étaient amers et très perplexes en entendant les échos de l'Appel du Saint Prophète. Ils se dirent les uns aux autres: «La venue de Mohammad (P) à la barre des affaires et la progression de son monothéisme, nous feront perdre notre dignité et notre position aux yeux du peuple de la Mecque et des autres villes, ce qui ne manquerait pas d'entraîner un changement dans la condition de la société. Nous devons donc entreprendre les démarches nécessaires afin de faire taire le plus tôt possible cette voix qui appelle à l'adoration d'Un Allah Unique, et de cette façon nous viendrons à bout de la situation difficile vers laquelle nous nous acheminons».
Afin d'atteindre cet objectif, ils se réunissaient chaque jour dans un endroit précis pour échanger leurs points de vue et trouver par la concertation une solution au problème qui se posait à eux, à savoir comment mettre un terme à l'Appel du Prophète (P).
Cet endroit (Dâr al-Nadwah) était une sorte de parlement de l'époque, où les gens se réunissaient pour résoudre les problèmes qui surgissaient. Les représentants de toutes les tribus arabes et les notables de la Mecque se rassemblaient là et on écoutait attentivement les opinions exprimées par chaque intervenant.(19) Seuls avaient le droit de participer à ces réunions les gens âgés de quarante ans et plus(20) et ceux qui croyaient aux principes de l'idolâtrie et qui étaient opposés au Prophète de l'Islam.
Omayyah, le maître de Bilâl, était l'un de ceux qui assistaient avec assiduité à ces réunions et il prononçait souvent des discours très virulents et menaçants à l'encontre du Prophète, prêchant carrément son élimination, car il était l'un des ennemis les plus farouches de l'Islam et de son fondateur.
Un jour alors que les discussions étaient fort animées, et que chacun des protagonistes présentait son plan d'action et ses suggestions, Omayyah se montra plus arrogant et plus enthousiaste que les autres, croyant avoir un nouveau moyen d'éteindre la lumière de l'Islam à tout jamais. Le voyant ainsi, un homme s'approcha de lui, et s'asseyant à son côté, lui murmura à l'oreille: « Me permets -tu de te dire quelque chose, car je vois que tu parles très impétueusement et que tu as l'air d'être plus sérieux que les autres».
Omayyah répondit avec condescendance: «Il n'y a pas de mal. Parle s'il te plaît. Nous devons être plus actifs que nous ne le sommes actuellement afin de pouvoir mettre un terme à cet état de choses indésirable dans un futur proche».
L'étranger se mit à parler et dit sur un ton d'insinuation: «Si je ne me trompe pas, il y a une condition préalable à la participation à cette réunion, à savoir que tout participant doit être un idolâtre et qu'aucune personne ayant embrassé l'Islam ne doit se trouver dans sa maison».
Omayyah, comprenant que cet homme procédait par insinuation, se mit en colère et dit: «N'ai-je pas rempli cette condition, ou bien quelqu'un qui est lié à moi aurait il ce défaut?»
L'homme répondit: «J'ai reçu une information selon laquelle l'un des esclaves de ta famille avait embrassé l'Islam».
Omayyah, comme tombé des nues s'exclama: «Dans ma maison ?! Mon esclave ? Vraiment dans ma maison?! Quel esclave? J'en ai plusieurs! De qui tiens-tu cette information?! Où l'as-tu entendue? Si cette nouvelle s'avérait fondée, l'esclave en cause paierait de sa vie, mais si elle est fausse, je te punirais sur-le-champ pour cette fausse accusation en te coupant la tête. Il est certain que cette information est sans fondement, car personne dans ma maison n'oserait agir de cette façon».
L'homme répliqua: «Évidemment que ceci se passe dans ta maison, et c'est l'un de tes esclaves qui est en cause. Je ne te raconte pas de mensonges. Il rencontre habituelle-ment Mohammad pendant la nuit et à la faveur de l'obscurité nocturne».
Omayyah se releva, tint l'homme par la main et l'entraîna dehors en lui disant: «Il vaut mieux en parler à l'extérieur pour éviter que quelqu'un soit au courant de cette affaire».
L'homme suivit donc Omayyah et poursuivit sa dénonciation: «L'esclave qui a embrassé la Foi de Mohammad s'appelle Bilâl».
Omayyah ne put en croire ses oreilles: «Bilâl?!»
«A Oui, Bilâl ,confirma l'homme. Je l'ai vu moi-même rencontrer Mohammad en privé et entretenir avec lui une relation cordiale».
Des signes de colère marquèrent le visage de Omayyah devenu rouge, de même que ses yeux. Il tremblait, grommelait et se disait en lui-même: «Comment cet esclave a-t-il osé exprimer sa foi en Mohammad? Si cette nouvelle se vérifiait, il le paiera de sa vie. Mon honneur a été incidemment bafoué. Si je ne peux pas me faire obéir dans ma propre maison, comment pourrais-je empêcher les gens de suivre Mohammad?»
Le visage défait, anxieux et marqué par une profonde colère, Omayyah se dirigea vers sa maison.
Sur le chemin, Omayyah tentait de se convaincre que tout ce que cet homme lui avait raconté était un pur mensonge. Il se disait: «Quel mensonge! Comment Bilâl pourrait-il faire une chose pareille?! Même si une telle pensée a effleuré son esprit une seconde, il l'abandonnera tout de suite, dès qu'il se rendra compte que je n'en suis pas content. Il connaît quand même bien mon tempérament!»
Lorsque Omayyah arriva à la maison , il cria à tue-tête: «Bilâl... Bilâl!»
En entendant la voix de son maître, Bilâl accourut vers lui en toute hâte, le salua et resta debout et immobile devant lui. Les autres esclaves qui assistèrent à la scène regardaient ça et là, comme pour comprendre ce qui se passait. Bilâl n'avait guère vu son maître dans cet état. Il se douta bien que Omayyah avait entendu quelque chose à propos de sa conversion à l'Islam. Son visage devint pâle et il se mit à trembler de peur, tel un saule.
Tout son être se tourna alors vers Allah et il murmura: «O Seigneur du monde! Viens à mon secours, car cet homme brute vient de découvrir mon secret».
Omayyah cria d'une voix tremblante et colérique: «Bilâl! Qu'est-ce qu'on raconte sur toi? J'ai entendu dire que tu as épousé la Foi de Mohammad, l'orphelin. As-tu vraiment fait une telle absurdité? Comment oses-tu le faire? Oublies-tu que tu es mon esclave? Ne sais-tu pas que tu es dépouillé de tout choix personnel?»
À mesure qu'il parlait, le ton de sa voix s'élevait. Tous ceux qui étaient présents dans la maison, tremblaient de peur. Bilâl blêmissait de plus en plus, comme si le monde était devenu noir à ses yeux et qu'il était devant une montagne de difficultés. Toutefois il resta debout et calme dans un coin.
Omayyah continua à prononcer des mots durs à l'adresse de Bilâl: «Tu dois réparer immédiatement la faute que tu as commise et te repentir. Tu dois aussi injurier Mohammad l'orphelin qui est un dément. Tu m'as déshonoré. Personne n'a jamais pensé que quelqu'un de ma maison puisse avoir l'audace de faire ce que tu as fait».
Bien que Bilâl fût incapable sur le moment de rassembler son courage pour répondre pertinemment à son maître, il décida tout de même d'opposer un refus à ce qu'il exigeait de lui, car ayant exprimé sa Foi en Allah, il ne craignait rien d'autre que Lui et considérait que tous les pouvoirs fragiles et éphémères n'étaient rien comparés à Celui d'Allah. Aussi dit-il à son maître: «J'ai exprimé ma Foi et je n'ai pas peur de le dire. De plus, je n'ai nullement l'intention d'abjurer ma foi. Je suis ton esclave mais en matière de croyance, je suis libre».
Bilâl n'avait pas encore terminé sa parole lorsque Omayyah se jeta sur lui avec rage, faisant taire sa faible voix avec ses puissantes mains. Il le tint par la gorge et la serra tellement fort que le pauvre faillit être étranglé. Puis il lui administra des coups successifs très violents. De chaque côté vers lequel Bilâl se tournait, il recevait un coup sur une partie de son corps. Le premier monothéiste d'Éthiopie ne résista pas longtemps à ce sauvage passage à tabac. Il perdit connaissance et tomba dans un coin.
Omayyah toujours furieux, tournait en rond en grognant: «Hélas! Qu'a fait Mohammad?! Il a pénétré nos maisons et atteint nos esclaves. Pourquoi les notables de la Mecque ne prennent-ils pas les mesures nécessaires pour mettre un terme à cette calamité? S'il survit plus longtemps, il rendra la vie amère pour les gens. Hélas! Quelle époque! Un esclave a pris tellement d'assurance qu'il se permet de parler en ma présence d'exprimer sa Foi! Pauvre type! Il oublie qu'il ne doit pas ouvrir la bouche devant moi».
Toutes les personnes présentes dans la maison se réfugièrent chacune dans un coin, tremblant de peur. Ils avaient envie à certains moments de maudire Bilâl pour avoir mis leur maître dans cet état de fureur. Ils craignaient que d'autres personnes subissent son courroux meurtrier.
Un silence de mort régnait dans la maison. Seuls les hurlements rugissants de Omayyah, et parfois les lamentations déchirantes de Bilâl étendu à terre, souffrant de douleur, brisaient le silence, pour rendre le climat encore plus terrifiant.
Personne n'était capable d'ouvrir la bouche. Omayyah élevant encore la voix, dit sur un ton menaçant et déterminé:
«Je jure par al-Lât et al-'Uzzâ(21) que si cet esclave ne renie pas ce qu'il a dit, je le tuerais de la manière la plus horrible, afin que les autres sachent qu'ils n'ont pas le pouvoir que Bilâl s'est accordé.
Des signes de malaise et d'angoisse se dessinèrent clairement sur son visage. Sombrant subitement dans une profonde apathie, il s'allongea dans un coin de la maison. La chaleur l'indisposait et le feu de la colère enflammait son corps. Cependant, il sentait qu'il ne possédait pas suffisamment d'énergie pour faire quoi que ce soit.
Il se dit: «Si cet esclave ne meurt pas, il renoncera sans aucun doute à sa conversion. Il abdiquera certainement sa Foi. Toutefois cette affaire doit être repensée profondément et les notables de la Mecque ne doivent pas sous-estimer la gravité de la situation. Ils doivent prendre conscience de ce que Mohammad a fait».
Puis il pensait autrement: «Non, cette affaire n'est pas bonne pour moi, car les gens vont penser que je ne détiens plus aucune autorité dans ma propre maison. Mais ils réaliseront bien vite, après le retour de Bilâl à son ancienne croyance, ou dans le cas contraire, après son exécution que je sais faire régner ma loi chez moi».
Omayyah voulait se reposer un peu. Mais tiraillé par les idées contradictoires qui lui passaient par la tête, et perturbé par les pensées noires qui grouillaient dans son esprit, il ne pouvait pas dormir.
Tous les esclaves de la maison, hommes et femmes, partirent chacun à sa tâche. Seul l'infortuné Bilâl resta allongé dans un coin poussant des lamentations. Le sang coulait à flots de sa tête et de son visage, et personne ne lui prêtait la moindre attention.
Chacun de ces esclaves se disait: «Bilâl a mis fin à sa vie par sa propre faute. Ce n'est pas le moment de faire une chose pareille. Même les dignitaires arabes n'ont pas accepté cette religion. Que dire alors d'un esclave comme Bilâl!»
Ils parlèrent tous et exprimèrent leurs opinions sur le sujet.
La Foi, une Affaire Personnelle
Après quelques heures, Bilâl se mit à bouger, il poussa un soupir, mais de nouveau il perdit connaissance. Lorsqu'il reprit conscience, des larmes coulaient de ses yeux. Il regarda de tous côtés, mais ne vit personne susceptible de venir à son secours. Il sentit que partout dans la maison le démon de la peur régnait. Tout son corps était barbouillé de sang, ses os semblaient avoir été broyés et il n'avait pas assez de force pour bouger. Que pouvait-il faire? À qui pouvait-il faire appel? Il leva ses yeux à peine entrouverts et noyés de larmes vers le ciel et dit le cur serré: «O Allah! Viens à mon secours. O Allah, Créateur du monde! Je suis innocent. O Seigneur Tout-Puissant...»
Bilâl poussait sans cesse des cris plaintifs, mais il était incapable de bouger. Il attendait là, sans savoir ce qui allait lui arriver.
Omayyah se releva en sourcillant, les yeux empourprés de colère, il s'approcha de Bilâl. Il s'attendait à ce que son esclave lui dise immédiatement: «O maître! Je me soumets à toi. Je regrette ce que j'ai fait. Je crois en Lât et en 'Uzza. Désormais je n'irai plus voir Mohammad».
Il fixa les yeux sur Bilâl qui reprenait conscience, attendant ce qu'il allait dire. Mais celui-ci était incapable de parler tant il souffrait. Il ouvrit lentement ses yeux, des larmes se mirent à en couler, et tout en se remuant il dit à peine: «Cher maître», avant de retomber dans l'inconscience.
Omayyah se réjouit et dit: «On dirait qu'il est revenu à son ancienne croyance et qu'il veut se repentir. Mais, même s'il le fait, il doit recevoir des coups de trique afin que plus jamais il ne songe à recommencer».
Bilâl reprit enfin conscience et dit: «Maître! Ma Foi n'a rien à voir avec toi. Ma croyance en Mohammad n'est pas un péché et elle ne nuit nullement à mon travail».
Omayyah ne s'attendait guère à entendre ces mots qui pesèrent si intesement sur ses oreilles qu'il avait l'impression que le monde devenait noir devant ses yeux. Il hurlât: «O minable individu! Ne sais-tu pas que tu es mon esclave! Ton intellect, ton âme, ton corps m'appartiennent. Ton coeur n'a pas l'autorisation de croire à sa guise. Ta pensée n'est pas libre de suivre la direction qu'elle veut».
Bilâl répondit calmement: «C'est vrai que je suis ton esclave; je ne le nie point. Je le suis à tel point que si tu m'ordonnes de marcher dans des déserts noirs durant la nuit, j'obéirai sans broncher. Et si tu me donnais l'ordre de porter pendant le jour des roches lourdes sur mes épaules, sous la chaleur du soleil brûlant, j'exécuterais tes ordres sans manifester le moindre malaise. Mais mon intellect, ma pensée et ma foi ne t'appartiennent pas. Ce ne sont pas des choses que tu peux t'approprier. Je dois accomplir mon devoir même si ma croyance est différente de celle de mon maître. La foi est une affaire personnelle».
Omayyah tremblant de rage vociféra: «Non, non. Tout ce que tu as m'appartient. Tu es mon esclave. Tout ton être est ma propriété. Ta foi et ta pensée m'appartiennent, de même que les mouvements de ta langue sont sous mon contrôle. Je vais t'administrer des coups si violents que tu vas extirper cette foi de ton cur et de ton intellect».
Et joignant le geste à la parole, Omayyah lui assena un coup de pied d'une telle violence qu'on eût dit que c'était le coup de grâce.
Cette haine meurtrière à l'égard d'un esclave sans défense, obéissant, travailleur et bien noté, dont la seule faute était d'avoir souscrit à une croyance naissante et sans grande influence jusqu'alors, trahissait sans doute la vague crainte des nantis d'Arabie d'assister à l'avènement d'une nouvelle ère où l'esclavagisme serait appelé à disparaître tôt ou tard.
Indisposé par un profond malaise, le maître de Bilâl ne pouvait avoir ni la paix, ni la tranquillité de l'esprit, et il semblait vouloir se battre contre les portes, les murs, la Terre et le Ciel. Partout où il mettait le pied, la pression l'étouffait et le monde lui paraissait sombre. Omayyah se dit: «Quelle affliction a atteint la société? Même un esclave se permet de demander à son maître des choses absurdes. Mais qu'est-ce que c'est donc cette religion?! Que dit Mohammad?»
Puis emporté à nouveau par la rage, il se dit: «Je tuerai cet esclave pour que je sois soulagé et que les autres sachent que je jouis d'une grande autorité».
Ne pouvant mettre un terme au malaise qui le rongeait, il se résolut à sortir de la maison et à aller rencontrer les notables, les chefs de la ville et les représentants du parlement afin de les informer de ce qui se passait chez lui. En sortant, il désirait également se remettre de sa fatigue et reprendre un peu de force afin de se livrer à une nouvelle séance de torture contre son pauvre esclave.
Il se rendit chez les dignitaires de la ville et leur fit part de son inquiétude et du danger réel qui menaçait la société et l'ordre établi. Il insista pour que l'on trouve rapidement un moyen de détruire Mohammad, le Prophète de l'Islam, ainsi que le noyau d'adeptes qui s'était formé autour de lui. Il leur suggéra de méditer sur la sévérité avec laquelle il avait traité son esclave désarmé et leur demanda de l'aider à trouver une solution à son problème avec cet impénitent individu. Quelques heures plus tard, il retourna chez lui et vit Bilâl étendu tel un cadavre dans un coin de la maison. Il secoua la tête et lui dit: «Crois-tu toujours en Mohammad?» Puis il se dirigea vers sa chambre pour se reposer un peu.
Un silence de désolation régnait dans la maison. Personne n'avait le courage de prononcer un mot. Ce silence était toutefois entrecoupé par des propos incohérents qui sortaient de la bouche de Omayyah, pendant son sommeil. Parfois il brisait le silence par un cri ou murmurait des mots laissant deviner qu'il rêvait du repentir de Bilâl et de son renoncement à la religion de Mohammad. Après chaque rêve ou cauchemar, il se réveillait le visage joyeux ou haineux selon le cas, puis il se rendormait. Lorsqu'il se réveilla complètement, il constata que tout ce qu'il avait vécu pendant son sommeil n'étaient que "songes diaboliques", la rage le submergea et il se dit: «J'espère que cet esclave me laissera dormir tranquillement, enfin. Quels cauchemars sataniques j'ai eus!»
Omayyah s'assit et se remémora la décision sévère qu'il avait prise lors de sa visite aux dignitaires de la Mecque. Aussi pensa-t-il: «Je dois punir Bilâl, car il a rendu ma vie, mon sommeil et mon réveil insupportables. Jusqu'à quand devrais-je accepter ces tourments? Pourquoi ce malheur m'est-il arrivé? Pourquoi devrais-je souffrir?»
Ayant subi ce traitement impitoyable pour la première fois depuis qu'il s'était engagé sur cette voie, Bilâl se prépara à davantage de persécutions et de tortures et comprit que c'était le début de son sacrifice. Il réalisa que s'il voulait porter l'étendard de la liberté sur ses épaules et faire face aux tyrans et aux obscurantistes, en tant que précurseur, tout ce à quoi il devrait s'attendre, serait: persécutions, tortures, angoisses et ennuis. Pourtant une perspective aussi terrifiante ne le détourna pas de sa résolution, de rester vaille que vaille fidèle à cette nouvelle école de pensée, à cette révolution qui voulait soustraire l'homme à toute soumission en dehors de la soumission à Allah.
Le pilier de la foi de Bilâl était si solidement fixé, que ces tempêtes ne purent l'ébranler. Son amour pour la liberté était trop forte pour renoncer à sa foi sous la pression, même difficilement supportable, de Omayyah. La seule chose qui le préoccupait et l'affectait vraiment, c'était de voir les gens persévérer dans la déviation, l'insouciance et l'adoration des idoles inertes, et dans la soumission à leur maître injuste et tyrannique, au lieu d'adorer Allah le Miséricordieux.
Bilâl oublia son triste sort et laissa libre cours à sa pensée. Comment les maîtres et les obscurantistes pouvaient-ils opprimer les dépossédés sans que personne n'ose protester ou venir au secours de ces misérables, traités comme du bétail! Les nantis et les gens puissants jouaient avec la vie, les biens et les croyances du peuple et commettaient de nombreux crimes pour satisfaire leurs désirs charnels et la vie de luxure qu'ils menaient! Jusqu'à quand le sang des innocents continuerait-il à couler? Jour après jour la position des chefs des tribus arabes, plongés dans la débauche et l'immoralité ne cessait de se renforcer, alors que le concept de moralité et de noblesse humaine s'effacait peu à peu.
Bilâl était devenu conscient que la société se dirigeait tout droit vers le précipice et la destruction, et que tout allait vers le déclin. Peu à peu la crainte qu'il avait pour lui-même commença à s'estomper pour laisser place à son désir de voir les gens mettre un terme à leur condition pitoyable. Ce noble désir redoubla sa détermination à supporter toutes les souffrances et à s'armer d'une patience sans limite.
Emprisonnement et Travaux Forcés
Quant à Omayyah, sa détermination à faire mourir Bilâl, pour sauver la face et assouvir sa haine envers le Prophète Mohammad et sa Foi, sembla céder la place, une fois l'accès de colère apaisé, à une réflexion perfide et à une pensée calculatrice, propres à tous les possédants vivant sur l'exploitation d'autrui. Car pour Omayyah, Bilâl était avant tout un bien, une propriété personnelle et un instrument de service. Le tuer, c'était subir une perte matérielle. Il fallait donc sévir autrement et d'une façon plus efficace et bien plus adéquate. Il commença par l'affamer, lui confier des tâches très dures et quasi insupportables, l'isoler en interdisant à quiconque de lui adresser la parole ou de s'approcher de lui. Il pensa que c'était là la voie la plus courte menant à son but: si Bilâl était affamé, écrasé par les tâches pénibles et totalement isolé, il regretterait sa conversion, se repentirait, renierait sa nouvelle foi, et serait obligé de respecter son maître et de lui demander pardon. De plus, Bilâl n'aurait pas, pensait-il, d'autre choix que d'exécuter les travaux durs qui lui seraient confiés, de crainte d'être puni. N'était-ce pas la plus grande persécution que l'on puisse faire subir à un "criminel" afin qu'il se repente? Et n'était-ce pas la meilleure façon de dissuader quiconque aurait la velléité de suivre son exemple?
Il semblerait que les nantis et les exploiteurs, qu'ils soient des individus, des entités sociales ou des nations et quelque soit l'époque, sont animés par les mêmes sentiments, les mêmes craintes, le même égoïsme, et qu'ils recourent aux mêmes méthodes pour sauvegarder leurs privilèges, poursuivre leur exploitation des plus faibles et les empêcher de se relever.
Hier, Omayyah et ses pairs qui maintenaient sous leurs jougs les masses des démunis, s'alarmèrent dès que l'Islam naissant proposa à l'humanité un système plus juste et plus susceptible de réduire l'écart entre les possédants et les possédés, et ils recoururent à toutes sortes de méthodes perfides pour étouffer la légitime aspiration des masses à l'émancipation. Et de nos jours, les Grandes Puissances se sont coalisées et ont tout mis en uvre (embargo économique, boycottage politique et scientifique, dénigrement, diffamation, agressions armées, menaces) pour empêcher la nation musulmane et les pays pauvres d'accéder à la technologie et de se développer, dès que l'Islam renaissant a rappelé à l'humanité, inquiète devant la croissance des inégalités et des injustices, qu'il détient la solution et que le système islamique, s'il est correctement appliqué, peut sortir le monde du virage dangereux dans lequel il s'est engagé.
Mais contrairement à ses prévisions, Omayyah ne parvint pas à impressionner Bilâl par ses méthodes de dissuasion et de répression. En effet, Bilâl patienta et endura l'emprisonnement, l'isolement et les travaux forcés, et bien mieux, il se mit à exprimer sa foi en l'Islam d'une façon plus éloquente et avec une voix plus assurée. On aurait dit que les supplices et les persécutions étaient devenus les signes de l'affirmation de sa Foi, laquelle lui procurait un réconfort indicible et suscitait en lui des espoirs sans limites. Le monde éphémère d'ici-bas et ses épreuves lui paraissaient insignifiants face aux perspectives illimitées de la vie éternelle à laquelle il n'avait cessé de penser depuis qu'il avait épousé cette Foi.
Sérénité sous l'Emprise des Chaînes
Lorsque Bilâl l'Éthiopien terminait les corvées auxquelles il était astreint, Omayyah ordonnait qu'au lieu de le laisser se reposer, on devait enchaîner solidement ses mains et ses pieds, le jeter dans la basse-cour et lui donner une toute petite quantité de nourriture lui permettant à peine de survivre.
Il va de soi que les souffrances de Bilâl étaient indescriptibles dans ces lieux ténébreux, humides, jonchés de saletés de bêtes et dégageant des odeurs nauséabondes, dans lesquels Omayyah l'avait assigné.
Parfois Omayyah ordonnait que les pieds de Bilâl soient attachés avec une corde dont il donnait le bout aux enfants pour qu'ils courent en traînant Bilâl. C'était un jeu amusant pour les petits qui s'ingéniaient à le traîner de tous côtés, allant de droite à gauche, tournant en rond, en avant et en arrière. Les enfants jetaient sur lui des pierres et du sable comme pour l'inciter à se laisser traîner, et Bilâl essayait de se relever pour pouvoir les suivre mais retombait tout de suite à cause de la corde qui serrait fort ses pieds ensanglantés. Le sang avait beau couler tout le long de son corps, personne ne s'apitoyait sur son sort.
Bilâl se sentait totalement abandonné et il ne pouvait rien espérer de personne. Son maître! Un homme impitoyable, aveuglé par sa haine envers la nouvelle foi et ceux qui osaient l'épouser. Quant aux autres esclaves, ils étaient tellement terrorisés par l'attitude sauvage de Omayyah qu'ils n'osaient même pas penser à lui venir en aide. Autour de Bilâl tout était noir et aucune lueur d'espoir n'apparaissait à l'horizon. Pourquoi toute cette haine, tout cet acharnement? Pourquoi fallait-il souffrir autant pour sa nouvelle croyance? Lui qui était si apprécié de son maître et de ses semblables, pourquoi devait-il être honni, battu, torturé, abandonné, alors qu'il n'avait fait de mal à personne? Pourquoi devait-il subir toute cette violence pour avoir ouvert son cur et son esprit à une foi qui recherchait le bien-être de toute l'humanité? Ce qui le déconcertait le plus, c'était l'incapacité des gens à comprendre que le Message de Mohammad (P) était révélé pour les sortir des ténèbres dans lesquelles ils sombraient.
Cette situation lui causait tant de serrements de cur et de tourments dans l'âme qu'il en oubliait les douleurs physiques, pourtant insupportables, de ses blessures et plaies qui ne cessaient de s'aggraver. Un homme normalement constitué aurait déjà succombé depuis longtemps à un tel traitement. Comment parvenait-il donc à supporter ces douleurs physiques ainsi que les tortures infligées à son âme? Pour satisfaire son maître et mettre un terme à ses souffrances, il lui aurait suffi de prononcer du bout des lèvres quelques mots de regret. Après tout, ne voit-on pas, même de nos jours, des accusés qui sous la torture ou même tout simplement sous la pression psychologique, avouer des crimes qu'ils n'ont jamais commis, prêts à accepter la prison uniquement pour mettre un terme à l'état d'incertitude et de tourments dans lequel on les a mis.
Sa rencontre avec le Prophète (P) avait complètement transformé Bilâl. Une force ainsi qu'une totale quiétude l'habitaient depuis son attachement à la nouvelle Foi. Il pouvait résister à toutes sortes de pressions physiques et mentales. De plus, sa perception du monde avait changé, il avait enfin compris le sens de la vie, de la mort. Dès lors rien dans ce monde éphémère ne pouvait l'impressionner, ni perturber la tranquillité de sa conscience. Il avait découvert la Voie d'Allah le Tout-Puissant et depuis il voyait tous les tyrans, nantis et oppresseurs de ce monde comme des nains falots et impuissants.
Ainsi le plan diabolique de Omayyah ne parvenait pas à mettre à genoux cet Africain devenu fier et déterminé. Il supportait la douleur et sa condition difficile avec patience, ayant l'intime certitude qu'Allah lui trouverait la meilleure issue s'il savait patienter.
Chaque fois qu'il était soumis à la torture, l'homme libre d'Afrique dirigeait son attention vers le ciel et murmurait quelques récitations et prières dont les effets sur son âme et son esprit étaient immédiats. Il devenait ainsi indifférent à la douleur et à la pression. Plus ses difficultés et ses tourments augmentaient, et plus sa dévotion et sa foi s'affermissaient. Certes les blessures et la faim le faisaient crier et gémir, mais son âme restait intacte et éclairée.
Ce qui encourageait Bilâl , qui se sentait comme un porte-drapeau de la liberté, à endurer et à patienter, c'était son désir de montrer à la poignée de Musulmans valeureux la nécessité de rester fermes sur le chemin de leur foi, de ne pas quitter le champ à la suite d'une promesse ou d'une menace, ni être intimidés par les vociférations des ivrognes.
La fermeté et la résistance de Bilâl finirent par mettre son maître hors de lui, et fort mal à l'aise. Il voulait absolument le faire plier ou l'anéantir. Il pensait: «Comme cet esclave est obstiné! Que faire? Je l'ai torturé autant que faire se peut. Il n'est pas prêt d'abandonner sa mauvaise pensée et sa foi erronée! Alors, je jure par al-Lât et al-'Uzzâ qu'il devra mourir sous la torture. Je ferai en sorte qu'il soit enterré sous le sable avec tous ses idéaux».
Face aux menaces de plus en plus précises de Omayyah, Bilâl gardait son sang-froid. De temps en temps, il répliquait calmement: «Tout ce que tu peux faire contre moi, c'est me tuer. Or je n'ai pas peur de mourir. D'autre part, je me sentirais fier d'être tué sur le chemin du Prophète d'Allah et pour la délivrance des opprimés de la tyrannie et de la cruauté. Il vaut mieux mourir dans l'honneur que vivre dans l'abjection. Seuls les gens égoïstes et ne croyant pas au Jour du Jugement craignent la mort. Pour moi en tous cas, la mort n'est qu'honneur et salut!»
Ayant constaté que rien de ce qu'il avait entrepris ne pouvait entamer la foi de Bilâl, Omayyah décida de mettre à exécution son dernier plan diabolique qui devait selon lui conduire son incorrigible esclave à renoncer à sa foi ou à mourir. Il était déterminé à aller jusqu'au bout de sa logique meurtrière, car en fait son plan équivalait à la mort de Bilâl.
Il faisait une chaleur torride sous le soleil brûlant du Hijâz. Le sable du désert n'avait rien à envier à l'enfer.
Omayyah saisit la main du pauvre Bilâl et le traîna vers le désert jusqu'à ce qu'ils aient atteint une région sablonneuse et brûlante. Là, il déshabilla le maigre et famélique Bilâl et le fit allonger sur des pierres aussi brûlantes qu'un fer rouge de chaleur. Il n'oublia pas de poser par la suite quelques-unes de ces lourdes pierres sur sa poitrine. La peau de Bilâl commença à brûler et il lui était de plus en plus difficile de respirer. Mais ce ne fut pas tout, car tous ceux qui accompagnaient Omayyah se mirent à donner des coups de fouet au pauvre Bilâl , laissant deviner sur leurs lèvres un sourire de plaisir en signe de victoire.
Bilâl perdait parfois connaissance, suite aux terribles sévices qu'il subissait. Lorsqu'il reprenait ses esprits, il devait faire face à la folie furieuse de son maître qui le pressait de renier Mohammad (P) et son Seigneur. Mais à sa grande déception, Omayyah, incrédule, entendait Bilâl murmurer d'une voix tremblante, les yeux fermés: «Ahad, Ahad».(22)
En prononçant avec tant de peine les mots Ahad, Ahad, le sincère compagnon du Prophète (P) , le soldat dévoué d'Allah, mit en flammes toutes les entrailles de son maître, lequel, ahuri, ne pouvait pas croire qu'il était en face du même Bilâl qu'il connaissait. Il ne pouvait pas concevoir qu'un tel esclave puisse atteindre un si hait niveau de conscience et de foi, et une si haute position qu'il se préparait à se sacrifier pour sa foi, la foi au monothéisme. Comment cet esclave, toujours prévenant et prêt à s'aplatir devant lui, sur un simple geste, pouvait-il, avoir un tel mépris pour ses menaces, sa volonté, toutes les punitions inhumaines qu'il lui avait infligées? Mais toujours haineux et ayant à sa merci Bilâl il serrait les dents, comme pour montrer sa détermination et son pouvoir mis à l'épreuve, il dit à Bilâl: «Tu doit ou bien mourir ou bien renier le Seigneur de Mohammad». Mais le valeureux Bilâl, à qui l'Islam avait conféré une foi inébranlable et une force indomptable, répéta avec assurance et conviction: «Ahad! Ahad!»
Chaque jour le soleil se levait le matin derrière la montagne, et à mesure qu'il montait, la crainte de Bilâl augmentait, car la montée du soleil signifiait pour lui et pour sa peau martyrisée une nouvelle séance de supplice sous la chaleur. Mais Bilâl qui suffoquait sous l'effet conjugué de la chaleur et des pierres qui écrasaient son corps chétif, résistait miraculeusement en opposant à ces interminables souffrances, des prières continuelles qu'il murmurait inlassablement et qui semblaient avoir l'effet d'une anesthésie contre la douleur.
La scène de torture qu'avait fièrement montée Omayyah et l'incroyable résistance de son unique héros finirent par attirer des spectateurs. Leur présence poussait Omayyah à rendre le spectacle plus dramatique et plus mouvementé. Chaque fois qu'un nouveau arrivait, Omayyah attisait le feu, ou projetait plus de lumière sur son héros, en s'ingéniant à trouver les moyens d'augmenter sa torture afin qu'il pousse plus de cris plaintifs. Mais l'endurance de Bilâl, sa résistance héroïque à des douleurs humainement insupportables, finirent par arracher la sympathie et l'admiration des gens.
Un jour, un homme du nom de Waraqah Fils de Nawafal passa par là. En voyant la scène, il éprouva une grande affection pour la victime. Il eut subitement l'envie de l'embrasser. Il s'approcha de lui et lui dit: «Bravo, Bilâl! Moi aussi je dis qu'il n'y a qu'Un Allah. J'accepte ta foi». Puis se tournant vers Omayyah, il dit sur un ton d'avertissement et de défi: «Je jure par Allah que si Bilâl meurt dans cette condition, je ferais de son tombeau un lieu de pèlerinage pour moi-même, et j'implorerais la bénédiction de ses restes, car ce lieu sera certainement un lieu de descente des bénédictions d'Allah».(23)
Constatant que rien ne pouvait avoir raison de la résistance de Bilâl, Omayyah décida de chauffer au rouge une barre de fer et de l'enfoncer dans la cuisse de Bilâl.
Bilâl était étendu à terre, une grande pierre sur sa poitrine l'empêchait de voir ce que l'on était en train de faire avec sa jambe. Il voyait seulement Omayyah et ses hommes chauffer une barre de fer et l'apporter vers lui. Il sentit subitement que sa jambe était en feu. Il avait l'impression que des flammes avaient pénétré son corps et qu'il était en train de brûler vif. Alors qu'il était sur le point de perdre connaissance, il cria impuissant: «Ô! Je brûle! Je brûle!». Et puis plus rien. Son corps inerte fit penser aux gens présents qu'il était mort.(24)
Un silence lugubre s'empara du désert. Toute l'assistance fut prise de malaise. Même le soleil donnait l'impression de s'émouvoir devant cette scène macabre. Le visage de Omayyah devint à la fois blême et sinistre. Il avait l'air de regretter ce qu'il venait de faire.
Pour Bilâl, le temps passait lentement. À plusieurs reprises, il sembla reprendre conscience, gémissant de douleur. Sa respiration était lente, comme un mourant. Le teint blanchâtre, incapable de bouger, l'énergie lui manquait pour parler. Mais quiconque s'approchait de Bilâl, pouvait constater qu'il se plaignait à voix basse à Allah. Finalement il parvint à ouvrir la bouche et avec difficulté il murmura très lentement: «Ahad (Allah est Un)», puis il sombra à nouveau dans l'inconscience.
Ce mot prononcé d'une voix à peine audible, déchira pourtant le silence qui régnait dans le désert. Toute l'assistance soupira en signe de soulagement. Quelques minutes plus tard, il rouvrit les yeux, les promena sur l'assistance pour finalement les fixer sur son impitoyable maître à qui il dit sur un ton ironique: «Crois-tu que ma foi est cachée dans la chair de ma cuisse, pour que tu t'acharnes à la brûler au fer rouge, espérant ainsi la détruire et en chasser l'amour d'Allah l'Unique? Penses-tu que la Foi en Allah et l'attachement à Lui se dissimulent dans mon corps pour que tu t'appliques tant à le torturer dans l'espoir de les y tuer? Non, non! Détrompe-toi. La foi en Allah et en son Prophète a pénétré au plus profond de mon être et l'amour du Créateur a pris racine au fond de mon âme. Tu ne peux pas les en sortir, ni les détruire avec ces chaînes et ces coups de fouet. Non, sois certain que tu ne pourras me défaire de ma foi , ni l'affaiblir par cette cruelle torture».
Omayyah resta bouche bée, interloqué par l'attitude inouïe et surréaliste de Bilâl. Il était encore sous le choc du spectacle épouvantable qu'il avait mis en scène. L'odeur nauséabonde de la chair grillée de Bilâl et la fumée âcre qui s'en dégageait, les hurlements déchirants et les crispations douloureuses de son visage horrifiaient même l'âme la plus insensible. Comment cet homme agonisant, martyrisé, accablé et enchaîné pouvait-il encore ne se soucier que de sa foi et trouver le courage de défier son maître? Pour lui tout ceci était inimaginable, d'autant plus inimaginable qu'il s'agissait d'un esclave devant être sans volonté, sans âme et sans esprit, un animal dressé pour exécuter les ordres de son maître, penser comme lui et croire en ce qu'il croit. Cet homme n'était donc plus le Bilâl qu'il avait connu! Il s'était transformé. Mais qu'est-ce que cette religion de Mohammad (P) avait de particulier pour pouvoir changer de la sorte un être effacé en une personne dotée d'une volonté invincible?
La perspective de voir la nouvelle religion opérer une telle transformation dans les esprits et la crainte que ce changement ne mette fin aux privilèges illégitimes dont jouissaient Omayyah et ses semblables, arrachèrent du cur de celui-ci le brin de pitié et de regret qu'il avait eu l'air d'éprouver lorsqu'il avait mis à feu et à sang le pauvre corps de Bilâl.
Pour les esclavagistes de jadis, tout comme pour les colonialistes d'hier et les néocolonialistes d'aujourd'hui, les manifestations de pitié, les apparences de justice et les semblants de sentiment humain, n'ont pas de place lorsque les intérêts et les privilèges des possédants sont menacés.
Omayyah décida donc de mener jusqu'au bout sa logique meurtrière. Bilâl devrait mourir sous la torture ou abdiquer sa foi.
Bilâl, ou plutôt ce qu'il en restait, continua donc à survivre dans les mêmes conditions. Toutes les personnes qui passaient par là, s'arrêtaient pour voir le spectacle et s'alarmaient en remarquant l'état pitoyable dans lequel il sombrait.
Un jour 'Amr Ibn al-'Aç se trouva là. Il vit Omayyah en train de crier au visage de Bilâl: «Renie le Dieu de Mohammad(P) et exprime la foi en al-Lât et al-'Uzzâ», et Bilâl de lui répondre: «Allah est Un! Allah est Un!»
'Amr al-'Aç racontant cette scène, témoigne: «J'ai vu alors le visage de Omayyah changer et ses yeux devenir rouges. Il rugit, s'approcha de Bilâl comme un démon, s'assit sur sa poitrine et serra sa gorge si fort que j'ai cru qu'il était mort. J'étais très affligé et tellement bouleversé que je ne pouvais plus assister à cette scène insoutenable. J'ai quitté Omayyah, la tête étourdie et je me suis dit: «Malheur à ces gens rudes, cruels et injustes. Bilâl est mort. Ils étaient certainement trop sévères avec lui.
»Je suis parti vers ma destination, et ai vaqué à mes occupations. Mais tout ce temps, je suis resté perturbé et l'image pitoyable de Bilâl n'a pas cessé de hanter mon esprit. J'ai donc décidé de retourner sur place pour savoir ce qu'il était advenu de Bilâl. Une fois sur place, je l'ai vu toujours étendu à terre. Je me suis dit: "Le pauvre homme est donc bien mort? Mais j'ai soudainement remarqué qu'il bougeait. Omayyah s'est empressé vers lui et lui a ordonné: "Dis, je crois à Lât et 'Uzza". Bilâl était trop faible pour pouvoir parler, alors il a fait un signe vers le ciel comme pour dire que son Seigneur est le Seigneur des Mondes».
La prison, les chaînes et la torture de Bilâl avaient duré trop longtemps pour qu'il ne connaisse pas de moments de découragement, et de démoralisation. Pendant ces moments il se demandait: «Que dois-je faire? Quelle est la solution?». Il sentait que sa pensée était bloquée. Il n'y avait rien à faire. Il savait que toutes les portes de sortie étaient fermées devant lui. Il se mettait alors à se parler. Quelques fois son regard se promenait autour de lui et semblaient se plaindre auprès du désert, des montagnes, de la jungle. Et lorsque la nuit tombait, ses yeux étaient fixés sur le ciel, contemplant les belles étoiles qui projetaient leur lumière vers son coeur. Il se disait alors:
«Ces moments qui sont plus amers que le poison vont passer. Cette nuit noire va s'écouler. Cette période ténébreuse va prendre fin. Ces tumultes se calmeront et les circonstances ne demeureront pas éternellement favorables aux oppresseurs récalcitrants. Le soleil brillera à travers ces nuages noirâtres et épais et la victoire viendra immanquablement.
»La vérité a toujours été combattue par les ignorants et les imbéciles. Je ne suis pas le seul à avoir été torturé à cet égard. Je suis certain que dans toutes les époques la victoire finira par être du côté des adorateurs d'Allah et les partisans de la vérité et que la fin des oppresseurs commencera bientôt.
»L'Omniprésent Seigneur connaît pertinemment les agissements inadmissibles des oppresseurs et IL est au courant de leur tyrannie et injustice. IL leur a laissé ce répit afin qu'ils montrent leur visages hideux aux gens, et pour que ceux-ci les honnissent en connaissance de cause, et se dirigent vers le Tout-Puissant Créateur, croient en Lui et comprennent qu'IL a destiné une punition éternelle aux oppresseurs et aux idolâtres».
Mais très souvent il adressait des supplications pendant de longues heures à Allah:
«O Créateur du monde! Pour combien de temps encore l'existence du peuple restera minée par les possédants et les égoïstes!
»O Omnipotent Seigneur! N'est-il pas temps de disgracier les injustes et d'assécher leurs racines pourries, de venir au secours des gens pieux, de les sortir des griffes de leurs bourreaux et de les rendre maîtres de Ta Terre bénie?
»O Puissant Seigneur! Jusqu'à quand cette tyrannie, cette injustice va-t-elle continuer? Jusqu'à quand les déshérités continueront-ils à faire l'objet d'humiliation et leurs droits continueront-ils à être spoliés?
»O Seigneur! Je n'ai pas d'autre refuge que Toi! Tout ce que je vois partout, c'est l'immoralité, la cruauté, le meurtre, le crime, le pillage, la tricherie.
»O Recours et Refuge des opprimés! Je n'ai personne pour m'aider en dehors de Toi. Viens donc à mon secours! O Seigneur! Viens à mon secours, car je me suis rendu à la mort et je considère qu'il est honteux de vivre dans l'humiliation. Je désire me sacrifier librement sur la voie de l'Islam, de Ton Prophète et de tous ceux que Tu chéris.
»O Seigneur des mondes! J'ai choisi la mort, mais accorde-moi par Ta Bonté, un peu de répit afin que je puisse voir la libération de mes descendants, la liberté des masses de déshérités, la victoire de Ton Prophète Mohammad (P) et l'étendard de la devise de notre religion: "Il n'y a pas de dieu, si ce n'est Allah", hissé sur le plus haut sommet. Je désire seulement la délivrance du peuple de la Mecque et de tous les déshérités du monde ainsi que la victoire de l'Islam, bien que je n'en bénéficie peut-être pas, puisque je peux mourir d'un moment à l'autre. Mais si j'éprouve un tel désir, c'est parce que je souhaite que ma mort soit une nouvelle naissance, que mon sang soit l'énergie qui ressuscite les âmes des morts des déshérités, que mon cri soit le commencement du soulèvement contre le polythéisme, et que mon message, qui est le message de toutes les générations martyrisées, de toutes les masses enchaînées, et la foi de tous les hommes sincères et responsables, soit éternel et honoré. Car il montre les vrais visages des hypocrites et des blasphémateurs dans toute l'histoire, et rappelle aux générations à venir la noirceur de leurs agissements.
»O mon Seigneur! O Grandiose Seigneur! Accorde-moi un répit!»
Les jours s'écoulèrent et la condition de Bilâl allait toujours en empirant. Il était sur le point de quitter ce monde et de se débarrasser ainsi des griffes de Omayyah. Les récits le concernant allaient bon train. Chaque personne racontait une séquence de son drame. Le Saint Prophète était très inquiet pour lui. Que devait-il faire? Comment arracher les hommes nobles et sages de la société, des griffes des oppresseurs? Il réfléchit sur la question, sans y trouver une solution. Il consulta certains de ses adeptes. Eux aussi semblèrent désarmés. Ce n'était pas seulement le Prophète de l'Islam qui éprouvait de la peine pour Bilâl, mais tous les Musulmans s'efforçaient de trouver le moyen de délivrer Bilâl et d'autres comme lui. Car l'Islam leur avait appris que les Musulmans étaient comme un corps, si une partie de ce corps souffre, toutes les autres parties souffrent en conséquence.
Après mûre réflexion le Saint Prophète demanda à ses adeptes: «Si quelqu'un d'entre vous peut acquérir Bilâl et l'affranchir, il est possible que ce problème soit enfin résolu». Abû Bakr accepta la suggestion et s'engagea à s'occuper de cette affaire.
Abû Bakr Rencontre le Maître de Bilâl
Abû Bakr décida de se rendre chez Omayyah tout en se demandant s'il pouvait réussir dans sa tâche. Comment Omayyah allait-il le recevoir et était-il disposé à lui vendre Bilâl? Alors qu'il réfléchissait à ces questions, il arriva à la maison de Omayyah. Lorsque les deux hommes se rencontrèrent, ils échangèrent les salutations d'usage et se montrèrent aimables l'un envers l'autre.
Omayyah dit: «Depuis longtemps tu as cessé de nous rendre visite...»
Abû Bakr répondit: «J'espère maintenir des relations plus étroites avec vous dans l'avenir».
Omayyah dit: «Je vis des circonstances très critiques. Ce Mohammad que tu suis est prêt à détruire notre société très rapidement, et je ne suis pas le seul à m'en alarmer, mais tous les dignitaires arabes. Avec tout le pouvoir que je possède, je n'ai pas réussi à contraindre l'un de mes esclaves à renoncer à sa foi en Mohammad».
Abû Bakr l'interrompit et lui dit: «Ces choses-là vont être arrangées. Je suis venu justement pour te débarrasser de tes ennuis».
Omayyah demanda: «Peux-tu réellement me sortir de mes ennuis? Est-ce que Mohammad a abandonné ses prêches?»
Abû Bakr dit: «Je suis venu pour t'acheter l'esclave qui te cause tant de soucis, ou même de l'échanger contre l'un de mes esclaves qui suit ta religion».
Omayyah demanda: «Parles-tu à propos de Bilâl?»
Abû Bakr répondit: «Oui, Bilâl».
L'expression du visage d'Omayyah changea subitement. Il jeta un regard sévère sur Abû Bakr et dit, sur un ton de surprise: «Es-tu venu dans ce but? Bilâl ne sert plus à rien. Il est devenu apostat et impur. Il est maintenant impudent. Il a perturbé la tranquillité de notre vie. Il ne sert plus qu'à la mort. Je dois le tuer de la pire manière afin que je puisse être soulagé, et pour qu'il serve de leçon aux autres. Tu ne dois pas le laisser perturber ta vie».
Abû Bakr répondit: «Je suis prêt à l'acquérir à n'importe quel prix, et si tu préfères avoir un esclave idolâtre en échange, je serai disposé à un tel troc».
Omayyah répondit d'une façon plus sèche: «Non! Je ne peux pas accepter ta proposition. Il doit mourir dans cette condition. De cette façon je retrouverai mon calme et les autres prendront garde d'eux-mêmes».
Abû Bakr dit: «Au lieu de faire tout cela et de te donner tant de peines, tu dois le vendre pour être en paix».
Omayyah dit: «Tu ne sais pas ce que ce Noir m'a fait. Les serrements de mon coeur ne pourraient cesser par cette vente».
Abû Bakr répliqua sur un ton bas: «Tu as tort. Si tu ne le vends pas, tu souffriras encore davantage».
Omayyah dit: «N'insiste pas. Il ne vaut pas la peine d'être vendu».
Abû Bakr, regardant Omayyah avec une expression d'impatience sur son visage, répéta sa demande: «Je t'ai fait une requête et je t'ai informé que j'avais un esclave qui est nettement plus fort que Bilâl et que j'étais prêt à te le céder. Pourquoi continues-tu à te plonger dans tes soucis?»
Abû Bakr finit par avoir raison du refus d'Omayyah de lui vendre Bilâl. Il put l'acquérir. Il coupa de ses propres mains les cordes qui enchaînaient les jambes de Bilâl, remercia Omayyah et partit.(25)
Bilâl se débarrassa des chaînes de la captivité de son maître monstrueux comme un oiseau à plumage brûlé. Il ne pouvait pas marcher. Les stigmates de la torture étaient visibles sur sa peau noire. Les os de sa poitrine étaient affaiblis dangereusement. Les signes des soucis et de la faim étaient clairement dessinés sur ses traits. Il lui était extrêmement difficile de parler. Il avait de la peine à croire qu'il était devenu vraiment libre. «Le Seigneur des mondes m'a-t-IL réellement libéré du joug de cet homme cruel? Ai-je triomphé si vite? O Seigneur! Je Te remercie...».
La main de Bilâl était dans la main d'Abû Bakr qui essayait de l'aider à marcher. Parfois, ne pouvant pas continuer, Bilâl s'asseyait, et parfois il perdait connaissance et tombait par terre. Abû Bakr s'asseyait alors à son côté et caressait son visage. Mais peu à peu, Bilâl sentait qu'une force intérieure d'origine mystérieuse le stimulait. Subitement il rassembla ses énergies et se remit à marcher.
Abû Bakr finit par emmener Bilâl devant le Saint Prophète (P). En voyant le visage brillant et céleste du Messager d'Allah, Bilâl sentit un second souffle traverser son corps, et il sembla subitement avoir oublié toutes ses calamités et tout son malheur. Abû Bakr était très content d'avoir réussi dans sa tâche et il affranchit Bilâl sur-le-champ en présence du Prophète (P).(26)
Bilâl regarda de tous les côtés, l'air ébahi. Il jeta un coup d'oeil sur le soleil et puis se tourna vers le Saint Prophète. Soupirant et des larmes coulant sur son visage noir, il se jeta par terre et dit: «O Prophète d'Allah! Jusqu'à aujourd'hui j'ai été supplicié. J'ai tout enduré et supporté, mais j'ai refusé de prononcer un seul mot qui puisse offenser Allah! Suis-je donc sur le droit chemin?»
Le Prophète (P) dit: «Oui, tu es sur le droit chemin» et il pria pour lui.
Ainsi, par sa résistance héroïque, sa patience sans limite, sa fermeté malgré les afflictions, et son acceptation de la mort pour la liberté, il gagna sa libération et montra à ce monde éphémère comment il était possible de défaire les idoles. Son action était devenue un événement qui contribuera à la victoire et à la liberté des peuples tyrannisés.
Avant d'épouser l'Islam, Bilâl était privé de tous droits humains même les plus élémentaires. Il n'avait aucune valeur dans la soi-disant société humaine de l'époque et était traité comme une bête de somme ou pire. Esclave d'une brute tyrannique, il ne jouissait d'aucun semblant de liberté. Mais depuis qu'il avait embrassé l'Islam, il refusa toutes ces privations, et se rendit compte, qu'il était lui aussi un être humain comme les autres. Et maintenant il commençait une nouvelle vie, heureux d'être sorti victorieux d'une épreuve épouvantable. Sa victoire était d'autant plus grande qu'il acquit beaucoup de valeur aux yeux du Saint Prophète et des Musulmans.
En fait, lorsque Bilâl avait pris conscience que lui aussi était un être humain, qu'il avait des droits dans la société et qu'il devait mener, comme les autres la vie d'homme libre, que l'idolâtrie et l'égoïsme représentaient un mal pour l'humanité, il exprima sa foi complète en le Tout-Puissant Allah, se rebella contre les forces tyranniques, convaincu qu'Allah était le refuge des opprimés et le secours de affligés, que la vérité sera toujours victorieuse et que le faux sera condamné à disparaître, il commença une vie nouvelle.
Par sa prise de conscience, sa transformation, les tortures qu'il avait subies, sa fidélité à sa foi, sa fermeté devant le chantage, sa résistance proverbiale, son courage admirable et sa patience incroyable, Bilâl s'imposa comme le porte-drapeau de la liberté. Il est comme un phare de guidance, un modèle et un exemple à suivre pour les dirigeants qui se soulèvent en vue de délivrer les nations et les Etats des griffes des impérialistes, pour les hommes libres qui désirent voir les masses jouir de la liberté, pour les savants et les étudiants qui consacrent et sacrifient leur vie pour propager la prise de conscience révolutionnaire parmi la population endormie et anesthésiée, pour les soldats qui s'apprêtent à mourir, pour maintenir hissés les étendards de l'Islam, et pour toutes les classes dépossédées et opprimées de différentes nations devenues captives des racistes et des esclavagistes pour la seule raison d'être noires.
L'Imam Hussayn, fils de l'Imam 'Alî Ibn Abî Tâlib, dit avant de se sacrifier en martyr dans le champ de bataille ou de la mort:
«Par Allah! Je ne vois la mort dans l'honneur que comme un bonheur et une délivrance, et la vie avec les tyrans et les injustes que comme une lassitude...»
Ce cri pathétique du petit-fils du Prophète, qui n'a cessé depuis quatorze siècles de toucher la fibre sensible de tous les hommes épris de liberté, résume en fait une tendance naturelle de l'homme à la liberté et une répugnance à la soumission à autrui.
Bilâl avait compris que l'Islam qui signifie la soumission au Créateur, Celui là même qui avait créé chez l'homme sa tendance à la liberté et sa répugnance à la soumission est la seule voie possible permettant à l'homme de préserver sa liberté et de refuser de se soumettre aux tyrans. En un mot la soumission à Allah, le Créateur, est synonyme de liberté ou la liberté même. Car lorsque l'homme se soumet au Pouvoir et à la Toute-Puissance d'Allah, il est naturel qu'il refuse de se plier devant tout autre pouvoir qui veut s'interposer entre lui et le Pouvoir Divin.
C'est pourquoi, l'une des figures les plus marquantes de l'histoire de l'Islam et même de l'humanité, l'Imam 'Alî Ibn Abî Tâlib dit:
«O Seigneur! Le plus grand honneur pour moi est d'être Ton esclave».
Le monothéisme, la soumission à Allah forge l'homme libre par excellence. Car dès lors que l'homme admet qu'il n'y a qu'un Pouvoir suprême, celui de l'Unique Créateur, Pouvoir abolissant tous autres pouvoirs, l'homme refuse toute servitude et toute soumission: soumission aux passions et désirs malsains, soumission aux habitudes asservissantes (l'alcool par exemple) soumission aux tyrans et aux nantis.
Bilâl avait été l'esclave de Omayyah, un idolâtre qui voulait le contraindre à se prosterner devant des pierres et des idoles. Et c'est cela qui l'avait amené à résister de toutes ses forces à cette soumission, et il finit par devenir un homme libre, en voulant devenir l'esclave d'Allah et non de Ses créatures.
Depuis que Bilâl s'était débarrassé du joug de Omayyah, il recouvra ses forces et participa aux différentes activités de la vie avec les autres Musulmans.
La plupart des résidents de la Mecque le connaissait et était au courant de son histoire et de sa résistance aux tortures de Omayyah.
Les notables de Quraych et leurs agents persécutaient Bilâl de la même façon qu'ils le faisaient avec le Saint Prophète et les autres Musulmans. Partout où ils le croisaient, ils se moquaient de lui, l'attaquaient collectivement et le frappaient à coup de trique. Parfois ils faisaient des intrusions dans sa maison et parfois ils l'insultaient et l'agressaient.
A la longue, les menées des criminels ne permirent plus à Bilâl et aux autres Musulmans de vivre en paix. Chaque jour des plans diaboliques étaient préparés contre eux et jour après jour la conduite sauvage des idolâtres devenait de plus en plus dangereuse pour les adeptes du Saint Prophète. Leur situation devint très critique.
C'est à cette période difficile que quelques hommes venant de Médine pour voir le Saint Prophète, l'invitèrent à émigrer vers leur ville pour se soustraire aux persécutions des Quraych.
Lorsque cette nouvelle parvint aux oreilles des Quraych, ceux-ci intensifièrent la persécution des Musulmans à tel point que le Saint Prophète fut obligé d'envoyer quelques-uns de ses adeptes à Médine pour les mettre à l'abri. Un autre groupe incluant Bilâl se prépara à leur emboîter le pas, toujours sur ordre du Saint Prophète.(27)
Le groupe de Bilâl s'apprêta donc à quitter la Mecque pour émigrer à Médine. Il faisait nuit et une obscurité effroyable régnait partout. La seule lumière qui brillait dans ces ténèbres était celle des lointaines étoiles du ciel, qui scintillaient timidement. La plupart des personnes étaient déjà allées au lit. De temps en temps les voix de quelques vagabonds et ivrognes querelleurs brisaient le silence de la nuit. Les personnes affectées par les Mecquois pour la surveillance étaient déjà parties se coucher. Soudain, le portail de la résidence de quelques sans-abri musulmans fut ouvert lentement, et ceux-ci regardant de tous les côtés avec une extrême précaution, et échangeant entre eux quelques paroles quittèrent la maison. Le bruit des pas des marcheurs perturbait le silence dans une partie de la ville, ce qui rendait l'obscurité encore plus terrifiante. Ils traversèrent les rues, marchant les uns derrières les autres très discrètement et arrivèrent finalement à la porte de la ville de la Mecque.
Une fois à l'extérieur de la ville, ils se sentirent un peu réconfortés et soulagés. Toutefois ils étaient loin d'être au bout de leurs soucis car, rien ne leur permettait de penser qu'il n'était pas possible que quelqu'un eût pu découvrir leur plan et qu'ils eussent été suivis pour mettre en échec leur tentative de fuir la Mecque, même à l'extérieur de cette ville.
La caravane se mit en route, mais l'angoisse persista. Chaque fois qu'ils faisaient un bout de route, ils regardaient derrière eux et fixaient leurs yeux sur la porte de la ville.
Plus ils s'éloignaient de la Mecque, plus leur espoir d'atteindre leur objectif grandissait, et plus ils marchaient à vive allure. Le temps passait vite. Ils se dirent les uns aux autres: «Nous devons nous dépêcher pour nous soustraire aux griffes de nos tortionnaires».
La fatigue, les troubles de l'esprit et la peur les rendirent soucieux et angoissés. Ils furent donc obligés de prendre la décision de s'arrêter et de s'asseoir sur un morceau de sable pour se reposer, mais aussi pour pouvoir bien vérifier s'ils étaient suivis ou non. Ayant regardé aussi loin que possible sans déceler les traces d'aucun poursuivant, ils eurent un nouveau soulagement, et se mirent à penser à la Mecque, à la Maison d'Allah, au Saint Prophète, aux Compagnons du Prophète, mais aussi aux visages abominables des infidèles des Quraych.
Après quelques minutes de repos, ils se remirent en route et continuèrent leur voyage avec tristesse. Ils marchèrent jusqu'à l'aube où la lumière s'apprêtait à se répandre.
Il faisait clair et une brise vivifiante soufflait. Le ciel était devenu brillant. La caravane des émigrants s'arrêta pour la prière. Tout le monde pria avec recueillement, oubliant tous les soucis et toutes les inquiétudes, concentrant leur attention sur le Créateur,
Lorsque le temps commença à devenir plus clair, ils reprirent leur voyage. Chaque jour où cette petite caravane s'éloignait un peu plus de la Mecque et s'approchait un peu plus de Médine, ses membres devenaient plus heureux, plus tranquilles et plus optimistes. Bilâl et ses compagnons avaient quitté leur terre natale, leur pays et se dirigeaient vers une terre étrangère pour s'y réfugier, ce qui était un peu dur pour tout le monde. Mais pour un homme aussi courageux que Bilâl, qui avait tellement souffert sur cette voie, cet inconvénient était presque insignifiant.
Chaque fois que les compagnons de Bilâl se plaignaient de leur éloignement de leur terre, de leurs maisons, de leur pays natal, il les consolait en leur disant: «Quiconque marche sur cette Voie d'Allah et y persévère, il réalise une victoire décisive. Allah ne laisse pas seul celui qui marche sur Son Chemin, mais l'aide, car Allah est toujours avec les gens pieux et ceux qui font bonne oeuvre».
En effet, émigrer pour la cause d'Allah est un acte hautement recommandé et fortement souligné dans le Coran. Il suffit de méditer sur les quelques versets suivants pour comprendre combien, l'émigration dans ce but, a des mérites et des récompenses spirituelles:
- «... ceux qui ont émigré, ceux qui ont combattu dans le Chemin d'Allah: voilà ceux qui espèrent la miséricorde d'Allah...». (Sourate al-Baqarah, 2: 218)
- «J'effacerai les mauvaises actions de ceux qui ont émigré, de ceux qui ont été expulsés de leurs maisons, de ceux qui ont souffert dans Mon Chemin, de ceux qui ont combattu et qui ont été tués. Je les ferai certainement entrer dans les Jardins où coulent les ruisseaux. Ce sera une récompense de la part d'Allah». (Sourate Ale 'Imrân, 3: 195)
- «Ceux qui ont cru, ceux qui ont émigré, ceux qui ont combattu dans le Chemin d'Allah avec leurs biens et leurs personnes, ceux qui ont offert l'hospitalité aux croyants et qui les ont secourus: ceux-là sont amis, les uns des autres...» (Sourate al-Anfâl, 8: 72)
- «Ceux qui ont cru, ceux qui auront émigré, ceux qui auront combattu dans le Chemin d'Allah avec leurs biens et leurs personnes, seront placés sur un rang très élevé auprès d'Allah: voilà les vainqueurs!» (Sourate al-Tawbah, 9: 20)
- «Nous rétablirons en cette vie, dans une situation favorable, ceux qui ont émigré pour Allah après avoir subi des injustices, mais la récompense de la vie future est plus grande encore». (Sourate al-Nahl, 16: 41)
- «Cependant ton Seigneur envers ceux qui ont émigré après avoir subi des épreuves, ceux qui ont lutté et qui ont été constants; oui, ton Seigneur sera, après cela, Celui Qui pardonne et Qui fait miséricorde». (Sourate al-Nahl, 16: 110)
- «Oui, Allah récompensera d'une excellente façon ceux qui auront émigré dans le Chemin d'Allah, puis qui ont été tués ou qui sont morts. Allah est, en vérité, le meilleur des dispensateurs de tous les biens. IL les fera pénétrer dans un lieu qui leur sera agréable...» (Sourate al-Hajj, 22: 58-59)
- «Celui qui émigre dans le Chemin d'Allah trouvera sur la terre de nombreux refuges et de l'espace. La rétribution de celui qui sort de sa maison pour émigrer vers Allah et Son Prophète, et qui est frappé par la mort, incombe à Allah...» (Sourate al-Nisâ', 4: 100)
Ainsi, Bilâl eut le privilège d'être parmi les premiers Musulmans à s'inscrire sur la liste de ceux qui méritent cette précieuse récompense divine promise "aux émigrants pour la Cause d'Allah".
Le Beau Spectacle de la Ville de Médine
La petite caravane des Musulmans finit donc par arriver près de Médine. Chacun de ses membres commençait à se demander quel sort leur serait réservé dans cette terre étrangère. Tout le monde se posait des questions: «Serons-nous capables de vivre sans nos chers proches et amis? N'y aura-t-il pas ici de gens qui vont nous molester?» Peut-être, Bilâl qui avait tant souffert à la Mecque pour avoir voulu pratiquer sa nouvelle foi, se demandait-il: «Pouvons-nous adorer Allah ici sans aucune entrave et préparer le terrain en vue d'établir le Gouvernement divin?»
Alors que chacun d'eux était plongé dans sa pensée, le spectacle de la ville de Médine attira subitement leur attention.
Juste à ce moment-là le soleil s'était levé à travers les dattiers et avait jeté ses rayons dorés sur les montagnes et les arbres de la ville, créant un très beau paysage animé.
Une brise douce soufflait et faisait balancer les dattiers. Le paysage de Médine était agréable à voir. Les émigrants pressentirent la douceur de la paix autour d'eux et furent tellement enchantés qu'ils oublièrent la fatigue et l'angoisse du voyage.
Ayant constaté qu'ils étaient arrivés tout près de la ville et qu'ils n'avaient subi aucun mal de la part des ennemis de l'Islam durant leur angoissant voyage, Bilâl et ses compagnons remercièrent Allah et prièrent du fond du coeur: «O Seigneur! Fais de cette terre la base de Ta Religion et accorde-nous la force pour suivre les traces de Ton Prophète(P). Maintiens haut le drapeau de l'Islam et répands sur toute la terre sa lumière, et fais que la révolution islamique soit le modèle de tous les opprimés du monde».
Une fois arrivés dans la ville, quelques Musulmans magnanimes et pieux de Médine les accueillirent à bras ouverts. Ils les embrassèrent et leur souhaitèrent la bienvenue. Puis ils les conduisirent vers les maisons de quelques Partisans (Ançâr)(28).
Le climat de Médine était lourd et pesant. Parfois des vents suffocants soufflaient. Les gens étaient souvent atteints d'affections telles que le choléra, la fièvre etc... Beaucoup de personnes mouraient chaque année des suites de ces maladies. Les émigrants récemment arrivés n'étant pas habitués au climat de Médine, tombaient plus souvent malades que les autres.
Manquant de moyens de confort, souffrant de leur séparation avec les amis et les proches et se sentant étrangers dans la ville de Médine, beaucoup d'émigrants perdirent leur résistance aux maladies. Ce fut notamment le cas de Bilâl. C'était vraiment un grave problème auquel devaient faire face les émigrants au début de leur établissement à Médine.
Bilâl qui était très faible, étant à peine sorti des griffes des oppresseurs, tomba malade presque dès son arrivée dans la ville de son exil. Il gardait le lit. Parfois les Musulmans venaient le voir, le consoler et prier pour son rétablissement.
La fièvre et les douleurs laissaient Bilâl dans le tourment, et lui rappelaient les souffrances que lui avait fait subir Omayyah. Aussi se mettait-il à se plaindre auprès d'Allah: «Qu'Allah maudisse 'Otbah, Chîbah et Omayyah... qui nous ont acculés à cette situation».
Parfois Bilâl récitait en souvenir de l'atmosphère de la Mecque des poèmes: «Le jour où je pourrais convertir ma nuit à la Mecque en une agréable matinée où je verrais de tous les côtés de belles fleurs odoriférantes, ne viendra-t-il pas bientôt? Et verrais-je le jour où je boirais l'eau salubre de cette terre, en promenant mon regard à travers les hautes montagnes de la Mecque?»
Puis il adressait des supplications à Allah:
«O Seigneur! C'est Toi qui m'as délivré des griffes d'Omayyah et m'as aidé à venir jusqu'ici. Délivre-moi donc, cette fois-ci, de ce climat lourd et pollué.
»O Seigneur Tout-Puissant! Pour toutes les difficultés que j'ai rencontrées, je me suis tourné vers Toi et Tu m'as secouru. Tu m'as rendu persévérant. J'ai émigré dans cette terre en vue de T'adorer et de prêcher Ta Religion, et je n'y ai personne à part Toi. Je Te supplie donc de venir à mon secours et de me sauver, ainsi que tous les Musulmans de cette maladie qui nous déprime».
Ainsi, en proie à des maladies, Bilâl et les autres Emigrant étaient devenus très malheureux dans cette terre d'asile. Chaque jour ils avaient un peu plus de nostalgie pour leur ville natale, la Mecque. Ils priaient tous, Allah, de leur trouver le moyen de se sortir de ce lieu.
La Supplication du Saint Prophète
Le Saint Prophète était très affligé en apprenant la condition déplorable des Musulmans à Médine. Il se mit à réfléchir pour trouver une solution. D'ailleurs, quelle solution pouvait-on trouver au climat d'une ville? Personne n'a le pouvoir de changer le climat et l'atmosphère. Toutefois, il va sans dire que dans toutes les difficultés qu'il rencontrait, le Saint Prophète tournait ses yeux vers Allah et Lui soumettait tout.
Face à ce problème insoluble aussi, le Prophète (P) s'adressa à Allah, Tout-Puissant:
«O Seigneur! Délivre les Musulmans de cette affliction et guéris leurs maladies.
»O Seigneur! Les gens en ont assez de cette terre. Le climat de la Mecque et l'amour de leur terre natale ne quittent à aucun moment leurs esprits.
»O Seigneur! Tu as le Pouvoir de changer ce climat lourd et impur et de nous sortir de ce problème insoluble.
»O Seigneur! Rends le climat de cette ville salubre et sain, et fais disparaître les différentes maladies qui y sévissent.
»O Seigneur! Fais que les Musulmans aiment cette ville du fond de leurs coeurs, de la même façon qu'ils aiment leur ville natale, la Mecque».
Le Saint Prophète n'avait pas encore terminé les derniers mots de la supplication (du'â') lorsque le climat de Médine devint pur et agréable. Les malades qui gardaient leurs lits, se rétablirent. Ils poussèrent un soupir de salut. Désormais, ils se sentirent très attachés à cette terre, et n'avaient plus la nostalgie de la Mecque, leur terre natale.
Depuis ce jour, Médine (Madînah) fut rebaptisée "Al-Madînah al-Tayyebah" (Médine, l'agréable) à cause de son climat doux et son air pur.
Il est possible qu'un esprit rationnel qui entend parler pour la première fois de ce miracle, reste sceptique et se demande: «Comment est-il possible que le climat d'une région puisse opérer subitement un tel changement total?»
Si cette partie de l'histoire n'avait pas été enregistrée, il aurait été effectivement difficile à la comprendre. Mais cet événement a été relaté par beaucoup de biographes du Saint Prophète, qui font foi et autorité.
Le Tout-Puissant Seigneur avait aidé Son Prophète à maintes reprises pour le faire sortir des difficultés énormes. Le changement de climat de Médine est l'un des nombreux miracles auxquels assistèrent les Musulmans pendant l'époque de la Mission Prophétique. D'ailleurs le miracle n'a-t-il pas toujours été l'un des signes des Prophètes?
Mais ce problème résolu grâce aux supplications du Saint Prophète, n'était pas le seul qui tourmentait les émigrants. En effet, ceux-ci, ayant laissé derrière eux, maisons, femmes et enfants pour s'exposer à la rude épreuve de l'émigration, n'avaient pas d'argent sur eux. Ils n'avaient ni logement ni suffisamment de moyens pour mener une vie confortable ou normale.
Il est évident que pour ces personnes la séparation d'avec leurs familles et amis, l'éloignement de leur terre natale et le manque de relations sociales, constituaient une affliction difficilement supportable. Personne n'était disposé à établir des contacts avec ces émigrés, hormis quelques nouveaux convertis.
La société médinoise était encore gouvernée par les assassinats sauvages, les attaques réciproques et la discrimination de classe. La plupart des émigrants vivaient dans une solitude totale, dans les rues et dans des cabanes situées près de la Mosquée du Prophète. Ils dirigeaient toute leur attention vers Allah et plaçaient tous leurs espoirs en Lui. Ils comptaient sur le Seigneur des Mondes pour la résolution de leurs nombreux problèmes.
Il est incontestable que le peuple qui se tourne vers Allah dans toutes les circonstances et qui Lui soumet toutes ses difficultés ne sera jamais désespéré, ni déçu. En effet Allah dit:
«Oui, Nous dirigerons sur Nos Chemins ceux qui auront combattu pour Nous. Allah est avec ceux qui font le bien» (Sourate al-'Ankabout, 29: 69)
Et:
«Quant à celui qui craint Allah, Allah donnera une issue favorable à ses affaires; IL lui accordera ses dons par des moyens sur lesquels il ne comptait pas. Allah suffit à quiconque se confie en Lui. Allah atteint toujours ce qu'IL s'est proposé...» (Sourate al-Talâq, 65: 2-3)
Bien sûr, lorsque des gens quittent leur pays et leur terre natale et qu'ils s'établissent dans une ville étrangère afin de pouvoir adorer le Seigneur des Mondes et s'opposer aux idolâtres, à la cruauté et à l'oppression, le Tout-Puissant Allah les rend honorables et enlève toutes les difficultés de leur chemin.
Personne ne pouvait penser à réformer une société qui avait été baignée jusqu'au cou dans le désordre et la pollution, mais le Seigneur des mondes résolut ce problème en décrétant une Loi céleste. C'était cette Loi qui insuffla une nouvelle vie dans le corps de la société de cette époque. Il s'agit de la loi de la fraternité et l'esprit de la fraternisation. Grâce à la promulgation et à l'application de cette loi, Bilâl et les autres émigrants seront tranquilles et auront la paix de l'esprit.
L'Esprit de la Fraternisation en Islam
Pour poser la fondation d'une société saine et civilisée, il est nécessaire de traverser beaucoup de voies et de promulguer des lois adaptées et fondamentales. L'une des voies que le Saint prophète Mohammad avait empruntée en vue de civiliser le monde était le fait d'avoir avant tout relié et uni les membres de la société les uns avec les autres, et créé ainsi un climat d'amour mutuel entre les différentes classes.
Il put ainsi éradiquer les différences de classe, la jalousie, l'avidité et l'hypocrisie, car une société ne peut être libre et indépendante que si elle s'applique en premier lieu à se réformer et s'assainir, et ensuite à prendre les mesures appropriées pour assurer le progrès et l'indépendance de ses membres. C'est la meilleure façon de pouvoir sauvegarder ses frontières contre les attaques ennemies.
Une communauté peut devenir le précurseur de la caravane de la civilisation lorsque tous ses membres sont philanthropes et bons les uns envers les autres, et qu'ils oeuvrent en vue d'assurer le bonheur des autres et faire régner la vraie morale islamique.
Une nation peut vivre en paix et dans la tranquillité lorsqu'elle s'évertue en première instance à déraciner la corruption et la confiance internes, et ensuite à conduire ses membres à mener une vie fraternelle et d'amour mutuel.
La prospérité et le succès se réalisent dans une nation ou une communauté qui sait abolir les différences de classe et dont les membres sont solidaires les uns des autres.
La Religion divine de l'Islam est née dans une société qui avait perdu toutes les vraies valeurs humanitaires de la vie et qui était devenue similaire à une société animale. La seule chose dont on n'y trouvait aucune trace, était la bonté ou la philanthropie. Cependant, l'Islam réussit rapidement à en résoudre tous les problèmes les uns après les autres et à abolir toutes les lois barbares qui y régnaient.
En effet le Saint Prophète agissant sur ordre du Tout-Puissant Allah rassembla un jour les Musulmans dans la Mosquée et récita la formule de la fraternité entre lui et l'Imam 'Alî, le Commandeur des Croyants, ainsi qu'entre chaque couple de personnes de tous les Musulmans, les rendant ainsi frères les uns des autres.
Ce jour-là Bilâl et 'Obaydah Ibn Hârith se sont tenus par les mains en signe de fraternisation(29).
A partir de cette date tous les Musulmans devinrent des frères les uns des autres(30) et avec l'application de ce plan de fraternisation la seconde difficulté dont souffraient les Emigrants fut aplanie, dans la mesure où ils partageaient désormais la joie et la tristesse les uns et les autres, comme un seul corps et une seule âme.
La peine d'un Musulman était ressentie comme la peine de chacun d'eux. Lorsqu'un Musulman éprouvait quelques difficultés et ennuis, tous les Musulmans les partageaient avec lui. Et il avait été convenu qu'ils ne tricheraient pas les uns avec les autres ni ne se mentiraient les uns aux autres.
Le plus grand facteur du progrès de ce petit groupe d'Emigrants, n'était autre que ce pacte de fraternité, qui les marquera jusqu'à la fin de leur vie. Ainsi dans la Bataille de Badr, 313 Musulmans tinrent tête à 1000 infidèles, et sortirent victorieux, grâce à leur unité et leur combat pour une seule et même cause.
Dans une bataille, dix fidèles moururent de soif, bien que l'eau fût disponible, mais ces martyrs furent morts parce qu'ils voulaient s'assurer que leurs frères de combats ne manqueraient pas d'eau. Des centaines d'événements similaires sont enregistrés dans l'histoire. Ils montrent l'importance primordiale de l'unité et de la fraternité dans tout combat et dans toute cause.
Si l'Islam à ses débuts put se répandre avec tant de facilité et s'étendre avec une rapidité foudroyante à travers les quatre coins du monde, c'est grâce au principe de la fraternité et de la solidarité et grâce à l'unité des Musulmans, laquelle est la conséquence de ce principe. Et si de nos jours les pays musulmans souffrent de sous-développement et se trouvent sous le joug de l'impérialisme, c'est justement l'absence de ce principe qui a conduit à leur division et à leur affaiblissement.
Pendant les treize années qu'ils avaient passées à la Mecque les Musulmans ne purent jamais se rassembler, constituer librement une communauté et accomplir la prière en assemblée. Mais une fois émigrés à Médine où ils construisirent une grande Mosquée, ils décidèrent de ne manquer aucune prière en assemblée, notamment la Prière du Vendredi. Mais comme il n'y avait pas de moyens d'annonce pour la réunion en vue de la prière les gens venaient en groupes dispersés à la Mosquée. Les uns arrivaient tôt, les autres tard. Parfois, il arrivait que certains manquaient la bénédiction de la prière en assemblée, d'autres parvenaient à y participer partiellement seulement.
D'autre part, le Saint Prophète insistait tellement sur les hautes récompenses spirituelles de la prière en assemblée que les gens devinrent très désireux d'y participer.
Par exemple, un jour, un Musulman qui avait manqué une petite partie de la prière en assemblée, le takbîrat al-Ihrâm, demanda au Saint Prophète: «Obtiendrai-je la récompense spirituelle attachée à la participation à la prière en assemblée, si j'affranchis un esclave en réparation du Takbîrat al-Ihrâm que j'ai manqué lors de la prière en assemblée?»(31)
Les Musulmans étaient donc soucieux de trouver le moyen de convoquer les gens à la mosquée à une heure précise. Chacun faisait une suggestion à cet égard. Le Saint Prophète leur proposa alors de se rassembler dans la mosquée afin d'examiner toutes leurs suggestions dans un esprit de concertation et d'échange de vues.
Lors de leur rassemblement, les uns proposèrent: «Ce serait bien de souffler dans une corne à l'heure de la prière pour prévenir les gens».
Le Saint Prophète dit: «Souffler dans une corne, est une pratique propre aux Juifs, et nous ne pouvons pas devenir les adeptes des Judaïsme».
Une autre suggéra: «Ce sera mieux si nous nous procurions une cloche, semblable à celle des Chrétiens, et l'utiliser pour notre dessein».
Le Saint Prophète objecta: «La méthode des Chrétiens ne sert pas notre but. Nous devons avoir une méthode propre à nous».
D'autres proposèrent d'allumer un grand feu à l'heure de la prière pour inviter les gens à accourir à la mosquée. Mais, là encore le Saint Prophète objecta: «Le feu n'est utile à ce propos que pendant la nuit. En outre, allumer un feu est une pratique de la religion des Mages».
Un homme se leva alors et proposa: «O Prophète d'Allah! Il vaudrait mieux qu'un homme à la voix sonore fasse une proclamation, afin que les gens, en l'entendant, se rendent à la mosquée».
Le Saint Prophète apprécia cette idée et la développa pour qu'elle prenne la forme suivante: «A l'heure de la prière un homme doit crier: Aç-Çalât Jâmi'ah».
Puis, le Saint Prophète demanda à Bilâl d'annoncer à haute voix l'heure de la prière aux gens par la prononciation de la formule précitée.
Désormais, chaque jour Bilâl proclamait à l'heure de la prière: "Aç-çalât Jami'ah" pour appeler les Musulmans à la prière et les inviter à se diriger vers la mosquée.
Toutefois, cette façon de convoquer les gens à la Mosquée pour l'accomplissement de la prière n'était pas tout à fait adéquate.
En effet, un jour, alors que le Saint prophète se trouvait dans la maison de l'Imam 'Alî, le Commandeur des Croyants, l'Archange Jibrâ'îl, descendit, apporta le azan(athân,l'Appel à la Prière) et en récita les énoncés devant le Messager d'Allah.
Le Saint Prophète demanda à 'Alî: «As-tu entendu l'azan?».
'Alî répondit par l'affirmative.
Puis le Saint Prophète lui ordonna: «Apprends à Bilâl comment prononcer l'azan afin qu'il le récite désormais à l'heure de la prière.»(32)
Depuis lors le système d'azan devint le meilleur moyen et la façon la plus sublime d'annoncer l'heure de la prière et de rassembler les Musulmans.
A l'heure de la prière, Bilâl prononçait l'azan avec sa belle et haute voix depuis le toit de la mosquée, et en l'entendant, les Musulmans se sentaient envahis par l'esprit de la foi, un indescriptible enthousiasme pour atteindre à la perfection et au salut, auxquels les appellent les mots de l'azan. Aussi se précipitaient-ils, sans perdre une seconde, vers la mosquée.
Il est à noter que l'azan n'est pas seulement un son, ni une simple voix creuse, sans logique, produite uniquement pour signifier que les gens doivent se rassembler dans un dessein de propagande, comme c'est le cas dans d'autres religions et croyances.
Dans la religion musulmane l'azan est le symbole des principes. C'est un slogan inspirant. Il appelle à l'action. Il est enthousiasme, ferveur, espoir et recherche. L'azan est un appel à l'unité et à la coopération mutuelle sous l'égide de l'Unicité divine, une incitation à la perfection et au progrès sous la guidance de la Mission prophétique du Prophète de l'Islam.
C'est pour cela que lorsque la voix chaleureuse de Bilâl, sortie du coin de la mosquée du Prophète résonnait dans l'espace de Médine, elle animait les esprits des gens et les attirait vers la mosquée en vue d'accomplir leur prière avec une grande ferveur.
Les gens prisaient tellement l'azan et ses énoncés qu'ils attendaient impatiemment que cette mélodie céleste sorte de la gorge du muezzin du Saint Prophète pour les appeler à Allah.
Lorsque Bilâl terminait le Azan, les Musulmans formaient des rangs serrés derrière le Saint Prophète qui conduisait la prière.(33)
Ce rassemblement dans lequel les Musulmans se tenaient les uns à côté des autres, dans des rangs serrés, faisait trembler les ennemis.
La renommée de l'Islam et de la nouvelle société des Musulmans érigée par l'esprit de la fraternité, de l'égalité et du monothéisme, et déterminée à mener une campagne soutenue contre l'oppression et l'injustice, eut des échos dans tout le monde arabe.
Les ennemis de l'Islam craignaient qu'un jour cette révolution grandiose ne touchât les coeurs et les esprits des masses et ne se transformât en un mouvement universel susceptible de bouleverser leur monde corrompu et décadent. Aussi, se mirent-ils à élaborer de nouveaux plans et à ourdir des complots en vue de détruire la révolution islamique naissante.
L'Excellence de l'Azan et du Muezzin
'Abdullâh Ibn 'Alî dit: «Alors que j'apportais des marchandises de Barah vers l'Egypte, j'ai rencontré sur la route un vieil homme dont les cheveux blancs accentuaient son aspect lumineux et saint et dont le visage reflétait la grandeur et la lumière de la foi.(34) Il portait seulement deux vêtements, l'un noir, l'autre blanc.
»J'ai demandé aux gens: "Qui est cet homme?"
»On m'a répondu: "C'est Bilâl, le muezzin du Saint Prophète".
»J'ai été très content d'apprendre ce fait, et j'ai décidé de bénéficier de son savoir. Je me suis procuré le matériel de l'écriture, et puis je me suis approché de Bilâl. Je l'ai salué et il a répondu à ma salutation.
»Puis je lui ai demandé: "Qu'Allah te bénisse. Tu es l'un des Compagnons du Saint Prophète et tu as bénéficié de sa compagnie. J'aimerais que tu me relates les paroles que tu as pu entendre de lui.
- Bilâl me demanda: "Comment sais-tu qui je suis?"
- J'ai répondu: "Tu es Bilâl, le muezzin du Saint Prophète".
»Lorsque j'ai prononcé ces mots, les larmes ont commencé à couler de ses yeux. Là mes larmes aussi se sont mises à couler, et tout le monde autour de nous a eu la même réaction.
- Bilâl m'a demandé: "D'où viens-tu?"
- J'ai répondu: "Je suis Irakien".
»Il a paru content de savoir d'où j'étais, et après quelques secondes de réflexion, il a dit:
- O frère d'Irak! Ecris: Au Nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux. J'ai entendu le Saint Prophète d'Allah dire: "Ceux qui prononcent le Azan sont les fidéicommis de la prière et du jeûne des gens. Les aliments achetés dans un marché d'où s'élève la voix de l'Azan sont purs et licites, se battre contre des gens dans la ville desquels on entend la voix de l'Azan est illégal. Les muezzins ne demandent d'Allah rien qui ne leur soit assuré et n'intercèdent qu'en faveur de ceux pour qui l'intercession est acceptable".
'Abdullah ajouta: «J'ai apprécié la parole de Bilâl et je lui ai dit:
- Qu'Allah te bénisse. Dis encore quelque chose.
»Bilâl m'a dit:
- "Ecris", et s'est mis à relater:
- Quiconque récite l'Azan pendant quarante jours pour l'amour d'Allah, arrivera le Jour du Jugement avec un crédit positif de quarante bonnes actions parmi les siennes, déjà acceptées.
- J'ai dit: "Qu'Allah te bénisse! Relate encore d'autres paroles du Saint Prophète".
- Bilâl a poursuivi: «J'ai entendu le Saint Prophète de l'Islam dire:
"Si quelqu'un récite l'Azan pendant vingt mois, le Seigneur des mondes le ressuscitera le Jour du Jugement avec une lumière aussi répandue que le ciel.
"Si quelqu'un récite l'Azan pendant dix ans, Allah lui donnera la même place au Paradis que celle attribuée au Prophète Ibrâhîm (P).
- J'ai aussi entendu le Saint Prophète dire:
"Si une personne dit l'Azan, pendant un an, Allah le fera arriver le Jour du Jugement dans une condition telle que tous ses péchés auront été pardonnés, et ce même si ces péchés étaient aussi grands que le Mont d'Ohod.
"Le Saint Prophète a dit aussi: «Si une personne dit l'Azan en vue d'une prière pour l'amour d'Allah et pour s'approcher de Lui, Allah lui pardonnera tous ses péchés et le mettra en compagnie des martyrs dans le Paradis"».
'Abdullah poursuit: «J'ai été piqué par la curiosité et j'avais de plus en plus soif d'entendre davantage les dires du Saint Prophète. Aussi ai-je demandé à Bilâl avec émotion et ferveur: «Louanges à toi. Relate-moi s'il te plaît les meilleures paroles que tu as entendues du Saint Prophète».
- Bilâl m'a dit: «O! Tu as touché les cordes sensibles de mon coeur», et il s'est mis à pleurer tellement que je ne pouvais plus retenir mes larmes.
Puis il a poursuivi: «J'ai entendu le Saint Prophète dire:
"Le Jour du Jugement, Allah rassemblera les gens et enverra les Anges qui porteront dans leurs mains des drapeaux de lumière qui seront montés sur des chevaux dont les rênes seront de "Chrysolite" et les selles de derrière en musc. Ils entreront le Jour du Jugement debout sur leurs chevaux et prononceront l'azan à haute voix (...) Je jure par Celui Qui m'a désigné pour la Mission Prophétique que lorsque la Résurrection aura lieu les muezzins monteront sur des chevaux de valeur et passeront devant les gens en disant: "Allâhu Akbar (Allah est Grand)". Lorsqu'ils auront prononcé ces mots, mes adeptes pleureront, et lorsqu'ils auront prononcé: "J'affirme qu'il n'y a d'autre divinité qu'Allah", mes adeptes diront: "Nous avons adoré Allah, l'Unique, dans le monde", et lorsqu'ils auront dit: "J'affirme que Mohammad est le Prophète d'Allah", mes adeptes diront: "Nous sommes les adeptes de ce Prophète que nous n'avons pas vu mais en qui nous avons cru". Puis, ils ajouteront: "Il est le même Prophète qui s'est acquitté pleinement de sa mission de Messager d'Allah (...)". Puis le Tout-Puissant Allah vous rassemblera vous, et les Prophètes, et ensuite, les muezzins iront à leurs places et il y aura des cadeaux qu'aucun oeil n'a vus et dont aucune oreille n'a entendu parler.»
'Abdullah ajoute: «Puis, Bilâl m'a regardé et a dit: "N'abandonne pas l'Azan dans la mesure du possible et efforce-toi de ne pas mourir avant d'être muezzin".(35)
Réciter l'azan et être muezzin, c'était un cadeau très enviable et très précieux offert à Bilâl. Grâce à ce cadeau inestimable, il était devenu notoirement connu, et tout le monde le regardait avec beaucoup de respect.
La personnalité de Bilâl et le respect dont il jouissait avaient rendu jaloux quelques individus. C'était notamment des gens qui avaient jadis du mépris pour lui, à cause de son statut d'esclave. Ils ne pouvaient donc pas supporter que des hommes issus de classes inférieures jouissent d'une telle position. Peu à peu ils songeaient à l'empêcher de dire l'Azan, et cherchaient le moyen adéquat d'exécuter leur mauvais dessein.
Pour atteindre ce but, ils élaborèrent et mirent à exécution plusieurs plans. Par exemple, un jour ils étaient venus voir le Prophète pour lui dire:
«La position de muezzin est une position trop haute pour être accordée à un ancien esclave. Il vaut mieux que le muezzin du Saint Prophète soit choisi parmi les personnalités notoires des Arabes».
Un autre jour ils lui suggérèrent: «La voix de Bilâl n'est pas adéquate du tout. Le muezzin doit avoir une belle voix pour mieux attirer les gens».
Ou encore: «Bilâl ne sait pas prononcer correctement les mots arabes, c'est-à-dire qu'il prononce le "ch", "s" (par exemple au lieu de Ach-hadu..., il dit As-hadu...) et c'est là un grand défaut qu'on ne peut ignorer».(36)
Les détracteurs de Bilâl qui étaient très nombreux continuèrent à mener une campagne soutenue contre lui et échafaudèrent tellement d'arguments pour l'évincer, que le Saint Prophète commença à se demander s'il ne devait pas l'écarter de l'azan dans l'intérêt général.
A ce moment l'Archange Jibrâ'îl (Gabriel) descendit et informa le Messager d'Allah des complots des ennemis et le mit en garde contre leurs préjugés de l'époque obscurantiste (préislamique). Il confirma Bilâl dans son poste de muezzin en lui disant:
«Allah accepte le "s" de Bilâl comme "ch". Donc Bilâl ne pouvant pas prononcer le son "ch" correctement, le "s" qu'il prononçait à sa place a été accepté comme "ch"».(37)
Ainsi, une réponse nette fut donnée aux dénigreurs de Bilâl, et ce dernier fut maintenu dans sa haute position.
Evidemment il y avait au sein de la communauté musulmane des ennemis de l'Islam, et des gens encore imprégnés des préjugés obscurantistes, mais Allah divulgua leurs plans abjects d'évincer Bilâl pour une question de prononciation qui cachait en fait leur racisme et leur esprit de classe. Plus tard, ces individus montreront leurs vrais visages et certains d'entre eux seront reconnus comme hypocrites avérés.
La voix de l'Azan de Bilâl résonnait dans la ville de Médine chaque matin et chaque soir. Les Musulmans aimaient beaucoup l'entendre, alors que les ennemis du Saint Prophète la détestaient.
L'un de ces derniers, qui, d'une part, ne pouvait pas montrer ouvertement son opposition à l'Islam, et d'autre part, se sentait très peiné de voir l'avancement de cette religion et de ses adeptes, ne parvenait pas à dissimuler son malaise en entendant l'Appel à la Prière, et notamment lorsque Bilâl arrivait à la récitation du nom du Saint Prophète et de l'attestation de sa Prophétie(38).
Un jour à ce moment précis, et à cette récitation, il observa avec colère et rancune: «Voyez comment ce menteur de Noir glorifie le nom de Mohammad comme Prophète! Voyez comment il rassemble tant de gens dans une même place!»
Poussant sa haine à son zénith, cet Hypocrite formula un jour le voeu suivant: «Que ce menteur de Bilâl brûle comme une torche!»
Mais Allah lui fit subir finalement le sort qu'il avait souhaité pour Bilâl. En effet, alors qu'il allumait une lampe pendant qu'il formulait son voeu abject, une flamme brûla subitement son doigt et s'étendit rapidement vers ses autres doigts. Bien qu'il ait essayé d'éteindre le feu, son effort fut vain et les flammes finirent par brûler tout son corps.
Il se mit à crier et se débattre contre le feu. Ses voisins et proches firent de leur mieux pour étouffer les flammes, mais sans succès.
A la fin donc le vrai menteur et l'ennemi du Saint Prophète se trouva dans un coin en train d'être réduit en cendres devant les yeux des gens désarmés et impuissants.
Lorsque l'armée de l'Islam conquit, sous le commandement de l'Imam 'Alî, les forts de Khaybar, et retourna victorieuse à Médine, la base du monothéisme, certains Musulmans apportèrent avec eux les butins de guerre et quelques captifs. L'un d'entre eux était Bilâl, lequel amena avec lui deux femmes captives en les faisant traverser le champ de bataille jonché de cadavres. Les deux femmes se mirent alors à pleurer d'une façon pathétique, à se griffer leur visage et à déchirer leurs vêtements, offrant ainsi une scène très dramatique.
Le Saint Prophète apprit cet incident et en fut très mécontent. Aussi convoqua-t-il Bilâl et lui dit-il: «As-tu perdu tout sentiment de piété et de compassion pour avoir agi de la sorte?»
Bilâl était l'un des Compagnons pour qui Messager d'Allah avait beaucoup d'égards. Il était considéré comme son trésorier et son serviteur, et le Saint Prophète était conscient de ses efforts et de ses sacrifices, mais rien de tout cela ne pouvait le retenir de le critiquer pour son acte injuste.
Bien que Bilâl n'eût commis aucune faute grave, et que son acte pût être considéré comme seulement contraire à la bonne conduite et à la justice, le Saint Prophète lui demanda des explications afin de faire comprendre à tout le monde qu'il n'était pas disposé à tolérer la moindre déviation de la voie de l'Islam, même de la part de ses plus proches Compagnons.
L'Islam est un code de vie complet et une discipline. Il n'admet aucun écart de la part des Croyants. Il honnit le favoritisme et le népotisme. Dans cette religion, la règle est d'appliquer l'ordre d'Allah, Lequel veut que l'Islam doive réserver le même traitement pour tout le monde et soumettre tout le monde à la même Loi. Et le Saint Prophète devait respecter cet ordre et s'y conformer.
Bilâl dans la Bataille de Badr
Bilâl n'était pas enfermé dans l'unique occupation de l'adoration, pour se contenter de faire l'Azan à l'exclusion de tous les autres devoirs dont doit s'acquitter tout bon Musulman. Il était, d'ailleurs un membre actif de la société et avait joué un rôle important dans la formation du noyau de la communauté musulmane naissante, et dans la propagation de l'Islam.
Dans les batailles qui opposaient les Musulmans aux infidèles après l'Emigration, telles que les Batailles de Badr, d'Ohod et du Fossé, il était sur les premières lignes; sa force et sa persévérance faisaient l'objet d'admiration de la part de tout le monde.(39)
Depuis l'Emigration du Saint Prophète à Médine, la condition des Musulmans changea complètement et ceux-ci pouvaient prêcher l'Islam librement et ouvertement.
L'Islam commença à se répandre. Une société modèle fut fondée, et le Saint Prophète ordonna, contrairement à sa politique à la Mecque, de faire face aux infidèles et de les combattre si nécessaire.
La Bataille de Badr était la première bataille importante qui s'engagea entre les Musulmans et les infidèles. La raison qui avait conduit au déclenchement de cette bataille, était le fait que pendant la seconde moitié du mois de Jamâdi-l-Awwal, un rapport était parvenu à Médine faisant état du mouvement d'une caravane commerciale de la Mecque vers la Syrie. C'était là un trésor de guerre trop important pour être laissé entre les mains de l'ennemi. Il fallait donc absolument l'intercepter.
Les Musulmans se mirent à la recherche des traces de la caravane et arrivèrent à "Thâtul-Achir" où ils demeurèrent jusqu'au début du mois suivant. Toutefois, n'ayant pas réussi à la localiser, ils retrournèrent à Médine. Selon le rapport reçu, la caravane était décrite comme suit:
1- C'est une grande caravane dans laquelle tous les Mecquois avaient des parts.
2- C'était Abû Sufiyân qui dirigeait la caravane et cinq personnes étaient affectées à la garde.
3- La marchandise était transportée sur mille chameaux et sa valeur était estimée à environ cinquante mille dinars.
Le Saint Prophète quitta Médine au mois de Ramadhân de la deuxième année de l'Emigration, à la tête de trois cent treize hommes, en vue de confisquer la caravane des Quraych, et campa près de Badr.
Abû Sufiyân qui avait été mis au courant du projet des Musulmans, constata lors du retour de la caravane de Syrie qu'il était trop tard pour tenter d'échapper aux Musulmans. Aussi envoya-t-il un émissaire à la Mecque pour informer les Quraych de l'intention des Musulmans.
A la réception de l'émissaire, les Mecquois furent galvanisés, et tous les hommes, à l'exception d'Abû Lahab, étaient prêts à aller combattre les Musulmans. Ce dernier engagea Acî Ibn Hichâm pour se battre à sa place et l'envoya au front avec 4000 dirhams.
Omayyah Ibn Khalaf, l'un des aînés des Quraych, n'était pas enclin à participer à cette mobilisation générale, craignant la réalisation d'une prédiction attribuée au Saint Prophète, selon laquelle "Omayyah sera tué par les Musulmans".
Les hommes riches parmi les infidèles estimèrent que la non-participation d'une telle personnalité leur serait préjudiciable. Aussi décidèrent-ils de le faire changer d'avis. Ils remirent à deux hommes une boîte de collyrium(40) et les chargèrent de l'apporter à Omayyah avec une message oral. Les deux hommes s'exécutèrent et rejoignirent Omayyah qui était au Masjid al-Harâm en compagnie d'autres personnes.
Ils lui dirent: «Maintenant que tu as refusé de défendre ta fortune et ton commerce, et décidé d'être comme les femmes et de vivre isolé au lieu de combattre dans le champ de bataille, il vaut mieux que tu fasses usage de ce maquillage (collyrium) comme les femmes, et ton nom doit être rayé de la liste des gens braves et des combattants».
Ces mots touchèrent et choquèrent Omayyah si profondément qu'il ramassa immédiatement l'équipement nécessaire pour le voyage, et partit avec les Quraych pour défendre la caravane d'Abû Sufiyân.
L'armée des infidèles se mit en marche et arriva après quelques jours à la région de Badr. La bataille s'engagea entre les forces musulmanes et celles des Infidèles, les premières en sortirent victorieuses.
Les forces des Quraych subirent une cuisante défaite. La plupart de leurs combattants avaient fui ou étaient tombés en captivité. Certains d'entre eux furent tués.(41)
Après la fuite de l'armée des Quraych, quelques Musulmans s'affairèrent à ramasser les butins de guerre. L'un d'eux était 'Abdul-Rahmân Ibn 'Awf qui se rendit à la base défaite de l'ennemi. Avant d'embrasser l'Islam, il était un ami de Omayyah Ibn Khalaf, mais par la suite leurs rapports avaient cessé.
Omayyah qui avait réalisé que sa captivité était imminente, se tenait dans un coin avec son fils, dans un état de terreur indescriptible. Soudain, il vit son ancien ami 'Abdul-Rahmân qui se dirigeait vers lui.
En le voyant, il fut très content et pensa qu'il valait mieux se rendre à son ancien ami volontairement et devenir son captif, dans l'espoir de recouvrer sa liberté par la suite. Avec cette idée en tête, il cria: «O Abdul-`Uzza!» ('Abdul-Rahmân s'appelait 'Abdul-'Uzza avant d'embrasser l'Islam).
'Abdul-Rahmân qui tenait dans ses mains quelques perles accourut vers Omayyah et son fils.
Omayyah lui dit d'une voix tremblante: «Jette ces trucs et fait nous prisonniers, car comparés à ton butin, nous serons certainement plus utiles pour toi».
'Abdul-Rahmân sans entrer en discussion avec lui, s'exécuta, attacha ses mains, ainsi que celles de son fils et décida de les conduire au campement des Musulmans. Mais ayant à peine avancé de quelques pas, ils aperçurent Bilâl. Lorsque celui-ci vit Omayyah, son ex-maître et bourreau impitoyable, il cria: «O Musulmans! Voici Omayyah Ibn Khalaf, l'un des dirigeants des ennemis du Saint Prophète. Il a été arrêté. Qu'Allah ne me laisse pas vivant, si je lui permets de vivre».
'Abdul-Rahmân dit: «O Bilâl! Tu veux tuer mon prisonnier!»
Bilâl répliqua: «Oui! Je ne peux pas permettre à cet oppresseur diabolique et cet impur ennemi d'Allah de rester en vie».
'Abdul-Rahmân se fâcha et dit avec colère: «O fils de femme esclave! Sais-tu ce que tu dis?».
Bilâl répondit en haussant le ton: «Oui, je sais». Puis se tournant vers les Musulmans, il s'écria: «O Compagnons du Saint Prophète! Venez le plus vite possible pour en finir avec cet ennemi d'Allah, Omayyah Ibn Khalaf. Si vous ne le connaissez pas, sachez qu'il était mon persécuteur et le persécuteur de bien d'autres Musulmans. Il doit être exécuté».
Tous les Musulmans connaissaient Omayyah et avaient entendu l'histoire de sa haine pour l'Islam et les Musulmans, et de la torture barbare qu'il avait fait subir à Bilâl. Ainsi, en entendant la voix tonnante de Bilâl certains d'entre eux se rassemblèrent autour de Omayyah et son fils.
'Abdul-Rahmân essaya de protéger ses prisonniers par tous les moyens et de les emmener vivants au Prophète. Toutefois le cri de colère de Bilâl neutralisa ses efforts. Et on eût dit que la Volonté divine voulait que Omayyah n'échappât pas à la mort qu'il méritait.
En effet, l'un des Musulmans avait entre-temps dégainé son épée avec une extrême agilité et il frappa le pied du fils de Omayyah de telle manière qu'il fut carrément coupé. Le blessé tomba par terre.
'Abdul-Rahmân se tourna alors vers Omayyah et lui dit: «C'est fini pour ton fils. Tu dois maintenant fuir pour tenter d'échapper à la mort».
Omayyah resta immobile. On eût dit qu'il savait que les crimes odieux qu'il avait commis ne lui permettaient pas d'espérer pouvoir échapper au châtiment qui l'attendait inévitablement.
Et alors que 'Abdul-Rahmân tentait encore de sauver son ancien ami, un Musulman tint Omayyah par le nez, le projeta par terre et il fut achevé d'un coup d'épée que lui donna un autre Musulman.
C'est de cette façon que fut réalisé le souhait de Bilâl qui portait toujours les stigmates de la torture à laquelle Omayyah l'avait soumis. Aussi leva-t-il les yeux vers le Ciel et remercia-il Allah.(42)
Bilâl Professe la Position incomparable de l'Imam 'Alî
Depuis qu'il avait été libéré et qu'il avait rejoint le rang des autres Musulmans, Bilâl montrait une dévotion particulière pour l'Imam 'Alî et restait souvent près de lui pour bénéficier de sa compagnie, étant conscient de la place particulière qu'il occupait auprès du Saint Prophète et de l'immensité des connaissances que celui-ci lui transmettait. N'est-ce pas le Saint Prophète lui-même qui disait: «Je suis la Cité du Savoir, 'Alî en est la Porte»?
Dans les rassemblements et les discours il ne tarissait pas d'éloges pour l'Imam 'Alî. Cette admiration pour le cousin et "frère" du Saint Prophète était si évidente que tout le monde savait qu'il honorait l'Imam 'Alî plus que tout autre Compagnon et que parfois certains se montraient surpris par ce traitement qu'il lui réservait exclusivement, et disait que «Bilâl devrait plutôt accorder cette préférence à Abû Bakr, puisque c'était ce dernier et non 'Alî qui l'avait arraché aux griffes des oppresseurs».
Bilâl se rendit compte de cette interrogation des gens non avertis. Aussi un jour en se rendant à une réunion où cette question fut soulevée, développa-t-il cette réponse: «S'il était admis que je doive honorer une personne à cause d'une faveur qu'elle m'aurait rendue, ne devrais-je pas avoir plus de respect pour Abû Bakr que pour le Prophète(P), puisque même celui-ci (P) n'a pas fait pour moi ce que celui-là a fait? Qu'en pensez-vous?»
Toute l'assistance répondit d'une seule voix: «Nous avons parlé de l'Imam 'Alî comparé avec Abû Bakr. Concernant le Saint Prophète c'est tout à fait différent. Car, il incombe à tout un chacun d'avoir beaucoup de respect pour le Messager d'Allah».
Bilâl répliqua: «La question est de savoir si l'on doit respecter quelqu'un pour le service qu'il a rendu ou pour ses vertus et ses hautes qualités. Si c'est pour le service qu'il a rendu, ma réponse est celle que je viens d'évoquer (c'est-à-dire que je devrais dans ce cas accorder plus de respect à Abû Bakr qu'au Saint Prophète, alors que le respect et l'amour que j'ai pour le Messager d'Allah ne sauraient être comparés au respect et à l'amour que je pourrais avoir pour n'importe quelle personne, et quelque soit le service qu'elle eût pu me rendre)».
Les gens présents dirent: «Nous ne contestons pas le fait que le Saint Prophète est l'homme le plus honorable de l'humanité et qu'il a droit au plus grand respect possible».
Bilâl répondit: «Très bien! 'Alî aussi est la plus grande personne après le Saint Prophète, puisque celui-ci le qualifie de "nous-même"(43).
»Abû Bakr lui-même sait que 'Alî est supérieur à lui. Donc 'Alî a plus droit au respect qu'Abû Bakr. Celui-ci m'a sauvé de la persécution de Omayyah et je lui en suis bien reconnaissant. Toutefois, s'il ne m'avait pas libéré, je serais mort sous la torture et j'aurais atteint la proximité d'Allah. D'autre part l'Imam 'Alî jouit d'une telle position sublime que son amitié sauve de l'enfer et garantit la vie éternelle dans l'Au-delà».
Bilâl avait trop souffert le martyre pour atteindre la foi et la perfection pour se permettre de dévier de la ligne du Prophète et de rendre inutiles tous ses sacrifices. Aussi défendra-t-il la vérité et refusera-t-il comme nous allons le voir, de transiger avec son amitié pour l'Imam 'Alî, pour faire plaisir à l'autorité califale.
En l'an huit de l'Emigration, le Saint Prophète reçut l'ordre d'Allah de conquérir la Mecque. Cette tâche fut confiée au Saint Prophète à un moment où les infidèles parmi les Quraych et les Mecquois avaient rompu unilatéralement le pacte conclu avec les Musulmans deux ans auparavant, devenant ainsi, dans une certaine mesure, la cause de la conquête de la Mecque.
D'autre part, les Musulmans qui avaient neutralisé la plupart des ennemis intérieurs (de Médine) désiraient conquérir la Mecque et la mettre sous leur contrôle. C'était une place centrale, et leur vraie terre natale où se trouvait la Qiblah (la Ka'bah) vers laquelle ils se tournaient lors de leurs prières.
De plus, les véritables ennemis de l'Islam se trouvaient à la Mecque. Cette ville était devenue le centre d'espionnage, d'hostilité, et de conspirations contre les Musulmans. Les complots les plus perfides étaient ourdis dans ce lieu on ne peut plus sacré du monothéisme.
Il fallait donc absolument que les adeptes de l'Islam contrôlent ce centre vital et ce lieu saint et qu'ils mettent fin à l'idolâtrie destructrice, aux crimes, à l'oppression et aux discriminations raciales.
Il était intolérable pour les Musulmans de voir la Maison d'Allah, le monument commémoratif du Prophète Ibrâhîm (P) et le centre d'adoration d'Allah servir de lieu de corruption, et les dirigeants du polythéisme, tel Abû Sufiyân déterminer les affaires politiques, économiques et sociales de la Mecque.
Pour toutes ces raisons le Saint Prophète mobilisa une armée forte de 12 mille combattants intrépides et loyaux pour marcher sur la Mecque.
Après un voyage de plusieurs jours, les Musulmans arrivèrent à un endroit situé à quatre lieues de la Mecque. Le Saint Prophète ordonna aux combattants musulmans d'allumer des feux dans plusieurs endroits par diversion et pour impressionner l'ennemi en lui faisant croire que les forces musulmanes étaient beaucoup plus importantes qu'elles ne l'étaient en réalité.
D'un autre côté, craignant l'attaque de l'armée musulmane, les Mecquois avaient affecté des volontaires pour surveiller la route de Médine. Entre temps, Abû Sufiyân qui était l'un des ennemis les plus farouches de l'Islam et des Musulmans était sorti de la Mecque avec quelques autres Mecquois pour évaluer la situation et la puissance de l'armée musulmane et juger dans quelle mesure ses propres forces pourraient résister aux assaillants. Les nombreux feux allumés par les Musulmans l'impressionnèrent et lui firent surestimer la puissance et la force auxquelles les Mecquois devraient faire face.
A ce moment, il vit 'Abbas, l'oncle paternel du Saint Prophète, montant sur une mule, s'avancer en sa direction. Lorsque ce dernier arriva à son niveau, il lui dit que les Musulmans voulaient marcher sur la Mecque. Abû Sufiyân et ses hommes, effrayés et terrifiés par cette perspective demandèrent: «Que devons-nous faire?». 'Abbas leur répondit sans hésiter: «Vous devez embrasser l'Islam».
Abû Sufiyân constatant qu'il n'avait pas d'autre alternative, dit qu'il était prêt à devenir Musulman. Aussi se rendit-il auprès du Saint Prophète pour annoncer son acceptation de l'Islam.
'Abbas regarda le Saint Prophète et lui suggéra: «Puisque Abû Sufiyân est devenu Musulman et qu'il a l'ambition d'obtenir une bonne position, il est de l'intérêt des Musulmans de l'encourager».
Le Saint Prophète accepta la suggestion et dit: «Quiconque se réfugie dans la maison d'Abû Sufiyân, et reste enfermé chez lui sans ouvrir sa porte, ou va à la Mosquée Sacrée, aura la vie sauve».
Abû Sufiyân fut très content d'être porteur de ce message et d'avoir le privilège de se servir de sa maison comme d'un refuge de sauvetage. Il rentra à la Mecque pour informer les habitants de cette ville de la situation. Ceux-ci furent pris tout d'abord de panique et se demandèrent ce qu'ils pourraient ou devraient faire. Abû Sufiyân leur répéta les paroles du Saint Prophète décrétant l'amnistie générale.
Et alors que les Mecquois ne savaient toujours pas ce qu'ils pouvaient bien faire, et attendaient un événement extraordinaire pour les sortir de cette situation inattendue, l'armée musulmane impressionnante par son organisation et sa discipline entra dans la Mecque sans rencontrer de résistance.(44)
La Mecque qui avait été jusqu'alors le fief des ennemis de l'Islam et le centre des conspirations contre les Musulmans fut ainsi conquise sans effusion de sang.
Les souvenirs du passé revinrent à l'esprit de Bilâl, une fois rentré à la Mecque, la tête haute et entouré de ses frères Musulmans. La réminiscence de sa captivité, des tortures interminables que lui avait infligées Omayyah le mit dans un état de malaise confus. A la Mecque, même après sa libération il avait continué à subir les persécutions des polythéistes, jusqu'à ce qu'il eût quitté cette ville à la faveur de l'obscurité d'une nuit.
Mais très vite Bilâl fut emporté par la joie de voir sa ville natale devenir une terre de l'Islam.
En effet, ce jour-là, à l'entrée de l'armée musulmane, le soleil illumina la Mecque et répandit ses rayons dorés sur les portes et les murs de la ville, comme pour lui souhaiter la bienvenue.
Les habitants de la Mecque attendaient dans la peur et l'angoisse leur sort incertain, les uns dans les maisons les autres dans les rues. Non seulement ils se sentaient incapables d'arrêter les vagues déferlantes de l'armée musulmane, mais ils craignaient surtout pour leurs vies, sachant que ce qu'ils avaient fait subir aux Musulmans était difficilement oubliable ou pardonnable.
Les femmes étaient assises dans leurs maisons, les visages abattus et mornes, essayant de calmer les cris de leurs enfants.
Parfois les gens se blâmaient et regrettaient les mauvais traitements qu'ils avaient réservés aux Musulmans.
Certains s'étaient mis à réciter des versets coraniques comme pour montrer le regret de leur attitude passée, et leur adhésion, même tardive, à l'Islam.
D'autres avaient fui vers les montagnes avec une lueur d'espoir de pouvoir échapper aux assaillants.(45)
Certains autres qui étaient des gens innocents, se sont écartés et se sont mis à maudire les aînés et les chefs de la Mecque qui pendant les premiers jours de l'Islam avaient été les premiers à inciter le peuple mecquois contre le Prophète Mohammad (P) et qui curieusement se disaient aujourd'hui être les premiers à embrasser l'Islam.
D'aucuns se demandaient: «Comment Mohammad va-t-il nous traiter? Allons-nous échapper à la mort, alors que nous avons tout fait pour lui rendre la vie difficile?» Mais très rapidement, cette angoisse pesante, ces interrogations interminables et cette peur incessante prirent fin lorsqu' un représentant musulman du Saint Prophète demanda aux Mecquois à haute voix: «A quoi vous attendez-vous?» Tout le monde répondit: «Le pardon, l'indulgence et la magnanimité».
Le Saint Prophète, qui avait été envoyé "comme une miséricorde au monde"(46), ordonna que l'on proclame l'amnistie générale et que l'on fasse savoir aux gens qu'ils n'avaient plus à s'inquiéter.(47)
Un étrange brouhaha envahit la ville. Les cris de joie s'élevaient de tous côtés. Cette proclamation, qui était la proclamation de l'Islam insuffla un nouvel élan dans les corps semi-morts du peuple de la Mecque.
Des larmes de joie coulèrent à flots des yeux de beaucoup de personnes, très touchées par la bonté et la magnanimité du Saint Prophète. Et certains ex-ennemis de l'Islam étaient frappés et déconcertés par cette indulgence et ce pardon de la part du Prophète (P) qui avait été si péniblement persécuté par eux. Aussi rentrèrent-ils chez eux avec les signes de la honte et du regret du passé, dessinés sur leurs visages.
L'un d'entre eux dit: «Mohammad l'Honnête, a toujours été bon et magnanime. Même maintenant, il nous a libéré par magnanimité».
Le soleil venait d'atteindre le milieu du ciel et c'était l'heure la plus chaude de la journée. La Mecque était passée sous le contrôle des Musulmans. Entre-temps le Saint Prophète avait ordonné à Bilâl de monter sur le toit de la Ka'bah pour annoncer, par l'Azan, que l'heure de la Prière de midi avait sonné, et inviter les gens à s'apprêter à accomplir cette prière.
Bilâl, cet esclave noir d'hier et aujourd'hui le porte-parole de la Mission du Saint Prophète, monta donc au sommet de la Ka'bah, c'est-a-dire au sommet de la première Maison Sacrée du monothéisme, pour proclamer la Mission prophétique du Dernier Messager du Ciel, faire entendre l'idéologie la plus progressive à tout le monde, et lui apprendre avec les slogans révolutionnaires dont se compose l'Azan que la première Prière en assemblée allait avoir lieu à la Mecque.
Bilâl qui était transporté de joie et constamment reconnaissant envers Allah, fit résonner sa voix tonifiante dans l'horizon de la ville depuis le sommet de la Maison d'Allah, en prononçant la belle formule d' "Allâhu Akbar" (Allah est Grand).
Le Slogan "Allah est Grand" est annonciateur de l'établissement du Gouvernement d'Allah, le Destructeur de l'autorité de Satan.
Les Mecquois sortirent de leurs maisons malgré la chaleur torride pour savoir ce qui se passait. Ils écoutèrent très attentivement la proclamation faite du toit de la Maison d'Allah. Ils entendirent les slogans de l'Islam lancés par Bilâl et échangèrent des signes avec leurs yeux, comme pour dire:
«C'est le même esclave noir, Bilâl. Le voilà qui est considéré maintenant comme l'un des plus proches compagnons de Mohammad».
Les signes d'étonnement et d'inquiétude doublés des sentiments de désespoir quant à l'avenir étaient manifestes sur leurs visages. Malgré l'annonce de l'amnistie par le Saint Prophète, certains Mecquois craignaient le déclenchement de la guerre. La plupart des femmes qui étaient encore terrifiées, restèrent immobilisées sur les toits de leurs maisons, dans l'attente d'un événement quelconque.
Les abords de la Maison d'Allah grouillaient de monde plus qu'ailleurs. Les gens avaient les yeux fixés sur Bilâl, de près et de loin. Il y avait un tel vacarme que la voix de Bilâl s'y perdait. Cependant Bilâl continua à réciter l'Azan.(48)
La voix de Bilâl galvanisait les Musulmans autant qu'elle indisposait les infidèles et les polythéistes. La position de ce compagnon dérangeait les idolâtres et les hypocrites disséminés parmi les Musulmans et leur fournissait l'occasion et le prétexte de contestation. Il était inadmissible pour eux qu'un esclave noir occupât une telle position. Pour ces soi-disant Musulmans, si l'Islam était vraiment une grande religion divine, elle ne devrait pas accepter ces esclaves, car ils avaient l'habitude de penser que les positions respectables, devraient être le domaine réservé des gens blancs, des capitalistes et des personnes de "bonne naissance".
Ainsi, une fois que Bilâl eut terminé l'Azan, les individus imprégnés de cette mentalité, se montrèrent mécontents. Ils abaissèrent leurs têtes, et leurs visages trahissaient leur agitation et leur malaise.
Chacun d'eux présenta une objection et formula un grief.
Hârith Ibn al-Hakam dit: «O! Mohammad n'a-t-il trouvé que ce corbeau noir pour lui confier ce poste?»
Un autre grommela: «Ah! La mort vaut mieux que cette vie. Ce monde n'est plus convenable pour y vivre».
Un groupe, dont faisait partie la fille d'Abû Jahl, s'écria: «Nos ancêtres étaient heureux parce qu'ils sont morts avant de voir cette situation dans laquelle une personne comme Bilâl leur récite l'Azan. Si nos grand-pères pouvaient voir ce jour noir dans lequel nous vivons! Ça aurait été préférable pour nous d'être tués comme eux dans la bataille plutôt que de vivre ce triste jour».
D'autres surenchérirent: «Ah! Si la terre pouvait se fendre pour nous dévorer, car il est préférable d'être enterré vivant sous le sable que de vivre dans ce monde déshonorant».(49)
D'autres encore, tels Abû Sufiyân et Sohayl Ibn 'Omar qui semblaient être plus enragés que les autres dirent: «Nous ne pouvons rien dire pour le moment, car il est possible que Mohammad apprenne ce que nous disons et que nous ayons des ennuis en conséquence».
En réfléchissant sur ces propos futiles qui sortent des bouches des gens ignorants et à l'esprit tordu, on peut réaliser à quel point la discrimination raciale qui avait caractérisé l'ante-Islam (l'époque de la Jahiliyyah) prévalait encore dans la société islamique naissante de l'époque, où beaucoup de gens, à l'instar d'Abû Sufiyân, venaient d'épouser l'Islam contraints et forcés tout en étant encore fortement imprégnés de l'esprit jahilite. Ils se mirent tellement en colère, en voyant un Noir posséder la liberté et un pouvoir, qu'ils souhaitaient plutôt mourir que tolérer la liberté et la position de Bilâl.
Il ne fait donc pas de doute qu'il était très difficile d'opérer un changement radical et rapide dans ces pensées absurdes. Les chefs de tribus et les oppresseurs avaient pendant de longues années réduit les classes de dépossédés en esclaves pour s'enrichir et mener une vie confortable aux dépens de leurs victimes laissées dans la pauvreté extrême, l'ignorance, l'affliction et la faim.
A un moment où des Mecquois exprimaient de telles opinions que l'Islam ne saurait tolérer, l'archange Jibrâ'îl vint voir le Saint Prophète et lui révéla le verset suivant garantissant l'égalité des êtres humains:
«O vous les hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah est le plus pieux d'entre vous». (Sourate al-Hujurât, 49 : 13)
Dans l'optique de l'Islam, il n'y a pas de différence entre un Blanc et un Noir, un riche et un pauvre, un Arabe et un non-Arabe, relativement à l'essence de l'être humain. Seule la pureté de l'âme qui émane de la piété et de la crainte révérencielle d'Allah est le critère de la préférence en Islam.
Ce verset du Saint Coran est la charte de l'égalité des êtres humains et la loi la plus juste que l'humanité ait jamais connue.
C'est la loi qui a été présentée à l'humanité pendant l'une des phases les plus critiques de son histoire, et qui a reconnu implicitement et d'une façon formelle les droits des Noirs et des autres peuples de couleur, tout en leur ouvrant, d'autre part, la voie de l'effort et du progrès. Dans l'histoire de l'humanité c'est seulement l'Islam qui s'est distingué par la promulgation d'une telle loi dès son avènement, loi abolissant la discrimination raciale. Et même aujourd'hui, parmi les codes civils du monde, celui de l'Islam est incomparable quant à sa façon d'interdire aux Musulmans toute velléité de discrimination vis-à-vis des gens de couleur.
Evidemment, la révélation du verset ci-dessus mentionné est une réplique cinglante et ferme à tous ceux qui, encore imprégnés de préjugés préislamiques, mais se voulant Musulmans, répugnaient à voir Bilâl occuper une haute position auprès du Prophète (P) et dans la communauté musulmane.
Bien qu'en Islam, la discrimination raciale n'eût aucun sens depuis le premier jour de sa naissance, et que le Saint Prophète regardât tous les Musulmans issus de différentes races de la même façon, les survivances des idées de l'époque préislamique et les superstitions continuèrent à exister dans certains esprits quelques années encore, et réapparaissaient de temps à autre. Des individus à l'esprit malade persistaient en effet à se montrer fiers de leurs ancêtres, de leurs tribus et de leurs races et dédaigneux de tous ceux qui ne répondaient pas à ces critères raciaux et tribaux.
Le Saint Prophète s'efforça d'éradiquer de telles idées malsaines des esprits des gens. Mais cela demandait des efforts soutenus et une rééducation de longue haleine. Car il s'agissait d'éliminer des habitudes, des coutumes, des préjugés ancestraux, séculaires et tenaces que la simple adhésion à l'Islam, surtout verbale ou superficielle, ne saurait effacer du jour au lendemain.
Pour illustrer ce problème de préjugés raciaux encore présents dans certains esprits, et les efforts du Saint Prophète en vue de les déraciner, il convient de relater l'incident suivant, entre Salmân le Persan, Bilâl l'Africain et Sohayb le Romain, d'une part, et un Arabe d'autre part.
Un jour Salmân, Bilâl et Sohayb étaient assis côte à côte dans une assemblée. Un Arabe nommé Qays arriva là. Il éprouva un grand malaise en les voyant libéré de l'état d'humiliation et de privation dans lequel ils avaient sombré jadis, et hissés à une position d'honneur, de grandeur et de liberté, au sein de l'Islam maintenant. Aussi leur fit-il cette réflexion on ne peut plus révélateur de l'état d'esprit dont il est question: «Les Aws et les Khazraj(50) ont rendu grand le Prophète de l'Islam. Qu'ont-ils à dire ces trois étrangers à ce propos?»
Evidemment cette réflexion rendit mal à l'aise les trois hommes, mais ceux-ci préférèrent ne pas répondre à Qays. Toutefois, le Saint Prophète apprit cet incident, et s'adressa à un rassemblement de Musulmans dans les termes suivants:
«Débarrassez-vous de ces préjudices inconvenables. Votre Allah est Un. Votre religion est une. Et à l'origine vous descendez d'un même père et d'une même mère. Votre lignage arabe dont vous êtes si fiers, n'est ni votre père ni votre mère, mais une notion nuisible».
Ainsi, à chaque occasion, le Saint Prophète n'épargnait aucun effort pour dénoncer l'absurdité du racisme.
Le Saint Prophète Confiné dans Son Lit
Le soleil brillant de la Mission Prophétique avait déjà illuminé l'humanité pendant vingt-trois ans. La société figée, décadente, arriérée de l'époque préislamique s'était mise en marche et en mouvement sous les auspices des pensées sublimes de l'Islam et engagée sur la voie du progrès, de l'avancement et de la perfection.
Avant l'Islam, c'était une société composée de gens illettrés et exposée chaque jour à des méfaits divers, tels que les guerres dévastatrices, les meurtres pour des raisons insignifiantes, les vols, les pillages etc.
Le Prophète (P) s'était efforcé pendant vingt-trois ans d'établir avec ces mêmes gens dégradés, une société humaine et avait fini par réussir pratiquement dans cette tâche difficile. Et à la fin d'une vie riche en luttes et efforts, et après avoir communiqué son message aux gens, et présenté les lois les plus parfaites pour la vie individuelle et collective, il tomba malade après son retour du Pèlerinage d'Adieu, et fut confiné dans son lit.
Pendant les jours de l'aggravation de la maladie du Saint Prophète, la ville de Médine était plongée dans l'affliction et la crainte de l'événement le plus terrible qui puisse affecter les Musulmans.
Bilâl était particulièrement attristé par la maladie du Saint Prophète, et ne pouvait connaître un moment de tranquillité à cette heure d'angoisse indescriptible.
En ces jours, les Musulmans étaient engagés dans une campagne contre les Romains sur le front occidental. Le Saint Prophète ordonna, de son lit d'agonie, que l'on levât une armée à Médine, sous le commandement d'Osâmah Ibn Zayd et qu'on l'envoyât sur le front pour consolider les positions des Musulmans. Et on dit que l'objectif réel du Saint Prophète de l'envoi de cette armée était de faire partir de Médine certaines personnes qui, au cas où il mourrait, pourraient conspirer contre l'accession de son successeur et Calife désigné, 'Alî Ibn Abî Tâlib, au Califat.
La maladie du Saint Prophète empirait jour après jour et son visage devenait de plus en plus pâle. De temps en temps, quand sa santé accusait une légère amélioration, il allait à la Mosquée pour diriger la prière en assemblée, et parfois il envoyait l'Imam 'Alî pour le remplacer dans cette tâche.
Un jour, alors qu'il se sentait un peu mieux, le Saint Prophète se rendit à la Mosquée. Après avoir dirigé la prière, il monta sur la chaire, livra son dernier discours aux gens et leur fit des recommandations. Dans ce discours, on retient surtout son célèbre Hadith al-Thaqalayn dans lequel il dit notamment:
«Je suis sur le point de vous quitter, et je vous laisse par conséquent deux choses (poids) précieuses. Si vous vous y attachez solidement vous ne serez jamais égarés: ce sont le Coran d'une part, et ma progéniture (les membres de ma Maison) de l'autre».
Après son retour de la Mosquée, le Messager d'Allah (P) sentit que son état de santé se dégradait sérieusement. L'aggravation de sa santé inquiéta beaucoup les gens. Ceux qui devaient rejoindre l'armée d'Osâmah conformément à l'ordre stricte du Saint Prophète, restèrent à Médine en prétextant justement le mauvais état de santé du dirigeant de la Ummah. Et ceux qui étaient déjà partis retournèrent à Médine pour s'enquérir de sa santé. De cette façon, le projet du Saint Prophète d'assurer une succession saine et solide pour la Ummah se trouvait compromis, et les opposants à ce projet se préparaient pour le dévier.
Lorsque le Prophète (P) était alité, Bilâl avait l'habitude lors de son retour de la récitation de l'Azan de s'arrêter devant la porte du Messager d'Allah pour annoncer l'heure de la prière: «A la Prière, O Messager d'Allah!»
Si ce dernier avait assez de force pour se mettre debout, il allait à la Mosquée pour diriger la prière, autrement, l'Imam 'Alî l'y remplaçait.
Le lendemain matin de la nuit où Abû Bakr et d'autres compagnons étaient retournés du campement de l'armée d'Osâmah, à Médine, Bilâl récita l'Azan, puis se rendit chez le Saint Prophète comme d'habitude. La condition physique de ce dernier ne lui permettait pas ce jour-là de se lever pour aller à la Mosquée.
'Ayechah avait saisi l'occasion pour envoyer un message à son père Abû Bakr, lui demandant de diriger la prière en remplacement du Saint Prophète.
Bilâl arriva à la Mosquée et vit Abû Bakr occuper l'emplacement réservé à celui qui dirigeait la prière, et annoncer qu'il avait été délégué par le Saint Prophète pour diriger la prière à sa place. Mais inquiétés par des rumeurs sur l'état de santé du Saint Prophète, les gens étaient bruyants et posaient beaucoup de questions. Chacun faisait une suggestion et il y avait un risque réel que de sérieux différends ne les opposent les uns aux autres.
Bilâl s'appliqua à attirer leur attention sur lui et leur dit: «Soyez calmes et faites taire vos différends. Le Saint Prophète est encore vivant parmi nous. Je vais justement maintenant chez lui pour apporter les nouvelles vraies».
Bilâl quitta la Mosquée tout de suite, se dirigea vers la Maison du Saint Prophète, et lui fit rapport de ce qui venait de se passer.
Le Saint Prophète fut exaspéré et dit à l'Imam 'Alî et à Ibn 'Abbas: «Relevez-moi. Je jure par Celui Qui dispose de ma vie que l'Islam traverse une situation très critique».
L'Imam 'Alî et Ibn 'Abbas tinrent le Messager d'Allah et l'amenèrent, avec Bilâl, à la Mosquée.
Lorsqu'ils y arrivèrent, le Saint Prophète dirigea la prière lui-même et fit taire le brouhaha. Après la prière il prononça un discours célèbre relaté en détail dans les livres d'histoire. Il y fit les recommandations qui s'imposaient, et puis retourna à la Maison.
En fait par son intervention, le fidèle et avisé Bilâl étouffa le feu de la dissension et fit connaître à tous l'identité de ceux qui étaient susceptibles de conspirer dans le futur.
Médine présente ses Condoléances au Décès du Saint Prophète
Le Saint Prophète rendit le dernier soupir alors qu'il était extrêmement préoccupé par l'avenir de l'Islam et des Musulmans.
Avec la disparition du Messager d'Allah, des actes inadmissibles furent commis et des problèmes surgirent au sein de la société islamique formée il n'y avait pas si longtemps.
Les grands ennemis de l'Islam, tels la Perse et Rome, les Juifs et les Hypocrites étaient à l'affût de ce jour-là. Ils avaient entretenu des espoirs et préparé des plans en vue de l'avenir. Les plus dangereux de ces ennemis étaient les individus restés au fond d'eux-mêmes fidèles à l'époque préislamique tout en adhérant à l'Islam et s'intégrant en apparence à la société islamique. Ils rêvaient toujours de faire revivre un jour les coutumes et usages de l'époque obscurantiste préislamique, en s'emparant des leviers de commande de l'Etat islamique. Après la disparition du Saint Prophète, ils mirent à exécution leurs plans diaboliques.
Des événements déplaisants allaient avoir lieu vraisemblablement et des activités souterraines préparaient la dégradation de la situation en vue de permettre aux conspirateurs d'atteindre leurs objectifs.
Les Musulmans étaient très perturbés par le décès du guide et du fondateur de la Communauté musulmane. Toute la ville de Médine était en lamentations et en deuil. Les larmes coulaient à flots, et des nuages noirs avaient assombri le ciel. On eût dit que le ciel et la terre aussi participaient au deuil.
Les gens étaient surpris et perplexes. Ils avaient abandonné leurs occupations quotidiennes, et se dirigeaient par groupes vers la Maison du Saint Prophète.
Les femmes éplorées étaient sorties de leurs maisons et se rendaient, en se lamentant, à la maison de Fâtimah al-Zahrâ', la fille chérie du Messager d'Allah, pour présenter leurs condoléances.
Bilâl était très affligé par cette calamité. Il se lamentait à la porte de la maison du défunt, en disant: «Hélas! Le Prophète d'Allah est mort! Mon dos est brisé et mes espoirs frustrés. J'aurais souhaité ne pas être né pour ne pas voir ce jour lugubre».
L'Imam 'Alî et quelques Compagnons intimes du Saint Prophète étaient assis près de son corps.
Les lamentations des gens avaient atteint leur zénith.
Conformément à la volonté du Saint Prophète, 'Alî se mit à laver rituellement le corps sacré du défunt quelques heures à peine après le décès. Puis, il attendit avec les autres l'annonce publique de l'enterrement afin que la foule puisse venir y assister.
A ces heures délicates de l'histoire de l'Islam, quelques personnes se rassemblèrent à Saqîfat Banî Sâ'idah et se mirent à délibérer pour choisir un successeur au Saint Prophète, ignorant complètement la volonté de ce dernier, lequel avait bel et bien, et à maintes occasions, et notamment tout récemment à Ghadîr Khum, désigné, sur ordre d'Allah, l'Imam 'Alî comme successeur.
Le nombre des personnes assemblées à Saqîfat était très limité.
A un moment où le corps sacré du Saint Prophète n'était pas encore enseveli, où ses fermes recommandations relatives à la désignation nominale de son successeur, n'étaient pas encore effacées des mémoires des gens et où sa fille ainsi que son beau-fils, l'Imam 'Alî se trouvaient encore en deuil et en larmes, quelques Compagnons n'hésitèrent pas à se réunir à la hâte pour discuter de la sélection d'un Calife!
En outre, la personnalité la plus distinguée des Musulmans et la personne la plus en vue sur le chemin de l'Islam, l'Imam 'Alî Ibn Abî Tâlib ne participa pas aux prétendues délibérations de cette réunion inopportune, qui n'avait pas d'ailleurs l'aval des Musulmans de Médine, ni des Compagnons aussi illustres et fidèles du Saint Prophète que Bilâl, Miqdâd, Abû Tharr, Salmân, Ammâr etc.
Il est légitime de se demander pourquoi ceux qui avaient organisé cette réunion concernant l'affaire la plus importante de l'Islam, n'avaient pas attendu jusqu'à ce que l'Imam 'Alî eût terminé l'enterrement du Saint Prophète, pour qu'il puisse y participer, vu sa position particulière auprès du Prophète (P) et le rôle primordial qu'il avait joué dans l'établissement de l'Etat islamique, sans parler des recommandations du Messager d'Allah, le désignant pour assurer la succession.
En fait en agissant ainsi, ils signèrent pour toujours le document de la dissension et de la division des Musulmans jusqu'au Jour du Jugement.
L'Événement (La Réunion) de Saqîfah
Ce jour-là quelques compagnons appartenant à la tribu de Aws amenèrent Sa'd Ibn 'Obâdah al-Ançârî, un homme très âgé, à Saqîfah et portèrent sa candidature au Califat au nom des Ançâr (les Partisans).
D'autre part, lorsque quelques membres de la tribu de Khazraj vinrent à apprendre qu'un conseil avait été formé à Saqîfah pour choisir un successeur au Saint Prophète, ils accoururent vers ce lieu.
On dit que quelques personnes particulières avaient été intentionnellement invitées à cette réunion dans un but précis. Dans cette réunion chaque participant parlait pour son propre intérêt et désirait soit qu'il fût lui-même Calife, soit qu'une personne qu'il soutenait le devienne. Les uns disaient que les Ançâr avaient un droit prioritaire au Califat et que le Calife devrait être choisi parmi eux, parce qu'ils avaient accueilli le Saint Prophète et les autres Emigrants dans leur ville et qu'ils leur avaient fourni toute l'aide nécessaire.
D'autres objectaient que le Califat devait revenir aux Emigrants parce qu'ils avaient abandonné leurs maisons pour la cause de l'Islam. Tout indique que les jeux ont été faits avant la réunion, laquelle n'a été qu'un simulacre d'élection.
L'un des Partisans (Ançâr) dit: «Le Calife doit être choisi parmi les Quraych, car si le sacrifice est le critère du mérite du Califat, qui pourrait y avoir titre plus que l'Imam 'Alî».
L'un des participants était irrité par l'évocation du nom de l'Imam 'Alî et dit sèchement à l'intervenant: «Silence!».
Les cris et les huées prévalaient dans la réunion. Chaque groupe s'opposait à l'autre et le critiquait. Les objections fusaient de partout. Entre-temps, Abû Bakr interrompit tout le monde et dit: «A mon avis le Califat doit être confié aux Emigrants et je considère que Abû 'Obaydah et 'Omar (Ibn al-Khattâb) conviennent parfaitement à ce poste. Je suis prêt d'ores et déjà à faire serment d'allégeance à l'un d'entre eux».
'Omar qui attendait cette opportunité rassembla son courage et dit: «J'ai entendu le Saint Prophète dire que les dirigeants de la religion seraient issus des Quraych». Abû Bakr approuva: «C'est bien dit».
À ce moment-là Abû 'Obaydah et 'Omar dirent d'une même voix: «Nous jurons par Allah que nous ne prendrons jamais la préséance sur toi dans cette affaire, car tu as été le meilleur compagnon et l'ami fidèle du Saint Prophète, et personne ne saurait être supérieur à toi à cet égard».
En entendant ces paroles, les Ançâr comprirent qu'ils avaient été mis hors de la course au Califat. Aussi changèrent-ils immédiatement de cap et lancèrent-ils des slogans en faveur du grand absent, le Commandeur des Croyants, l'Imam 'Alî: «'Alî Ibn Abî Tâlib doit être le Calife (successeur) du Saint Prophète».
Ce slogan fit trembler certains dignitaires, car ils savaient pertinemment que si l'Imam 'Ali se libérait des cérémonies funéraires du Saint Prophète et qu'il assistait à la réunion de Saqîfah, tout le monde lui prêterait serment d'allégeance, et il obtiendrait certainement le vote de la majorité.
Pour parer à une telle éventualité, 'Omar se tourna précipitamment vers Abû Bakr et lui dit: «Donne-moi ta main afin que je te prête serment d'allégeance, car tu es l'aîné de la communauté et tu mérites cette position».
Puis sans attendre, il tendit sa main, tint celle d'Abû Bakr, la serra en guise de prestation de serment d'allégeance. Il s'ensuivit que toutes les personnes présentes à l'exception de deux ou trois personnes, prêtèrent serment d'allégeance à Abû Bakr Ibn (fils de) Quhâfah.
C'est de cette façon que le conseil de "l'élection" du Calife conclut sa tâche et que ses membres retournèrent à la ville pour annoncer qu'ils avaient "élu" Abû Bakr, successeur du Saint prophète.
Le seul sujet qui ne fut pas mentionné dans le Conseil, était celui des Ahl-ul-Bayt (les Membres bénis de la Maison (Famille) du Saint Prophète). Le seul nom qui y avait été évoqué le moins, était celui de l'Imam 'Alî, et la seule chose qui n'avait été point discutée, était les recommandations et les affirmations du Saint Prophète relatives à la désignation de l'Imam 'Alî pour sa succession.
Les proches Compagnons du Messager d'Allah, tel Bilâl, Salmân, Abû Tharr, Miqdâd etc. n'avaient pas assisté au conseil, et même s'ils y avaient été, ils en auraient été sûrement rejetés.
Après que la prestation du serment d'allégeance eut été conclue pour Abû Bakr, un groupe des Omayyades, ayant appris le mécontentement de l'Imam 'Alî de ce qui s'était passé, se rendit chez lui, sous la direction d'Abû Sufiyân.
L'objectif que ce groupe et notamment Abû Sufiyân, voulait atteindre par cette visite était double. D'une part, les Omayyades pensaient qu'en soutenant l'Imam 'Alî contre Abû Bakr, ils pouvaient s'assurer de hautes positions dans l'administration califale, si l'Imam 'Alî acceptait leur offre de soutien et qu'il accédait au Califat grâce à ce soutien. Mais ils espéraient surtout se venger des Musulmans - qui les avaient vaincus et humiliés - en provoquant une guerre civile entre les deux principales ailes de la Communauté musulmane: les partisans d'Abû Bakr qui s'était emparé du Califat et les partisans de l'Imam 'Alî, à qui le Califat devait revenir légalement et légitimement.
Ainsi, lorsque Abû Sufiyân s'était réuni avec quelques dignitaires de Quraych, notamment le clan de 'Abdul Muttalib (le Clan du Prophète), il leur avait dit: «O les Banî Abdul-Muttalib! Le Califat est sorti des mains des Banî Hâchim (le Clan du Saint Prophète et de 'Alî) et transféré vers Abû Bakr. Et demain cet homme grossier ('Omar Ibn al-Khattâb) va nous gouverner. Relevez-vous, et allons chez 'Alî. Nous discuterons avec lui et nous lui prêterons, le cas échéant, serment d'allégeance. Après quoi, nous tuerons quiconque s'opposera à nous».
Avec cet objectif en tête, Abû Sufiyân s'était donc rendu chez l'Imam 'Alî en lui disant: «Si tu te soulèves pour recouvrer ton droit (le califat), je ne t'épargnerais aucune assistance dont tu aurais besoin».
L'Imam 'Alî jeta un coup d'oeil significatif sur Abû Sufiyân, montrant qu'il avait deviné l'intention cachée de ce dernier de porter un coup à l'Islam. Aussi déclina-t-il l'offre de soutien et d'assistance et dit-il à Abû Sufiyân et ses compagnons:
«O gens! Déchirez les vagues des dissensions par les bateaux de sauvetage. Eloignez-vous de la voie de l'animosité et enlevez les couronnes de la vantardise de vos têtes. On doit ou bien se soulever avec une aile (amis et partisans), et être alors victorieux, ou bien se résigner (par contrainte ou pour l'intérêt général) et se retirer.
»Obtenir le Califat de la façon que vous suggérez est aussi malsain que l'eau amère. Par conséquent, le soulèvement armé dans ces conditions n'est pas dans mon intérêt, car celui qui cueille un fruit encore vert est semblable à celui qui plante dans la terre d'autrui.
»Si j'évoque mon droit au Califat, on dira que j'ambitionne le pouvoir, et si je reste tranquille, on dira que je crains la mort. Or le fils d'Abû Tâlib se délecte de la mort plus qu'un nourrisson de la mamelle de sa mère. Donc mon silence concernant le Califat n'est nullement dû à la crainte de la mort ni de la défaite. Mais il tient à quelque chose que je connais et qui m'empêche de vouloir le Califat dans les conditions présentes. Et si je vous révélais cette chose que je connais, vous trembleriez et vous vous troubleriez comme une corde au fond d'un puits profond.
»Ainsi, ce à quoi vous m'invitez n'est ni dans mon intérêt ni dans l'intérêt général de l'Islam et des Musulmans. Allez-vous-en».(51)
Alors que Bilâl et des centaines d'autres Musulmans s'étaient rassemblés, les larmes aux yeux, près de la maison du Saint Prophète, oubliant leurs soucis et occupations quotidiennes et plongés dans une tristesse et un hébétement indescriptibles, la nouvelle de la réunion de la Saqîfah et de la désignation d'Abû Bakr à la succession du Messager d'Allah leur fut annoncée.
C'était un grand choc pour Bilâl et pour bien d'autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?», se demandèrent-ils incrédules et désagréablement surpris.
«Quel acte fautif et illogique a-t-on a commis, alors que le corps du Saint Prophète n'est pas encore enterré et que les larmes des survivants n'ont pas encore séché! Le Calife du Saint Prophète n'avait-il pas été désigné à Ghadîr Khom, sur ordre d'Allah? Est-il possible qu'un autre que l'Imam 'Alî puisse succéder au Saint Prophète? Les gens n'avaient-ils pas prêté serment d'allégeance à l'Imam 'Alî du vivant et en présence du Saint Prophète à Ghadîr Khom? L'événement de Ghadîr Khom est encore frais et les recommandations du Saint Prophète résonnent toujours dans les oreilles!»
En tout état de cause les procédures de l'accession d'Abû Bakr continuèrent jusqu'à ce qu'il commençât à exercer sa fonction, et toute velléité de protestation contre cette façon anormale et conspiratoire d'accéder au Califat, fut écrasée impitoyablement. Les personnes qui avaient préparé minutieusement leur plan pour s'emparer du Califat, depuis des années, l'exécutèrent tout de suite après le décès du Saint Prophète.
Et ce faisant, ils brisèrent pour toujours l'unité des musulmans. Les malheurs dont souffre la Ummah de nos jours ne sont que quelques-unes des conséquences incalculables de cet acte contraire à la volonté du Saint Prophète et au dessein d'Allah.
Le Clan califal envoya plusieurs représentants, gouverneurs et percepteurs d'impôts aux différents territoires de l'Etat islamique. Ces personnes qui s'étaient préparées depuis longtemps pour cette opportunité, déployèrent tous leurs efforts pour arracher aux gens le serment d'allégeance à leur représentant, et renforcer l'assise du Califat.
De temps en temps des voix s'élevaient en faveur de l'Imam 'Alî, mais étaient rapidement réduites au silence, par la menace, la promesse ou la ruse. Pour empêcher le développement d'un climat d'opposition, on avait créé une situation telle que quiconque osait faire une objection, son nom était noté dans un registre spécial et un dossier était ouvert sur lui, pour le soumettre en permanence à des ennuis et des persécutions.
Les espions et les partisans intéressés du pouvoir suscitèrent un tel climat que toute personne qui se permettait d'évoquer l'usurpation du Califat, se voyait frappée de disgrâce avec toutes les conséquences imaginables que cela entraînait.
Le Rôle Constructif de l'Imam 'Alî dans la Sauvegarde du Message de l'Islam
L'accession d'Abû Bakr au Califat créa une situation délicate pour tout le monde musulman.
Il est évident qu'une guerre civile entre les Musulmans aurait complètement détruit l'Islam et le Message islamique, dans une conjoncture où les empires persan et romain d'une part, les ennemis intérieurs - Juifs, Chrétiens, Hypocrites etc. - de l'autre attendaient une telle aubaine pour attaquer le tout jeune Etat islamique et détruire totalement l'Islam naissant.
Un nombre de partisans de l'Imam 'Alî vinrent le voir ces jours-là et le prièrent de déclencher un soulèvement contre le pouvoir califal, à leurs yeux illégitime.
Mais l'Imam 'Alî n'hésita pas une seconde à rejeter leur proposition d'un revers de la main en leur expliquant qu'une telle action ne servait pas l'intérêt de l'Islam ni des Musulmans, car il était conscient des intentions réelles des ennemis extérieurs et intérieurs. En effet, il avait toujours dans la mémoire ce que le Saint Prophète lui avait dit un jour:
«O 'Alî! Tu jouis de la position de la Ka'bah. Les gens doivent se tourner vers toi, plutôt que toi vers eux, pour l'accession à la Direction de la Ummah».
Donc l'Imam 'Alî voulait absolument éviter de recouvrer son droit divin au prix d'un soulèvement armé qui exposerait certainement l'Islam même aux dangers imminents qui le guettaient, et préférait jouer un rôle constructif et sauver la Ummah dans l'avenir, sachant que l'Islam n'était pas à l'abri de tentatives de déviations majeures.
L'Imam 'Alî choisit donc une attitude de patience et de silence et mena une vie solitaire pendant vingt-cinq ans, comme un oiseau sans plumes. De cette façon il montra sa grandeur, et son courage, en les mettant au service de l'Islam et des Musulmans et guida les gens tout en restant à l'écart des palais du pouvoir.
Depuis le jour où le Saint Prophète émigra à Médine et jusqu'à la fin de sa vie Bilâl s'était appliqué à appeler les gens à la Mosquée pour les y rassembler en vue d'accomplir la prière en assemblée, de se mobiliser dans l'armée, ou de résoudre un problème.
Tout le monde s'était familiarisé avec sa voix et attendait avec plaisir d'entendre son appel vivifiant l'invitant à Allah et à la bonne action.
Mais lorsque après le décès du Saint Prophète Abû Bakr avait accédé au Califat et décidé à ce titre d'aller à la Mosquée et d'occuper le siège (mihrâb) que le Prophète avait l'habitude d'occuper, afin de consolider de cette façon les piliers de son pouvoir et être en contact direct avec les gens, Bilâl s'abstint de poursuivre sa tâche de faire l'azan.
Etant donné que jusqu'à la fin de la vie du Saint Prophète, la première étape de la formation de la foule et du rassemblement des gens à la Mosquée avait été la récitation de l'azan par Bilâl, celui-ci en décidant de ne plus accomplir cette mission, avait trouvé le moyen le plus sensible, et le plus naturel, mais aussi le plus efficace de manifester sa désapprobation du Califat. Et depuis cette époque, Bilâl ne participa à aucun rassemblement organisé par ou pour le pouvoir califal.
L'absence de Bilâl, une personnalité bien en vue, aux réunions, pouvait amener les gens à s'interroger sur les raisons de cette absence, à une époque où la contestation de la légitimité du califat était beaucoup plus qu'un sujet tabou.
Les partisans du Calife pensaient que si Bilâl continuait à faire l'azan comme avant, les cris et les grognes des opposants du Califat pourraient se dissiper et les gens reviendraient plus nombreux, comme jadis, à la Mosquée, étant donné qu'ils étaient accoutumés à le faire en entendant la voix de Bilâl. Ils voulaient que la récitation de l'azan par Bilâl serve de rideau aux intrigues de l'administration califale et d'un trompe-l'oeil pour les braves gens et le commun des mortels.
Aussi se mirent-ils à la recherche de Bilâl, et l'ayant localisé non sans difficulté, lui demandèrent-ils de reprendre sa mission.
Bilâl avait été formé dans le giron de l'Islam pendant vingt-trois ans, et directement concerné par les différents événements qui avaient formé l'histoire de la jeune nation. Il avait reconnu et accepté l'Islam avec sincérité, et entendu tout ce que le Prophète (P) avait dit relativement à l'identité du dirigeant islamique et à la direction islamique.
Il était particulièrement conscient des remarques très claires et ne souffrant aucune ambiguïté, du Messager d'Allah concernant le Califat de l'Imam 'Alî, et savait pertinemment que le gouvernement actuel avait accédé au pouvoir contrairement aux ordres d'Allah et du Saint Prophète.
Il croyait sincèrement que seul, le Commandeur des Croyants, l'Imam 'Alî avait titre pour l'accession au Califat. Dans ces conditions sa réponse aux représentants du pouvoir ne pouvait être évidemment que négative.
Mais ces derniers ayant beaucoup insisté pour le convaincre d'accéder à leur demande, Bilâl répéta invariablement la même réponse, et ne prêta aucune attention à leur discours.
En refusant de réciter l'Azan comme jadis, Bilâl entendait obliger les gens à réfléchir et à se rappeler peu à peu l'époque du Saint Prophète et ses recommandations relatives à l'Imam 'Alî et à son Imamat. C'est pour cette raison d'ailleurs que lorsque les gens lui demandèrent pourquoi il ne faisait plus l'Azan, il répondit: «Après le Saint Prophète, je ne réciterai l'Azan à personne d'autre».
D'autre part, la non-participation de l'Imam 'Alî, de Salmân, d'Abû Tharr, de Zubayr, de Bilâl, de Miqdâd, de Sohayb etc...aux rassemblements formés habituellement dans la Mosquée renforça la position de Bilâl et amena les gens à mettre en doute la légalité du gouvernement et à s'y opposer.
L'administration califale s'inquiéta de la prise de position de Bilâl et essaya de le faire plier.
Et c'est cette inquiétude qui conduisit le Calife à envoyer officiellement quelques émissaires à Bilâl pour faire soumettre "cette tête noire et inflexible"(52) au Califat à tout prix, par des promesses alléchantes ou des menaces, l'appât de la fortune ou de la position.
Toutefois Bilâl n'était pas quelqu'un à ignorer la vérité. Il voyait l'Islam incarné par l'Imam 'Alî et croyait que même sans l'existence des recommandations du Prophète (P) le concernant, personne d'autre que l'Imam 'Alî ne convenait au Califat.
Il était convaincu que l'Islam authentique, se traduisait par l'attitude de l'Imam 'Alî et ses compagnons, même s'ils ne formaient qu'une minorité. Bilâl qui avait supporté tant de souffrances et de tortures pour la cause de l'Islam, ne pouvait pas voir cet Islam se transformer maintenant en un jouet de désirs matériels et un engouement pour le pouvoir.
C'est pourquoi, il donna une réponse nette et précise aux émissaires du Calife: «Je ne ferai l'Azan qu'à celui que le Saint Prophète a choisi comme son successeur».(53)
Finalement, 'Omar qui était un ami intime du calife Abû Bakr, et considéré comme l'un des facteurs les plus déterminants pour son accession au Califat, et pour sa continuation dans ce poste, décida de discuter personnellement avec Bilâl sur cette affaire d'Azan.
En voyant Bilâl, 'Omar pensa: «Je le ferai se soumettre au Califat et je l'arracherai du sein des opposants». Après les salutations et l'échange des formules de politesse, 'Omar dit:
«O Bilâl! Pourquoi nous abandonnes-tu ces jours-ci? Je tenais beaucoup à ce que tu sois avec nous pour que nous puissions te confier quelques tâches. Pourquoi ne viens-tu pas à la Mosquée? Nous espérons que tu récites l'Azan et appelles les gens à la Mosquée pour faire la prière derrière le Calife du Saint Prophète. J'ai entendu que tu avais dit que tu ne feras plus l'azan. Pour quelle raison? Ne te rappelles-tu pas que ce même Abû Bakr t'avait délivré de l'esclavage et de la persécution de ton maître cruel? Est-il convenable que tu l'abandonnes maintenant en refusant de faire l'azan pour lui?»
Bilâl commença à se souvenir des événements du passé: sa persécution, son bannissement, son émigration à Médine, les engagements militaires avec les infidèles et les polythéistes, la conquête de la Mecque et le décès du Saint Prophète.
Il dit à 'Omar: «Que c'était heureux, l'époque où le Saint Prophète était parmi nous et où il invitait les gens à Allah et à la justice! Et qu'ils sont durs, calamiteux et noirs ces jours que nous vivons maintenant! Quelle époque!»
Bilâl ramena ensuite la discussion vers le vif du sujet, alors que les larmes suscitées par l'évocation du passé perlaient sur ses joues:
«Voyons si Abû Bakr m'avait délivré et affranchi pour l'amour d'Allah, ou pour toute autre raison. S'il l'avait fait pour l'amour d'Allah, il n'aurait aucun droit sur moi, et s'il ne l'avait pas fait pour satisfaire Allah, je resterais son esclave et serais sous son contrôle, mais je suis toujours libre concernant ma croyance.
»Et comme je l'ai déjà dit, je ne ferai l'azan à personne après le Saint Prophète. De plus je ne ferai le serment d'allégeance qu'à celui à qui j'ai la responsabilité de prêter serment d'allégeance. Je n'accepte comme Calife que celui qui a été désigné par le Saint Prophète pour sa succession.
»Puis, je dois te dire que si Abû Bakr ne m'avait pas délivré et affranchi, je serais mort en vrai croyant et je serais allé au Paradis. Mais à présent, lorsque tu me demandes de participer à cette affaire (d'azan) je ne sais pas si cela me conduirait au Paradis ou à l'Enfer, ni si je pourrais préserver ma foi ou non».
'Omar fut très contrarié par ce discours et jeta sur Bilâl un regard plein de rage et d'animosité. Il quitta les lieux, l'air très irrité.(54)
Tous les efforts du califat en vue d'amener Bilâl à composer furent vains, et ne parvinrent nullement à entamer sa détermination. Il persévéra avec férocité, refusa toutes les promesses qu'on lui faisait, resta indomptable face aux menaces et ne se soumit jamais. En raison de la position hostile de Bilâl et de l'écho négatif que son refus de prêter serment d'allégeance à Abû Bakr laissa sur la société, le pouvoir califal décida de le punir.
De crainte de voir d'autres personnes se joindre à Bilâl dans sa prise de position et le risque de trouble que cela pourrait entraîner, on suggéra que ce dernier soit banni de la Capitale et exilé dans un endroit lointain pour le mettre hors d'état de nuire, et pour que les gens finissent par l'oublier et oublier avec lui les reproches faits à l'encontre du calife.
Mais certains conseillers du calife firent remarquer: «Si nous l'exilons ouvertement, nous serons encore plus blâmés. Il est possible d'ailleurs que l'Imam 'Alî y objecte. Et dans ce cas notre action produirait un effet contraire à celui escompté. Il vaudrait mieux donc que nous le soumettions à des persécutions et à des menaces afin qu'il soit obligé de quitter Médine de lui-même».
Ce schéma fut approuvé par la majorité des conseillers, et suséquemment Bilâl commença à subir des persécutions jour et nuit et à faire l'objet, en permanence, de menaces de mort.
A la fin il reçut le message suivant: «Soit tu prêtes serment d'allégeance à Abû Bakr et tu fais l'azan, soit tu quittes Médine».(55)
Selon certains historiens, 'Omar dit à Bilâl: «Maintenant que tu ne fais plus l'azan, tu ne dois pas rester à Médine où tu peux devenir une source de corruption» et il le soumit à des pressions».(56)
Ainsi, le porte-parole du mouvement de l'Islam fut placé devant un dilemme difficile: d'une part il lui était très pénible d'abandonner la Ville du Prophète (Madînat-al-Rasûl), et d'autre part il lui semblait impossible d'y rester. Il se demandait comment il pouvait demeurer à Médine et résister aux pressions.
Après tout, comment pouvait-il quitter Médine, la tombe du Prophète (P) et les milliers de souvenirs que cette ville lui évoquait? Toutefois, il choisit finalement de partir dans l'espoir de pouvoir avoir plus de liberté pour réveiller les gens et leur expliquer que le Califat avait été usurpé et qu'il devait revenir à son ayant-droit. Il pensa qu'il était de son devoir d'expliquer la vérité aux gens. Rester à Médine l'empêchait de s'acquitter de ce devoir et pis, le conduirait à approuver, ne fût-ce que par son silence forcé, l'action du gouvernement, ce qu'il lui était impossible de faire, car ce fût approuver l'injustice.
Il décida donc de partir pour la Syrie et se prépara pour le bannissement. Avant de décider de s'exiler en Syrie, il avait consulté la famille du Saint Prophète. Et lorsqu'il fut prêt au départ, la première chose qu'il fit, fut d'aller dire adieu à l'Imam 'Alî.
Cette rencontre entre l'Imam 'Alî et Bilâl eut lieu dans un climat très émouvant. Alors que le premier pouvait à peine cacher sa grande émotion, le second ne put empêcher ses larmes d'inonder son visage.
Puis, Bilâl se rendît au tombeau du Saint Prophète pour faire ses adieux également. Et après avoir passé un bon moment à pleurer sur la tombe, il s'adressa au saint Défunt dans ces termes:
«O Noble Prophète de l'Islam! Tu sais bien toi-même quels jours affligeants nous traversons et quel coup sévère a été porté au corps de ta religion. O Prophète d'Allah! J'ai été contraint à la suite des pressions croissantes de l'administration califale de me résoudre à quitter ta ville pour m'exiler en Syrie».
Bilâl entreprit son voyage d'exil et après avoir surmonté maintes difficultés et d'innombrables obstacles qui s'étaient dressés devant lui sur la route Médine- Damas, il arriva à bon port. Une fois près de Damas, il s'arrêta pendant un moment, regarda la ville et se dit:
«Quelle ville terne et triste! On dirait que la mort fait planer son ombre partout. O Seigneur! Comment pourrais-je vivre ici? Je pensais que la journée allait se terminer et que je pourrais me reposer un moment. Mais maintenant, je suis devenu plus fatigué et plus triste. O Seigneur! Que pourrais-je faire?»
Bilâl se rendit à la porte de la ville le coeur serré. Et après de longues recherches, il réussit à trouver un logement.
Mais, une fois installé à Damas, Bilâl se sentit satisfait de pouvoir résister à l'oppression des gens puissants et de dire la vérité. Il remercia Allah et s'enorgueillit de son existence en réalisant que celle-ci constituait en soi une menace pour les gouvernants, lesquels craignaient même son silence.
Bilâl résida à Damas pendant un certain temps, mais son âme était toujours à Médine. Il pensait toujours à trouver une solution à ce problème. Finalement il perdit patience et décida de retourner à Médine pour se réjouir de la vue de la famille du Saint Prophète et de son auguste Compagnon, l'Imam 'Alî. Il était conscient néanmoins, de la possibilité que le gouvernement considère son retour comme inopportun et qu'il le retint.
Cependant, comme il avait pris la décision de retourner à Médine, il se dit: «Je dois accomplir ce voyage, même au prix de ma vie».
Bilâl quitta Damas avec beaucoup de courage et d'enthousiasme, ayant un objectif fixé dans sa tête: revoir la famille du Prophète. Le voyage qu'il avait imaginé très long au moment du départ, lui sembla très court à l'arrivée.
Il atteignit les abords de Médine et la ville avait l'air calme et tranquille. Il vit les murs de la Mosquée du Saint Prophète de loin et les réminiscences du passé firent surface dans son esprit. Aussi, ses larmes se mirent-elles à couler à flots à ces souvenirs proches et lointains.
Après être arrivé en ville, il se dirigea directement et immédiatement à la tombe du Saint Prophète. Les espions du pouvoir aperçurent Bilâl, et voulurent l'arrêter. Toutefois ils estimèrent qu'il n'était pas convenable de procéder à son arrestation sans prévenir préalablement les autorités de son arrivée. Une fois celles-ci mises au courant du retour de Bilâl, elles s'en inquiétèrent.
D'autre part, la nouvelle de sa venue était parvenue à l'oreille de la fille chérie du Saint Prophète, Fâtimah al-Zahrâ', et Bilâl lui-même venait d'apprendre que celle-ci était souffrante, et s'en alarma énormément. Profitant de sa présence auprès de la tombe de son père, il confia à celui-ci sa grande tristesse:
«O Prophète d'Allah! Après toi le monde est devenu noir, l'Imamat s'est transformé en Califat et a été usurpé par des gens qui n'y conviennent pas.
»O Prophète d'Allah! Je viens d'apprendre que ta fille est souffrante.
»O Prophète d'Allah! Ton successeur légitime, 'Alî, vit retiré dans sa maison. Par son silence et sa retraite, il préserve l'Islam et l'unité des Musulmans.
»O Prophète d'Allah! Je viens juste de rentrer de mon exil en Syrie...»
Et sans pouvoir terminer ses complaintes et exprimer ses douleurs, il perdit conscience et tomba par terre, sous l'effet de diverses émotions fortes.
Après la mort du Saint Prophète, sa fille unique, Fâtimah al-Zahrâ' avait ressenti durement la disparition de son père bien-aimé, et elle tomba peu à peu malade. Et lorsqu'elle apprit que Bilâl était de retour à Médine, elle exprima le désir de l'entendre réciter l'azan de nouveau.
Alors que l'heure de la prière de midi s'approcha, le muezzin du Saint Prophète monta sur le toit de la Mosquée et se mit à faire l'azan avec sa haute voix comme il le faisait il n'y avait pas si longtemps. Il commença par le premier slogan de l'azan: «Allâhu Akbar!».
En entendant la voix de Bilâl, le premier muezzin du Saint Prophète, les gens de Médine sortirent de leurs maisons et se dirigèrent vers la Mosquée. Tout le monde se demandait comment Bilâl avait-il été amené à faire l'azan de nouveau après la disparition du Saint Prophète.
Quelques minutes plus tard une foule se rassembla à la Mosquée et Bilâl continua à réciter l'Appel à la Prière.
Lorsque Fâtimah entendit la formule, "Allâhu Akbar" dans sa maison, elle se rappela les jours glorieux et agréables de l'époque de son père.
Aussi poussa-t-elle un soupir et donna-t-elle libre cours à ses larmes. Ses enfants ne tardèrent pas à la rejoindre dans sa lamentation. Et lorsque Bilâl prononça le deuxième slogan de l'azan: "Ach-hadu an-là ilâha il-lallâh" (j'atteste qu'il n'y a de Dieu qu'Allah) Fâtimah pleura encore plus amèrement. Mais lorsque Bilâl allait prononcer le troisième slogan qui évoquait le nom du Saint Prophète, elle perdit connaissance sous l'effet de sa grande affliction. On fit donc signe tout de suite à Bilâl d'arrêter l'azan, car la vie de Fâtimah était en danger.
Les gens rassemblés près de la Mosquée et dans les rues avoisinantes, et plongés dans un climat de ferveur, revinrent subitement à eux-mêmes et se demandèrent ce qui se passait lorsque Bilâl avait interrompu l'azan.
Bilâl qui ne tenait plus à vivre en raison de la pression des épreuves qu'il subissait, était prêt à jouer un rôle de formateur et de mobilisateur au sein du peuple. Aussi s'appliqua-t-il à mobiliser les gens contre l'administration califale par les discussions et les débats.
Les gens devenus conscients de ce qui n'allait pas commencèrent à soulever des objections et lancer des slogans protestataires contre la politique gouvernementale. Les agents du gouvernement, craignant que ces protestations ne dégénèrent en troubles incontrôlables, firent irruption dans la Mosquée, arrêtèrent Bilâl et le bannirent à nouveau en Syrie.
Après son second exil, Bilâl ne pouvait plus aller se recueillir devant la tombe du Saint Prophète, parce que le gouvernement le soumit à une étroite surveillance et les agents du pouvoir suivaient ses moindres mouvements, partout où il allait. Il n'avait donc que la possibilité de se tourner vers la direction de la tombe du Messager d'Allah pour lui adresser ses complaintes et lui confier ses chagrins.
Dès son arrivée à Damas pour un second exil, Bilâl fut très irrité en raison des conditions difficiles dans lesquelles il avait été mis. En effet, il vivait à Damas sous une pression gouvernementale intense et permanente. Il était très rare et très difficile qu'on puisse le voir, et il vivait presque toujours seul. Il finit par trop souffrir de cette solitude et mourut bientôt.
Au martyre de Bilâl tous ses amis pleurèrent sa perte à chaudes larmes. Les gens se rassemblèrent et attendirent dans l'affliction et le deuil de participer à ses funérailles. Les Musulmans, dans les autres villes du territoire islamique et notamment à Médine, ressentirent avec douleur la perte de cet homme grandiose qui du simple esclave noir effacé gravit au sein de la communauté musulmane toutes les échelles de valeur et de grandeur pour se placer au sommet.
Lui, et quelques autres Compagnons valeureux avaient fait derrière le Prophète Mohammad (P) l'histoire de l'Islam et avaient bâti une société saine sur les ruines de l'ordre aristocratique décadent de l'époque préislamique.
Des Musulmans nobles procédèrent à l'enterrement de Bilâl dans un cimetière nommé "Çaghîr" (Petit) situé à Damas et organisèrent des cérémonies de deuil pendant plusieurs jours afin que tous les Musulmans pieux puissent venir y assister. Sa tombe est devenue un lieu de pèlerinage et de visite pieuse et continue de l'être jusqu'à nos jours.
Tous les historiens musulmans, quelque soit leur bord, considèrent
Bilâl dans leurs récits comme l'un des plus proches Compagnons
du Saint Prophète.
Même si l'on supposait que l'Afrique n'ait pas produit un seul Musulman depuis le début de l'Islam jusqu'à aujourd'hui, les Musulmans ne sauraient nier ni ignorer l'immense service que les Africains avaient rendu aux adeptes de l'Islam en leur donnant refuge en Ethiopie, lorsqu'ils avaient été contraints d'abandonner et de fuir leurs foyers en Arabie pendant les premiers jours de la naissance de la Communauté musulmane.
En effet lorsque les Musulmans trouvèrent refuge en Afrique, ils vivaient en Arabie dans une situation de désespoir. Sauvagement persécutés par les Quraych, leur existence même était menacée. C'était à cette époque précise que Bilâl et d'autres Musulmans faisaient face à toutes sortes d'adversité.
Mohammad (P) lui-même était au centre des persécutions des Quraych. Il fit l'objet de nombreux complots visant sa vie. Les polythéistes lançaient des pierres et des immondices contre lui à son passage. Ils étaient prêts à le tuer à tout moment, s'ils en avaient la possibilité ou l'opportunité. Mais grâce au grand courage d'Abû Tâlib, l'oncle paternel du Saint Prophète et le père de l'Imam 'Alî, et l'une des figures de proue de Quraych et de la Mecque, ils ne purent pas traduire leur désir en acte. La protection offerte par Abû Tâlib à son neveu dissuada maintes fois les infidèles d'attenter à la vie du Saint Prophète (P).
A cette époque de persécutions insupportables, seule l'Afrique offrit une terre d'asile aux Musulmans. D'autre part, les premiers Musulmans à subir la torture des infidèles étaient des Africains. Ainsi les premières personnes tombées en martyrs pour la cause de l'Islam étaient Somayyah et son mari (Yâcir),(57) qui avaient choisi de mourir plutôt que de blasphémer.
Tout avait commencé lorsque le Prophète Mohammad (P) avait prêché l'Islam et eu quelques adeptes à la Mecque. Les polythéistes de Quraych en furent très offusqués. Ils essayèrent d'abord de dissuader le Saint Prophète (P) de poursuivre sa mission. N'ayant pas réussi dans ces tentatives, ils commencèrent à le menacer d'une part et à lui faire des promesses alléchantes, d'autre part. Mais toujours inflexible, le Saint Prophète dit fermement:
«Je ne m'arrêterai jamais, même s'ils plaçaient le soleil dans ma main droite, et la lune dans ma main gauche, car ce que je prêche c'est la Religion vraie».
Ainsi ayant compris qu'ils ne pouvaient rien contre le courage indomptable du Saint Prophète, et sachant que la protection que lui avait offert Abû Tâlib limitait l'action qu'ils pourraient entreprendre contre lui, ils décidèrent de persécuter ses adeptes, pour empêcher la nouvelle religion de sortir de son stade embryonnaire et de se développer. Les persécutions auxquelles ils soumirent les Musulmans étaient très diverses et très sévères. Plusieurs adeptes du Messager d'Allah (P) trouvèrent la mort à cause de ces persécutions.
Le Saint Prophète ayant constaté que les pressions étaient devenues insupportables, ordonna aux Musulmans de quitter la Mecque et d'émigrer en Ethiopie. Ainsi le premier groupe de Musulmans comprenant 11 hommes et 14 femmes s'embarqua dans un bateau et se rendit dans cette contrée d'Afrique où les Africains leur offrirent refuge et hospitalité.
Lorsque les polythéistes de la Mecque apprirent la nouvelle de cette émigration, ils intensifièrent leurs agressions contre les Musulmans restés sur place. Le Saint Prophète (P) donna alors instructions à Ja'far, le fils d'Abû Tâlib et le frère de l'Imam 'Alî d'émigrer à son tour en Ethiopie avec un groupe de 103 Musulmans, composé de 85 hommes et 11 femmes de la tribu de Quraych et 7 personnes issues d'autres tribus.
Comme leurs prédécesseurs, ces émigrés aussi eurent droit à un refuge et à la protection du Négus, le Roi d'Ethiopie.
Là, les polythéistes mecquois décidèrent d'empêcher les émigrés de vivre en paix. Aussi dépêchèrent-ils une délégation vers l'Ethiopie pour demander au Roi d'expulser les émigrés musulmans de son territoire, mais le Négus refusa d'accéder à leur demande, et continua à protéger ses hôtes. Ainsi, l'Afrique fut à cet égard l'unique lieu de refuge pour les Musulmans dans l'histoire de l'Islam.
En outre, l'Afrique a le privilège de compter dans son sein Om Ayman, qui était la nourrice du Saint Prophète(P), lequel l'appelait "mère".
L'Afrique jouit d'un autre privilège exceptionnel dans ce sens qu'après Khadîjah, la seule femme qui ait pu porter un enfant du Saint Prophète dans ses entrailles, était une dame africaine nommée Mariya Qibtiyyah.
Et sans parler du fait que l'Afrique peut s'enorgueillir d'avoir fourni au Saint Prophète son muezzin et trésorier, le vaillant Bilâl, il faut noter que le Roi d'Ethiopie, Asmaha fut le premier des empereurs et monarques du monde à accepter la vérité de l'Islam et à se soumettre aux Enseignements du Prophète Mohammad (P).
Dans cette partie de notre ouvrage, nous essayons de projeter la lumière sur la vie , l'action et les mérites des Musulmans africains des premiers temps de l'histoire de l'Islam.
Nous entendons présenter une brève biographie de ces Musulmans qui ont embrassé l'Islam du vivant du Saint Prophète (P), et qui appartenaient d'une façon ou d'une autre à l'Afrique, et ce faisant montrer que leur conversion et leur action illustrent la véracité du Message de l'Islam au monde et son universalité.
La présentation de ces personnages est fait selon l'ordre chronologique de leurs conversions à l'Islam. Toutefois, ceux dont les dates de conversion sont inconnues, sont relégués vers la fin de la liste.
Beaucoup de ces valeureux Africains qui avaient embrassé l'Islam atteignirent un tel niveau de pureté spirituelle, de piété et de force intérieure que leurs biographies pourraient inspirer beaucoup de Musulmans et les inciter à suivre leur exemple et à essayer d'atteindre leur niveau de perfection et de félicité.
En l'an 8 de l'hégire, Ibrâhîm, fils du Prophète Mohammad (P) naquît de Mariya Qibtiyyah. Celle-ci (sa mère) était une Egyptienne de confession copte avant d'embrasser l'Islam et de se marier avec le Saint Prophète.
Ibrâhîm tenait beaucoup de traits de son père qui l'aimait énormément. Il le portait sur ses épaules et le montrait avec beaucoup de fierté à ses autres épouses.
La mère d'Ibrâhîm était de santé chétive et ne pouvait pas allaiter l'enfant. C'est pourquoi le Saint Prophète amena une brebis à la maison pour assurer le lait à l'enfant. Toutefois, celui-ci ne put survivre longtemps. En l'an 10 de l'hégire, il mourut à l'âge de 18 mois.
Le Saint Prophète fut très affecté et affligé
par cette mort. A ses funérailles, il exprima sa douleur dans les
termes suivants: «Mes yeux sont en larmes et mon coeur est plein
de tristesse, mais je ne dirai que ce qui plaise à Allah, ... O
Ibrâhîm! Je suis chagriné et ému de te voir partir».
Lorsque les persécutions des Musulmans eurent atteint le degré de l'insupportable, le Saint Prophète conseilla à certains de ses adeptes de chercher refuge en Ethiopie. Pendant la cinquième année de la révélation du Message, 11 hommes et 14 femmes quittèrent la Mecque pour l'Abyssinie (actuellement l'Ethiopie) où ils menèrent une vie paisible sous la protection de l'Empereur Asmaha.
Après quelque temps, ils retournèrent à la Mecque. Mais à leur retour, les polythéistes mecquois intensifièrent les persécutions des nouveaux convertis, et le Saint Prophète (P) leur conseilla alors d'émigrer de nouveau en Ethiopie. Aussi, un groupe de 85 hommes et 11 femmes de la tribu de Quraych et 7 personnes appartenant à d'autres tribus se réfugièrent en Ethiopie et bénéficièrent de l'hospitalité africaine.
Lorsque les polythéistes mecquois apprirent la nouvelle de cette émigration, ils envoyèrent deux émissaires, 'Amr Ibn al-'Aç et 'Amâra Ibn al-Walîd, qui portaient des cadeaux pour l'Empereur, ainsi qu'une requête réclamant l'extradition des émigrés musulmans vers la Mecque.
Une fois auprès de l'Empereur, les deux émissaires lui présentèrent les cadeaux et lui demandèrent de renvoyer les Musulmans sous prétexte qu'ils étaient des fauteurs de troubles.
L'Empereur leur répondit qu'il ne pouvait accéder à leur requête avant de vérifier lui-même les faits qui leur étaient reprochés. Aussi convoqua-t-il à sa cour Ja'far Ibn Abî Tâlib, le frère de l'Imam 'Alî qui était le chef des réfugiés, et lui demanda-t-il d'expliquer sa religion nouvelle.
Ja'far fit un long discours dans lequel il expliqua comment ils étaient avant l'Islam et comment ils se transformèrent après leur conversion.
Puis il récita les versets suivants de la Sourate Maryam (chapitre 19) du Saint Coran, dans lesquels est évoquée la naissance du Prophète 'Isâ (Jésus Christ):
«Mentionne Marie dans le Livre. Elle quitta sa famille et se retira en un lieu vers l'Orient. Elle plaça un voile entre elle et les siens. Nous lui avons envoyé notre Esprit: il se présenta devant elle sous la forme d'un homme parfait.
- Elle dit: "Je cherche une protection contre toi auprès du Miséricordieux; si toutefois tu crains Allah".
- Il dit: "Je ne suis que l'envoyé de ton Seigneur pour te donner un garçon pur".
- Elle dit: "Comment aurais-je un garçon? Aucun mortel ne m'a jamais touchée et je ne suis pas une prostituée".
- Il dit: C'est ainsi: Ton Seigneur a dit: "Cela M'est facile. Nous ferons de lui un Signe pour les hommes; une Miséricorde venue de Nous. Le décret est irrévocable».
»Elle devint enceinte de l'enfant puis elle se retira avec lui dans un lieu éloigné. Les douleurs la surprirent auprès du tronc du palmier.
- Elle dit: "Malheur à moi! Que ne suis-je déjà morte, totalement oubliée!"
»L'enfant qui se trouvait à ses pieds l'appela: "Ne t'attriste pas! Ton Seigneur a fait jaillir un ruisseau à tes pieds. Secoue vers toi le tronc du palmier; il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange, bois et cesse de pleurer. Lorsque tu verras quelque mortel, dis: "J'ai voué un jeûne au Miséricordieux; je ne parlerai à personne aujourd'hui".
»Elle se rendit auprès des siens, en portant l'enfant.
- Ils dirent: "O Marie! Tu as fait quelque chose de monstrueux! O Soeur d'Aaron. Ton père n'était pas un homme mauvais et ta mère n'était pas une prostituée".
Elle fit signe au nouveau-né et ils dirent alors: "Comment parlerions-nous à un petit enfant au berceau?"
- Celui-ci dit: "Je suis, en vérité, le Serviteur d'Allah. IL m'a donné le Livre; IL a fait de moi un Prophète; IL m'a béni, où que je sois. IL m'a recommandé la prière et l'aumône - tant que je vivrai - et la bonté envers ma mère. IL ne m'a fait ni violent, ni malheureux. Que la Paix soit sur moi, le jour où je naquis; le jour où je mourrai; le jour où je serai ressuscité".
Celui-ci est Jésus, fils de Marie. Parole de Vérité dont ils doutent encore». (Sourate Maryam, 19: 16 - 34)
En entendant le discours de Ja'far, suivi de ces nobles versets du Coran, l'Empereur fut très ému et dit:
«Je jure que je ne vous livrerai jamais à ces gens et que je vous aiderai autant que je pourrai».
Les deux représentants des polythéistes mecquois dirent à l'Empereur que les Musulmans à la différence des Chrétiens considéraient Jésus comme un Messager de Dieu et non Dieu Lui-Même.
Le chef des réfugiés musulmans, Ja'far Ibn Abî Tâlib répondit que les Musulmans vénéraient Jésus Christ et croyaient qu'il est le Serviteur et le Messager d'Allah.
L'Empereur fut satisfait des arguments présentés par Ja'far et il dit:
«Il y a une petite différence entre les faits auxquels nous croyons et ce qui vient d'être dit par vous les Musulmans».
Et d'ajouter:
«Que la bénédiction soit sur vous et sur celui qui vous a envoyés. J'atteste qu'il (Mohammad) est un Messager de Dieu»
Puis se tournant vers les polythéistes, il leur rendit les cadeaux qu'ils lui avaient apportés et leur ordonna de quitter son pays. Aussi retournèrent-ils à la Mecque bredouilles, alors que Ja'far et ses compagnons continuèrent à vivre en Ethiopie en paix.
Ayant constaté l'authenticité de l'Islam à travers le prêche de Ja'far Ibn Abî Tâlib, l'Empereur devint Musulman, et son exemple fut suivi par un bon nombre de ses sujets chrétiens.
Quarante de ces nouveaux convertis demandèrent à l'Empereur de leur accorder la permission de se rendre en Arabie pour rencontrer le Saint Prophète (P).
L'Empereur les autorisa à partir en leur confiant des cadeaux - vêtements et servants - pour le Saint Prophète. Les chefs de ce groupe étaient:
1- Abraha,
2- Idris,
3- Achraf,
4- Ayman,
5- Buhayra,
6- Tamân,
7- Tamîn,
8- Nâfi'.
Et c'est à propos de ces gens que le verset coranique suivant fut révélé:
«Ceux auxquels nous avions donné l'Ecriture, croient en elle». (Sourate al-Qiçaç, 28: 52)
Les Ethiopiens convertis arrivèrent finalement à Médine où ils rencontrèrent le Saint Prophète (P) et participèrent par la suite avec lui à la Bataille d'Ohod.
L'Empereur lui-même mourut Musulman dans son royaume avant la
conquête de la Mecque (l'an 8 A. H.). Le Saint Prophète (P)
fit la prière du mort pour lui.(58)
Ayman était le fils d'Om Ayman, la femme-esclave du Saint Prophète, et le demi-frère (du côté maternel) d'Usâmah Ibn Zayd.
A l'époque préislamique, Om Ayman s'était mariée avec 'Obayd Ibn Amârah, l'Ethiopien, et avait quitté avec son mari la Mecque pour Médine où elle mit au monde un fils Ayman. Lorsque son mari était mort, elle était retournée à la Mecque.
Ayman était un Musulman dévoué et il se sacrifia pour la cause de l'Islam dans la Bataille de Hunayn.
Lorsque les Musulmans, pris de panique dans cette Bataille, avaient fui le champ d'honneur, Ayman Ibn 'Obayd était l'un des huit combattants, dont l'Imam 'Alî et 'Abbas, l'oncle paternel du Saint Prophète, qui restèrent héroïquement à leurs postes autour du Messager d'Allah (P).
Il finit par tomber en martyr en combattant férocement. C'est
grâce à ce sacrifice, entre autre, que les Musulmans gagnèrent
finalement cette Bataille après l'avoir pratiquement perdue. Ayman
Ibn 'Obayd était un berger, et il s'occupait des huit chèvres
du Saint Prophète.
Mahjah était l'un des serviteurs du Saint Prophète (P).
Il figurait faisait partie des plus pieux des Musulmans. Un des Compagnons
du Saint Prophète attesta que parmi les Musulmans d'Afrique, Mahja,
Luqmân et Bilâl étaient les plus pieux. ( "Al-Istî'âb"
d'Ibn Hajar al-'Asqalânî).
Luqmân était l'un des trois serviteurs du Prophète. Il était célèbre par sa piété et sa vertu.
Yâsir était l'esclave d'un Juif nommé Kamîr et vivait à Khaybar. Il s'occupait du bétail de son maître. Pendant que les Musulmans assiégeaient quelques forts de Khaybar, Yâsir s'approcha du Saint Prophète (P) et lui demanda de lui expliquer l'Islam.
Le Saint Prophète (P) lui exposa les principes de sa Foi, et Yâsir embrassa sa religion sans tarder. En devenant Musulman, Yâsir se joignit à l'armée musulmane, mais il était soucieux de sa responsabilité de la garde des moutons de son maître.
Aussi fit-il part au Saint Prophète (P) de son souci: «Que dois-je faire de ces moutons que mon maître m'a confié et qui sont sous ma garde?»
Le Saint Prophète répondit: «Tourne leurs faces vers la maison de leur maître et ils ne tarderont pas à aller chez lui».
Yâsir ramassa une poignée de terre et la lança aux faces des moutons en s'écriant à leur adresse: «Retournez chez votre maître. Par Allah, je ne retournerai pas avec vous».
Là, les moutons se dirigèrent vers la maison de leur maître sans leur gardien. On eût dit qu'un berger invisible les guidait.
Yâsir mourut en martyr parmi les Musulmans pendant les combats. Il fut mortellement touché par une grande pierre lancée de l'un des forts que les Musulmans assiégeaient.
Le Saint Prophète l'enterra lui-même et s'occupa de la cérémonie funéraire. Il dit à ses funérailles: «Il est maintenant avec les mariées célestes, comme épouses».
Ainsi l'Islam le gratifia d'un triple honneur: il devint un homme à
pouvoirs surnaturels, il gagna le martyre et fut reçu par des mariées
célestes qui s'occupent de lui.(59)
Ce Yâsir était l'un des serviteurs du Saint Prophète et s'occupait de ses chamelles.
Son abstinence des plaisirs de ce monde, sa piété et son profond attachement aux prières impressionnèrent tellement le Saint Prophète (P) qu'il l'affranchit. Après son affranchissement il s'établit dans un lieu appelé Hîrah où, bien que libre, il continua à s'occuper des chameaux du Saint Prophète qui se trouvaient là.
Un jour quelques hommes de la tribu Omayyade vinrent voir le Saint Prophète pour se convertir à l'Islam. Ils souffraient tous des effets de la malnutrition et avaient les ventres gonflés. Le Prophète les envoya chez Yâsir, lequel leur fit boire du lait de chamelle. Quelque temps après, tout était rentré dans l'ordre et leurs ventres avaient repris leur état normal.
Mais après avoir recouvré leur santé, ces personnes
ingrates et abjectes enfoncèrent des barres dans les yeux de Yâsir
et le tuèrent. Après sa mort, son corps fut présenté
devant le Prophète (P) dans un endroit appelé Quba où
il fut enterré.(60)
Mâbûr était un Copte. Il avait été
envoyé au Saint Prophète avec Mariya Qibtiyyah par le Roi
d'Egypte. Il devint Musulman du vivant du Saint Prophète. Selon
certains récits, il était un cousin de Mariya Qibtiyyah.(61)
Mâhir lui aussi était un copte, et envoyé au Saint Prophète (P) par le Roi d'Egypte.(62) Et tout ce qu'on sait de lui est qu'il était devenu Musulman par la suite.
Abû Rafi' Ibrâhîm était un Copte, esclave de 'Abbas Ibn 'Abdul-Muttalib, un oncle paternel du Saint Prophète. On le dénommait aussi as-Salâm.
'Abbas le présenta au Saint Prophète (P), lequel l'affranchit lorsqu'il lui apporta la nouvelle de la conversion de 'Abbas (son ex-maître) à l'Islam.
Abû Râfi' était au nombre des Musulmans qui avaient émigré de la Mecque à Médine pour se soustraire aux persécutions des polythéistes. Il participa aux Batailles d'Ohod et du Fossé et il avait la charge d'apporter la nourriture au Saint Prophète (P).
Abû Râfi` raconta qu'un jour le Saint Prophète (P) lui avait demandé:
«Que feras-tu, O Abû Râfi', lorsque, un groupe de personnes entrera en guerre contre 'Alî (l'Imam `Ali) - lequel sera sur le bon droit alors que ses attaquants auront tort - et que les gens devront obligatoirement combattre les agresseurs avec les armes ou s'ils ne le pouvaient pas, avec la parole, et à défaut dans le coeur (en les détestant) pour être à l'abri de tout blâme?»
Abû Râfi' implora le Saint Prophète (P) de prier pour lui afin que, s'il survivait jusqu'à cet événement, Allah l'aide à combattre aux côtés de 'Alî.
Abû Râfi' ajouta que lorsque plus tard les gens avaient prêté serment d'allégeance à l'Imam 'Alî et que Mu'âwiyah, le gouverneur de Syrie se rebella contre lui, il (Abû Râfi') comprit que c'est contre ce dernier que le Saint Prophète (P) l'avait invité à faire la guerre sainte.
Ainsi, Abû Râfi' vendit immédiatement les terres qu'il possédait à Khaybar, et partit avec sa famille pour la Capitale de l'Imam 'Alî (Kûfa) et il restera avec ce dernier jusqu'à son martyre. Il retournera à Médine avec le fils de l'Imam 'Alî, l'Imam al-Hussayn.
Osâmah Ibn Zayd Ibn Hârithah était le fils de Om Ayman, l'ex-servante du Saint Prophète (P).
Lorsque vers la fin de sa vie le Messager d'Allah (P) tomba gravement malade et garda le lit, il nomma Osâmah qui n'avait que vingt ans, Commandant de l'armée musulmane chargée de livrer bataille aux Romains de Syrie qui avaient tué son père. Toutefois cette armée ne quitta pas Médine pour le champ de bataille, à cause de la maladie du Saint prophète (P).
Le Messager d'Allah (P) étant décédé avant l'engagement de l'armée dans la bataille, Abû Bakr envoya cette armée après la disparition du Saint Prophète.(63)
A cause de son jeune âge, Osâmah était très influençable et il fut ainsi attiré vers les rangs des opposants de l'Imam 'Alî, lorsque ceux-ci l'avaient gratifié de flatteries.
Vers la fin de sa vie cependant, il se rendit compte de son erreur et se repentit. Aussi prêtera-t-il serment d'allégeance à l'Imam 'Ali en l'an 36, lorsqu'il sera choisi comme Calife par les masses musulmanes. Il se repentira une seconde fois, après s'être abstenu de participer aux batailles de l'Imam 'Ali contre les rebelles.(64)
Un jour il tomba gravement malade et l'Imam al-Hussayn (fils de l'Imam 'Ali) se rendit chez lui. Il le trouva dépressif et lui demanda la raison de son malaise. Osâmah répondit qu'il avait une dette de 60 000 dirhams à régler et qu'il craignait de mourir avant de pouvoir s'en acquitter. L'Imam Hussayn lui promit de payer sa dette avant sa mort, et il tint sa parole.(65)
L'Imam Mohammad al-Bâqir, le cinquième Imam d'Ahl-ul-Bayt affirma que: «Osâmah Ibn Zayd s'était repenti, c'est pourquoi j'aimerais qu'on évoque ses souvenirs dans de bons termes».(66)
Il mourut en l'an 54 de l'Hégire.
'Obaydullâh était l'un des fils d'Abû Râfi' Ibrâhîm Qibty et l'un des Compagnons du Saint Prophète. Il fut nommé le scribe officiel par l'Imam 'Alî durant son Califat.( "Tanqîh al-Maqâl", vol. II, p. 237)
'Obaydullah compte parmi les premiers écrivains musulmans. Il écrivit plusieurs livres dont l'un sur les jugements de l'Imam 'Alî.(67) Il était aussi un "Muhaddith" (narrateur des traditions) et certaines traditions du Saint Prophète (P) sont rapportées par lui. Il avait un fils nommé 'Awn qui avait la réputation d'être l'un des personnages les plus intelligents de Médine.
Bien qu'il ne comptât pas parmi les Compagnons du Saint Prophète, 'Alî Ibn Râfi', né du vivant de ce dernier, fut toutefois un compagnon de l'Imam 'Alî et l'un de ses scribes officiels.
Il connaissait de très nombreuses traditions par coeur. Il écrivit
des livres sur beaucoup d'aspects de la jurisprudence islamique, par exemple,
les Prières, les ablutions (wudhû').(68)
Dâwûd, Mohammad, Mûsâ et Yahyâ figurent
dans la biographie de la Dame Fidh-dhah (à la fin de ce livre) comme
étant ses fils sans plus de détails.
Abû Nayçar était un descendant du Négus, empereur d'Ethiopie.
Depuis son jeune âge, il avait été fasciné par l'Islam. Aussi ne tarda-t-il pas à l'embrasser et à aller à la rencontre du Saint Prophète lequel l'éleva chez lui. Et après le décès du Messager d'Allah, il fut transféré chez sa fille, Fâtimah al-Zahrâ'.
Il se joignit à l'Imam al-Hussayn dans la célèbre et tragique Bataille de Karbalâ' où il mourut en martyr comme tous les autres compagnons du petit-fils du Saint Prophète (P). Il fut enterré avec les autres martyrs de Karbalâ' (Iraq) près du mausolée de l'Imam al-Hussayn.
Chaque année, pendant le mois de Moharram, le premier mois du
calendrier musulman, des centaines de milliers de Musulmans chiites se
rendent à ce mausolée pour rendre hommage à ces martyrs.
Naçîr était le fils d'Abû Nayçar que nous venons d'évoquer ci-dessus. Il rejoignit le groupe de compagnons qui voyageaient avec l'Imam al-Hussayn lorsqu'il avait quitté Médine pour Karbalâ'. Quand la Bataille de Karbalâ' commença, il était l'un des premiers à défendre la vérité et le tout premier à tomber en martyr, lorsque ses pieds glissèrent alors qu'il enfourchait son cheval.
Il fut enterré à côté de son père
avec les autres martyrs de Karbalâ'.
Jaun Ibn Huwî était le serviteur d'Abû Tharr, et son histoire est intimement liée à celle de son maître. Selon al-Mâmaqânî, la généalogie de Jaun est la suivante:
- Jaun fils de Huwî, fils de Qatâdah, fils de A'war, fils de Sâ'idah, fils de A'war, fils de Ka'b, fils de Huwî Habachî.(69)
Selon les livres d'histoire Jaun était d'origine africaine et esclave de Fadhl Ibn 'Abbas Ibn (fils de) 'Abdul-Muttalib, acquis par 'Alî au prix de 150 pièces d'or et offert comme cadeau à Abû Tharr. En l'acquérant et l'offrant à Abû Tharr, l'Imam 'Alî voulait rendre service à ce dernier.
L'Imam 'Alî ne s'était pas trompé sur la valeur de Jaun, lequel rendra d'immenses services au valeureux Compagnon du Saint Prophète (P), Abû Tharr.
Les liens entre Jaun et Abû Tharr étaient très bénéfiques à l'un et à l'autre. Jaun avait observé de près tous les traits de la personnalité quasi mythique et hautement appréciée d'Abû Tharr et il en fut très impressionné. Evidemment, Jaun ne négligea rien pour rendre les plus grands services à Abû Tharr. Il accompagna son maître partout.
Quand Abû Tharr fut déporté à Rabdhah, Jaun retourna chez l'Imam 'Alî, et après le martyre de ce dernier, il servit son fils, l'Imam al-Hassan, et lorsque celui-ci décéda à son tour en l'an 50 A. H., il se mit au service de son frère, l'Imam al-Hussayn.
Ainsi Jaun, jouit du rare privilège de passer sa vie avec les membres de la Famille du Saint Prophète (P) et l'un des plus proches et des plus grands Compagnons de ce dernier. Il se trouvait donc au centre des hommes qui firent l'histoire des premiers temps de l'Islam.
Lorsque l'Imam al-Hussayn quitta sa ville natale (Médine) pour d'abord la Mecque et ensuite Karbalâ' au mois de Rajab de l'an 50 A. H., Jaun l'accompagna dans son long périple.
Selon al-'Allâmah al-Majlicî et al-'Allâmah al-Samwî, citant Sayyed Radhî Dâwûdî, lorsque la mémorable Bataille de Karbalâ' commença, le 10 du mois de Moharram en l'an 61 A. H., Jaun vint voir l'Imam al-Hussayn et lui demanda la permission de se battre.
L'Imam al-Hussayn lui dit alors: «Tu as ma permission. Mais, O Jaun! Tu es resté avec moi pour vivre en paix et te voilà désireux de mourir!»
En entendant ces mots, Jaun ne put retenir son émotion et se jeta aux pieds du "Maître de la Jeunesse du Paradis"(70) et dit:
«O maître! Je ne suis pas au nombre de ceux qui te flattent aux moments de la paix et du confort, et qui te quittent à l'heure de l'adversité.
»O mon maître! Il ne fait pas de doute que ma sueur a une horrible odeur, que mon lignage n'est pas noble et que la couleur de ma peau est noire, mais avec tes bénédictions ma sueur sera parfumée, mon lignage ennobli et ma couleur blanche au Paradis.
»Par Allah, je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que mon sang soit mêlé au tien».
Finalement, l'Imam al-Hussayn l'autorisa à se battre. Et lorsque la Bataille s'engagea, Jaun s'avança vers le champ d'honneur et se mit à se battre en récitant les vers suivants:
«O vous les maudits! Avez-vous vu le combat de l'esclave africain?
»Regardez comment il se bat pour défendre la Famille du Saint Prophète!»
Il lança une attaque féroce contre l'ennemi, se battit comme un lion et tua vingt-cinq adversaires avant de mourir en martyr.(71)
Selon Mohammad Ibn Abî Tâlib Makkî, quand Jaun fut tué, l'Imam al-Hussayn vint auprès de son corps, déposa sa tête dans son giron et fit cette prière:
«O Allah! Fais briller le visage de Jaun, rends sa sueur odorante et place-le parmi les gens vertueux au Paradis afin qu'il soit en compagnie du Saint Prophète et de sa Progéniture (Ahl-ul-Bayt) (P)».
Selon des savants citant l'Imam Mohammad al-Bâqir, citant son père, l'Imam Zayn al-'Abidîne (qui avait assisté et survécu à la Bataille de Karbalâ'), quelques jours après que la tribu des Banî Asad eut enterré les corps des martyrs de Karbalâ', ils constatèrent que le corps de Jaun dont le visage était devenu brillant et le corps odorant, dégageait le parfum de musc.(72)
Sa grand-mère, Om Ayman (la mère d'Ayman) était une servante du Saint Prophète (P). Ayman était mort en martyr dans la Bataille de Hunayn en l'an 8 A. H. et le Saint Prophète en l'an 11 A. H.
Hajjâj, le fils d'Ayman était né du vivant du Saint Prophète. Beaucoup de Hadith (Traditions) du Saint Prophète sont rapportés de Hajjâj, dans les livres spécialisés dans ce domaine.(73)
L'Emir (Gouverneur) d'Alexandrie (Egypte) avait envoyé Mariya la Copte, sa soeur Sîrîne, son frère Mabûr avec 1000 mithqâls d'or, 20 vêtements de valeur, une mule appelée "Duldul" et un âne, "Yafûr", comme cadeaux au Saint Prophète.
Mariya et sa soeur Sîrîne se convertirent à l'Islam devant Habîb Ibn Baltara qui les amenait au Saint Prophète, avant qu'ils n'arrivent à Médine. Leur frère, Mabûr, n'avait pas accepté l'Islam au début, mais il s'y convertira plus tard du vivant du Saint Prophète.
Mariya fut mariée au Saint Prophète et devint ainsi l'une des Mères des Croyants, comme en témoigne le Noble Coran:
«Le Prophète est plus proche des croyants qu'ils ne le sont d'eux-mêmes, et ses épouses sont leurs mères». (Sourate al-Ahzâb, 33; 6)
Elle était venue à Médine et y avait épousé le Saint Prophète en l'an 7 A. H. L'année suivante (l'an 8) elle donna naissance à un fils nommé Ibrâhîm qui mourut à l'âge de 18 mois.(74)
Mariya, fille de Cham'ûn, était une Copte qui se convertit à l'Islam. Elle était l'une des deux servantes (l'autre étant Rayhânah, fille de Zayd) offertes par le gouverneur d'Alexandrie au Saint Prophète. Elle mourut cinq ans après le décès du Messager d'Allah.(75)
Sîrîne était la soeur de Mariya la Copte, l'une des
épouses du Saint Prophète, et elle avait été
envoyée comme cadeau à ce dernier par le Gouverneur d'Alexandrie
(Egypte). Elle se maria avec Hassân Ibn Thâbit, un Compagnon
du Saint Prophète, l'un des poètes les plus célèbres
de son époque. Elle porta de lui un fils nommé 'Abdul-Rahmân.
Son vrai nom était Barka et elle était Ethiopienne. Esclave, elle appartenait à 'Abdullâh le père du Saint Prophète. Elle s'occupa de ce dernier pendant son enfance, et lorsqu'il devint grand il l'affranchit.
Elle comptait parmi les premières personnes à se convertir à l'Islam, et elle faisait partie des Musulmans qui émigrèrent vers l'Ethiopie qu'elle quitta par la suite pour Médine.
Elle s'était mariée avec 'Obayd Ibn Omayr à la Mecque pendant l'époque préislamique. Elle eut un fils appelé Ayman, ce qui valut le surnom de Om (mère de) Ayman. Après la mort de 'Obayd, elle se maria avec Zayd Ibn Hârith dont elle eut un autre fils nommé 'Osâmah dont nous avons déjà parlé.
Le Saint Prophète l'appelait "Mère", et la faisait venir régulièrement pour lui rendre hommage.(76)
Lorsque Fâthimah al-Zahrâ', la fille du Messager d'Allah (P) se maria avec l'Imam 'Alî en l'an 2 de l'Hégire, le Saint Prophète confia à Om Ayman la tâche de s'occuper de la cérémonie du mariage.
Comme elle avait assisté au mariage du Saint Prophète avec la Dame Khadîjah, l'une des plus riches femmes de l'Arabie, elle fondit en larmes en voyant la dot frugale et la simplicité de la cérémonie du mariage de la Dame Fâtimah (la fille du Saint Prophète et de la Dame Khadîjah). Le Messager d'Allah entreprit de la consoler.(77)
Fadak était un terrain que le Saint Prophète avait offert à sa fille. Après le décès du Messager d'Allah (P), Abû Bakr dénia à Fâtimah son droit sur Fadak.
Lorsqu'elle se rendit à la cour califale pour réclamer son droit spolié, on lui demanda de produire des témoins à l'appui de son affirmation et son droit sur Fadak. Elle présenta comme témoins, son mari, l'Imam 'Alî, ses deux fils, l'Imam al-Hassan et l'Imam al-Hussayn, et enfin Om Ayman.
Le sixième Imam des Musulmans chiites, Ja'afar al-Çâdiq affirma que lorsque le Califat d'Abû Bakr avait été établi et que le droit de la Dame Fâtimah sur Fadak avait été dénié, Fâtimah alla chez le calife pour lui demander pourquoi on lui avait enlevé Fadak.
«Elle lui dit: "Fadak était l'un des terrains que le Prophète m'a donnés..."
- Abû Bakr lui demanda alors: "Présente tes témoins à l'appui de ta réclamation...".
- Fâtimah présenta alors Om Ayman, laquelle dit: "Abû Bakr! Tant que je n'obtiendrai pas de toi la confirmation de ce que le Prophète a dit à propos de moi, je ne te présenterai pas la preuve que tu réclames. Je te demande donc de confirmer sous serment que le Prophète a bien dit: "Om Ayman est une femme de Paradis".
- Abû Bakr approuva.
- Om Ayman dit alors: "J'atteste qu'Allah avait révélé à Son Prophète ceci: «Et donne à tes proches parents ce qui leur est dû... » (Sourate al-Isrâ', 17 : 26), et qu'à la suite de cette Révélation il (le Prophète) a donné Fadak à Fâtimah".
»L'Imam 'Alî s'avança par la suite et donna le même argument.
»En entendant cette preuve Abû Bakr rédigea un "ordre" selon lequel Fadak devait retourner à la Dame Fâtimah.
Entre-temps, 'Omar (le futur 2ème calife) entra et demanda à Abû Bakr la teneur de l'ordre qu'il venait de rédiger.
- Il répondit: "Fâtimah a réclamé son droit sur Fadak et Om Ayman, l'Imam 'Ali ont témoigné en sa faveur. Par conséquent, j'ai décrété par écrit l'ordre du retour de Fadak à elle".
»'Omar arracha l'ordre de sa main et le déchira en pièces. Fâtimah retourna à la maison en pleurant».(78)
Evoquant cette affaire, l'une des autorités sunnites les plus célèbres, al-'Allâmah Chaykh 'Abdullâh al-Mâmaqânî a écrit:
«Om Ayman était la personne que Fâtimah, la plus Grande des croyants, avait introduite comme témoin dans l'affaire de Fadak, et qui fut rejetée sous prétexte qu'elle était une femme non-Arabe. Du fait qu'Om Ayman avait été présentée comme témoin par la Dame Fâtimah, je déduis qu'elle devait être une dame tout à fait crédible et digne de confiance, car un esprit normal ne saurait penser une seconde qu'une dame du rang de Fâtimah eût pu présenter une personne peu crédible comme témoin. L'autre point qui confirme la parfaite crédibilité et la véracité d'Om Ayman est le fait que les adversaires de Fâtimah récusèrent son témoignage uniquement parce qu'elle était une non-Arabe et non à cause de la contestation de sa crédibilité ou de sa véracité».(79)
On relate qu'après le décès de Fâtimah al-Zahrâ', Om Ayman n'avait plus le coeur à rester à Médine et qu'elle partit par conséquent pour la Mecque.
Lorsqu'elle arriva à un endroit appelé Hajafa (Juhfa), elle fut vaincue par la soif et leva ses yeux vers le ciel pour prier. En réponse à sa prière, les gens virent un seau en cuir plein d'eau descendre du ciel. Elle en but et étancha sa soif.
A la suite de cet événement extraordinaire, elle n'eut
plus la sensation de la soif ou de la faim pendant des années.
Fidh-dhah était une Nubienne(80), venue en Arabie comme esclave peu après l'Emigration du Saint Prophète (P) à Médine.
Le Saint Prophète la rebaptisa Fidh-dhah, et lorsque sa fille chérie Fâtimah al-Zahrâ' lui demanda de lui trouver une servante, il lui offrit Fidh-dhah.
La Dame Fâtimah, se conformant aux enseignements du Saint Prophète, ne la traita pas en servante. Elle partageait avec elle à égalité les travaux de la maison, se chargeant en alternance de certaines tâches, chacune à son tour.(81)
Fidh-dhah était mariée avec Abû Tha'labah, un Ethiopien dont elle eut un fils. Après la mort de son mari, elle se remaria avec Abû Mâlik Ghatfânî. Son fils du premier mariage décéda lui aussi. Mais elle eut plusieurs enfants de son second mariage.
Le Saint Prophète apprit à Fidh-dhah une supplication spéciale pour qu'elle la récitât chaque fois qu'elle avait à s'acquitter d'une tâche difficile.
Voici ladite supplication:
«Ô L'Unique, Qui n'a pas d'égal,
Qui fait mourir tout le monde,
Qui fait périr toute chose,
Qui est le Seul Unique dans les Ciels,
Qui ne s'assoupit ni ne dort».
Fidh-dhah raconta qu'elle avait surmonté beaucoup de tâches difficiles grâce à la récitation de cette supplication(82).
Elle avait le privilège d'être concernée par le "Jeûne de Trois Jours" à propos duquel tout un chapitre du Coran fut révélé, en louanges à ceux qui l'avaient accompli.
En effet, selon un Récit, un jour l'Imam al-Hassan et l'Imam al-Hussayn, les deux petits-fils du Saint Prophète étaient tombés malades. Leur grand-père se rendit alors à la maison de sa fille Fâtimah pour s'enquérir de leur santé, et il suggéra à l'Imam 'Alî de faire le voeu d'accomplir un jeûne de trois jours au rétablissement de la santé des enfants.
L'Imam 'Alî fit ce voeu et les enfants guérirent. A cette occasion et conformément au voeu, l'Imam 'Alî, la Dame Fâtimah, al-Hassan et al-Hussayn ainsi que Fidh-dhah commencèrent à jeûner.
On prépara pour la rupture du jeûne du premier jour cinq pains d'avoine, et au moment où les cinq personnes s'assirent pour rompre le jeûne, un homme cria à la porte de leur maison pour demander à manger: «O, Membres de la Famille du Prophète d'Allah (Ahl-ul-Bayt), je suis un homme pauvre, nourrissez-moi». Tous les cinq lui donnèrent leur portion de pain. Puis ils rompirent leur jeûne avec de l'eau et dormirent sans rien manger.
Le lendemain, ils jeûnèrent aussi et Fâtimah al-Zahrâ' prépara de nouveau cinq pains. Mais là encore au moment où ils s'installèrent devant la table pour rompre le jeûne, un homme se pointa devant leur porte en s'écriant: «O Membres de la Famille du Prophète d'Allah! Je suis orphelin et j'ai faim, je n'ai rien à manger. Nourrissez-moi». Tous les cinq lui offrirent alors leur pain et restèrent sur leur faim.
Le troisième jour de jeûne, au moment de la rupture de celui-ci, une personne apparut devant la porte en criant: «O Membres de la Famille du Prophète d'Allah! Je suis un captif sans secours, et j'ai faim. Donnez-moi à manger». Une fois de plus tout le monde lui donna son pain et rompit le jeûne avec de l'eau seulement.
En restant le ventre vide pour l'amour d'Allah et en donnant en charité tout ce qu'ils avaient à manger, ces cinq personnes ('Alî, Fâtimah, al-Hassan, al-Hussayn et Fidh-dhah) eurent droit à la révélation d'un chapitre du Coran, faisant leur louange. Ce chapitre (Sourate al-Dahr, No. 76) contient 31 versets dont voici quelques-uns:
«Ceux qui accomplissent leurs voeux et qui redoutent un jour dont le mal sera universel,
»Et qui nourrissent le pauvre, l'orphelin et le captif pour l'amour d'Allah, En disant:
"Nous vous nourrissons pour plaire à Allah Seul sans attendre de vous ni récompense ni gratitude. Oui, Nous redoutons de la part de notre Seigneur, un Jour menaçant et catastrophique".
»Allah les protège du malheur de ce Jour. IL leur fera rencontrer la fraîcheur et la joie. IL les récompensera pour leur patience en leur donnant un Jardin et des vêtements de soie». (Sourate al-Dahr, 76 : 7 - 12)(83)
Fidh-dhah était une servante dans la maison des Membres d'Ahl-ul-Kisâ' et d'Ahl-ul-Bayt (les Gens de la Maison du Saint prophète: l'Imam 'Alî, Fâtimah al-Zahrâ', l'Imam al-Hassan, l'Imam al-Hussayn, les gens les plus saints et les plus vénérés après le Saint Prophète).
Fidh-dhah avait vécu dans ce milieu saint qui fit d'elle une dame d'une piété et d'une spiritualité hors du commun. Elle avait mémorisé tout le Noble Coran, et pendant les vingt dernières années de sa vie, elle n'avait prononcé aucun mot qui ne fît partie d'un verset coranique dans ses conversations.
Aboul-Qâcim al-Quraychi relata un incident très intéressant la concernant. Il affirma:
«Un jour j'étais à la traîne, loin de ma caravane, tout seul. Là, j'ai vu une dame à qui j'ai demandé: "Qui es-tu?".
- Elle m'a répondu: "Et dis Salâm (Paix, le mode de salutation en Islam), car ils le sauront bientôt!" (Sourate al-Zukhruf, 43: 89).
»Je l'ai saluée donc selon le mode islamique en lui disant "Salâmun 'Alaykum" (Paix sur vous) et je lui ai demandé: "Que fais-tu ici?".
- Elle a répondu: "Nul ne peut égarer celui qu'Allah dirige". (Sourate al-Zomar, 39: 37).
»En entendant sa réponse, je lui ai demandé: "Es-tu un être humain ou un djinn?"
- Elle a répondu: "Ô fils d'Adam! Portez vos parures..." (Sourate A'râf, 7: 31).
Je lui ai demandé encore: "D'où viens-tu?"
- Elle a répondu: "Ils sont comme si on les appelait de très loin". (Sourate Fuççilat, 41: 44)
Je lui ai demandé: "Où veux-tu aller?"
- Elle a répondu: "IL incombe aux gens d'aller en pèlerinage à la Maison d'Allah..." (Sourate Âle 'Imrân, 3: 97).
»Je lui ai demandé: "Quand t'es-tu séparée de ta caravane?"
- Elle a répondu: "Nous avons créé en six Jours les cieux, la terre et ce qui se trouve entre les deux..." (Sourate Qâf, 50: 38).
Et enfin je lui ai demandé: "As-tu faim?"
- Elle m'a répondu: "Nous n'en avons pas fait des corps qui ne mangent aucune nourriture..." (Sourate al-Anbiyâ', 21: 8).
»Sur ce, je lui ai donné à manger et je lui ai conseillé de se dépêcher pour rattraper la caravane.
- Elle a dit: "Allah n'impose à chaque être humain que ce qu'il peut porter..." (Sourate al-Baqarah, 2: 286).
»Je lui ai proposé de monter sur le chameau derrière moi.
- Elle a répondu: "Si des divinités autre qu'Allah, existaient, le ciel et la terre seraient rompus..." (Sourate al-Anbiyâ', 21: 22).
»Je suis descendu alors de mon chameau et je l'ai fait monter sur lui. Lorsqu'elle est montée sur le chameau,
- elle a dit: "Gloire à Celui Qui a mis tout cela à notre service..." (Sourate al-Zukhruf, 43: 113)
»Lorsque j'ai atteint la caravane, je lui ai demandé: «As-tu un proche parent dans la caravane?»
- Elle m'a répondu:
1- "O Dâwûd! Nous avons fait de toi un lieutenant sur la terre..." (Sourate Çâd, 38: 26)
2- "Et Mohammad n'est qu'un Prophète..." (Sourate Âle 'Imrân, 3: 144)
3- "Ô Yahyâ! tiens le Livre avec force" (Sourate Mariyam, 19: 12)
4- "Ô Mûsâ (Moïse)! Je suis ton Seigneur..." (sourate al-Naml, 27: 9)
[Ces noms sont ceux de nos Prophètes]
»J'ai commencé à appeler ces quatre noms, et en écho à mon appel quatre jeunes hommes sont sortis de la caravane et ont accouru vers Fidh-dhah.
»J'ai demandé à cette dernière qui étaient ces quatre jeunes gens, et
- elle m'a répondu: "Les richesses et les enfants sont la parure de la vie de ce monde" (Sourate al-Kahf, 18: 46)
»Lorsque les quatre jeunes sont arrivés près de leur mère,
- elle a dit: "O mon père! Engage-le à ton service, moyennant salaire" (Sourate al-Qiçaç, 28: 26)
»Sur ce, les jeunes m'ont donné un peu d'argent,
- Fidh-dhah m'a dit: "Allah accorde le double à qui IL veut". (Sourate al-Baqarah, 2 : 261)
»Les jeunes ont doublé ce qu'ils venaient de me donner. Je leur ai alors demandé qui était cette noble dame, et il ont répondu: "Elle est notre mère, Fidh-dhah, la servante de Fâtimah al-Zahrâ' ".
»Ainsi au cours de toute notre conversation, elle n'a utilisé aucun mot qui ne fasse pas partie d'un verset coranique. Et ceci elle le fit pendant vingt ans».
La Dame Fidh-dhah accompagna l'Imam al-Hussayn dans son voyage à Karbalâ' (Iraq). Lorsqu'il mourut en martyr le 10 moharram de l'an 61 A. H., il prononça les noms de ses soeurs, ses épouses, ses filles et de Fidh-dhah.
Celle-ci accompagna également les dames de la maison de l'Imam al-Hussayn, en captivité et souffrit avec elles l'humiliation et la tyrannie des soldats de Yazîd. Elle fut finalement relâchée avec les autres captifs de la famille de l'Imam al-Hussayn et se rendit à Médine avec eux.
Chaque année, les Musulmans, surtout chiites, commémorent
le martyre de l'Imam al-Hussayn pendant les deux premiers mois du calendrier
musulman (Moharram et Çafar) et les prêcheurs soulignent la
grande piété, la connaissance, la dévotion et le sacrifice
de Fidh-dhah pour la Famille du Saint Prophète. Son nom et ses sacrifices
sont évoqués dans la conversation familiale de tout foyer
chiite.
Chohra était l'une des petites-filles maternelles de Madame Fidh-dhah. Allah l'avait dotée elle aussi de pouvoirs surnaturels à cause de sa piété. Mâlik Ibn Dînâr rapporta un incident la concernant. Il affirma qu'un jour il avait vu une vieille dame monter sur un chameau chétif pour aller au Hajj (le Pèlerinage de la Mecque).
Sur le chemin le chameau s'affaiblit beaucoup et ne put plus avancer. La dame montée sur le dos de la chamelle leva ses yeux vers le ciel et dit: «O Allah! Tu ne m'as pas laissée rester chez moi, et Tu ne me laisses pas arriver à Ta Maison (la Ka'bah). Si quelqu'un d'autre (que Toi) m'avait fait ce que Tu m'as fait, je me serais tournée vers Toi pour m'en plaindre».
A peine ayant prononcé ces mots, elle vit surgir du désert un homme tenant le museau d'une chamelle. Il vint vers cette noble dame et dit: «Madame! Montes-y».
Elle monta sur la chamelle et disparut du champ de notre vue à une vitesse surnaturelle.
Lorsque, j'arrivai à la Mecque, je la vis en train de faire le
Tawâf de la Ka'bah (le tour de la Maison d'Allah à la Mecque).
Je l'adjurai de me révéler son identité, et elle me
répondit qu'elle était la petite-fille maternelle de Madame
Fidh-dhah ("Manâqib 'Alî Ibn Abî Tâlib", vol. IV
).
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Notes
1. Sourate al-Rûm (les Romains), 30: 30
3. Voir "Al-Mîzân fî Tafsîr al-Qor'ân", Sayyid Mohammad Hussain Tabâtabâ'î, éd. Mo'ssassat al-A'lamî, Beyrouth, 1411 H./1991, tom. X, p. 287
5. "'Alî wal-Falsafah" ('Alî et la Philosophie), Mo'assat al-Bi'thah, Téhéran, 1402 H., pp. 56 - 57, cité par 'Abdul-Jabbâr al-Rifâ'î, dans "Mûjazun fî Uçûl al-Dîn", 1er édition, 1415 H", p. 16
8. Hadîth rapporté par Mohammad Bâqir al-Majlicî dans "Bihâr al-Anwâr", Téhéran, Dâr al-Kutub al-Islâmiyyah, tom. II, p. 88; cité par 'Abdul-Jabbâr al-Rifâ'î, op. cit., pp. 16 - 17
10. "Nahj al-Bâlaghah", Beyrouth, Dâr al-Kitâb al-Lubnânî, 1982, Prône No. 1, p. 43, cité par 'Abdul-Jabbâr al-Rifâ'î, op. cit., p. 18
11. Sourate al-Baqarah, 2: 257
12. Mohammad Bâqer al-Sadr, "Iqtiçâdonâ" (Notre Economie), Qom, Majma' al-Chahîd al-Çadr, 1408 H., p. 305
13. Mohammad Bâqer al-Sadr, "Al-Islam Yaqûd-ol-Hayât", Téhéran, Ministère de l'Orientation Islamique, p. 154
14. Voir: Tafsîr sourate "Wal-'Açr".
15. "History of Civilisation", Gustave Le Bon, p. 103.
16. "Tafsîr Ithnâ 'Acharî", vol. XII, p. 157.
17. «Ach-hadu an-lâ ilâha illa-l-lâh wa ach-hadu anna Mohammadan Rasûl-ul-lâh» (J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah, et que Mohammad est Son Messager).
18. Voir: "Rijâl al-Mâmaqânî", p. 182; "Nafas al-Rahmân", chap. 10; "A'yân al-Shî'ah", p. 147; "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III, p. 165.
19. "Histoire de la Civilisation" de Georgie Zaidân, p. 20.
21. Al-Lât et 'Uzzâ étaient deux grandes divinités conservées dans la Ka'bah et vénérées par les idolâtres.
22. Le slogan du monothéisme qui signifie: «Allah est Un».
23. Voir: "Al-Kâmil" d'Ibn al-Athîr, vol. II, p. 45; "Sîrat Ibn Hishâm", vol. I, p. 340; "Rijâl al-Maqmaqînî", Lettre B, p. 182; "Usnad al-Ghâbah", vol. I, p. 206
24. C'est Abû Jahl qui enfonça le fer dans la cuisse de Bilâl. Il avait demandé à Omayyah de lui confier cette tâche. Il est dit également qu'il était le premeir à couper la cuisse de Bilâl avec un couteau, avant d'y enfoncer le fer. ("Ghuffâr-e wa'âdh", p. 456)
25. Certains historiens croient qu'Abû Bakr acheta, sur proposition du Saint Prophète, Bilâl avec son propre argent et le libéra. Selon d'autres, c'était Ibn 'Abbas qui acquit Bilâl sur proposition du Messager d'Allah. D'autres encore écrivent que c'était le Saint Prophète qui l'acquit avec son propre argent pour l'affranchir. Ils croient que Bilâl était devenu l'esclave du Saint Prophète et qu'il fut affranchi par la suite. Toutefois la plupart d'entre eux affirment qu'Abû Bakr l'avait acquis sur ordre du Saint Prophète et qu'il l'affranchit. Pendant le Califat d'Abû Bakr, notent-ils, 'Omar blâma Bilâl à cet égard en lui rappelant: «Abû Bakr t'a acquis et t'a affranchi».
"Al-Kâmil" d'Ibn Athîr, vol. II, p. 45; "Nafas al-Rahmân", chap. X; "Majâlis al-Mo'minîn", vol. I, p. 268; "Al-Içâbah", p. 169; "Rijâl al-Mâmaqânî", Lettre B; "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III, p. 166.
26. Il est écrit dans "Târîkh Ibn Sa'd" qu'Abû Bakr acquit Bilâl en association avec le Saint Prophète et qu'il fut affranchit par ce dernier. (Voir: "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III, p. 169). D'autres écrivent que c'est Abû Bakr qui l'acquit et l'affranchit.
27. Voir: "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III, p. 268
28. Ibn Sa'd écrit dans ses "Tabaqât" (vol. III, p. 169) que Bilâl et ses compagnons étaient arrivés chez un Partisan nommé Sa'd Ibn Khathimah
29. "Qâmûs al-Rijâl", p. 243; "Al-Içâbah", p. 169; "Usud-al-Ghâbah", vol. I, p. 208. Quelques biographes écrivent que Bilâl était devenu le frère d'Abû Doyah ("A'yân al-Chî'ah", vol. XIII, p.144) et selon quelques autres, le frère de 'Abdullâh Ibn 'Abdul-Rahmân al-Kath'amî ("Al-Nâsikh", p. 35).
30. «Les Croyants sont sûrement des frères» (Sourate al-Hujurât, 49: 10); "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III, p. 165
31. On dit que c'était 'Abdullâh Ibn Mas'ûd qui avait posé cette question au Saint Prophète, lequel lui répondit par la négative. Ibn Mas'ûd demanda alors: «Et si j'affranchis deux esclaves... pour cela?». Le Saint Prophète répondit: «O Ibn Mas'ûd! Même si tu dépensais tout ce qu'il y a à la surface de la terre pour l'amour d'Allah, tu n'obtiendras pas la récompense due à la participation au Takbîrat al-Ihrâm de la prière en assemblée».
32. "Furû' al-Kâfî", vol. III, p. 302; "Qâmûs al-Rijâl", p. 1; "Majma' al-Bayân", p. 268; "Majâlis al-Mu'minîn", p. 268, Chap.: "Rassemblement des Musulmans".
33. "Safînat al-Bihâr", vol. I, p. 165; "La Vie du Saint Prophète", p. 261
34. Cet événement eut lieu après le décès du Saint Prophète, et probablement après que Bilâl fut exilé vers la Syrie.
35. "Al-Wâfî", vol. II, p. 87; "Amâlî al-Çadûq", p. 127; "Nafas al-Rahmân", Chap. X, p. 127
36. "Safinat al-Bihâr", p. 105
37. Un homme est venu un jour voir l'Imam 'Alî pour lui dire: «Quelqu'un trouve une faute dans la prononciation de Bilâl et critique sa prononciation du son "ch" comme "s". L'Imam 'Alî lui a répondu: «Les mots que nous prononçons servent à garder intactes les bonnes actions. Si une personne prononce correctement les mots alors que ses actions sont mauvaises et injustes, sa prononciation correcte des mots ne lui est d'aucune utilité. Le "s" prononcé "ch" par Bilâl n'est pas nuisible, dans la mesure où ses actions sont bonnes et correctes». ("Nafas al-Rahmân", Chap. 1)
38. Ach-hadu anna Mohammadan Rasûlollâh (J'atteste que Mohammad est le Messager d'Allah)
39. "Qâmûs al-Rijâl", p. 238; "Tabaqât" d'Ibn Sa'd, p. 170; "Safinat al-Bihâr", vol. I, p. 105; "Jâmi' al-Ruwât", p. 131; "Rijâl al-Mâmaqânî", p. 182
41. "Al-Kâmel" d'Ibn al-Athîr, vol. II, p. 82
42. "Al-Kâmil", vol. II, p. 89; "Târîkh al-Tabarî", vol. II, p. 153; "Sîrat Ibn Hichâm", vol. II, p. 272
43. Allusion au célèbre verset de Mubâhalah (l'exécration réciproque) - verset 61 de la Sourate 3, "Ale 'Imrân" - dans lequel le Saint Prophète appelle l'Imam 'Ali comme étant "nous-même". Voir: "Tafsîr al-Kach-châf" d'al-Zamakhcharî, entre bien d'autres exégèses, concernant l'interprétation de ce verset.
44. "Nâsikh al-Tawârîkh", p. 283
46. Dans le Noble Coran Allah nous informe que le Prophète Mohammad a été envoyé comme une miséricorde pour l'Humanité: "Nous t'avons seulement envoyé comme une miséricorde pour les mondes". (Sourate al-Anbiyâ', 21: 107)
47. "Târîkh al-Ya'qûbî", p. 46
48. "Tabaqât Ibn Sa'd", vol. III; "Qâmûs a-Rijâl", vol. II, p. 243; "Sîrat Ibn Hichâm", vl. IV, p. 33
49. "Tabaqâr Ibn Sa'd", vol. III, p. 169; "Târîkh al-Ya'qûbî", vol. I, p. 46; "Tafsîr 'Abdul-furûh Râzî", vo;. IV, p. 193
50. Deux tributs arabes qui soutenaient le Saint Prophète.
51. "Nahj al-Baâghah", vol. I, sermon No. 5
52. Surnom donné par l'administration califale et ses partisans à Bilâl
54. "Qâmûs al-Rijâl", vol. II, p. 243; "Majâlis al-Mo'minîn", vol. I, p. 268; "Rijâl al-Mâmaqânî", p. 182
55. "Majâlis al-Mo'minîn", vol. I, p. 268; "Qâmûs al-Rijâl", vol. II, p. 243.
56. "Rijâl al-Mâmaqânnî", p. 182.
57. Voir: "Ammâr Yâsir", Publication of Islamic Seminary
58. "Târîkh al-Baghdâdî", vol. I, d'al-Khatîb al-Baghdâdî
59. "Usud al-Ghâbah" d'Ibn al-Athîr, vol. I; "A-Istî'âb"; "Al-Içâbah".
61. "Usud al-Ghâbah", Id.Ibid.
63. "Al-Içâbah", vol. I, p. 31.
64. "Manâqib 'Aî Ibn Abî Tâlib" d'al-'Allâmah Rachîd al-Dîn Ibn Chahr Achûb, vol. III, p. 221.
65. "Tanqîh al-Maqâl" d'al-Cheikh al-Mâmaqânî, vol. I.
66. "Tanqîh al-Maqâl", vol. I. p.169
70. Titre donné par le Prophète (P) à ses deux petit-fils, l'Imam al-Hassan et l'Imam al-Hussain.
71. "Montahâ al-Amâl" du Cheikh 'Abbas al-Qummî.
72. "Abçâr al-'Ayn", p. 165, imprimé à Deccan, en 1357 H.; "Bihâr al-Anwâr", vol. I.
73. "Al-Içâbah", vol. I, p. 367
74. "Al-Içâbah", vol. IV; "Usud al-Ghâbah", vol V; "Manâqib 'Alî Ibn Abî Tâlib", vol. I.
75. Manâqib 'Alî Ibn Abî Tâlib", vol. I.
76. "Al-Içâbah"; "Usud a-Ghâbah".
77. "Manâqib 'Alî Ibn Abî Tâlib", vol. IV.
78. "Bihâr al-Anwâr" d'al-'Allâmah al-Majlicî, vol. VIII,
79. "Man lâ Yahduruhu-l-Faqîh" d'al-Chaykh al-Çadûq.
80. De Nubie, contrée d'Afrique correspondant à la partie septentrionale de l'Etat du Soudan et à l'extrémité sud de l'Egypte.